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MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE D'ARRAS
MÉMOIRES
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L'ACADEMIE
DES SCIENCES, LETTRES ET ARTS
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imp. Rohard-Courtin, F. Guyot, Successeur.
M, D. CCCCZI.
L'Académie laisse à chacun des auteurs
des travaux insérés dans les volumes de ses Mémoires
la responsabilité de ses opinions,
tant pour le fond que pour la forme.
LECTURES
Faites dans les Séances hebdomadaires
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ÉREE BRIE
SECONDE RESTAURATION
DANS
LE PAS-DE-CALAIS
(1815 -1830)
(Suite 1)
PAR
le Comte Gustave DE HAUTECLOCQUE
Membre résidants
1829
qe dénouement approche. Le Ministère Martignac, mal-
(4 gré ses concessions au parti libéral, n'avait pu se
procurer une majorité dans les Chambres. Les Royalistes,
n'étant ni soutenus, ni dirigés, allaient à la dérive ne cher-
chant même plus un port pour abriter le navire de l'Etat.
M. de la Ferronnays, ministre des Affaires étrangères,
s'était retiré pour des motifs de santé. Il fallait le remplacer.
On conseillait à Charles X d'incliner de plus en plus vers
la gauche. Effrayé de l'excitation des idées, il pensa à
s'adresser à Casimir Périer, dont les idées libérales
n'excluaient pas les sentiments royalistes. Mais celui-ci
1 Voir Mémoires de l’Académie d'Arras, 2e série, tome 37, page
255; tome 38, page 57; tome 39, page 47; tome 40, page 7 ; tome 41,
page 26,
_— 8 —
mit pour condition à son acceptation la rentrée aux affaires
de M. de Villèle, qu'il considérait comme le seul homme
d'Etat que le parti monarchique eût compté dans ses rangs
depuis 1814. Charles X ne le crut pas possible, et M. Por-
talis, garde des Sceaux, fit l'intérim du Ministère des Affaires
étrangères. M. Bourdeau fut nommé ministre de la Justice
et Mgr Feutrier fut créé pair de France. M. de Polignac,
l'ami personnel du Roi, avait quitté l'ambassade de Londres.
11 fut de suite l'objet des attaques de l'opposition qui voyait
en lui le chef d’un nouveau Ministère de défense royale, ce
qu'elle appellait un Ministère d'offensive, il y serait quelque
chose de plus et de pire que M. de Villèle.
L'ouverture des Chambres eut lieu le 27 janvier. D'après
Je discours du trône, la situation extérieure ne laissait rien
à désirer, les affaires de la Grèce s'étaient arrangées sous la
protection de la France, de l'Angleterre et de la Russie, les
troupes étaient rappelées d'Espagne, on espérait que le dey
d'Alger se soumettrait à nos réclamations, etquenos rapports
avec les nouveaux états du sud de l'Amérique s'améliore-
raient. La raison publique faisait justice des écrits de la
Presse; c'était une grande erreur. La magistrature rem-
plissait ses devoirs. Le Roi chercha à justifier les Ordon-
nances du 16 juin. L'état des Finances était satisfaisant;
on allait s occuper de l’organisation communale et dépar-
tementale.
L'adresse de la Chambre des Pairs fut la paraphrase
de cet exposé de la situation politique plus optimiste que
vraie. M. de Polignac fit à cette occasion un discours
ressemblant à un programme ministériel, il affichait des
sentiments libéraux qu'il ne professait pas. A la Chambre
des députés, les propositions pour la nomination du
Président indiquèrent le découragement de la Droite.
M. Royer-Collard conserva ses fonctions. L'Adresse repro-
duisit le discours libéral de Charles X. MM. de Monbel et
de Conny protestèrent contre la marche politique du minis-
0
tère Martignac. Les catholiques étaient mécontents ; on
suivait une pente qui conduisait la France à une révolution
semblable à celle qui, en 1688, avait renversé les Stuarts,
par l’abaissement de l'autorité royale et l'exaltation de la
souveraineté populaire. Une partie de la Droite s'abstint de
voter l'Adresse.
Une pétition amena les attaques de l'opposition contre les
Missions ; elle fut renvoyée au Garde des Sceaux; la lutte
contre les idées religieuses ne cessait pas. Après avoir dis-
cuté les lois sur la pêche fluviale et le tabac, le 9 février on
commença la discussion de celle sur l’organisation com-
munale et départementale (1).
Les communes étaient divisées en rurales et urbaines.
Toute commune de 3000 habitants et au-dessus était com-
mune urbaine. Le principe de l'élection était substitué au
mode de nomination en vigueur. C'était une véritable révo-
(1) L'Assemblée Constituante accordait aux électeurs la nomination
des membres des conseils municipaux. Ils restaient sous l’autorité des
districts dépendant eux-mêmes de l’administration départementale et
eofin du Roi. Diverses lois vinrent modifier cette organisation : Un
Sénatus-Consulte de l'an X imposait au chef de l'Etat l'obligation de
prendre les maires et les adjoints dans les conseils municipaux et les
assemblées cantonales désignaient les candidats pour occuper les
fonctions de conseiller municipal.
Sous l’Empire, les formes électives disparaissent : les communes
sont déclarées mineures et le chef de l’Etat et ses agents font les nomi-
nations.
La Restauration avait fait peu de changements. Par la nouvelle loi,
l'élection remplaçait l’action de l'autorité. Les conseils municipaux
étaient nommés par une assemblee de notables composée des contri-
buables les plus imposés de la commune, de certains fonctionnaires,
de citoyens gradués ou exerçant des professions libérales. Pour les
conseils d'arrondissement, les nominations appartenaient aux contri-
buables les plus imposés de chaque canton. Pour les conseils de dépar-
tement, à ceux de chaque arrondissement. Le nombre des notables et
des plus imposés était restreint. On voulait échapper à l'envahissement
de la démocratie,
A0
lution administrative ; elle donna lieu à une vive discussion.
La Droite attaqua la loi comme une violation dela Charte,
car on sacrifiait Ja prérogative royale à la souveraineté
populaire ; c'était une trace de la Révolution et l’irruption de
la démocratie dans l'administration des deniers publics. La
Gauche trouvait qu'en limitant à un impôt de 300 francs le
droit d'être électeur, c'était en rendre le nombre trop peu
nombreux et donner trop de faveur à la grande propriété.
La première question fut de décider si on commencerait par
la loi sur l'organisation communale ou par celle sur l'orga-
nisation départementale. La Chambre décida que ce serait
par cette dernière ; elle avait hâte d'en voir disparaître les
membres des conseils généraux accusés de royalisme et de
cléricalisme ; elle fut d'avis également de supprimer les
conseils d'arrondissement, les considérant comme un rouage
inutile et dont on avait peine à réunir les membres. M. de
Martignac les défendit avec éloquence et dit que leur sup-
pression était en opposition avec la législation actuelle et
que leur intervention était nécessaire surtout en matière de
recrutement, etc. On alla au vote. Une partie de la Droite
resta assise et les Conseils d'arrondissement furent sup-
primés (1). Ce ministre alla en conférer avec le Roi et le pro-
jet de loi fut retiré. Charles X disait: (Il n'y a pas moyen de
s'entendre avec ces gens-là ». L'alliance du ministère avec
la Gauche était finie.
Puis on s'occupa à la Chambre de la dotation du Sénat :
Il s'agissait de transformer en loi une ordonnance de 1823.
Avec le budget de Finances, on attaqua le ministère avec
énergie. À propos du règlement des comptes de 1829, on
revint sur l'administration de M. de Villèle ; celui-ci écrivit :
(1).M. Degouves de Nuncques, le 31 mars, prit la parole pour proposer
une nouvelle! loi sur l’organisation départementale avec suppression
des Conseils d'arrondissement. Il indiquait comment seraient formées
les circonscriptions cantonales, les conditions pour être électeur et
éligible, etc.
=
« L'injustice, la violenceet l'incapacité des accusateurs sont
grandes ; elles indiquent l'absence de toute notion adminis-
trative et financière ».
Les dépenses de 1830 furent fixées à 977,935,399 francs et
les recettes à 979,787,185 francs ; on avait donc un excédent
de 2 millions environ, sans avoir eu recours à l'émission des
4 millions de rente prévue en cas de complications des
affaires étrangères. On décida par une loi que le monopole
de la culture du tabac qui allait finir serait prolongé jusqu'au
1er janvier 1837, à la grande joie des planteurs du Pas-de-
Calais. Pourtant ce monopole fut attaqué par plusieurs
députés dont M. Degouves de Nuncques (1), il fut défendu
par le Commissaire du Gouvernement (2).
La Gauche attaqua l'amovibilité du Conseil d'Etat, le
traitement des évêques, la Garde Suisse et même la maison
du Roietc. La Chambre vota un certain nombre d'économies
et supprima certains emplois. À propos du Budget ecclésias-
tique et des indemnités données aux curés et vicaires par les
(4) M. Degouves de Nuncques, député du Pas-de-Calais, prononça
un discours le 47 mars 1829 au sujet de la culture du tabac. « En 1829,
dit-il, un ministère réparateur qui doit mettre toutes les lois en harmo-
nie avec les dispositions tutélaires de la Charte, ce même ministère
vient encore de proposer la prolongation du monopole sur le tabac,
voilà ce que la Chambre doit difficilement comprendre... Ce mono
pole est-il donc indestructible ? Si on le croit ainsi, qu’on le dise fran-
chement et qu’on le rende perpétuel, au lieu de venir dire qu'il finira
à certaines époques déterminées et de vous proposer le maintien d’un
système d’asservissement et de fiscalité si contraire aux vrais iutérêts
du Gouvernement. » Il termine ainsi son discours : « L’Usurpation a
créé le monopole, la Légitimité doit l’abolir. »
Le 29 mars 1830, M. de Bayenghem, député du Pas-de-Calais,
appuya une pétition demandant la diminution des droits sur la bière.
(2) Le Préfet du Pas-de-Calais avait fait, le 29 décembre 1828, un
règlement très complet en 66 articles sur la culture du tabac. On y
voit qu’on cultivait 925 hectares en tabac. Avant de faire ce règle-
ment, on consulta deux des principaux planteurs de chaque arrondis-
sement.
— 19 —
conseils municipaux, un député prétendit que ceux-ci ne
représentaient pas la commune et n’avaient pas qualité pour
voter ces dépenses et qu’elle n'avait pas d'organe légal. M. de
Martignac protesta disant : qu'on allait à l'anarchie. On abolit
le cumul des places et des emplois. Le ministère des Affaires
étrangères fut celui qui subit le plus de diminutions. La
session fut close le 31 juillet 1829, après avoir durésix mois;
elle avait été violente. On avait promis des travaux sérieux :
elle fut stérile dans ses résultats (1).
(1) Un des députés du Pas-de-Calais, le vicomte du Tertre, prit plu-
sieurs fois la parole à la Chambre, en 1829, pendant la discussion du
budget. C'était un ancien officier, aussi s'occupait-il surtout des ques-
tions militaires. Le 6 mai, dans la discussion du budget, la gauche
eritiquait l'expédition de Morée et disait que c'était l’expiation de celle
d'Espagne. Le vicomte du Tertre, qui avait fait partie de cette der-
nière, répondit qu'elle n'avait pas besoin d'être jutifiée, car elle était
nécessaire. Partout il y avait des conspirations contre les Rois et il
fallait que ceux-ci se défendissent. Puis il montra l'utilité de l’expédi-
tion de Morée.
Le 9 mai. il prit la parole au sujet d’une pétition relative à la
retraite des officiers.
La gauche ayant attribué le déficit du budget au milliard des émi-
grés et à la guerre d’Espagne, le vicomte du Tertre, le 5 juin, réfuta
ces accusations et il ajouta que s’il fallait faire des économies, elles
ne devaient pas compromettre le repos du pays, ni sa considération à
l'étranger, ni la gloire du Trône, mais être faites sur l’administration
générale et sur les frais de perception des impôts, et encore fallait-il
agir avec mesure. On avait dit que l’indemnité des émigrés avait été
une iniquité, il répondit : « Les propriétaires dépossédés, à qui on a
rendu à peine le quart de ce qu'on leur avait pris, n’ont pas été Îles
seuls à profiter de cette mesure. Les acquéreurs de leurs propriétés
ont vu augmenter la valeur de ces biens nationaux, et leurs craintes
ont été tranquillisées. Ce fut donc un acte de justice commandé par la
conscience publique et un acte de sécurité politique qui a fait la paix
entre les dépossédés ct les acquéreurs. »
Le 6 juin, ce député prononça quelques mots au sujet du budget de
l'instruction publique, et, le 9, à propos de celui des affaires étran-
gères. Il défendit la Commission à qui on reprochait de ne pas avoir
fait assez d'économies, quoiqu'elle edt supprimé deux ambassades.
Le 11 juin, il contribua à faire obtenir au Gouvernement des fonds
do
On avait vu les efforts loyaux du ministère centre droit
venirse briser contre le mauvais vouloir dela majorité. Dans
un discours à la Chambre des Pairs, M. de Villefranche
avait dit : que chaque concession arrachée au ministère
était un nouveau pas vers la démocratie, dont la marée, en
montant, devait renverser la monarchie légitime; ilengageait
les ministres à se réunir aux royalistes pour combattre les
doctrines révolutionnaires, aü lieu de marcher avec elle, en
compromettant l'avenir de la Royauté. M. de Martignac lui
avait répondu pour justifier son administration et les Ordon-
nances du 16 juin, mais une opposition de parti-pris refusait
de se laisser persuader; le ministère était entrainé par une
situation plus forte que ses bonnes intentions ; les élections
restaient mauvaises. Le général Clausel fut nommé député.
pour uue maison de hautes études ecclésiastiques que celui-ci voulait
fonder.
Le 16 juin, un député ayant proposé de laisser les élèves de l’Ecole
polytechnique loger en ville pour leur permettre de conserver ieurs
relations dans le monde, le vicomte du Tertre, membre de la Commis-
sion, défendit le système actuel disant : « le séjour de Paris offre pour
les jeunes gens des dangers qui vous sont connus (on rit). Je ne sais
pourquoi on rit, on peut connaître des dangers sans les avoir éprouvés
personnellement ». 11 demande qu’on améliore les locaux de cette école.
Le 24 juin, à propos du Ministère de la Guerre, il dit : « Il faut
faire des économies, mais avec mesure. » Il en indique quelques-unes.
On pourrait employer un ou deux bataillons par régiment pendant la
belle saison à des travaux publics utiles et urgents tels que des fortifi-
cations, des canaux, des routes. Les soldats mieux payés, préfére-
raient cela à la caserne. C’est ce que faisaient les Romains. Il parla
une seconde fois le même jour pour nier que le cumul eût lieu dans
l’armée comme on l'avait dit.
Le 29 juin, il dit que le pain du soldat est meilleur quand il est
fabriqué en régie que lorsqu'il est l’objet d’une adjudication. Dans
l'intérêt des soldats malades, il approuve l'augmentation du crédit pour
les hôpitaux, car en 1830 l'effectif sera plus considérable et certaines
villes ne veulent plus qu'on se serve des hôpitaux civils. Il est partisan
des hôpitaux militaires; on y trouve des médecins en cas de guerre.
Ai —
Charles X dit à cette occasion : « C'est un coup de canon
tiré sur les Tuileries (1). La situation du ministère était
impossible, 1l fallait le remplacer. Charles X y était embar-
rassé ; le départ de M. de Martignac lui faisait perdre un
orateur éloquent ; les autres membres les plus capables de
l'ancien cabinet étaient peu disposés à entrer dans une com-
binaison dont ils ne voyaient pas la stabilité; se diriger
plus encore vers la Gauche #tait impossible. Charles X
se décida à un ministère de résistance dirigé par M. de
Polignac (2). Louis XVIII avait essavé les Centres jus-
qu'en 1822. On sait à quel dénouement cette tentative avait
abouti. De 1823 à 1828, un ministère de Droite avait gou-
verné ; il avait succombé en 1828 à une coalition. Celui de
M. de Martignac avait échoué, un ministère de défense
(1) Louis Blanc, dans son Histoire de dix ans, apprécie en ces
termes la politique suivie par le dernier Ministère : « Pour gagner
l'opinion dominante, M. de Martignac s’épuise en concessions; il
exclut du Ministère, en la personne de Mgr de Frayssinous, le parti
congréganiste. Il remplace l’Évêque d’Hermopolis par l'abbé Feutrier,
prêtre imondain qu'on croit libéral, et éteint, dans les élections,
l'influence des agents du Roi; il affranchit la presse du joug de l’auto-
risation royale, et, substituant le monopole financier au monopole
politique; il met aux mains des riches l’arme du journalisme ; 1l abolit
la censure ; il frappe au cœur la puissance des Jésuites ; il fait passer
la royauté à la Chambre, dont il reconnaît ainsi la suprématie, le droit
d'interpréter les lois... Mais, lorsqu'après avoir fait si large la part du
Pouvoir parlementaire, il veut que tout ne soit pas enlevé au Pouvoir
royal, les choses changent de face. »
(2) D'après M. de Vanlabelle, M. de Polignac ne possédait pas une
de ces organisations exceptionnelles nécessaire pour des circonstances
aussi difficiles. Caractère ‘out à la fois léger et opiniâtre, intelligence
étroite et facile aux illusions, il alliait une rare énergie de cœur à une
grande faiblesse d'esprit; bienveillant et facile dans ses rapports privés,
généreux, fidèle à sa parole et à ses amis, reconnaissant des bons
scrvices et oublicux des mauvais, il était vain et présomptueux, il
avait en lui-même une confiance d’autant plus aveugle qu’elle se trou
vait soutenue par des convictions fixes et ardentes. Il ne manquait
pas d'instruction : on l'a comparé au duc de Richelieu,
royale serait-il plus heureux en marchant en dehors des voies
parlementaires, et sur la pente périlleuse des coups d'Etat ?
Il fut difficile à former. Enfin la liste parut le 9 août (1).
On avait fait une tentative nouvelle auprès de M. de
Villèle; 1] ne voulut pas avoir encore à lutter contre des
cabales de cour ; il disait : « Quand on accorde une
place, on fait un ingrat et 99 mécontents... » Du reste,
Charles X hésitait à le prendre, voulant ménager les sus-
ceptibilités du public, rallier au gouvernement toutes les
nuances des opinions royalistes et de la portion du parti
libéral qu'on supposait avoir quelques dispositions à sou-
tenir le Gouvernement, dès qu'il aurait recu des garanties.
On vit que ce n'était pas possible, car les membres les plus
importants du ministère étaient impopulaires. Les journaux
de l'opposition, devenus plus nombreux, l'attaquèrent avec
fureur. LeJournaldes Débats surtout, dansunarticle célèbre,
proposait, si c'était nécessaire, pour empêcher la réaction,
le refus de l'impôt ; poursuivi par le Gouvernement, sur la
plaidoirie de M° Dupin, il fut acquitté par la Cour Royale (2).
(1) Il était composé de MM. de Polignac, ministre des Affaires étran-
gères; Courvoisier, nommé à la Justice; du maréchal de Bourmont,
à la Guerre; de l'amiral de Rigny, à la Marine; de MM. de la Bour-
donnaie, à l'Intérieur; de Monbel, aux Affaires ecclésiastiques et à
l’Instruction publique. Le Ministère du Commerce était supprimé.
L’amiral de Rigny ne voulut pas accepter et fut remplacé par le baron
d’Haussez. Les anciens ministres reçurent des compensations. M. de
Martigaac devint grand’croix de la Légion d'honneur; d’autres furent
nommés conseillers d'État; d’autres obtinrent des pensions, etc.
(2) Voici l’article du Journal des Débats :
« Ainsi le voilà encore une fois brisé ce lien d’amour et de confiance
qui unissait le peuple et le Monarque ! Voilà encore une fois la Cour
avec ses vicilles rancunes, l’Émigration avec ses préjugés, le Sacer-
doce avec sa haine de la liberté, qui viennent se jeter entre la France
et son Roi; ce qu'elle a conquis par quarante ans de travaux et de
malbeurs, on le lui Ôte; ce qu'elle repousse de toute la puissance de sa
volonté, de toute l'énergie de ses vœux, on le lui impose violemment.
Ce qui faisait surtout la gloire de ce règne; ce qui avait rallié autour
Les feuilles satiriques vinrent également combattre le minis-
tère. Le clergé lui souhaïita la bienvenue, et les journaux
royalistes l’engagèrent à entamer le combat contre la Révo-
lution (1). Le ministre, dans le Moniteur, déclarait qu'à
du Trôve le cœur de tous les Français, c'était la modération dans
l’exercice du Pouvoir; la modération aujourd’hui devient impossible.
Ceux qui gouvernent maintenant voudraient être modérés qu'ils ne
le pourraient. Les haines que leurs noms éveillent dans tous les esprits
sont trop profondes pour n'être pas rendues violentes. Redoutés de la
France, ils lui deviendront redoutables. Peut-être dans les premiers
jours, voudront-ils bégayer les mots de Charte et de Liberté, leur
maladresse à dire ces mots les trahira; on n’y verra que le langage
de la peur et de l'hypocrisie. Que feront-ils cependant ? Iront-ils cher-
cher un appui dans la force des baïonnettes ? Les baïonnettes aujour-
d’hui sont intelligentes; elles connaissent et respectent la loi. Vont-ils
déchirer cette Charte qui fait la puissance du successeur de Louis XVIII ?
Qu'ils y pensent bien ! La Charte a maintenant une autorité contre
laquelle viendraicnt se briser tous les efforts du despotisme. Le peuple
paie un milliard à la loi ; il ne paierait pas deux millions aux ordon-
pances d’un ministre. Avec les taxes illégales naîtrait un Hampden
pour les briser ! Hampden ! faut-il encore que nous rappelions ce nom
de trouble et de guerre ! Malheureuse France! Malheureux Roi ! »
(1) L’Apostolique, journal le plus avancé de l’opinion religieuse,
disait :
« La source du mal vient d’une Charte impié et athée et de deux
milliers de lois rédigées par des hommes sans principes et par des
révolutionnaires. La religion, la justice et Dieu nous commandent
d’anéantir tous les codes que l'Enfer a vomis sur la France. »
Le Drapeau blanc disait : « Si les ministres ont la majorité, ils
sauveront le Trône avec Elle ; s'ils ne l'ont pas, ils le sauveront sans
Elle. »
La Gazette de Fran:e était plus modérée : « Plus de concessions,
plus de réaction. Si les principes que professent les hommes sont un
symbole pour l'opinion publique, elle ne peut se tromper sur le sys
tème dans lequel le Gouvernement du Roi est entré : guerre aux
factions qui voudraient troubler l'Etat ; paix aux opinions inoffensives j
tolérance pour tout ce qui respectera l’ordre public et la loi ; attache.
ment aux institutions; liberté entière dans l’ordre moral et intellectuel ;
mais répression inflexible et légale des excès de la presse; sécurité au
dedans et dignité au dehors. »
moins d'avoir perdu le sens commun, il ne saurait concevoir
méme l'idée de briser la Charte et de substituer le régime
des Ordonnances à celui des lois. Charles X, en présence
de l'accueil fait à son ministère renonça à un voyage en
Normandie. La Dauphine alla à Rouen et aux environs.
Le Dauphin se rendit à Cherbourg pour inspecter lestravaux
du port ; ils furent reçus froidement. Au contraire, La Fayette
à Grenoble et à Lyon fut accueili avec un grand enthou-
siasme.
Le Journal du Commerce proposa le premier un projet
d'association pour le refus de l'impôt. Ce document fut repro-
duit par plusieurs feuilles de l'opposition. Les députés de
Paris la signèrent, Le Gouvernement exerça des poursuites
qui aboutirent à des acquittements.
En présence de ces difficultés,le Pouvoir ne savait que faire.
Charles X était un caractère sans force, dit Vaulabelle, un
esprit sans volonté et il voulait exercer une influence directe
et personnelle sur son Gouvernement. Son ministère, privé
d'homogénéité, allait encore voir empirer sa situation.
M. de la Bourdonnaie se retira sous prétexte qu'on voulait
donner un président au ministère. On pensa encore à M. de
Villèle. Charles X crut que ce serait une bravade avant la
rentrée des Chambres. M. de Montbel fut nommé ministre
de l'Intérieur et remplacé à l'Instruction publique par
M. de Guernon-Ranvil'e. Cela ne donnait pas au Ministère
plus d'habitude des affaires et tout ce qu'il faisait était
critiqué (1). C'estalors que M. le ministre d'Haussez adressa
(4) Le Vational, dans un article de septembre 1830 intittulé « La
Comédie de quinze ans », disait contre le Gouvernement des Bourbons :
« II n’y avait pour les cœurs indépendants qu’une seule attitude :
l’hostilité. Toute la politique, pour les journaux comme pour l'oppo-
sition, dans la Chambre, cousistait toujours à vouloir ce qu’il ne
voulait pas, à combattre ce qu’il demanduit, à repousser tout bienfait
offert par lui comme cachant une trahison secrète; en un mot, à lu
rendre tout gouvernement impossible afin qu'il tombât; et c'est par
là, en effet, qu'il est tombé. Armand CanreL. »
2 AQ'e=
à ses collègues un mémoire où, en présence de l'indécision
de l’une des deux Chambres et de l'hostilité de l’autre, il
examinait si au cas où les Chambres refuseraient de voter
l'impôt on ne pourrait pas les dissoudre et le faire percevoir
par une Ordonnance royale.
La situation était grave et difficile. Louis XVIII, par
l'Ordonnance du 15 septembre 1816, avait porté un coup à la
Monarchie: Charles X, en dissolvant la Chambre septennale,
avait aggravé la situation. Le ministère Martignac, par ses
concessions, avait accéléré la marche de le Révolution.
M. de Polignac n'avait pas le talent nécessaire pour
l'arrêter (1); il aurait fallu au Roi un ministère dévoué qui
ne fut pas impopulaire et qui fut en même temps énergique
et adroit. En présence dela division des Royalistes, ce n'était
pas facile, et nous allons voir qne M. de Polignac (2) et ses
collègues n'étaient pas à la hauteur de la situation, et ne
purent empècher la catastrophe qui allait faire disparaitre
la Monarchie légitime.
Le pape Léon XII mourut le 10 février 1829et fut remplacé
par Pie VIII.
Celui-ci, à cette occasion, accorda un jubilé universel
par un bref du 18 juin 1829. L'évèque d'Arras le publia
dans un mandement du 1° septembre et en annonçant
cette faveur du Saint-Siège (3) indiqua les moyens d'en
profiter (4).
({) M. de Genoude écrit : « Le prince Eugène disait : « Si on
nomme Catinat, nous sommes battus: si on nomme Villars, nous
nous battrons; si c'est Villeroy, je le battrai. Villeroy c’était Polignac.»
(2) M. de Polignac avait en Angleterre étudié le commerce et l’in-
dustrie : aussi il en profita pendant son ministère pour faire à ce sujet
des règlements. Des traités avantageux pour la France furent conclus
avec la Prusse, la Suëde, les État-Unis, etc.
(3) Voici le commencement du mandement de Mgr de La Tour
d'Auvergne daté du 4er septembre 1829 :
« Du haut de la chaire apostolique où la divine Providence vient de
l'appeler, l’auguste successeur de Léon XII, N.T. C.F., s’est empressé
ss A0
D'après les prescriptions de l'archevèque de Paris, Mgr
de La Tour d'Auvergne avait fait célébrer un service dans
de faire descendre sur le monde chrétien les plus riches effusions de
la grâce ; et, à l’exemple de ses vénérables prédécesseurs, il a voulu
signaler son exaltation par l'annonce solennelle d’un Jubilé et par la
dispensation extraordinaire des Indulgences que l'Église a attachées à
ces Jours de salut.
» Quel tems fut jamais plus propre que celui où nous sommes à
émouvoir la sollicitude du Père commun des fidèles, et dans quelle
circonstance le besoin de propitiation et de miséricorde se fit-il mieux
sentir ? Gardien vigilant de la maison d'Israël, le nouveau Vicaire de
Jésus-Christ a vu le troupeau qui lui était confié, attaqué de toutes
parts; il n’a pu considérer sans effroi la religion en quelque sorte
ébranlée par la défection ou la révolte d’un grand nombre des siens ;
la violence, la calomnie et la ruse conspirant à l'envi contre le peuple
de Dieu ; l'orgueil de la science, la soif des richesses et des honneurs,
la fièvre des innovations tourmentant la génération présente et causant
plus de maux à l'Église que ne purent lui en causer autrefois les plus
horribles menaces et le glaive persécuteur des tyÿrans.
» Aussi, N.T.C.F., au milieu de cette corruption devenue presque
générale, au milieu de ces orages sans nombre et de ces tempêtes
tumultueuses qui groudent et s'agitent autour de la barque miracu-
leuse de Pierre, nc comptant ni sur sa force ni sur ses-vertus, mais
reconnaissant que du Ciel seul peut venir la véritable sagesse et la
véritable lumière, ce Pasteur fidèle, ce Pasteur selon le cœur de Dieu,
vous demande le secours de vos plus ferventes supplications, afin que
son pontificat encouragé, soutenu, vivifit par les bénédictions du Père
céleste, procure plus efficacement la gloire de Jésus-Christ et le salut
des âmes que cet Homme-Dieu a rachetées de son sang.
» Gardez-vous de résister, N. T. C. F., à d'aussi pressantes sollici-
tations, et ne différez pas d'entrer dans les voies du repentir et de la
justice chrétienne. Votre sanctification particulière, l'avancement du
royaume de Dieu, le triomphe de l'Eglise catholique, tels sont Îles
grands intérêts que vous avez à traiter dans ce moment, et qui vous
sont particulièrement recommandés par le Souverain Pontife que le
Seigneur dans sa miséricorde a accordé à nos vœux. Ne dites pas:
Mes affaires sont trop multipliées, et je n'ai pas assez de tems pour
prier et me réconcilier avec Dieu. Outre que la premitre et la plus
importante de vos affaires cst celle de votre réconciliation et de votre
salut. nous avons à desscin retardé l’ouverture du Jubilé dans ce
Diocèse, et nous l'avons fixée après les travaux pénibles de la moisson,
0)
toutes les églises de son diocèse; à tous les saluts, on
devait chanter le Vens Creator et après l'élection du nouveau
pape, le Te Deum.
pour ôter au pécheur ce prétexte frivole dont il aurait pu colorer son
insensibilité. Ne dites pas non plus : Mes péchés sont trop grands et
qui sait si Dieu me pardonnera. Ignorez-vous la parabole de l'Enfant
prodigue ? Auriez-vous oublié qu'il y a plus de joie dans le Ciel pour la
conversion d’un pécheur que pour la persévérance de quatre-vingt-
dix-neuf justes ? O vous qui vivez égarés depuis long-tems dans les
voies de la perdition, hâtez-vous de correspondre à la grâce ; entrez au
plus tôt dans la carrière de pénitence qui vous est ouverte. Purifiez
vos cœurs. Renouvelez-vous en esprit et dans l’intérieur de vos âmes.
Que la faim et la soif de la justice vous fassent surmonter tous les
obstacles: et pénétrés de cette vérité éternelle, que le Ciel ne s'accorde
qu’à la violence, pressez Dieu, s'il se peut, jusqu'à l’importunité, et
mettez-vous en état de profiter de la rédemption qui approche.
Il est vrai, N.T.C.F., que dans aucun tems de la vie, le Seigneur
n'exclut personne de la participation à ses bienfaits. Celui qui a créé
l'homme connaît toute la fragilité et la faiblesse de l'ouvrage de ses
mains, et il ne nous laissera jamais sans défense contre les attaques
de ce lion rugissant qui tourne autour de nous pour nous dévorer :
mais telle est l’économie de sa providence, qu'afin de nous tenir tou-
jours en haleine, il se contente de répandre ordinairement sur nous ses
dons avec une sage réserve ; aujourd'hui, au contraire, il n’écoute que
la voix de sa miséricorde, ses bras sont ouverts, ses mains sont pleines
de grâces; il ne met aucunes bornes à sa bonté, et ses vives sollicita-
tions nous pressent de la manière la plus énergique de revenir à lui.
» N’endurcissez donc pas vos cœurs, N.T. C. F., et ne recevez
pas en vain la grâce de votre Dieu. Il est tems, comme dit l’Apôtre,
de vous réveiller de votre assoupissement et de sortir de l'ivresse des
passions. Il est tems de dépouiller le vieil homme et ses œuvres pour
vous revêtir de l'homme nouveau. Le seul moyen de repousser les
traits enflammés de Satan, c'est de prendre en main les armes du
chrétien, c'est-à-dire la foi, l'espérance et la charité. Enfin, pour nous
servir des paroles qu'adressait autrefois à son peuple l’éloquent Évêque
de Clermont : « Ne bornons pas surtout (comme il nous est arrivé
» peut-être jusqu'ici) le fruit de ces jours de propitiation à quelques
» démarches passagères de pénitence. Ne nous flattons point que nos
» fautes soient expiées, si elles n'ont pas été détestées ; ne croyons pas
» que les grâces de l'Eglise nous aient purifiés, si elles ne nous ont
» pas changés; ne comptons sur son indulgence qu'autant que nous
— D —
Quel effet produisaient les évènements politiques sur l'opi-
nion dans notre département? Le Gouvernement, comme
nous l'avons vu, en 1828, avait demandéau Préfet deluifaire
parvenir chaque trimestre un rapport. En 1829, il l'exigea
chaque mois. « Il avait besoin, disait-il, de ses observations
personnelles sur un objet où il importe que le Gouvernement
soit toujours exactement informé. »
C'est ce que demandait aussi le chef du Cabinet du Minis-
tre, le 6 août 1829, au moment de la chûte du Ministère.
On devait indiquer également l'esprit des troupes canton-
nées dans le département, la situation du commerce et des
manufactures, la misère publique et les autres évènements
importants.
Le vicomte Blin de Bourdon se conforma à ces instruc-
tions, et, pour rédiger son rapport, il en réclama un chaque
mois de ses Sous-Préfets. Ils ont été en partie conservés.
» pouvons compter sur un sincère repentir. Ses largesses sont des
» moyens de conversion, et non pas des prétextes d’impénitence ; elles
» nous applanissent les voies saintes; mais elles ne nous dispensent
» pas d’y marcher. Ce sont les secours de notre faiblesse, et non pas
» les excuses de notre lâcheté : le sang de J.-C. d'où elles coulent,
» porte toujours avec lui le sccau et le caractère de la Croix ; et le
» prix qui nous rachète et qui nous délivre, ne peut effacer l'obli-
» gation de souffrir ce que lui-même nous impose (MassiLzon. Man-
» dement sur le Jubilé). »
(4 p.18) Voici les conditions indiquées per le Souverain pontife: Dans
le courant de deux semaines 10 il fallait visiter deux fois une des églises
désignécs et y prier avec dévotion pendant quelque temps ; 2° jeuner
le mercredi, le vendredi et le samedi de l’une des deux semaines ;
3° confesser ses péchés ; 40 faire quelques aumônes aux pauvres.
Mgr de la Tour d'Auvergne désigna. comme églises à visiter, l’église
paroissiale ou la plus voisine du domicile des fidèles ; on devait y
réciter cinq Pater, cinq Ave, et le Gloria Patri ou quelques autres
prières indiquées dans un petit livre publié par l’évêque à l'occasion
du jubilé de 1826. Les jours de jeûne étaient fixés aux 23, 25 et 26
septembre 1829. Le jubilé, commencé le 20 septembre, se terminerait
le dimanche 4 octobre. Après les vépres, on devait chanter ce jour-là
le 7e Deum avec un salut,
Cet administrateur était un royaliste dévoué à la Monarchie
légitime. On comprend son embarras quand il fallait rendre
compte de l'effet produit sur l'opinion publique par la condes-
cendance du Ministère pour le parti libéral. Cette politique
lui semblait, sans doute, fächeuse, mais il ne voulait pas
blâmer son Gouvernement et les Ministres dont il dépendait.
Ses rapports, comme ceux des années précédentes, sont
courts. Il se contenta souvent de dire que l'opinion publique
était assez bonne. Il est vrai que la masse des populations
restait rovaliste et indifférente aux évènements; mais la
classe aisée qui faisait les élections s’en occupait beaucoup,
et les journaux, surtout ceux appartenant à l'opinion libérale,
étaient répandus et lus. Le parti bonapartiste faisait aussi
un peu de propagande et le Gouvernement l'avait signalé
aux Préfets.
Les Sous-Préfets, comme le Préfet, avaient les mêmes
raisons pour paraitre contents. Les rapports de M. Delaage,
sous-préfet de Saint Omer, du baron Le Cordier, sous-préfet
de Boulogne, de M. Denormandie, sous-préfet de Béthune,
qui se disait un vicux rovaliste, depuis longtemps dans le
pays, de M. du Blaisel, sous-préfet de Montreuil, du mar-
quis d'IJumerœuille, sous-préfet de Saint-Pol (1), se ressem-
(4) Voici les principaux rapports du Sous-Préfet de Béthune :
Il écrivait le 4 janvier 1829 : « La nouvelle loi électorale n'a fait
d'abord aucune impression dans ce pays; mais, lorsqu'on a vu dans
chaque canton un agent, et quelquefois plusieurs, chargés spéciale-
ment de recucilhr les extraits de rôles de certains électeurs, se donner
tous les mouvements possibles pour vaincre leur indolence, et aller
même jusqu'aux sommations, alors on a reconnu que l'affaire était
plus sérieuse qu'on ne l'avait imaginé tout d'abord. Une chose fort
remarquable, c’est que les agents dont il s'agit sont tons de la même
opinic a (libéraux): que le parti contraire (monarchique) n'en a de son
côté c'nployé aucun et qu'il e:t resté dans une inaction complète. Aussi
l'opinion générale est-elle que, s'il ÿ avait de nouvelles élections, le
parti indolent serait vaincu, et la majorité actuelle de la Chambre des
— 93 —
blent et disent que le département est calme, heureux,
tranquille et dévoué au Roi, s'occupant peu de politique.
La loi sur l'administration départementale et communale a
Députés considérablement augmentée, c’est-à-dire que le parti qui
triomphe serait encore plus en force.
La loi qu’on prépare sur l'organisation municipale et départementale
est venue encore augmenter les agitations et l’inquiétude. Ce n'est pas
à beaucoup près que tout le monde en aperçoive les conséquences;
mais les moins éclairés sentent qu’elle doit apporter de grands chan-
gements dans l'administration actuelle, et ils sont impatients de savoir
en quels termes elle est conçue et quel sera le résultat de la discussion.
Quant à ceux qui voient plus loin, ils sont convaincus que cette loi
doit avoir une influence décisive sur le sort de l'Etat. »
Il écrivait le 27 mars 1829 : « Deux choses en ce moment occupent
d'une manière particulière les habitans de ce pays : ce sont les
lois sur l’organisation municipale et départementale, et la cherté des
grains. Aiasi que j'ai déjà eu l'honneur de vous le marquer, les
esprits sont fort divisés sur les lois en question : les uns, et c’est le
plus grand nombre, les trouvent superbes et y applaudissent de toutes
leurs forces; les autres, au contraire, n’y voient rien que de dange-
reux. Les premiers pensent qu’il est juste de satisfaire les exigences
du moment et, de quelque manière que les choses se passent, ils ne
trouveront jamais les concessions trop larges; les seconds s’effrayent
de la seule idée de l'élection par les habitans des conseillers munici-
paux et de ceux du département. Ils disent, qu'après tant de conces-
sions faites par la Charte et depuis, on ne saurait plus en faire aucune
sans compromettre la Royauté et par suite la sûreté de l'État ; qu'avec
la liberté illimitée de la presse, la nouvelle loi électorale et la composi-
tion de la Chambre des Députés, la moindre concession tendant à
fortifier le parti populaire ne peut qu'être funeste ; que la nomination
par les citoyens des conseillers dont il s'agit porte atteinte à la Charte
qui avait spécialement réservé ces nominations au Roi; que si tout se
bornait là le mal pourrait n'être pas sans remède; mais que ce n'est
évidemment qu’un premier pas, que plus tard le parti voudrait avoir
la nomination des maires et des adjoints, celle des prétets et sous-préfets
et peut-être même leur suppression et leur remplacement par des admi-
nistralions collectives ainsi que cela s'est pratiqué sous la Révolution ;
qu’alors la Royauté, dépouillée de tout appui, sera facilement vaincue.
Îls s’étonnent de voir qu'on reproduise en ce moment les mêmes lois qui
oat servi à détruire la Monarchie ; enfin ils disent que tout Gouverne-
no —
occupé un certain nombre de personnes, les unes pour la
blâmer, les autres pour lu louer. On était impatient d'en
connaître les dispositions, pour savoir par qui seront faites
ment constitutionnel se compose de trois principes, savoir : du monar-
chique, de l’aristocratique et du populaire ; que la Charte les avait
sagement combinés, qu'on ne peut augmenter l’un sans affaiblir les
deux autres et rompre ainsi l'équilibre, et c’est ce que daivent néces-
sairement faire les lois sur l’organisation municipale et départementale.
Tels sont, Monsicur le Préfet, les discours que l’on tient en ce
moment ; entre ces deux partis opposés s’en trouve un troisième : les
gens qui le composent sont des espèces d’optimistes, ils sont persuadés
que tout ira bien. Que dans toute la France il n'y a que des gens sages,
honnêtes et paisibles; qu’à la vérité il y a un peu de chaleur dans la
Chambre des Députés, mais que tout cela se calmera, que les gens
raisonnables s’entendront et que le Ministère parviendra à taire passer
les lois telles qu'il les a présentées. Ce qui a eu lieu au sujet de la
question de priorité, les a un peu déconcertés, il est vrai. Mais cela
s’est bientôt passé, et ils persistent à voir tout couleur de rose. Je
désire de tout mon cœur qu'ils aient raison. »
Le 7 avril, ce mème Sous-Preéfet écrit : « La situation dont je vous
ai parlé n’a point éprouvé de changement. On suit toujours avec
le plus grand intérêt la discussion sur la loi départementale ; et cha-
cun, selon sa manière de voir et ses sentimens particuliers, triomphe
ou est abattu. Le résultat fera connaître ceux qui auront bien ou mal
deviné, mais il ne changera rien aux opinions. Chacun conservera la
sienne. Îl n’y aura que l'application (si toute fois les lois passent) qui
pourra faire connaître si elles sont bonnes ou mauvaises, et surtout si
elles sont appropriées au tems ct aux circonstances. »
M. Denormandie écrit le 41 avril 4829 : « Enfin les lois sur l’orga-
nisation municipale et départementale sont retirées. Le ciel en soit
loué, car il n’en pouvait rien sortir que de funeste. Au point où nous
ea sommes, ce n’est point l’autorité du Roi qu'il faut affaiblir : on ne
saurait au contraire trop la fortifier. C'est notre sauve-garde à tous,
quelles que puissent être d’ailleurs les opinions.
Cette mesure doit nécessairement produire un grand effet ici, comme
partout ailleurs. J'aurai soin de vous rendre compte de tout ce qui
viendra à ma connaissance. »
Ce mème Sous-Préfet écrit le 11 mai 1829 : « La dernière fois que
j'ai eu l’honneur de vous écrire, relativement à l'esprit public de cet
arrondissement, les lois sur l'organisation municipale et départemen-
EEE — -
0
les nominations aux fonctions départementales et commu-
nales. Actuellement, le parti libéral était très partisan de
cette loi. Son retrait n'avait causé aucune émotion dans le
tale venaient d’être retirées. Je vous ai annoncé alors que cette mesure
produirait ua grand effet ici comme partout ailleurs. Effectivement
j'ai vu des mines fort allongées ; mais, en revanche, j'en ai vu d’autres
épanouies et rayonnantes de joie. Depuis que les feuilles publiques
parlent de la dissolution de la Chambre des Députés, les rôles com-
mencent à changer. Il faut espérer, toutefois, qu'on ne commettra
pas une si grande faute. J'ai déjà eu occasion de m'en expliquer dans
le rapport que je vous ai adressé immédiatement avant l'ouverture des
Chambres. Tout ce que j'ai vu l’année dernière, lors que nous avons
recueilli les nouveaux extraits de rôles, m'a convaincu que s'il y avait
de prochaines élections, elles seraient, pour la plupart, favorables au
côté gauche. Depuis lors, les choses n’ont point changé. Elles ne
se sont que plus fortement prononcées. Le résultat ne serait aujour-
d’hui que plus décisif. »
Ce mème Sous-Préfet écrit le 5 août 1829 : « L'arrondissement de
Béthune est entièrement agricole, Tout ce qui concerne l’agriculture
passe, pour lui, avant tout le reste. Depuis six semaines, environ, on
n’y est occupé que de la prochaine récolte. Sera-t-elle bonne ? Ne le
sera-t-elle pas? Sera-t-il même possible de la faire ? (car les choses
vont jusque-là pour certains produits) Voilà ce que l’on se demande
l’un à l’autre. Voilà ce qui occupe nuit et jour les habitans de ce pays.
Vous sentez qu’au milicu d'intérêts si grands et si pressans, les ques-
tions de la politique trouvent infiniment peu de place. S'il ne s'agissait
donc que de la grande majorité des habitans, je vous dirais qu’on ne
s’occupe plus ici depuis longtems de ce qui a rapport à la politique.
Mais il y a toujours dans les villes, et parmi la population riche des
campagnes, des hommes pour qui c’est un besoin de s’occuper des
affaires de l’État, et qui se réjouissent ou s’affligent selon qu’elles
marchent ou non suivant leurs idées. Ce sont ces hommes qui me
fourniront la matière de mon rapport.
La session des Chambres est close, et chacun peut aujourd'hui
raisonner sur ce qui s’est fait. S'il faut s'expliquer avec franchise,
aucune attente n'a été remplie. Les uns trouvent que la session n’a
rien tenu «ic ce qu'elle promettait. Les autres sc félicitent de ce qu’elle
a mieux tourné qu'ils ne l'espéraient. Les premiers ont été accablés
dans le premier moment, par le retrait des lois municipale et dépar-
fementale ; mais, depuis, ils ont repris courage et ils sont fermement
— 96 —
Pas-de-Calais où la plus grande partie de la population était
toute occupée des travaux des champs. La cherté du blé
avait occasionné la misère sans causer de désordre. Le
convaincus aujourd'hui que ce n’est qu’un ajournement et qu’à la
prochaine session la loi sera reproduite telle qu'ils la désirent. Les
seconds se flattent du contraire. Ils espèrent que le Gouvernement,
mieux éclairé, ne reproduira pas cette loi qu'ils qualifient de funeste,
et qui, selon eux, doit nous conduire tout droit au peuple souverain.
Ils disent que si, avec la liberté de la presse, la Chambre des députés,
la nouvelle loi électorale, les Comités directeurs, etc., les citoyens ont
encore le droit de nommer leurs Maires et officiers municipaux, ou
bien même de les désigner à l’autorité souveraine qui sera tenue de
faire un choix parmi les candidats, l’équilibre du Pouvoir que veut la
Charte et qui est déjà si fortement compromis, sera entiérement rompu
et que la démocratie débordera de toutes parts. Ils redoutent surtout
ces assemblées populaires qui auront lieu à chaque instant sur tous les
points de la France, à cause des vacances continuelles occasionnées
par les démissions, décès, changemens de domicile, et ils ne peuvent
pas se persuader que le Gouvernement puisse se décider à reproduire
une loi qui, de quelque façon qu'on l’accommode, ne peut que produire
de funestes résultats.
La question du renouvellement de la Chambre des Députés qui, il y
a quelque tems, a été mise en avant dans les journaux, occupe aussi
les esprits, mais beaucoup moins. Ceux qui désirent le plus ce
renouvellement, ne peuvent se persuader qu'il ait lieu, et ceux qui le
redoutent, se persuadent que le Gouvernement n'y donnera pas les
mains, à moins cependant qu'il ne change la loi des élections, ce qui
à leur sens serait un grand bien.
Depuis quelques jours, on parle de changemens dans le Ministère.
Les opinivns se partagent à cet égard comme sur tout le reste. Les
uns ajoutent foi aux bruits, les autres n’y croient pas. Les uns s’ea
affligent, les autres s’en réjouissent. Tout cela, comme vous le voyez,
est fort mêlé, et il n’est pas facile de reconnaitre de quel côté est le
plus grand nombre. Au reste, il y en a beaucoup qui pensent que,
s’il y avait un changement de Ministère, il ne serait que partiel, et
qu'ainsi la marche actuelle du Gouvernement n’en scrait pas beaucoup
affectée; ce qui, disent-ils, serait un avantage, attendu que les transi-
tions trop brusques sont funestes au moral comme au physique, et
qu'il faut les préparer avec prudence et ménagement.
Voilà, Monsieur le Préfet, tous les bruits et propos qui circulent
dans ce pays. Mais, ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, ce
= 07
maintien du monopole des tabacs avait été accueilli avec
satisfaction par les planteurs nombreux dans le Pas-de-
Calais.
n'est que la très petite partie de la population qui s'en occupe. Les
quatre-vingt-dix-neuf centièmes ne songent qu’à leurs affaires parti-
culières, et surtout à la récolte qui jusqu'ici a présenté les plus belles
apparences mais qui, d’un moment à l’autre, peut être compromise si
les pluies, qui durent depuis si longtems, ne cessent pas enfin et si
elles ne font pas place au beau tems qui est vivement désiré. »
Ce même Sous-Préfet écrivait le 17 août 1829 : « J'ai reçu à la foiset
la copie manuscrite de la circulaire de S. E. le Ministre de l'Intérieur
qui accompagnait la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire
le 45 du courant, et le numéro de la gazette qui contenait cette même
circulaire. À l'heure qu'il est tout le monde doit en avoir connaissance
et je puis vous assurer, qu'après l'avoir lue, les fonctionnaires de
toutes les espèces proclameront hautement leur attachement au Roi et
à son auguste famille. Voilà l'avantage d'avoir affaire à des gens qui
s'expliquent clairement. On sait ce qu'ils veulent et l'on agit en
conséqueuce. Il n’en était pas ainsi sous le Ministère équivoque qui
vient de finir. On ne savait pas ce qu'il voulait et je crois qu'il aurait
été bien embarrassé de le dire lui-même. Heureusement nous en
sommes débarrassés; mais, quoiqu'il n'ait pas duré longtems, son
existence n’a cependant été que trop longue. Il faudra bien du tems
pour réparer le mal qu'il a fait, si toutefois on peut y parvenir. Nous
voilà sùrs, du moins, qu'on ne reproduira pas, à la session prochaine,
cette loi révolutionnaire sur l’organisation municipale et départemen-
tale qui nous aurait conduits tout droit au peuple souverain. Je vous
réponds des fonctionnaires de cet arrondissement. Je vous réponds
mêine des libéraux, quoiqu'ils soient fort mécontents. Ils ne bougeront
pas. Que le Gouvernement nous soutienne et nous le soutiendrons! »
M. Denormandie écrivait le 6 septembre 14829 : « Déjà, dans ma
lettre du 5 août dernier, j'ai eu l'honneur de vous faire connaitre
l'impression produite par la nomination du nouveau Ministère. J'ai
reconnu depuis que je ne m'élais pas exprimé avec assez de force.
Les Royalistes et tous les gens qui veulent la paix et le repos sont
enchantés. Quant aux libéraux et aux artisans de trouble et de discorde,
ils nc sont pas seulement mécontens, ils sont furieux. J'ai eu occasion
de m'en convaincre particulièrement. Ce n'est pas simplement avec
inimitié et colère qu'ils parlent des nouveaux Ministres, c'est avec
fureur et rage. Ils les tueraient, je crois, s’ils le pouvaient. Les Minis-
— 2% —
Mais, ce qui domine, c'est l'optimisme. Pourtant, d'après
le Sous-Préfet de Béthune, la chûte du Ministère Martignac
tres feront donc bien de ne pas les ménager, car ceux-ci ne les ména-
geront pas. Îls sont bien décidés à faire tout ce qu'ils pourront pour
les renverser. j
Une chose aussi dont j'ai eu lieu de me convaincre dernièrement,
c'est le mal affreux qu'ont fait les journaux révolutionnaires. Je le
croyais bien grand, mais je l'ai trouvé plus grand encore. Ce n'est
pas seulement les dernières classes qui ont été infectées, le mal a atteint
même une partie des gens aisés et honnêtes. Lorsque je me reporte à
ce que j'ai vu quand je suis arrivé ici en 4845, je ne puis m'empêcher
d’être effrayé. Combien de fautes on a commises depuis ce tems !
Que le Ministère fasse donc tous ses efforts pour avoir la majorité
dans la Chambre des Députés, car s’il ne l’obtient pas, il se trouvera,
ainsi que nous, dans une position fort critique. De nouvelles élections,
s’il fallait y avoir recours, donneraient, selon toutes les apparences,
une Chambre encore moins bien disposée que celle actuelle ; car la
majorité des électeurs est travaillée depuis longtems, je dirai même
qu'elle est aveuglée. Pour avoir la preuve de ce même mauvais esprit,
il suffit d'examiner ce qui se passe au sujet des journaux, car c'est
principalement cette classe qui fournit les abonnés. Combien y a-t-il
de journaux royalistes, et combien de libéraux ou révolutionnaires ?
On ne peut pas même faire de comparaison. Or, tous ces journaux se
soutiennent, tous ont de nombreux abonnés. Il est donc clair que ce
qu'ils disent trouve de nombreux partisans. Ce serait bien vainement
qu’on prétendrait mettre en regard la quantité d'abonnemens d’une
ou de deux feuilles royalistes. Que font ces abonnemens, quelque nom-
breux qu'ils puissent être, contre la masse des autres ? Que signifie
d’ailleurs le nombre des abonnés ? C’est celui des lecteurs qui fait tout,
et les feuilles qui font des appels aux passions de la multitude, doivent
en avoir et en ont beaucoup plus que les autres. Voilà ce qui rend la
liberté, ou plutôt la licence de la presse si dangereuse au sortir des
révolutions. C'est ce que n'ont pas apperçu ceux qui ont accordé si
imprudemment cette liberté et ceux qui l’ont accrue depuis. Si l’on
n’y pourvoit promptement, le mal deviendra sans remède. Il est là
tout entier. Qu'on ne le cherche point ailleurs ! En mettant des entraves
salutaires à la liberté d'écrire, l'esprit public deviendra meilleur. Il
se calmera si l’on cesse de l’agiter. Jusques là, tout ce que l'on pourra
faire pour parvenir à ce résultat, sera sans effet. Comment guérir une
plaie dans laquelle on verse à chaque instant du poison ? Quel est
— 59 —
fut accueillie avec plaisir par les royalistes (1). A mesure
que le temps marche et que l'opposition grandit, la satis-
faction des Sous-Préfets est moindre. Mais il faut s'étonner
‘ qu'ils n'aient pas jugé à sa valeur le travail souterrain,
continuel et intelligent fait par les libéraux et leurs journaux
pour attirer à eux les électeurs douteux et renverser la
Monarchie légitime. Ces fonctionnaires se firent bien des
illusions que j'’année 1830 allait, hélas! dissiper.
D'après le Sous-Préfet de Boulogne, le discours du Roi
avait produit l'effet le plus heureux. Il annonçait aux Cham-
bres le dépôt d'une loi relative à l'organisation départe-
mentale et communale; on désirait la connaitre. Les uns
étaient effrayés de voir le pouvoir central perdre une partie
de son autorité; les autres y trouvaient une plus grande
indépendance dans l'administration de la commune (2).
l’homme sage qui pourrait l'entreprendre ? Il n'y aurait qu’un insensé
qui pourrait s’en flatter !
Je sais qu’au point ou les choses sont arrivées, le remède est fort
difficile. Tous les Ministères qui se sont succédé jusqu’à ce jour ont
fait des fautes. Le dernier en a commis à lui seul plus que tous les
autres ensemble ; et si les libéraux n'avaient pas été assez aveuglés
pour rejeter la loi sur l’organisation municipale et départementale, le
mal aurait été bien plus grand encore. Les Ministres actuels ont donc
recueilli un héritage hérissé d'embarras et de difficultés. Dieu veuille
qu'ils s’en tirent heureusement ! Personne ne le désire plus que moi.»
(1) Le Propagateur, dans un article sur les divertissements de la
Fête d'Arras, disait que le Jeu d’équilibre était bien à propos rappelant
la chûte du Ministère Martignac; comme le Jeu de tamis, la majorité
législative ; la « Course en sacs » faisait penser à ce Ministre ainsi qu’à
MM. de Polignac, de Bourmont et de la Bourdonnaic.
(2) Voici les extraits des rapports du Sous-Préfet de Boulogne; il
avait fait en 4828 un rapport peu optimiste.
Il écrivait le 3 juin 4829 : « En général, il y a inquiétude ; on ne
comprend pas bien où est la majorité et ce que veut la majorité dans la
Chambre élective. La dernière loi sur les élections semble incomplète,
on pense que comme puur le jury il aurait dà y avoir une disposition
qui obligeàt les électeurs à venir voter. Les hommes sages et modérés
approuvent la loi présentée sur la presse et ne la trouvent pas trop
en)
D'après ce fonctionnaire, l'esprit des troupes à Calais et à
Boulogne était bon; il yavaitune division au campd Helfaut.
Le rapport du Sous-Préfet de Saint-Omer signalait les
sollicitations faites par les libéraux auprès des députés dont
le rovalisme était tiède pour les gagner à leur cause. M. Le-
sergeant, disait-il, ne se laissera pas entrainer : il setrompait.
Ce Sous-Préfet envoya une curieuse étude sur le caractère
des habitants de son arrondissement (1).
sévère dans ses dispositions pénales. Les intentions des Ministres
ne sont point méconnues: on comprend toutes les diificultés de leur
position. Les contributions se paient hien et ne donnent pas lieu à plus
de poursuites que les années précédentes. »
(1) Voici des rapports du Sous-Préfet de Saint-Omer :
1! écrivait le 5 janvier 1829 : « Sauf quelques exceptions que Je ne
passerai pas sous silence, l'esprit public n'est guère susceptible de
variation dans l’arrondissement de Saint-Omer, par le motif qu'il y a
peu d’exaltation. En effet, quels sont les hommes qui changent facile-
ment d'opinion ? Ce sont ceux qui ont la tête légère, les passions vives,
et ici les têtes sont froides comme le climat. Le temps est consommé
par les occupations domestiques et le soin des intérêts privés. Quand
une réunion termine la journée, elle n’est qu’un sujet de distractiocs,
et si la politique est parfois l’objet de la conversation, on ne s’aper-
çoit pas que les nuances d'opinion aient un principe de froideur et
d'irritation.
On attend avec curiosité le projet de loi sur les administrations com-
munale et départementale ; on n’adopte pas la crainte de l’envahisse-
ment de la démocratie, ni le désir d’un affranchissement total qui
aurait pour résultat de priver les maires de l'appui et des conseils
qu'ils demandent et dont il est certain que la plupart auront constam-
ment besoin.
Les habitants de l'arrondissement sont dévoués au Roi et confiants
dans la sagesse de son Gouvernement, et ainsi ils ne peuvent espérer
ni craindre l'abandon d’une action dont l'exercice est nécessaire à
l’'uniformité et à la régularité.
Ce qu'on désire et qu’on doit désirer est la levée des entraves qu'ap-
porte aux plus petites affaires la longueur des formalités; mais, pour
l'obtenir sans perdre la garantie opposée à l'arbitraire et au défaut des
connaissances, il faut que les législateurs aient quelque confiance dans
les fonctionnaires préposés par le Roi pour l'administration des dépar-
so es
Les Sous-Préfets de Saint-Pol et de Montreuil étaient
tements et des arrondissements, et qui, n'ayant à s'occuper que des
affaires publiques, peuvent éclairer, exciter ou maintenir leurs admi-
nistrés et ne peuvent être guidés que par les sentiments de leur devoir.
Pour mieux faire comprendre ma pensée, j'exprimerai d'abord une
observation générale. Qu'un électeur pense que, outre le droit de voter
que lui donne la contribution qu'il paye, il a celui d'approuver ou de
blämer un dépaté dans l'exercice de ses fonctivas, je le conçois; car
la capacité d’un électeur a pour principe se fortune et son âge et nulle-
ment son esprit; mais ce que Je ne conçois pas, c’est qu’un député,
homme de sens et d'esprit, abdique le rôle noble et indépendant de
membre d'un des Pouvuirs de l'État pour se faire le coryphée d'un
parti et s'expose, en acceptant le témoignage de son approbation, à
subir l'expression de son bläme. Il faut que l'amour-propre soit bien
aveugle puisqu'il porte l’homme à se dépouiller de sa dignité. Plusieurs
députés ont reçu les hommages d'électeurs qui font consister le courage
à attaquer le passé qui n’est plus, parce que le mot courage résonne
mieux que ceux de passion et d'ambition Dans ce nombre, on ne
compte pas M. Lesergeant, et j'ajouterai même qu'on ne l'y
comptera pas. »
Le Sous-Préfet de Saint-Omer, le #4 mars 1829, disait dans son
rapport mensuel : « Peu de personnes m'ont parlé des projets de lois
présentés et aucune d'elles n’a contesté le mérite remarquable des
projets de lois sur l'administration communale et sur les Conseils
d’arrondissements et de départements, ni l’inconvenance de l’idée
de quelques publicistes d’entraver le libre choix des maires et adjoints.
Assez de motifs plausibles ont déjà été opposés à cette dangereuse
innovation et le seront encore si réellement elle est proposée à la
tribune. Mais si cependant aux objections de principes peut être jointe
une réflexion sur les situations particulières, J’observerai que dans
quelques communes il faut nécessairement des maires tout à fait indé-
pendants du choix des habitants pour que les intérêts communaux ne
soient pas compromis. Ainsi, dans les communes de Brêmes et de
Balinghem, l'élection composera les Conseils municipaux de proprié-
taires et détenteurs de portions de marais tourbeux, et si les maires
devaient nécessairement être choisis parmi eux, les intérèts des deux
communes, qui sont déjà bien difficiles à défendre, seraient tout à fait
sacrifiés.
J'ai entendu observer que la faculté donnée par l’article VI du projet
de loi sur l'administration communale de choisir pour maire d’une
commune rurale un contribuable non résidant, pourrait n'être pas
ire
optimistes. Les rapports du premier affirmaient le rovalisme
exempte d’inconvénients. Quant à moi, je pense qu'il peut ètre quel-
quefois très utile, mais rarement, et que, pour prévenir les prétentions
mal fondées, il serait bon qu'elle ne fùt exprimée que comme possi-
bilité d'apporter une dérogation à la règle générale dans l'intérêt d’une
commune.
Il est évident que les Préfets, Secrétaires généraux de Préfecture et
Sous-Préfets ne peuvent pas être maires, et je suppose que c'est à cause
de cette évidence que l’article IX du projet ne les comprend pas dans
la liste de prohibition. Mais il y a cependant une apparence d'omission
que fait ressortir l’article XXXII.
Ces observations sunt de bien peu d'inportance, mais je crois qu’il
est de mon devoir de vous les soumettre. »
Le 2 avril, ce Sous-Préfet écrivait au Préfet que les passions poli-
tiques poussaient à lutter contre l’administration.
Rapport, de ce Sous-Prétet, du 3 juin 14829 : « Dans cet arrondis-
» sement, les sentimens de respect et d'amour pour le Roi se mani-
» festent dans toutes les classes. On y remarque, à l’époque des
» élections, des différences d’opinions politiques; mais il est à consi-
» dérer que l'opposition ne désire pas un changement d'institutions,
» mais seulement la conservation entière de celles qui existent, et que
» l'esprit d'indépendance n'a pour principes que l’amour-propre ennemi
» des distinctions sociales et le désir d’être assuré de la conservation
» de biens qu'on possède ou de leur partage égal entre les enfans.
» Que les esprits ne soient point agités, et ils resteront calmes ou
» le temps calmera successivement ceux qu’un reste d'inquiétude tient
» encore dans une agitation que font voir les élections. »
« Les nouvelles politiques et les discussions des Chambres occupent :
la classe éclairée ; mais c'est froidement qu'on les lit et qu’on en parle.
Les esprits sont froids comme le climat. Il y a ici beaucoup de calme
et peut-être trop; car on y trouve de l'apathie; mais les sentimens y
sont bons. Le voyage du Roi les a mis en évidence et, renfermés main-
tenant dans les cœurs, ils s’y conservent purs. »
Ce même Sous-Préfet écrivait au Préfet, le 4er août 4829 : « Les
habitans de cet arrondissement sont en général flegmatiques. Les uns
vivent tranquillement de leurs revenus ; d'autres se livrent à des occu-
pations dont le but est d'augmenter leur aisance ou de pourvoir à leurs
besoins et à ceux de leurs familles et il en est peu qui regrettent le
passé, s'affectent du présent ou s’inquiètent de l'aveuir.
Ils sont religieux et Îles mœurs sont bonnes dans la classe supérieure
de la société ; mais elles sont loin de l’être autant dans celle inférieure,
= —
de cet arrondissemerit (1), ceux du second disaient que Îles
Si vous avez quelquefois parcouru l’article des actes de l'état-civil qui
termine chaque semaine la petite feuille de Saint-Omer, vous aurez été
frappé du grand nombre de naissances d’enfans naturels et cependant
beaucoup de mariages tardifs sauvent ca partie les apparences. Il y a
peu de troubles dans les ménages, mais une habitude de relâchement
de mœurs dans la jeunesse et une disposition dans les familles du
peuple à en excuser les écarts. Ce n'est pas sculement dans les villes,
mais aussi dans les campagnes et particulièrement près de Saint-Omer,
que le mal existe. J'en attribue la cause première à l'apathie qui ôte à
la raison l'empire qu’elle devrait exercer sur les passions et j'en trouve
une secondaire et partielle danx la présence habituelle des régimens.
Cette apathie cause aussi l'imprévoyance. Si un ouvrier gagne beau-
coup, il dépense de mème, et quand le travail lui manque, il n’a que
la charité pour ressource.
Dicposé à dépenser chaque semaine ce qu'il gagne, le peuple est
habitué aussi à se contenter de peu. La classe ouvrière a beaucoup
souffert l'hiver dernier et cependant, à l'exception du pillage d’un bateau
de grains et d’un peu de mendicité nocturne, la tranquillité n’a point
été troublée et elle a été promptement cet facilement mise à l’abri de
toute inquiétude, par la régularisation des secours locaux prescrits
par votre circulaire du 8 avril dernier.
Dans une classe plus élevée, sont des cultivateurs qui ne doivent
l’aisance qu'à un travail assidu. Ceux-là, très nombreux, ont une
conduite régulière et ne s'occupent, en général, que de leurs affaires
domestiques. On peut mème leur reprocher quelquetuis la préference
qu'ils leur donnent sur les affaires de la commune et qui rend parfois
difficile la réunion suffisamment complète d’un Conseil municipal.
Dans les villes sont des marchands et artisans qui, la plupart, sont
uniquement occupés de leur commerce ou de leur métier.
Les maoufacturiers entrent pour une très faible partie dans la popu-
lation des villes et des campagnes.
Eofin les propriétaires vivant de leurs revenus sont nombreux,
particulièrement à Saint-Omer.
Dans tous les détails qui précèdent, j'étais bors de mon sujet; mais
je ne crois pas que ce soit mal à propos que je ne me sois pas restreint
dans le cercle étroit que me traçait le sens des mots esprit public; car
l'esprit public proprement dit est une disposition au mal ou au bien sur
laquelle uce influence très grande est constamment exercée par le
caractère des hommes et par leurs intérêts personnels.
Il faudrait ici une grande force pour faire mouvoir le peuple. Vous
op
habitants du pays s'occupaient beaucoup plus de culture que
de politique (1).
Tous ces rapports restaient dans les généralités.
vous rappelez sans doute que le jour de l'arrivée du Roi, les personnes
qui accompagnaient Sa Majesté s'étonnaient du peu d'enthousiasme,
mais qu'ensuite elles ont remarqué que pendant toute une semaine,
l'enthousiasme s'est accru chaque jour. Il y a ici beaucoup plus d'atta-
chement au Roi que de dispositions à le manitester, et dans les affaires
publiques, on peul remarquer qu'il y a plus de soumission aux lois et
règlemens que de zèle à s'occuper des intérêts de la localité.
Dans la classe moyenne de la société et dans les sommités sociales,
chacun s'occupe de ses intérêts, mais avec calme, et les esprits n’y
sont point, en général, agités comme dans quelques villes de France,
par les spéculations hasardeuses. Il y a dans les villes des suscepti-
bilités d'amour-propre, mais sans froissement et ce n'est guères que
lors des élections, qu'elles sont mises en évidence. Alors, on voit
paraître d'une part la crainte de l'envahissement de la démocratie et
celle exagérée de ses conséquences, et de l’autre, la crainte chimérique
ou peut-être simuléc du retour des privilèges, et avec ces sentimens
sc compliquent les affections personnelles ; mais la discorde cesse avec
le motif qui l’a fait naître.
Les nouvelles politiques intéressent, mais sans exciter la crainte ou
l'espérance, et la belle saison étant un obstacle aux réunions, il ya
maintenant peu de conversalions dont elles soient l’objet. Quelles que
soient les nuances d'opinions politiques et l'influence que peut exercer
sur elles la lecture des journaux, on trouve et on trouvera toujours
dans l'arrondissement de Saint-Ouner, avec l'attachement pour le Roi,
une disposition naturelle au calme et à la tranquillité qui est une forte
garantie contre les dangers de l'effervescence. »
({ p. 33) Le Sous-Préfet de St-Pol écrivait confidentiellement au Pré-
fet, le 7 janvier 1829: « Toutes les classes de la société paraissent ani-
mées du désir de la paix. L'opinion publique n’a pas varié depuis un an;
l'amour du Roi est dans toutes les bouches comme probablement dans
bus les cœurs. Mais, en même temps que la marche du Gouverne-
ment parait satisfaire le plus grand nombre et lui proinettre la stabi-
lité et la prospérité, d'autres s'inquiètent, craignant que le parti libéral,
venant à prendre trop d'importance, ne compromette la Monarchie
légitime. »
I écrivait au Préfet, le 7 février 4829 : « L'opinion publique y est
généralement bonne, et si tous les esprits ne sont pas d'accord sur les
= =
Les Bonapartistes étaient restés un certain nombre dans
le Pas-de-Calais où on se souvenait encore du camp de Bou-
logne. On mettait en vente des objets qui rappelaient le
moyens d'arriver au plus grand bonheur de la France, tous, à peu
d’exceptions près, sont franchement dévoués au Roi et à son Gouver-
nement ; il est, au reste, peu de pays où la politique occupe moins les
esprits que dans cet arrondissement, au moins si je peux en juger par
la ville chef-lieu dont l'opinion m'est plus particulièrement connue. »
Ce Sous-Préfet écrivait au Préfet, le #4 avril 1829 - « Il est bien
difficile que, dans l'intervalle d’un mois à l'autre, l'esprit public subisse
dans cet arrondissement une variation remarquable. Ces évènements
n'ont ordinairement lieu qu'aux renouvellements d'élections. C’est
alors qu’il est aisé d'apprécier dans quel sens ils se manifestent.
La loi sur le monopole des tabacs était pour l'arrondissement de
Saint-Pol, entièrement livré à cette culture, un évènement d'intérêt
majeur. Aussi en a-t-on vu la solution avec grand plaisir.
Les lois départementale et municipale occupent également Île
public et notamment la dernière qui intéresse plus directement les
habitants des villes et des campagnes. Il est du moins remarquable
que l'opinion se range pour le projet du Gouvernement et que l'élection
des maires et adjoints n'est invoquée que par les brouillons et les
gens mal famés. »
Le 6 mai 1829, ce mème Sous-Préfet écrivait au Préfet : « La pré-
sentation des lois départementale et communale, pour un moment,
a occupé les esprits; mais il parait que généralement on a approuvé
la conduite du Gouvernement. D'ailleurs, la composition actuelle des
Conseils généraux et d'arrondissement comme celle des Conseils muni-
cipaux prouve évidemment que l'administration ne s’est laissé dominer
par aucun esprit d'exclusion. »
(4 p.34) Le Sous-Préfet de Montreuil écrivait le 6 janvier 1829 : « Ainsi
que j'ai déjà eu l'occasion de vous le faire plusieurs fois connaitre,
l'esprit public de cet arrondissement se compose des meilleurs éléments,
bon sens, droiture, amour de l'ordre et du repos, affection sincère au
Roi, à la religion et à la Charte. Beaucoup de modération dans les
caractères et de douceur dans les mœurs : voilà le fond de l'esprit du
pays; on peut cependant remarquer de l'exaltation dans quelques
esprits; les uns, comptant sur une grande extension äes misères
publiques et privées, attendent des changements qui doivent apporter
de grandes améliorations dans l'état de la société; d’autres moins
confiants ne croient ni à l'utilité, ni aux succès de ces changements,
00
régime impérial et servaient de propagande pour son
et redoutent de les voir s’accomplir. Ces opinions, quelque vives
qu'elles puissent être chez quelques personnes, ne dépassent point les
limites posées par le Gouvernement pour le maintien de l’ordre ct de
l’obéissance. Que dans toute la France il n’y ait pas que des gens sages,
honnêtes et paisibles, qu’à la vérité il y ait un peu de chaleur à la
Chambre des Députés, c’est exact, mais tout cela se calmera, les gens
raisonnables s’entendront et le Ministère parvicndra à faire passer les
lois telles qu'il les a présentées; ce qui a cu lieu au sujet de la question
de priorité les a un peu déconcertés il est vrai, mais cela s'est bientôt
passé et la plupart des personnes persistent à voir tout couleur de
rose. Je désire de tout mon cœur qu'ils aient raison. »
Dans un rapport du 3 février 1829, il disait que le pays était calme,
que l’arrondissement suivait les mouvements donnés mais n’en produi-
sait aucun.
Le Sous-Préfct de Montreuil écrivait le 8 mars 1829 : « Aucun
mouvement ne s’est manifesté durant ce mois dans la situation de
l'esprit public, il est parfaitement stationnaire; cette situation assez
naturelle au pays peut encore s'expliquer par la difficulté que la plu-
part des habitants ont à comprendre les plaintes et les prétentions de
l'opposition ; ils n’ont pas à se plaindre eux-mêmes, ils sont peu disposés
à entrer dans les passions des partis. Je ne vois même pas que le projet
de la loi municipale les flatte beaucoup : ils y voient du mouvement
et du bruit plutôt qu’une amélioration réelle dans l'administration des
communes. »
Ce Sous-Préfet écrivait, dans son rapport mensuel, le 2 avril 1829 :
« Aucun changement n’est survenu depuis mon dernier rapport
sur la situation de l'esprit public dans mon arrondissement. Les
passions politiques ont peu de prise sur les hommes de ce pays. Je
reconnais bien en quelques-uns des craintes et en d'autres des
espérances; mais ces sentiments sont renfermés dans un très petit
nombre d'individus. »
Ce Sous-Préfet écrivait au Préfet, le 3 avril 4829 : « L'opinion poli-
tique est stable; ni les Journaux, ni les brochures, ni les mémoires ne
la troublent. 1l faudrait des circonstances plus fortes pour lui causer
quelque ébranlement. »
Il écrivait, le 7 mai 4829 : « L'esprit public n’est pas modifié. Le
retrait des lois des communes et des départements a satisfait les
hommes les plus éclairés. Il en a mécontenté quelques autres, mais il
47
retour (1). Le Ministre de l'Intérieur avait fait une circu-
laire du 10 octobre 1829 relative aux objets séditieux propres
à troubler la tranquillité publique; il y eut une saïie à Arras
qui amena une poursuite judiciaire contre deux m'rchansts;
une vive polémique du Propagateur contre le Maire d'Arras,
eut lieu pour justifier les accusées et attaquer le procédé
dont on avait usé 8 leur égard (2).
a laissé indifférente la plus grande majorité qui comprenait peu
ces lois. »
Ce Sous-Préfet écrivait, le 3 août 1829, au Préfet : « L’esprit de
l'arrondissement de Montreuil, bon de toutes manières, présente encore
un mérite, c'est celui de la stabilité. Il ne recherche point les émotions
des journaux et des brochures, et ne se laisse point influencer par les
brochures et par les rumeurs. Il aime le repos, il y tient et il fau-
drait des circonstances plus fortes que celles qui existent aujourd’huy
pour lui causer quelque ébranlement.
En général, on s'occupe peu ici de la politique, on aime l'ordre et la
tranquillité et le Gouvernement qui les procure. Un système habituel
d'opposition entrerait peu dans les têtes des habitants du pays parce
qu'il nc sympathiserait pas avec leur caractère.
Ce n'est pas qu'il n'y ait ici comme ailleurs quelques hommes qui
tiennent plus ou moins à l'opinion représentée par la gauche de la
Chambre élective. Je les crois peu nombreux et peu fervents, il se
peut cependant que quelques-uns d’entre eux aient des opinions plus
énergiques et entretiennent mème des relations plus ou moins actives
avec ce qu'on appelle le Comrté directeur. C'est un point dont je n'ai
pas heureusement à m'occuper.
Un seul fait patent viendrait à l'appui de cette hypothèse, c’est le
soin de produire sans beaucoup de scrupules sur les listes de 4830 les
électeurs qui leur appartiennent.
(1) On saisit du papier à lettre venant d'Angleterre avec, dans le
filigrane, les initiales de Napoléon cet de son fils et la date de 1820.
(2) Au milieu de novembre 1829, l'administration municipale d'Arras
fut informée par la clameur publique qu'on exposait chez un marchand
des objets séditieux. Le Maire, traversant la rue Saint-Aubert, vit des
personnes s'arrêter devant la boutique des demoiselles Rommel, mar-
chandes de nouveautés. Il s’y trouvait deux foulards : l'un représen-
tant sur son blanc, dans un médaillon, le duc de Reichstadt en colonel
de hussards avec la plaque de la Légion d'honneur : au-dessus, un
— 98 —
Comme nous l'avons vu, le Préfet demandait tous les
mois à ses Sous-Préfets un rapport succinct résumant la
situation de leur arrondissement; il comprenait six articles :
1° l'opinion publique; 2° le commerce; 3° la mendicité; 4 les
aigle tenant dans son bec un drapeau tricolore déployé, et une cou-
ronne impériale, qu'il semblait vouloir déposer sur la tête du Prince.
Le fond du mouchoir était un semis d’abeilles et les quatre coins por-
taient des aigles couronnés et des croix de l'Empire. Le second
mouchoir, fond rouge, avait aux angles les mêmes objets; seulement,
le médaillon représentait le duc de Reichstadt endormi et recueilli
par un aigle qui lui présentait la couronne; dans le fond, le buste de
Bonaparte. couronné de lauriers.
Le Maire se rendit à l'Hôtel de Ville, et, après avoir consulté les lois
et règlements, il se transporta au Palais de Justice pour parler au
substitut. Celui-ci était alors avec le juge d'instruction ; ils furent tous
trois unanimes pour décider la saisie. Le Maire retourna à l'Hôtel de
Ville et, en l’absence du commissaire de police, la fit faire par son
adjoint. Naturellement, l'arrivée de l’adjoint en uniforme excita la
curiosité publique, car la rue était très fréquentée. Les demoiselles
Rommel déclarèrent avoir acheté ces objets à Paris, passage Colbert,
où ils étaient mis en vente publiquement ; qu’elles avaient vu le Maire
les regarder, qu'elles avaient cru que c'était pour les acheter s’il les trou-
vait jolis; que, du reste, elles les lui offraient pour les détruire s’il le
voulait. Le baron de Hauteclocque trouvant cette proposition faite d’un
ton ironique, leur dit qu’on pourrait considérer cela comme un acte
arbitraire. Elles furent traduites devant le tribunal correctionnel
d'Arras et sur le réquisitoire de M. Reboulh de Veyrac, substitut, mal-
gré leur défense plaidée par Me Luez, elles furent condamnées à quinze
jours de prison, 100 francs d'amende et aux frais. Elles en appelèrent
et furent acquittées par le tribunal d'appel de Saint-Omer. La cour de
cassation confirma l'arrêt.
L'affaire fit du bruit. Le 8 décembre, le Ministre écrivit au Préfet
que, d'après des avis particuliers, l'autorité municipale n'avait pas agi,
dans cette circonstance, avec la réserve désirable; elle eut pu, pour
éviter l'éclat des poursuites dont le résultat ne pouvait que satisfaire
et cnhardir la malveillance, accepter l'offre faite par les demoiselles
Rommel, de détruire les deux pièces. Le baron de Hauteclocque fit un
rapport pour se justifier. Le Ministre éerivit au Préfet, le 24 décembre,
qu'en approuvant l'affuire des objets séditieux, il fallait, à l'avenir,
éviter de poursuivre les cas douteux.
= 00 =
manufactures et les ouvriers; 5° les garnisons; 6° les événe-
ments importants. Ces rapports étaient ordinairement com-
plétés par des lettres explicatives. Nous avons déjà parlé des
renseignements qu'ils donnaient sur l'oninion publique; au
sujet des troupes, le Sous-Préfet de Boulogne écrivait: «Il
faut rendre justice aux garnisons de Calais et de Boulogne:
elles se montrent animées du meilleur esprit; les chefs, qui
sont dévoués au Roi et à son auguste famille, fortifient les
troupes dans ces bonnes dispositions; elles méritent les plus
grands éloges et présentent toutes les garanties désirables
pour l’ordre public; la discipline est excellente. »
Le Sous-Préfet de Boulogne disait : « Le commerce est
toujours fort peu important dans cet arrondissement; mais
cette inertie pèse principalement sur les négociants. Les
petits marchands trouvent le débit de leurs marchandises
dans le séjour et le passage du grand nombre d'étrangers.
D'après lui «les fabriques et les manufactures de cette partie
du département produisent surtout des tissus en coton; elles
sont loin d'être florissantes. L'esprit qui anime l'ouvrier des
diverses professions est subordonné au plus ou moins de
bénéfices qu'ils font; 1ls ne manifestent jamais l'intention
de troubler la sécurité publique. »
Mais ce qui occupait le plus l'administration publique,
c'était la mendicité; elle était l'objet de nombreux rapports
des Sous-Préfets et du Préfet (1).
(1) Voici des extraits des lettres confidentielles écrites par les Sous-
Préfets au Prétet au sujet de la misère publique.
M. Delaage écrivait de Saint-Omer, le 5 février 4829 :
« Nous sommes à l'époque de l'année où se fait plus particulièrement
remarquer le contraste du luxe et de la misère, des plaisirs et des
souffrances, et, dans le mois qui vient de s’écouler, ce n'est pas de
politique que se sont plus particulièrement occupés les esprits.
Le froid, le manque de travail et la cherté du blé ont augmenté le
nombre des pauvres et aggravé leur position; à Saint-Omer, onze
dames ont fait une quête à domicile qui a produit près de huit mille
francs, et le montant de cette collecte a été remis aux Sœurs de charité
AD
La récolte de 1828 n'avait pas été bonne; celle de 1829
était compromise par le soleil qui dardait ses rayons le jour,
et employé à des distributions en nature. Dans les campagnes, c’est
ainsi que se distribuent les secours, et c’est la charité des cultiva-
teurs peu aisés qui en fait presque tous les frais. Le nombre des indi-
gents est grand cette année, et les ressources de l’aisance se ressen-
tent de la médiocrité de la récolte; mais la tranquillité publique n’a
pas été troublée, et ainsi les pauvres méritent bien l'intérêt qu'ils
inspirent Nous approchons de l'époque où commencent les travaux
de l’agriculture ; après le temps des semailles, ils se ralentiront jusqu’à
l'époque de la moisson. La tâche ne suffira point à l’activité des
ouvriers ; ne serait-ce pas le cas d'engager les maires à faire faire des
réparations de chemins communaux pendant les mois d'avril et de
mai, et de leur demander d’exhorter les habitants riches et aisés à se
racheter de l'obligation des prestations pour que les indigents puissent
être plus particulièrement occupés ? Je vous soumets cette réflexion. »
Ce même Sous-Préfet écrivait le 3 avril : |
« J’ai à vous raconter un évènement dont la cause ou le prétexte
est plus malheureux que le résultat. Je veux parler du pillage d’un
bateau de grains; les auteurs de ce pillage sont trop nombreux pour
qu'on doive redouter qu'ils restent toujours ignorés. Mais, ce qui est
à craindre, c’est qu’on y trouve des pères et des mères de famille
excités au crime par les cris si touchants de leurs enfants affamés.
La misère est trop grande pour que les pauvres puissent ne pas
sortir de leurs communes, et c’est plutôt encore la charité que la
surveillance qu’il convient d’exciter; peut-être ne serait-il pas inutile
que Messieurs les curés et desservants reçussent l'invitation de prêcher
beaucoup la charité et de l’imposer aux consciences.
Je suis loin de partager les idées vulgaires sur le commerce des
grains, et je vous ai prié de lui faire obtenir une protection apparente;
mais peut-être serait-il bon que les commerçants fussent invités à
importer le plus possible et à mettre de la circonspection à leurs achats
dans l’intérieur; je suis informé que des marchands de grains de
Fruges et d’Abbeville parcourent les campagnes dans l’arrondissement
de Saint-Omer, y achètent le blé à quelque prix que ce soit, et excitent
ainsi les murmures des pauvres. »
Le Sous-Préfet de Béthune écrivait le 4 janvier :
« La cherté des grains, la mendicité considérable qui en est la suite
et les vols fréquents que ces deux causes entraînent toujours après
elles, compliquent la situation pelitique. Heureusement que les pro-
— A —:
et par la gelée qui, la nuit, attaquait les grains semés. En
janvier, le cours du blé resta stationnaire, mais le travail
duits de l’agriculture offrent en ce moment les plus belles apparences. »
Le Sous-P réfet de Montreuil écrivait le 6 janvier :
« Depuis quelque temps, le prix des grains est stationnaire; on ne
peut dire qu'il soit excessif, cependant il produit en ce moment une
mendicité nombreuse et active ; ce sont des manouvriers qui, manquant
de travail, partent avec leur famille et vont de tous côtés solliciter la
charité publique; le Marquenterre en jette un grand nombre sur
l'arrondissement qui en reçoit aussi de Desvres et de Saint-Pol. Il est
à croire qu’il en envoie aussi dans les arrondissements voisins. On
conçoit que des familles non accoutumées à mendier aiment à dépayser
leur misère. J'aurais pu donner des ordres pour arrèter les mendiants
trouvés hors de leur canton; mais, outre la rigueur de cette mesure
envers des malheureux qui éprouvent des besoins réels, elle pourrait
encore exciter plus tard des résistances et des irritations qu'il est tou-
jours bon d'éviter surtout dans un pays où les maisons sont couvertes
en chaume.
Il faut reconnaitre d’ailleurs que les mendiants ne commettent nul
désordre, les habitants ne s'en plaignent point sous ce rapport. Aussi
dans l'état actuel des choses, la question ne roule encore que sur deux
points : 10 assurer une existence moins précaire à une foule de manou-
vriers sans travail et sans pain; 20 soulager les habitants des cam-
pagnes, et surtout les fermiers, d’une contribution envers les pauvres
qui retombe presque entièrement sur eux. J'ai pris des renseignements
et J'ai consulté quelques personnes expérimentées sur les moyens à
employer dans cette circonstance ; on reconnait, en général, qu'ils sont
difficiles à trouver et qu'ils exigent, dans l'application, une prudence
infinie. J'aurai l'honneur de vous entretenir encore sur ce point, sur-
tout s’il se développe des circonstances plus graves. »
Ce même fonctionnaire écrivait le 8 mars :
« La mendicité continue et même s'accroît ; un propriétaire digne de
foi a compté, sur ma deman te, le nombre de pauvres qui se sont pré-
sentés chez lui en un jour : il s'en est trouvé six cent soixante; cette
espèce d’invasion n’a lieu qu’une fois par semaine. Quelque fâcheuse
que soit cette situation, je ne vois pas qu'elle exige encore des mesures
extraordinaires. Il y a lieu d'espérer que les travaux qui commencent
à s'ouvrir feront rentrer la mendicité dans ses limites ordinaires. »
Ce Sous-Préfet écrivait le 2 avril :
« La mendicité se mainticat toujours nombreuse, mais patiente.
— 49 —
manqua; puis, le prix du blé et du pain augmenta dans les
mois de mars et d'avril, ce qui amena la misère. Les men-
diants étaient devenus très nombreux; les ressources des
communes n avaient pu suffire pour les nourrir; ils allaient
dans les pays voisins solliciter la charité, et même dans les
villes dont les habitants les recevaient fort mal, prétendant
que c'était à leurs communes de les nourrir. Heureuse-
ment, les ressources pour obvier à la misère s'organisèrent.
Au mois de mai, le blé monta de deux francs sur le marché
de Béthune; on était effrayé de l'aspect des récoltes; mais,
comme le disait le Sous-Préfet de cette ville, depuis treize
ans qu'il était dans le département, tous les hivers les culti-
vateurs étaient effrayés et au printemps leurs alarmes se
dissipaient; c'est ce qui eut lieu en 1829. Les pommes de
J'ai profité de ma tournée de recrutement pour inviter les maires à
former des associations dans les communes pour nourrir leurs pauvres.
Je n'ai aucune mesure extraordinaire à vous proposer en ce moment.»
Ce Sous-Préfet écrivait le 6 juillet :
« Tous les rapports que je reçois de MM. les Maires annoncent que
les communes ayant trouvé le moyen de satisfaire aux besoins les plus
absolus de la classe indigente, l’ordre et la tranquillité règnent partout;
la seule commune de Créquy est restée au dessous des autres pour la
distribution des secours, non que le maire et les habitants aient
manqué de générosité et de zèle, mais parce que cette commune, qui
a douze cents âmes, est occupée en grande partie par des bois qui
appartiennent à un propriétaire qui ne réside pas et qui n’a point
contribué avec les habitants ; il n’y a cependant aucun trouble à crain-
dre dans cette commune, mais on y remarque une mortalité extraor-
dinaire et qu’il serait peut-être possible d'attribuer en partie à de
Longues privations; c’est pourquoi j'ai rendu compte directement à
Paris de cet état de choses. »
Le Sous-Préfet de Saint-Pol écrivait, le 7 février :
« La misère, bien que la cherté des grains se fasse ressentir ici
coinme ailleurs, n’a jusqu'à présent donné lieu à aucun désordre, et
la charité publique a librement pourvu aux plus pressants besoins des
pauvres. Malheureusement, on prétend que le grand froid, c'est-à-
NT ce
terre furent une grande ressource pour les indigents; la
plupart en cultivaient un petit coin, et elles servirent assez
souvent pour les distributions qu'on tit aux pauvres.
Le Préfet avait pris un arrété, le 8 avril, pour empêcher
la divagation des mendiants, mais la gendarmerie n'arrétait
guère que ceux qui mendiaient la nuit; il y eut peu de
désordres, sauf un bateau de grains qui fut pillé du côté de
Saint-Omer; on trouva difficilement les voleurs; le Préfet et
les Sous-Préfets engageaient les maires à créer des ressources
pour nourrir les malheureux, soit au moyen des souscrip-
tions ou de votes de centimes additionnels, soit en employant
les ouvriers sur les chemins; on demandait aux propriétaires
dire la gelée, a endommagé les pommes de terre qui n'étaient pas
bien abritées. »
Il écrivait le 6 mai :
« D’après les rapports que je reçois de MM. les Maires, les mesures
prescrites par votre circulaire du 8 avril dernier s’exécutent avec
assez d'empressement ; cependant, plusieurs maires se plaignent de la
mauvaise volonté de gens qui, par leur position de fortune, devraient
fournir une forte cotisation, tandis qu'ils n’en ont consenti qu’une bien
minime, el quelquefois rien du tout. Il devient urgent, pour atteindre
ces êtres endurcis, de renoncer à la cotisation volontaire pour recourir
à une imposition extraordinaire et c’est cet avis que Je donne quand
je suis consulté en pareil cas. Ce n’est pas sans regret que je suis
forcé de vous signaler les principales villes de l'arrondissement comme
les plus opposées aux mesures indiquées par vos instructions ; accou-
tumées à voir les campagnes nourrir leur armée de pauvres, elles
trouvent pénible de s’imposer quelques sacrifices pour les empêcher
de mendier. A Saint-Pol, quelques membres de l'administration et du
Bureau de bienfaisance, que leur position sociale appelait à suivre
l'exemple que j'avais cru devoir donner, n'ont rien négligé pour faire
échouer complètement une souscription ; je crois assez qu'on espère,
en affamant les pauvres, les contraindre à sortir de la ville et prou-
ver à l'administration l'impossibilité de faire exécuter les mesures
qu’elle a cru devoir prescrire. Cependant. jusqu’à présent, les malheu-
eux souffrent et endurent leur misère avec assez de résignation ; une
ur ee
de ne pas faire leurs prestations en nature pour en consacrer
le prix à donner de la besogne aux ouvriers.
Le résultat de ces efforts fat très inécal; dans certaines
communes, ils étaient suffisants ; dans d'autres, ils ne 12
furent pas. C'est ce qui eut lieu pour les souscriptions qu'on
recueillit dans diverses localités : à Saint-Pol, une partie
de l'administration municipale et du Bureau de bienfaisance
montrèrent peu d'empressement ; à Saint-Omer, quinze
dames firent une quête qui produisit environ huit mille
francs; une souscription faite à Arras permit d'ajouter douze
mille francs aux ressources ordinaires et extraordinaires
dont disposait le Conseil municipal pour les indigents (1).
Le Préfet du Pas-de-Calais, vicomte Blin de Bourdon, se
montra très généreux : il] donna pour la souscription d'Arras
mille francs, dont cinq cents francs pour les Sœurs de Cha-
rité de cette ville; il alla plus loin, il envoya un titre de
rentes p.°/,de cinq cents francs pour le Bureau de bienfai-
sance, ce qui représentait un capital de dix mille francs;
donation de trois mille francs faite au Bureau de bienfaisance de
Saint-Pol permit de doubler le taux des distributions hebdomadaires
faites aux pauvres; mais cette augmentation est encore loin de leur
procurer de quui suffire à leurs plus indispensables nécessités.
Auxi-le-Château m’entretient de ses misères ; les bras y abondent et
le travail manque. Le Maire emploie soixante ouvriers à ramasser des
cailloux pour la route de grande communication d'Hesdia à Doullens,
mais pour bien, il faudrait qu'il pût en occuper cent ; ses ressources
s’y opposent. »
(1) Souscription ouverte le 28 janvier 1829 :
Reçu à la mairie.,............. 7,199 fr. 60
Chez le Receveur municipal..... 4,581
Total.... 11,780 fr. 60
Sur cette somme on donna aux Sœurs de charité 500 fr ; aux trois
curés de la ville pour les pauvres honteux 2,000 fr. ; au Bureau de
bienfaisance 6,850 fr.; soupes pour les indigents fabriquées par les
Sœurs de l'hôpital 1,402 fr.; divers 81 fr.
La ville avait déjà voté pour le Bureau de bicnfaisance 28,800 fr,
plus un secours extraordinaire de 7,900 francs,
c'étaient des économies qu'il avait faites en cinq ans sur
ses frais de bureau (1); cette donation donna lieu à une polé-
(1) Voici la lettre que le vicomte Blin de Bourdon écrivit au baron
de Hauteclocque le 15 janvier 1829 :
Monsieur le Baron,
Les indigents de la ville d'Arras sont dans une position vraiment
critique, par suite de la cherté du pain et de la rigueur du froid. Vous
allez, m’avez-vous dit, consulter le Conseil municipal sur les moyens
à prendre pour remédier au mal qui ne peut que s’aggraver.
Comme il serait possible qu'il crût convenable de recourir d'abord à
la bienfaisance si connue des habitants d'Arras, permettez, cher
Monsieur le Maire, avant de partir pour me rendre à la Chambre des
Députés, que je vous remette mille francs pour ma part dans cette
souscription. Dans le cas où elle n'aurait pas lieu, cette somme est
toujours acquise à vos pauvres que, d’ailleurs, mon absence ne me
permettra plus de secourir journellement. Comme je sais que les fonds
mis à la disposition des Sœurs de Saint Vincent de Paul pour les
secours qu'elles sont chargées de distribuer ne sont pas suffisants dans
une circonstance telle que celle-ci, je désirerais que sur les mille francs
cinq cents francs soient remis à leur disposition pour ce service,
Voici la réponse que le Maire lui écrivit le 46 janvier 4829 :
« En vous accusant réception de la somme de mille francs dont
vous avez eu la bonté de faire don aux malheureux de la ville d'Arras,
permettez-moi de vous offrir l'expression sincère de la profonde recon-
naissance qu'éprouve l'administration municipale d’Arras pour le
nouvel acte de votre inépuisable charité.
Nous sommes infiniment touchés de la vive sollicitude que vous
accordez aux malheureux de notre ville, et le généreux témoignage
que vous venez de nous en offrir aujourd'hui, sera vivement apprécié,
et nous espérons qu'un si noble exemple déterminera de nombreuses
aumônes de la part de nos concitoyens. »
Voici la lettre qu'écrivait au Préfet, le 48 janvier 1829, sœur Rolleau,
supérieure des Filles de la Charité d'Arras :
« Monsieur le Maire de notre ville a eu la bonté de me remettre une
somme de 5:0 francs en me disant que nous devions ce secours abon
dant à votre tendre charité pour les malheureux. Je vous exprimerai
difficilement la reconnaissance qu'a excitée dans nos cœurs cette
marque de bienveillance de votre part pour notre maison, ainsi que
de la confiance dont vous voulez bien nous honorer en la choisissant
pour distribuer vos abondantes aumônes. Que d’heureux vous allez
faire, surtout dans une saison si rigoureuse. »
_ ie —
mique avec le Propagateur (1). Le Préfet rendit compte au
(1) Ce fait si honorable pour M. Blin de Bourdon, fut cité avec
éloges dans un certain nombre de journaux. On lit dans l’Annolatear
Boulonnaïs du 17 septembre 1829 :
« Depuis la nomination de M. Blin de Bourdon à la Préfecture du
Pas-de-Calais, tout le monde a su apprécier la sagesse et l'impartialité
qui ont toujours présidé à son administration. On lui doit la tranquil-
lité dont le département a toujours joui et qu’on ne trouvait pas dans
d’autres parties de la France. C’est avec un bien sincère plaisir que
nous rendons à cet administrateur la justice de publier un trait de
générosité et de désintéressement qui lui fait le plus grand honneur.
M. Blia de Bourdon avait l'année dernière une économie de dix mille
francs sur la somme qui lui est allouée pour frais de bureau, il a
affecté cette somme à l'achat d’une rente 5 0/9 dont le produit est
destiné à soulager les pauvres de la ville d'Arras. Nous pensons qu'un
pareil acte de bienfaisance n'avait pas encore d’exemple, espérons que
M. Blin de Bourdon trouvera des imitateurs. »
L'Abetille Picarde du 23 septembre 1829 publia la note suivante :
« Le vicomte Blin de Bourdon, vient de faire acheter au nom du
Bureau de bienfaisance d'Arras une rente 5 0/0 représentative de
dix mille trancs, qu'il est parvenu à économiser en cinq années sur le
tiers de l'abonnement qui lui est alloué pour frais d'impression, papier,
plumes, etc. La destination donnée à des économies provenant de
l'ordre que M. le Préfet a mis dans cette partie des dépeases dont il
ne doit aucun compte, fait beaucoup d'honneur à la philanthropie de
ce magistrat et n'étonnera aucune des personnes qui le connaissent
particulièrement. »
Le Journal de la Somme, dans son numéro du 49 septembre 1829,
parlant de cette donation, dit : « Ce trait n'étonnera personne, mais il
sera noté parmi ceux que ce département se glorifie de pouvoir attri-
buer aux hommes distingués qu'il a produits. »
Le Propagaleur lui-même, malgré son peu de sympathie pour
l'administration du Préfet, crut pourtant, dans son numéro du {2 sep-
tembre 1829, devoir insérer ce qui suit :
« Ua incident assez remarquable dans les phases de l'administration
est veuu terminer la session du Conseil général.
M. Blin de Bourdon a déclaré, avant la séparation des membres de
ce Couseil, qu’il avait besoin de leur assentiment pour faire profiter
les pauvres de la ville d'Arras de la rente d'une somme de dix mille
francs, résultat des économies qu’il avait faites dans l’année sur ses
_ à —
Ministre de ce qu'il avait fait pour diminuer la mendicité
et les souffrances des pauvres (1).
frais de bureau, cette somme ayant été pour cet usage convertie en
une inscription de rente 5 0/0.
La France serait heureuse que l'exemple, donné en cette occasion
par le Préfet du Pas-de-Calais, fùt suivi par tous ses collègues.
Dans tous les cas, que cet acte trouve ou non des imitateurs,
M. Blin de Bourdon aura toujours l'honneur d'avoir pris l'initiative.»
Cet article attira à ce Journal la lettre suivante de M. de la Rivière,
secrétaire général de la préfecture, M. Blin de Bourdon était absent :
Arras, le 13 septembre 1829.
Un fait, dont la connaissance n'était pas destinée à sortir du sein
du Conseil général, a été rapporté d'une manière inexacte dans votre
dernier numéro. Il importe, pour des motifs faciles à comprendre, que
ce fait soit rétabli dans sa version véritable. Voici le paragraphe qui
renferme deux graves erreurs : « M. Blin de Bourdon a déclaré avant
» la séparation des membres du Conseil, qu'il avait besoin d'un der-
» nier ussentiment de leur part, pour faire profiter les pauvres de la
» ville d'Arras de la rente d’une somme de 10,0 francs, résultat
» des économies qu'il avait faites dans l’année sur ses frais de bureau. »
L'auteur de cet article ignore que l'abonnement pour frais des
bureaux des préfectures est divisé en deux portions bien distinctes,
l’une des 2/3 de la somme totale, destinée au personnel, c'est-à-dire
au traitement des employés, portion dont le Préfet jusuüfic par état ;
l’autre dont il n’a aucun compte à rendre et qui est destinée au maté-
riel, c'est-à-dire aux frais d'impression, papier, plumes, etc. L'ordre
apporté dans celte partie de dépense, comme dans toute autre, a per-
mis au Préiet de s’apercevoir que l'intégralité de l'allucation annuelle
n'était pas absorbée dans ce département et, depuis qu’il l'administre,
il a tenu note exacte de l’excédant, avec l'intention d'en faire don au
bureau de bienfaisance d'Arras, dès que la somme aurait quelqu’im-
portance. En cinq années, et par le concours d'une circonstance qui
n'est pas de nature à se représenter, celle somme étant arrivée à
40,00 rrancs, il en a fait l'usage qu'il s'était proposé. 1l est inutile de
dire ici quel motif l'a déterminé à dunner connaissance de ce fait au
Conseil général; mais il peut être nécessaire qu’on sache que cette
économie n'a point été faite sur le traitement des employés, qu'elle est
le produit de cinq années et non d’une seule, et que l’assentiment du
— 8 —
Le Ministre ne resta pas indifférent à cette situation et
fit écrire au Préfet, le 19 février 1829: « Je vous remercie
des renscignements que contient votre lettre sur les ressour-
Conseil général n’était d'aucune utilité pour une libéralité toute gra-
tuite de la part du Donateur. »
Le rédacteur du Propagateur inséra à la suite de la lettre la note
suivante, le 46 septembre 1829 :
« Nos lecteurs se rappellent l’article qui donne lieu à la réclamation
de M. le Secrétaire général. Ils y ont vu notre empressement à rap-
porter un acte qui fait honneur à la libéralité du premier administra-
teur de ce département. Et, le plaisir que nous éprouvions à faire
connaitre une bonne œuvre, ct à la proposer en exemple.
.. Nous lui laissons le triste mérite d'une perspicacité qui croit
découvrir partout des pièges cachés. Nos lecteurs apprécieront ces
graves erreurs qu'il importe de relever pour des motifs faciles à
comprendre. Ils jugeront ce qu'il ÿ a de plus honorable ou de nos
intentions ou de l’ombrageuse susceptibilité qui les accuse. Il y a long-
temps déjà que nous avons accepté toutes les conséquences de notre
mission, même l'injustice ; et, en ce moment encore, nous faisons des
vœux pour que l'administration, dût-elle incriminer chaque fois la
perfidie de nos éloges. nous fournisse souvent l’occasion de signaler
ses actes à l’estime et à la reconnaissance de nos concitoyens. »
La Quotidienne, le 22 septembre 1829, fit au sujet de cette polé-
mique les réflexions suivantes :
« Nous recueillons avec d'autant plus d'empressement les témoi-
gnages qu'on vient de lire de la bonne et paternelle administration de
M. Blin de Bourdon, que nous connaissons depuis longtemps les
principes qui animent cet administrateur. Ce n’est pas seulement par
son dévouement au Roi que ce magistral s’est fait remarquer, nous
savons que dans tous les emplois qu'il a occupés, sa sollicitude pour
ses administrés a été intatigable et sans bornes. Les pauvres d'Amiens
se souvicndront longtemps des sacrifices pécuniaires qu’en 1817
M. Blin de Bourdon, alors maire de cette ville, put faire pour venir à
leur secours au milieu des calamités qui désolaient alors la France. »
(1 p. 47) Voici la lettre confidentielle que le Préfet adressait au
Ministre de l'Intérieur, le 143 février 1829 :
« J'ai la satisfaction d'annoncer à Votre Excellence que le départe-
ment du Pas-de-Calais continue de jouir de la plus grande tranquillité.
La mendicité, cependant, fait de nouveaux progrès tous les jours,
mais on n’a à déplorer aucun excès de la part des mendiants ; seule-
PRE
ces que l'administration a trouvées dans la charité publique
pour le soulagement des indigents. »
L'Evêque d'Arras, le 12 juillet 1829, fit un Hinionenl
ment, quelques individus ont encore mendié la nuit dans une commune
de l’arrondissement de Boulogne ; ils ont été arrètés immédiatement
et livrés à l’autorité judiciaire.
Une souscription ouverte à Arras pour secourir les iudigents a déjà
produit plus de douze mille francs; des quêtes ont été faites dans
plusieurs autres villes et le résultat en a aussi été satisfaisant.
Quant aux communes rurales, ces moyens ne peuvent guère y être
employés, soit parce que les souscriptions ou quêtes n'y seraient pas
assez productives, soit parce que les aumônes s’y font généralement
en nature. C'est là surtout que la misère se fait sentir le plus vivement
et ne pourra qu'augmenter jusqu'au moment où les travaux de la
moisson viendront donner quelques moyens de subsistance aux
ouvriers, et cette époque est encore bien éloignée.
Pour parer autant que possible à cet état de choses, je vais engager
les maires à taire faire les réparations des chemins communaux dans
les mois d'avril et de mai prochain, et les inviterai aussi à exhorter
les habitants riches ou aisés à se racheter de l'obligation des prestae
tions afin qus les indigents puissent être particuliérement occupés aux
travaux. »
Le Préfet écrivait encore au Ministre, le 19 mai 1829 :
« La tranquillité règne généralement dans cc pays ; seulement quele
ques troupes de mendiants se sont encore montrées en avril, et un
bateau a été pillé dans ce mois pendant la nuit près de Saint-Omer
par une troupe de quarante à cinquante individus, dont plusieurs ont
été arrêtés depuis par suite des recherches qui ont été faites ; ils avaient
pris la majeure partie des grains composant le chargement.
Le prix du blé paraissant devoir se soutenir à un taux élevé jusqu'à
la récolte prochaine, j'ai cru devoir appeler l'attention de MM. les
Maires sur les besoins de la classe indigente et sur les moyens d'y
remédier. Les mesures que j'ai indiquées devaient avoir pour résultat
de faire secourir par chaque localité les pauvres qui lui appartiennent
et d'empêcher ces derniers de sortir de leurs communes pour mendier;
nous éprouvons déjà les heureux cffets de ces mesures qui ont été
généralement bien accueillies et qui s'exécutent dans beaucoup de
communes, de manière qu’on ne voit maintenant presque aucun
mendiant sortir de sa résidence. »
4
Ld
= 50
brdonnant des prières publiques pour obténir la cessation de
la pluie. Elle pouvait avoir de graves conséquences pour
l'avenir de la récolte; heureusement elle fut bonne, le prix
du blé diminua, la misère et la mendicité qui en est la
conséquence, cessèrent d'être aussi grandes.
Il y eut également un certain nombre d'incendies, surtout
dans l'arrondissement de St-Pol; on ne les attribua pas à
la malveillance. Le Sous-Préfet de St-Pol prétendit qu'une
des causes en était l'estimation exagérée des maisons et
du mobilier, ce qui faisait payer des indemnités importantes
par les Compagnies d'assurances; elles servaient à payer
les dettes des incendiés qui se trouvaient moins gênés
qu'auparavant.
Le Préfet et les Sous-Préfets n'indiquèrent pas assez la
cause principale du changement de l'opinion publique dans
le département : c'était l'influence de la presse libérale. Elle
avait trois organes dans le Pas-de-Calais : L’Annotateur à
Boulogne, l'Indicateur à Calais (1) et le Propagateur à Arras.
Les deux premiers jouaient un rôle politique assez effacé,
c'étaient surtout des feuilles d'annonces; il n'en était pas
de même du troisième qui faisait une guerre sans merci à
la Royauté légitime et aux Cléricaux. Le Gouvernement,
comme nous l'avons dit, n'avait aucun journal pour les
combattre. Le Propagateur était né en 1828 avec la liberté
de la presse. À ses débuts, il avait déclaré devoir soutenir
la Royauté légitime et en attaquer seulement les abus; il
s'occupa surtout des affaires locales. Tant que dura le
Ministère Martignac, qui vivait en assez bons termes avec
les libéraux, ce journal eut une attitude modérée: mais, à
l'arrivée du prince de Polignac, il changea de ton. Nous
ne pouvons qu'indiquer les principaux articles qu'il publia
(4) L’Indicateur de Calais parut à partir du 4 octobre 1829, sous
le titre de : « Journal du Commerce, de la Littérature et des Arts »,
format in-40, paraissant tous les dimanches, prix 45 francs par an.
alors. Un certain nombre sont empruntés aux journaux de
l'opposition paraissant à Paris. D'autres sont dus à la plume
viveet mordante de son rédacteur en chef Frédéric Degeorges
et de ses collaborateurs.
Le 27 mars 1829, ce journal publie un article adressé aux
libéraux et intitulé Un peu de courage. Dans un autre, il exa-
mine la conduite des députés du Pas de-Calais. Sur six, cinq
appartiennent à la gauche. La session de 1829 s'était ouverte
sous les plus heureux auspices et, pourtant, elle n'a rien
produit. La Chambre de 1830, formée des mêmes éléments,
peut faire craindre la même stérilité. Rester six mois à
Paris pour faire payer un budget d'un milliard, n'est ni
flatteur, ni consolant pour un peuple qu'on surcharge
d'impôts sans compensation pour les sacrifices qu'on lui
demande. Que dirait ce journal de nos jours avec notre
budget de quatre milliards!
Dans un article du 1° août, il juge la dernière session
de la Chambre. On y voit qu'il n'est pas très content des
députés. Il craint qu'ils se laissent séduire par le Minis-
tère, il les menace de l'opinion publique et leur dit de prendre
garde. Pourtant, il ne les pousse pas à la résistance (1).
(1) Ce journal ajoute : « Après la fin des débats parlementaires,
lorsque les députés, de retuur dans leur pays, se sont trouvés tête à
tête avec leurs commettants, une question naturelle leur a été adressée t
Qu'avez-vous fait? Que nous rapportez-vous? De beaux discours,
quelques millions soustraits à la corpulence du budget. L'adoption de
l'amendement de Casimir Perrier concernant le traité conclu aveo
l'Espagne, et, surtout le rejet, dans la discussion des crédits supplés
mentaires, de 179,000 francs demandés pour une salle à manger :
beureux essai de responsabilité ministérielle. Voilà les titres hono-
rables que la France peut invoquer pour vous. Oui! mais quel revers
de médaille s'est offert à tous les yeux! La continuation du monopole
des tabacs et des cumuls, le rejet sans discussion des pétitions en
faveur de la Garde nationale parisienne, le brevet d’impunité donné à
un Ministère déplorable, la dotation de la Pairie et quelques misérables
réductions. Eaotin, au milieu des plus belles philippiques, le vote iné-
ne RO
Quand le Ministère Martignac est menacé d'être remplacé
par un nouveau, dirigé par le prince de Polignac, le Propa-
gateur se demande ce qui doit arriver. Le 8 août, il dit que
ce n'est encore qu'un bruit. D'après lui, l'échec de ce Minis-
tère tient à ce que le Gouvernement n'a pas encore fait ce
qui a eu lieu en Angleterre, grâce surtout au duc de Wel-
vitable de cet éternel milliard. Les opinions de plusieurs journaux
indépendanis ont été divergentes sur la marche qu'a suivie la Chambre.
Les formules les plus exagérées de l'apologie ont à peine suffi à
l'enthousiasme dont le Constitutionnel s'est tout à coup enflammé à
la fin d'une session qu'il avait précédemment jugée avec plus de froi-
deur et de justice; d’autres feuilles, au coatraire, ont peut-être mis
trop de fiel et d'acrimonie dans les critiques. Nous aimons à croire
que les bonnes intentions de la majorité ne sont pas encore changées ;
et que l’inhabileté des manœuvres entre pour beaucoup dans le résultat
négatif de la session. Il est cependant certains travers dont il est
impossible de dissinuler l’existence dans le sein de la Chambre.
C’est un faux esprit de modération, plus accentué chaque jour dans
les concessions au Pouvoir, qui a poussé la majorité au centre droit,
lorsqu’ua peu plus de fermeté et de résistance l'aurait fixée au centre
gauche. C'est le culte idolâtre de certains esprits pour ce qu'ils appel-
lent l’ordre établi, et leur antipathie pour les innovations, qui leur fait
maintenir et consacrer tous les abus que nous ont légués tous les Gou-
vernements de fait, l’Empire, le Directoire, la Convention elle-même.
Ce sont des terreurs paniques, inspirées par la fantasmagorie d’un
Ministère Polignac, ce sont les absences mercantiles, voluptueuses, le
soin des intérêts matériels, personnels de nos législateurs, banquiers,
manufacturiers, forgerons, raffineurs, c'est avant tout cette soif insa-
tiable de faveurs et de dignités que les représentants du Gouvernement
constitutionnel ont héritée des courtisans de Versailles et de Marly.
Le Ministère semble déjà ne tendre son hameçon d'or qu’au côté
gauche. Sur vingt-trois nouvelles faveurs échappées des mains de nos
Excellences, vingt sont tombées sur les Aristides de la Chambre.
M. Benjamin Constant, qui, du reste, ne s’aveugle pas sur le
néant de nos débats législatifs, dans une lettre à un Journal, s’alarme
sur les suites d’une polémique trop brusque contre les membres de la
représentation nationale. Il craint qu’envenimée par la critique, la
Chambre actuelle ne songe qu’à sa conservation et ne se ménage
la garantie d’une réélection qu’en secondant le Pouvoir qui tenterait
25 69.
lington : la réunion de tous les partis, en s'appuyant sur les
centres. Mais le prince de Polignac fera-t-il de même? Ne
va-t-il pas s'incliner vers la droite ? Le 12 août, il annonce
la nouvelle de la chute du Ministère comme officielle. Il est
furieux, et sa note devient acerbe (1). La France, dit-il,
redoutait une administration demi-ultra, il lui en vient une
encore de fausser notre système électoral au profit de l'aristocratie.
Cette crainte nous paraît illusoire, une seconde édition de la loi du
double vote n’est plus possible au point où nous sommes arrivés,
autant vaudrait-il se flatter de la suppression de la Charte elle-même,
et de l’anéantissement du Gouvernement représentatif! Non, jamais
la sagesse du Monarque ne pourrait adhérer aux avis des conseillers
perfides qui lui insinueraient un pareil coup d’Etat ! Jamais la Chambre
actuelle, malgré ses oscillations, ne pourrait se rendre complice de
l’audacieuse entreprise d’une machination devant laquelle ont reculé
les Villèle, les Corbières et les de Peyronnet !
Sans doute, pour avoir accepté le mandat du pays, nos députés n'ont
point renié leur individualité morale, leur conscience. Ils ne sont
point des machines otganisées, des instruments passifs entre les mains
de leurs commettants: ils doivent marcher fermement dans leur voie et
ne suivre que leur libre arbitre; mais il est bon pourtant que des com-
munications franches et ouvertes s’établissent entre les mandants et
les mandataires, il faut que la conscience générale éclate et se fasse
entendre, et, si nos députés ont pu se laisser leurrer par de trompeuses
espérances, intimider par de fausses alertes, assoupir par l'intérêt
individuel, et séduire par l’appat des faveurs, l'opinion publique,
organe incorruptible, doit pouvoir d’une voix énergique les rappeler
des déviations funestes où ils se trouvent à leur insu engagés et
prévoir les catastrophes où les entraîneraient des erreurs même
consciencieuses. »
(4) Voici uu autre article du 12 août 1829 :
« Pas-De-Cavais : Effet produit par le changement de Ministère.
Les lettres que nous avons reçues hier de Béthune, de Montreuil,
d’Hesdin et de Saint-Pol, annoncent que partout l’arrivée au Pouvoir
de MM. de Polignac, de la Bourdonnaie, de Montbel et de Bourmont
a été un sujet d’étonnement mais nullement de crainte. « Le nouveau
Ministère, nous écrit-on de Béthune, est pire que l’ancien, mais de
Y'excès du mal sortira le bien. » « La composition du Ministère Poli-
En de
qui pourra satisfaire les absolutistes les plus fougueux, les
jésuites les plus violents. Les concessions inopportunes de
nos députés portent leurs fruits. Il faut que les « constitu-
tionnels » se préparent à la lutte. Le 15 août, il parle de la
sensation fâcheuse produite en Angleterre par l'arrivée du
Ministère Polignac (1). Le 19 août, sa violence augmente à
propos du comte de la Bourdonnaie. Il dit : « Encore un
Ministre dont l'épine dorsale plia jusqu'à rompre devant les
prospérités de Napoléon. Émigré de Coblentz, soldat de
Condé, Vendéen et chouan, républicain sous le Consulat,
impérialiste sous l'Empire, contre-révolutionnaire depuis
la Restauration. »
Ce 19 août, il fait un appel aux citoyens qui paient un
cens électoral (2).
gnac, nous mande-t-on de Montreuil, rappelle aux amis de la Monar-
chie constitutionnelle, aux adversaires des lois d’exception, aux
ennemis des Jésuites et du Ministère déplorable, et à toute l’armée
française de trop tristes souvenirs pour que ce Ministère puisse exister
longtemps. » « La majorité des opinions le rejette, disent les habitants
d’Hesdin, il ne pourra avoir aucune majorité à la Chambre. » Dans
toutes les villes de même qu’à Arras, les Royalistes moins exagérés
et plus clairvoyants sont comme effraÿés de leur victoire. M. de la
Bourdonnaie! M. de Bourmont ! il n’y a que les abonnés de la fanatique
et absurde Gazselle qui puissent se féliciter de tels choix. Dans les
villes du département comme au chef-lieu, la nouvelle a produit sur
les Royalistes constitutionnels l’effet auquel on devait s'attendre : l’on
se visite, l’on s’aborde et l’on se fait part des nominations, l'on plaint
le Roi dont la religion a été surprise, et l’on se sépare en disant : cela
ne durera pas. »
(1) Le vicomte Siméon, ancien préfet du Pas-de-Calais, directeur
des Beaux-Arts, ayant donné sa démission, le Propagateur reprocha
au baron Travé, son successeur, d’être un ancien imprimeur-libraire.
(2) Voici un article qu’il publia : « Au bruit de la chute du dernier
Ministère, à l'aspect des noms trop fameux de ses héritiers au Pouvoir,
un mouvement électrique de stupeur, d'inquiétude, puis de colère,
parcourut toute la France ; mais bientôt, elle rentra dans son calme.
Elle avait mesuré la petitesse des hommes d'où pouvait lui veuir le
en —
Le 22 août, c'est encore une attaque contre le prince de
Polignac : « S'il eut été cardinal et qu'on l’eût nommé pape
lors du dernier Conclave, cela aurait pu se concevoir, car il
est prince romain et il est bien dévot. On aurait pu aussi en
faire un Dey d'Alger. En revenant de l'émigration, il n'a
rien appris ni rien oublié. » Ce journal reproche à la famille
de Polignac d’avoir touché 700,000 francs de traitement et
pension. Le 29 août, c’est le maréchal de Bourmont, ministre
de la Guerre, qu'on accuse d'avoir abandonné son poste
avant Waterloo.
Le 5 septembre, on imprime dans cette feuille : « Français,
prenez garde à la Charte : de Polignac, de la Bourdonnaie,
de Bourmont sont ministres! » A propos des premiers actes
du Ministère, c'est l'évèque d'Hermopolis qu'elle attaque :
« Sous le ministère du célèbre abbé de Frayssinous, les
enfants de Loyola envahiront complètement le royaume,
danger; elle avait senti sa force, et c’est dans l'attitude du dédain et
d’un noble défi qu’elle attend encore le manifeste de guerre qu’on
osera faire contre elle. Laissons les vaines terreurs et les peines
inutiles. Il a plu au Roi de changer de Ministres. Qu’avons-nous à
dire ? Rien. Le chef du Gouvernement a usé de son droit, aussi, le
temps pour nous est arrivé d'user du nôtre. Tenons-nous donc prèts.
Si le Ministère veut tenter de vivre, il faut qu’il dissolve la Chambre,
notre rôle alors commencera. Descendons dans la lice électorale.
Rappelons-nous 1827 et d'un vote vengeur plus énergique encore que
celui qui renversa le triumvirat Corbières, Peyronnet et Villèle, déli-
vrons l’avenir du Ministère né de leurs cendres. C'est ainsi qu'un
peuple constitutionnel dit à son Roi sa pensée. Ce langage est sain
comme une loi, il n’alarme pas la fidélité, il est toujours compris. »
Puis l’article parle de la loi favorable à la liberté conquise par la
nation (la révision des listes électorales), et se termine ainsi : « La
vieille énergie artésienne ne sommeillera pas, notre appel sera entendu,
les listes électorales se compléteront, les rangs se serreront et, quand
le Roi, dissolvant la Chambre, consultera la nation sur son nouveau
Ministère, de tous les collèges de ce département partira une éclatante
et instructive réponse. »
— 56 —
usurpant les écoles, les églises, déclarant la guerre à l'ensei-
gnement mutuel et à la liberté. » Au contraire, Chateau-
briand obtient ses éloges. Malheureusement, ce grand écri-
vain royaliste, croyant alors attaquer les ministres, préparait
la chute d'une Royauté au retour de laquelle il avait
contribué.
Le Propagateur qui avait d'abord affiché son dévouement
à la Monarchie légitime, change de ton et termine un article
par ces mots : & Eiecteurs, citoyens de la France, voulez-
vous de cette Monarchie ? » Cette hostilité contre la branche
aînée continua jusqu'au renversement de leur trône.
Le 26 août, il s'en prend aux hommes de 1815. Quand on
nia devant Zénon le mouvement pour le prouver, il marcha.
C'est ce que nous allons faire pour les excès de 1815.
Le 19 septembre, article contre les partisans du nouveau
Ministère.
Après les Ministres, ce sont les conseillers généraux qu'il
accuse d'être serviles et nommés dans le temps de la réaction
par un Ministère déplorable, pourtant, ils pourraient être
très utiles. Il fait une exception pour ceux du Pas-de-Calais.
Ce Conseil Général a toujours eu la sagesse de ne pas
s'immiscer dans les questions de haute politique. S'il a fait
peu de bien, il a fait peu de mal, grâce au patriotisme de
Messieurs Wallart, Corne (fondateur du Propagateur),
Francoville, Wissocq, Delaleau, etc. (c'étaient des libéraux
que la Monarchie légitime aurait pu se dispenser de nom-
mer, car ils devaient contribuer à sa chute). La contre-révo-
lution, ajoute-t-1l, et le jésuitisme ne sauraient y triompher
sans de rudes combats. Il a négligé des choses importantes
pour l'agriculture et l'industrie qui réclamaient des amélio-
rations. Il devrait fonder une école normale. D'après ce
journal, les Frères sont insuffisants pour l'instruction du
peuple. Il les attaque souvent sous le nom de « Frères igno-
rantins ». Pour arriver à renverser la Royauté légitime, il
faut s'assurer du concours de l'armée. I] fait un article contre
7
l'obéissance passive, un autre sur l'esprit de l'armée.
L'Évéque d'Arras, en tournée de confirmation à Boulogne,
reçoit les officiers du 4°7 de ligne et leur dit : nos régiments
sont bons, le Roi compte sur eux. Le Propagateur à ce sujet
écrit : « C'est possible, maïs il ne faut pas compter sur eux
pour un coup d'État. »
Il dit, le 19 août : « Les militaires et les bourgeois se
confondent dans une même indignation contre la marche
du Gouvernement et une circulaire du baron de Rottem-
bourg, commandant la 16° division, imposant le silence aux
militaires sur les affaires publiques. Le marquis de Vaul-
cher, secrétaire-général des douanes, donna le même ordre
à ses agents.
Le 24 octobre, dans un article sur l'esprit de l’armée, il
dit : « Elle est sortie du peuple, elle n’a pas oublié ce qui
la rattache au peuple. »
Dans un article, 1l résume et réfute la politique des ultra-
royalistes. Dans un autre article intitulé « Un Roi sage », il
cite ces paroles de Louis XVIII : « Revenu sur le seuil de
ma patrie, je trouvais les esprits agités et emportés par
les passions, je devais faire des fautes, j'en ai fait. » Le
journal les indique. En octobre, il devient moins violent, il
espère la chute du Ministère Polignac et publie divers
articles intitulés : « [ls ont peur », « Agonie ministérielle »,
« Utilité de la crise actuelle », « Qui triomphera du Minis-
tère ou de l'opinion publique ? »
En 1828, la Chambre des Députés avait décidé la révision
annuelle des listes électorales; le Propagateur prévoyant
l'importance que ce travail pourrait avoir s'il y avait des
élections, recommanda plusieurs fois à ses partisans de se
hâter de se faire inscrire (1). On a vu dans les rapports des
(4) Dans un article adressé aux électeurs retardataires, le Propa-
gatear cherche à leur prouver que ce n’est pas en se tenant paisible-
ment à l'écart en attendant le jour de la régénération de la France,
9
Sous-Préfets, que les royalistes ne montrèrent pas le même
empressement, c'était bien regrettable; il est vrai qu'aucun
journal royaliste n'était là pour exciter leur zèle.
Pour faciliter ces inscriptions, il leur recommande de
former dans chaque chef-lieu d'arrondissement des comités
pour s'en occuper, lui-même fournira les renseignements
dont on aurait besoin.
comme les Juifs attendaient le Messie, qu'ils obtiendront cet état de
bonheur et de liberté après laquelle ils aspirent.
« Est-ce en s’abandonnant au vent qu’on arrive le plus tôt au port ?
Est-ce en négligeant de se faire porter sur les listes électorales que le
jour des élections les Royalistes constitutionnels assureront la majorité
à leurs candidats. Les amis du Roi et de la Charte sont partout;
nous le savons, c’est l'immense majorité; les antiques amants du
despotisme ne sont qu'une poignée. Mais, si le nombre et la force sont
de notre côté, la ruse et l'intrigue sont du leur. Il ne tient au’à nous
d’avoir une bonne représentation nationale; mais, pour cela, il nous
faut des électeurs qui ne renoncent pas à leur vote, qui ne ressemblent
pas au Caraïbe imprévoyant que nous dépeint Rousseau, que rien
n’agite, qui, se livrant au seul sentiment de son existence actuelle,
sans aucune idée de l'avenir, quelque prochain qu'il puisse être, vend
le matin son lit de coton et part le soir pour le racheter, faute d'avoir
prévu qu'’ii en aurait besoin pour la auit prochaine. »
Daos un autre article contre la politique expectante, il dit : « D'ua
moment à l’autre, la volonté du Roi peut dissoudre la Chambre, ou
bien un de nos députés peut donner sa démission, ou bien encore
l’affreuse mort peut venir décompléter notre députation. Pour ne pas
être pris alors à l’improviste. pour nous assurer en toutes circons-
tances, il faut que les listes électorales soient complètes, que des
citoyens dévoués, amis de l'ordre, de la Monarchie et de la liberté
suppléent par leur zèle à l’inertie des indifférents et à la tiédeur des
timides. Déjà ces deux dernières années d’honorables citoyens ont
exercé à cet égard une surveillance utile. Par ce moyen, sans aban-
donner ses affaires ordinaires, on donnera une représentation vrai-
ment conforme aux vœux du pays. »
Dans un autre article, il dit : « On veut toujours son bien, mais on
ne le voit pas toujours; il convient donc de le faire voir. »
Le 10 octobre, il publia un article sur la formation des listes
électorales.
— ——— 2 ——
= #0:
Une des armes les plus redoutables que voulût employer
le parti libéral pour attaquer la Monarchie légitime, ce fut
l'établissement d'associations pour le refus de l'impôt,dans le
cas où le Gouvernement violerait la Charte constitutionnelle.
Le Journal des Débats avait parlé le premier de cette résis-
tance légale, le Journal du Commerce en amena la réalisation.
Les Libéraux rédigèrent des statuts (1), publièrent un mani-
feste que le Propagateur reproduisit le 7 octobre 1829.
Ils formèrent des Comités pour procéder à son organisation
à Paris et dans les provinces. Ils y parvinrent dans soixante-
deux départements (2).
On espérait qu'une partie de la Chambre seconderait ce
(4) Voici les extraits de ces statuts :
Art. 4er. — L'article 8 de la Charte porte : Aucun impôt ne peut
être établi en France s’il n’a été consenti par les deux Chambres et
sanctionné par le Roi.
Dispositions du budget : Toutes les contributions autres que celles
autorisées par la présente loi sont interdites.
Peines contre les autorités qui ordonneraient le paiement d’autres
contributions et contre les employés qui feraient les rôles : On devait
les poursuivre comme concussionnaires, sans préjudice de l’action
exercée contre eux pour le remboursement des contributions illéga-
lement perçues, et cela pendant trois ans et sans qu’il fùt besoin
d'autorisation préalable. Puis on reproduisait l’article 17 du Code
pénal disant : Que le crime de concussion est puni, pour les fonction-
naires ou officiers publics, de réclusion, et pour leurs commis ou
préposés, d’un emprisonnement de deux à cinq ans, plus d’une amende
égale au quart de la restitution et de dommages et intérêts.
Si la perception d’un impôt qui n'avait pas été voté conformément
à la Charte et à la loi, était un crime, le refus d’un tel impôt était un
devoir. Pour en faciliter l’accomplissement, les soussignés étaient
convenus de ce qui suit :
Art. 2. — Ils contribueront, dans la proportion de leurs contribu-
tions respectives aux frais que pourrait nécessiter l’exécution de
l’article 4er.
(2) Le 16 septembre 1829, le Propagateur fit l'éloge des citoyens
des cinq départements de la Bretagne, réunis pour s'opposer aux
projets liberticides du Gouvernement.
— 60 —
projet, et on comptait sur plusieurs membres de la députation
du Pas-de-Calais. Ce fut à Boulogne, où le parti libéral et
bonapartiste était le plus nombreux depuis le camp de Bou-
logne, qu'on organisa d'abord un Comité, d'après les
instructions venues de Paris et sous la direction de M. Fon-
taine, député, honnête homme se disant royaliste, mais facile
à entrainer. Cette association trouva dans l'Annotateur de
Boulogne un journal pour le soutenir; mais, ce fut surtout
le Propagateur du Pas-de-Calais qui montra le plus
d'ardeur (1). Dès le 18 décembre, il fit valoir la force de
l'esprit d'association. Le 30 novembre, il préconisa le refus
de l'impôt. D'après lui, il venait d’avoir lieu dans les Pays-
Bas pour des causes analogues à celles qui existaient en
France.
Les banquets étaient un des moyens employés à cette
époque pour faire de la propagande. Le voyage électoral que
fit M. Degouves de Nuncques, député (2), après la session
de 1829, fut l'occasion de plusieurs de ces réunions (3). On
(1) Le 5 décembre, le Propagateur annonce qu'il s’est formé une
association dans le Pas-de-Calais pour le refus de l'impôt pareille à
celle de Paris; on en présentera l'acte à la signature des citoyens du
département dévoués au Roï et à sa famille ; elle ne peut effrayer même
les plus timides, c’est un acte signé d’un grand nombre de membres
des deux Chambres, etc. Une jurisprudence jusqu'ici unanime }J’a
déclarée conforme à l'esprit de nos institutions, inoffensive pour la
Monarchie, inattaquable par le Pouvoir.
Le 19 décembre, il annonce que Calais, Arras, Béthune, Saint-
Omer, etc., s’associent pour le refus de l'impôt illégalement perçu. A
Arras plusieurs conseillers municipaux, des membres du Bureau de
bienfaisance, des négociants, des propriétaires les plus imposés s’em-
pressent de signer l’acte d'association.
(2) Le Propagateur du 26 août disait : « L'honorable M. Degouves
de Nuncques est à Arras depuis quelques jours. L’empressement qu'on
met à le visiter et à le fêter lui fait vivement sentir combien il est
agréable de remplir fidèlement son mandat. »
(3) M. Degouves de Nuncques s'était rendu à Boulogne après avoir
présidé les Assises à Saint-Omer. Les libéraux cherchèrent à donner
— Gi —
ÿ portait naturellement des toasts en l'honneur des 221 et
de l'Association pour le refus de l'impôt. On ménageait
encore la Royauté et à Calais, il y eut des toasts au Dauphin
et à la famille royale. On organisa des banquets à Boulogne
et à Calais. Celui d'Arras fut privé (1). M. Bénard y porta
un toast à l'Association (2).
à son voyage l'aspect d’un triomphe. Le 22 décembre 4829, huit
voitures et quinze cavaliers l’accompagnèrent depuis les Attaques
jusqu’à Calais. Un déjeuner lui avait été offert à Ardres. A Calais, on
lui donna le soir une aubade à son hôtel; le lendemain, déjeuner à
l’hôtel Dessaint de cette ville, avec une musique « délicieuse » dit le
Propagateur, et terminé par une collecte pour les pauvres. Il alla à
Boulogne où il descendit chez son collègue M. Fontaine. Il y eut un
banquet en son honneur, il porta un toast à M. Fontaine pour sa
conduite à la Chambre.
(1) Ce banquet eut lieu à l’hôtel de l’Europe au commencement de
janvier 1830. Le Propagateur en rendit compte dans son numéro du
6 de ce mois. Il y avait environ soixante-dix convives. Il était présidé
par M. Dudouit, ancien président du Tribunal de Commerce, con-
seiller municipal. On y porta un grand nombre de toasts. Voici les
principaux : au Roi par le Président ; à la Famille royale par M. Hal-
lette (Charles X venait de le décorer); à la Charte par M. Cornille,
Secrétaire perpétuel de l’Académie d’Arras; à l’Association pour le
refus de l’impôt par M. Bénard, ancien adjoint; à M. Degouves de
Nuncques par M. Billet, avocat ; à l’Armée ; à 1830 qui devait assurer
les libertés constitutionnelles, etc. Il y eut plusieurs discours : celui
de M. Degouves de Nuncques, se conformant à la tactique des libéraux,
respectait le Roi et ses prérogatives, mais on voulait le maintien
de la Charte et des libertés constitutionnelles menacées par le Minis-
tère. M. Frédéric Degeorges parla sur les devoirs et l’utilité de la Presse,
il restera, s’écria-t-il, constant dans ses principes, sans faiblesse devant
les périls, etc. Le banquet se termina vers minuit ; une quête pour les
pauvres produisit 1,052 francs.
Cette réunion, faite dans un but hostile au Gouvernement, comptait
un certain nombre de personnes qui lui devaient leur position. L’auto-
rité supérieure ne paraît pas avoir pris aucune mesure contre eux. Le
baron de Hauteclocque était sans inquiétude.
D'après une lettre écrite au Préfet par le Maire d'Arras, les
libéraux avaient pris leurs précautions pour éviter les indiserétions.
On ne pouvait approcher du lieu de réunion. Tous les électeurs nota«
— 62 —
Le Propagateur faisait une active propagande. Il préten-
dait que dans les arrrondissements de Montreuil et de
Saint-Pol, un grand nombre de contribuables signaient cet
acte, encouragés par M. Degouves de Nuncques, leur
député (1).
bles qui devaient quelques jours après nommer un Président du
Tribunal de Commerce, à l'exception de cinq ou six, signèrent l'acte
ainsi que plusieurs conseillers municipaux et la majorité des convives.
Le baron de Hauteclocque ne s'était pas d'abord effrayé; il pensait
que, sauf chez quelques exaltés, cette entreprise ne ferait pas fortune.
On en parlait peu ou point, si ce n’est dans les bureaux du Propa-
gateur où on signait cet acte mystérieusement. Plus tard, il crut devoir
prévenir le vicomte Blin de Bourdon des manœuvres qu’on employait.
On mettait tout en usage pour révolutionner le pays.
(2 p. 61) D'après les renseignements fournis par le Maire d'Arras sur
la demande du Préfet, et recueillis pendant quatre jours de recherches
presqu'infructueuses : le projet d'association, rédigé à Boulogne,
fut déposé d'abord chez M. Sansot, habitant de cette ville, retiré
quand on apprit que le Procureur du Roi se proposait d'exercer des
poursuites, et envoyé à Arras à M. Harlé. Il avait d’abord été
convenu de le remettre chez un ou deux notaires, mais pour des
raisons analogues à celles qui avaient fait renoncer à Boulogne à un
dépôt public, on décida qu’on se passerait ce document de mains en
mains, puis qu'on le donnerait à M. Frédéric Degeorges pour le
conserver dans les bureaux du Propagateur.
Le baron de Hauteclocque ajouta : « On obtint des signatures,
mais la précaution avec laquelle on colporta cette pièce, la réserve
avec laquelle en parlaient les plus chauds partisans de l'opposition,
faisaient croire qu’il y avait peu d'adhérents et que cette manifestation
nouvelle n'avait lieu dans le département que par suite de l’impulsion
donnée d'en haut, impulsion à laquelle nos habitants prenaient une
part peu active. Ils ont souvenance de 4792 et de 1794 et de ce qui
s’est passé alors à Arras. Ils appellent ces listes des tables de proscrip-
tion. Vous pouvez assurer au Ministre qu'on parle peu de cette affaire
et les esprits n’en sont pas occupés. 1] est difficile, à cause du mystère
dont on s’entoure, de connaître les noms des signalaires; mais, on
peut dire que le nombre en sera très petit et qu'il comprendra seule-
ment les chefs du Comité d'Arras et les plus ardents de leur clientèle. »
(1) Le Propagateur dit qu’à Béthune on recueillit cent signatures
en peu de temps pour l’acte d'association. Il est vrai que M. Degouves
== 49
Be. -
Le Gouvernement4ne”pouvait pas rester indifférent à ces
manœuvres coupables. Il considérait avec raison ces asso-
ciations, sous quelques dénominations qu'elles fussent
annoncées, comme se rattachant à l'organisation d'un
système général d'opposition avec lequel tous les efforts des
ennemis de l'ordre et de la Monarchie tendaient à fanatiser
les esprits. Elles avaient un centre commun dont l'impulsion
était toujours hostile. Ce fut le 2 octobre 1829 que le comte
de la Bourdonnaie, ministre de l'Intérieur, fut informé par
un article de l'Echo du Nord du 26 septembre qu'on allait
former cette Association dans le Nord et le Pas-de-Calais. Il
s'établit de suite, entre lui et le Préfet de ce département,
une correspondance confidentielle où il lui demandait
d'envoyer des renseignements sur son existence dans le
Pas-de-Calais, et de se procurer le nom de ceux qui en
faisaient partie. Il reconnaissait que c'était difficile à savoir.
Il comptait sur ses soins les plus dévoués pour les obtenir (1).
de Nuncques était venu à Béthune et un propriétaire avait organisé
une réunion en son honneur.
(1) C'est le 8 décembre que le Ministre écrit au Préfet qu'on fait
circuler à Boulogne l'acte d'association pour le refus de l'impôt, et que
plusieurs signatures ont été apposées.
1 lui demandait de prendre des informations et de se procurer la liste
des signataires, de se concerter avec l'autorité judiciaire sur les pour-
suites qu'il serait convenable de diriger contre les auteurs et toutes
les autres personnes qui prendraient part à un acte si répréhensible
d'opposition au Gouvernement du Roi. Le 40 décembre, nouvelle
lettre pour savoir si les poursuites judiciaires seraient possibles et
. dans ce cas, ne pas hésiter à les faire. L'administration doit dans
tous les cas opposer à ces perfides manœuvres la plus ferme, la plus
constante vigilance. « Je vous prie de me tenir au courant de toutes les
circonstances qui pourraient avoir quelque intérêt et des mesures que
vous aurez jugé à propos d'employer à cet égard. »
Le 17 décembre, il accuse réception au Préfet de son rapport, et lui
demande de transmettre au Gouvernement et au Ministère public tous
les renscignements qu’il pourra recueillir. « Je me plais à croire que le
. Tribuual de Boulogne reconnaitra les graves et funestes conséquences
EN
Le Préfet ne put lui donner que peu de renseignements
certains. Pour s'en procurer le vicomte Blin de Bourdon en
demanda à ses Sous-Préfets, mais il n'en obtint guères. Le
Ministre recommandait d'agir avec vigilance et énergie, de
le tenir exactement au courant de toutes les circonstances
qui pourraient avoir quelqu'intérêt. Il aimait à croire
qu'aucun fonctionnaire n'avait coopéré à cet acte délictueux;
mais, si contre toute attente, il en était qui se fussent
permis de compromettre ainsi le caractère dont ils sont
qu'entraînerait l'impunité des individus, assez ennemis des intérêts
de leur pays et de la Monarchie pour seconder des tentatives qui ne
tendent qu’à familiariser les masses avec des idées de troubles et de
désordre, et à répandre chez elles la méfiance et la désaffection. »
« Les juges appelés à se prononcer sur des faits évidemment coupa-
bles, sentiront, j'espère, toute l'étendue de leur responsabilité dans cette
circonstance et en rendront un éclatant témoignage selon les intentions
du Gouvernement. Leur jugement exercera une salutaire influence
sur les esprits qu’on tenterait encore d’égarer. Que dans tous les cas
l’attitude ferme de l'administration, son active vigilance annonceut
à tous ceux qui participeraient à ces perfides manœuvres, qu'ils s’alié-
neraient toute espèce de bienveillance et de faveur de la part du Gou-
vernement. Îl terminait en disant qu'il comptait sur sa vigilance et
son énergie.
Dans une lettre écrite le 17 décembre, le Ministre accuse réception
au Préfet de son rapport et regrette que l'esprit public soit moins
bon dans le Pas-de-Calais; l’action de l'administration ne doit pas
être passive, mais active pour appeler la sévérité des lois sur les
projets des ennemis de l’ordre public et de la Monarchie. « Vous
devez même la rendre ostensible, si elle doit en acquérir plus de force.
Soyez convaincus que le Gouvernement secondera vos efforts. »
Le lendemain, nouvelle lettre relative à l’insulte faite au buste du
Roi brisé et foulé dans un diner chez un maire des environs de St-Pol,
Le 21 décembre, il accuse réception au Préfet de l’acte d'association.
Le 28 décembre, nouvelle lettre au Préfet pour lui recommander
de surveiller, de la manière la plus rigoureuse, M. Degeorges dans
ses démarches, dans ses propos, comme dans ses relations. S'il y
avait lieu à des poursuites, il fallait les faire sans hésiter si on pouvait
espérer un résultat avantageux. L'administration se séparera sans
hésiter de tous ceux qui prendraient part aux manœuvres de la male
veillance, et si elle est livrée à ses simples forces, qu'elle ne craigne
6
revêtus, il le priait de les signaler afin qu'il pût prendre les
ordres du Roi à leur égard.
J] fallait traduire devant les tribunaux les auteurs d'actes
de malveillance contre le Gouvernement ainsi que les orga-
nisateurs de l'Association et les membres des Comités
électoraux qui commettraient des actes délictueux.
Cette énergie demandée à des fonctionnaires mal soutenus
par le Gouvernement et les tribunaux (1), fut plus factice que
réelle. On fit peu de choses et on obtint peu de résultats.
pas de les employer à soutenir et à faire craindre et respecter l'autorité
qui lui est confiée. 11 lui demandait de nouveau le nom des signataires
de l’acte d'association et des membres des Comités électoraux, avec leurs
prénoms, professions, état de fortune, moralité et autres indications.
Ces institutions, sous quelque dénomination qu’elles soient annoncées,
se rattachent à un système général d'opposition vers lequel les ennemis
de l’ordre et de la Monarchie tendent à familiariser les esprits, et
qu'elles ont un centre commun dont l'impulsion est toujours hostile.
Il recommandait encore vigilance, énergie et soins dévoués.
(4) Le Procureur du Roi cita devant le Tribunal de Boulogne,
l'Annotateur boulonnais, son gérant, le rédacteur d’un article sur
ces Associations, et M. Sansot, membre du grand collège qui avait
été dépositaire de l'acte d'association. On les accusait d'excitation au
mépris du Gouvernement du Roi. Ils furent acquittés. Ce journal
prétendit que cette poursuite avait engagé cinq cents contribuables de
Boulogne à signer l'acte.
Le Ministère public interjeta appel, et la Cour royale de Douai
condamna, le 40 mai 1830, l’Annotateur à 300 francs d’amende et
l’auteur de l’article à un mois de prison pour avoir cherché propager
le refus de l'impôt.
Il n’est pas étonnant que les magistrats se soient montrés indulgents
pour les Journaux de l’opposition. Surtout depuis le Ministère Marti-
goac, un certain nombre de membres appartenaient au parti libéral,
Le Propagaleur et le Mémorial de la Scarpe eurent une discussion
en 1829 avec le Journal du Nord, organe royaliste, au sujet de la
nomination d'un conseiller auditeur à la Cour royale de Douai. Le
Procureur du Roi à Saint-Omer prit pour sujet du discours de rentrée
du Tribunal de cette ville, en 1829, l’/ndépendance des Magistrats,
Le Propagateur en fit tellement l'eloge que l'auteur lui écrivit pour
rectifier certains passages de l'article et dire qu'il ne méritait pas les
compliments qu’on lui faisait.
5)
0
Le Gouvernement en présence de l'opposition violente du
Propagateur, essaya d'arrèter sa publication. La Censure
n'existait plus,tout le monde pouvait publier un journal, mais
il fallait l'autorisation ministérielle pour être imprimeur.
On chercha à empècher lé Propagateur d'en trouver un.
Quand le sieur Souquet, éditeur de la Revue départementale,
en eut cessé la publication, il traita avec les fondateurs du
Propagateur pour son impression, puis il désira se retirer
et proposa pour le remplacer le sieur Évariste Audibert. Le
16 novembre 1829, il fit signifier au Maire d'Arras que ses
ateliers seraient transférés de la rue Saint-Maurice dans la
rue Saint-Jean-en-Lestrée où étaient déjà les bureaux du
Propagateur, ce qui eut lieu ce mème jour.
La demande du sieur Souquet au Ministre n'était pas
encore admise. Le Maire d'Arras, le 29 octobre, avait écrit
confidentiellement au Préfet que le sieur Audibert n'était
qu'un prête nom et que le véritable acquéreur de l'impri-
merie était le Propagateur. 11 conseillait d'examiner la
demande avec attention, car un journal, de quelque nuance
qu'il fût, ne pouvait avoir à sa disposition une imprimerie
sans de graves inconvénients. Le vicomte Blin de Bourdon
écrivit dans le même sens au Ministre, et celui-ci répondit
le7 novembre pour dire qu'il n’autorisait pas ce transfert (1).
(1) Voici cette lettre :
« Monsieur le Préfet, j'ai reçu votre lettre du 29 octobre dernier
par laquelle vous me donnez de nouveaux renseignemens sur le sieur
Audibert qui a été présenté pour succéder au sieur Souquet, imprimeur-
libraire à Arras.
Le sieur Souquet se démettant volontairement de son titre au profit
du sieur Audibert, et ce dernier n'offrant point au Gouvernement les
garanties convenables, le Gouvernement doit se borner à déclarer
qu’il n’y a pas lieu de procéder à la nomination. Le sieur Souquet
restera maître dès lors de continuer ses fonctions ou de désigner un
autre candidat.
Le Gouvernement, en effet, n’est point obligé de donner un success
seur à l'imprimeur ou au libruire qui veut trafiquer de son titre. La
2
Le Préfet, le 13 de ce mois, chargea le Maire de signifiér
au sieur Souquet cette décision. Le baron de Hauteclocque
écrivit à ce fonctionnaire, le 16 novembre 1829, qu'il avait
exécuté ses ordres. Dans toute autre circonstance, le trans-
fert d'un brevet de libraire serait fort simple et fort régulier;
mais, dans le cas actuel, il présentait un caractère de gravité
et d'importance qui lui paraissait devoir appeler son attention
et celle du Gouvernement du Roi. Car, en réalité, c'était le
Propayateur qui devenait propriétaire de l'imprimerie
établie près de ses bureaux. Il voulait installer également
un cabinet de lecture, ce qui augmenterait le danger. Enfin,
le sieur Audibert était un ancien oflicier bonsapartiste (1).
Le Propagateur ne pouvait laisser passer sans protes-
tation ces refus, et, dans son nu méro du 18 novembre 1829,
il déclara que c'était une nouvelle attaque contre la Presse,
Il ne la comprenait pas (2). Le sieur Audibert était royaliste,
sévérité qu'il a le droit d'apporter dans l'examen de la moralité et de la
capacité de ce successeur, est la seule garantie qui puisse mettre la
société à l'abri d'un commerce clandestin qui substitue une responsa-
bilité factice à une responsabilité réellé, et qui prostitue la presse au
service d’une faction subversive et corruptrice.
Je vous prie, en conséquence, de déclarer au sieur Souquet que Île
sieur Audibert ne peut être nommé imprimeur-libraire en son lieu et
place, et que ce dernier ait à s'abstenir de s’immiscer en rien dans
l'exercice d’une profession qui lui est interdite. »
(4) Le Maire d’Arras écrivit confidentiellement au Préfet, Île
29 novembre, qu'une partie des ouvriers du sieur Souquet chantaient
des chansons bonapartistes. Celui-ci n'avait consenti qu’à prêter son
nom pour l'imprimerie du journal], car il désirait se retirer. Il laissait
seulement le temps au Propagateur de réaliser la vente qu’il lui
avait faite.
Dans un article du 28 novembre 1829, le Propagaleur protestait
contre l’accusation d’être bonapartiste.
(2) Le Propayateur s'étonnait de l'hostilité montrée contre lui.
Le 21 novembre 1829, dans un article intitulé À nos Lerteurs, il
dit : « Le Pas-de-Calais, depuis un quart de siècle, était privé d’un
journal indépendant quand le Propayateur fut créé dans le départe-
ment. Il devait s'attendre à des injures, à des attaques, à des pour
= bg
fils d'imprimeur, imprimeur lui-même, littérateur, et avait
vendu des livres édités par lui. Il était étranger, par son
âge et son caractère, aux luttes politiques. Cinq imprimeurs
d'Arras lui avaient délivré un brevet de capacité. Il ajoutait :
« Le Propagateur ne tombera pas! Que le sieur Souquet
reste ou soit remplacé par un protégé de la Congrégation,
le journal continuera car il a un acte qui oblige l'imprimeur,
quel qu'il soit, à lui prèter ses presses. Il continuera à
garder son franc parler pour dire des vérités utiles et criti-
quer énergiquement les mauvais ministres et les méchants
administrateurs (1). »
Le sieur Souquet retira probablement sa démission car
le journal continua de paraitre et le Gouvernement, après
suites. Îl n'avait fait que défendre la Charte et les lois organiques et
porter au pied du trône les revendications et les vœux du pays. Il
contrôlait les actes des agents du Gouvernement, il devait les irriter
car ils étaient convaincus de leur omnipotence. Ils le traitèrent de
séditieux. Il fut soutenu par l'opinion publique, et dans les campagnes,
quand on avait à souffrir d’un fait délictueux de l'administration, on
disait : J'irai me plaindre au Propagateur. »
Le 5 décembre, il dit qu'on lui conseille de continuer sa polémique,
les ministres passent comme une épidémie. Il ajoute : « Habitants du
Pas-de-Calais, redoublez de zèle pour l'exercice de vos droits. »
Ce journal affirme son attachement aux institutions du pays, son
respect par la religion de l'État, son amour pour la Charte.
(4) Toujours, disait-il, le journal restera inébranlable et sans
crainte pour ses destinées ; il prêchera l'union des citoyens, le triomphe
des lois et de la tolérance. Il défendra la Charte, dans l'intérêt du Roi
que nous respectons; il restera le défenseur des principes conservateurs
des droits publics et privés, signalera les dangers du despotisme, les
bienfaits de la liberté; il vouera à l’exécration générale ces hommes
effrayants qui ne sont arrivés au Pouvoir que pour faire triompher
l'ancien régime et pour anéantir nos droits. Le jésuitisme conserve
encore des partisans, nous Îles poursuivons et, comme le Pouvoir
absolu, s'il ose se montrer, nous lui arracherons son masque et nous
traînerons le monstre, malgré ses rugissements, au tribunal de
l'opinion publique.
0 —
l'essai malheureux qu'il venait de faire, le trouva plus
acharné à le combattre.
L'assemblée des actionnaires du Propagateur eut lieu le
27 août 1829. On rendit compte de la situation du journal
depuis le 15 novembre 1828, date de sa fondation, jusqu'au
30 juin 1829. Les bénéfices permettaient de donner un divi-
dende de 6°; on devait, la première année, l'ajouter au
capital. Il aurait pu étre de 15 °/0 sans les dépenses de
premier établissement. Les actionnaires approuvèrent les
comptes et les propositions.
En rendant compte de cette assemblée, le Propagateur
faisait valoir le succès du journal et les services rendus
par lui et sa promesse de dévoiler les abus (1) ; mais on
avait eu à subir des poursuites judiciaires (2) et d'autres
étaient toujours menaçantes.
(1) Le Propagateur ne publiait pas seulement des questions
politiques.
Le 41 décembre, il publia un article sur la lenteur des diligences
(il cite la voiture d’Arras à Doullens) et un autre sur la loterie.
Le 12 décembre, autre article sur le budget de la ville de Montreuil,
puis un plan d'association pour le soulagement de la population pauvre
des villes. Le 21 décembre, article sur les fonctions de maire.
23 décembre, « de l'influence des libertés publiques sur l’agriculture ».
Après avoir attaqué la taille les droits seigneuriaux, la main-morte,
etc., il fait voir combien la situation s’est améliorée depuis l’ancien
régime. Îl se plaint qu'on n'encourage pas assez le commerce et
l'industrie.
(2) Le Propagateur fut poursuivi par MM. Hamille et Guilbert,
préposés des douanes, pour faux. Le journal avait dit que, lors du
naufrage près d'Étaples d'un brick anglais, ils avaient empêché les
habitants d'un village voisin de conduire chez eux, avant que la Com-
mission sanitaire se fut prononcée sur l'origine du navire, un nègre
qui seul avait échappé à la mort. Le Propagateur trouvait leur conduite
barbare. Condamné en première instance, il fut acquitté par la Cour
d’appel de Douai, sur la plaidoirie de Me Bruncau, en juillet 1829. On
jugea que les plaignants n'étaient pas suffisamment désignés. Le
Ministre de l’Intérieur demanda au Préfet du Pas-de-Calais le résultat
de ce procès. Le Propagateur fut également traduit devant la Chambre
Eee
Nous quitterons la politique pour nous occuper de l'admi-
nistration du département et de celle de la ville d'Arras
pendant l’année 1829.
Le baron de ITauteclocque continua de remplir avec intel-
ligence et dévouement ses fonctions de Maire de cette ville,
et fut encore, à ce sujet, attaqué par le Propagateur (1).
des mises en accusation du Tribunal d'Arras pour avoir reproduit des
fragments d’un poème de Méry et Barthélémy intitulé Waterloo. On y
attaquait le maréchal de Bourmont, ministre de la Guerre, pour avoir
abandonné Napoléon avant cette bataille. On accusait ce journal d’avoir
cherché à renverser le Gouvernement du Roi et à ébranler la fidélité
des troupes. Il répondit, par l'organe de Me Huré son avocat, que ce
poème avait été reproduit par d’autres journaux qui n'avaient pas été
poursuivis. Îl ajouta que toujours il avait combattu le despotisme. II
fut relaxé de la poursuite.
(4) Le Propagateur ayant sous de vains prétextes refusé l'insertion
d’une lettre que le baron de Hauteclocque lui avait envoyée en réponse
à un article calomnieux, celui-ci crut devoir publier cette lettre dans
le Moniteur universel du jeudi 5 février 1829.
« Arras, le 29 janvier 4829,
Monsieur le Rédacteur,
J'ai dédaigné jusqu'à présent de relever les articles calomnieux
insérés dans divers numéros de votre feuille relativement à mon
administration, laissant à l'opinion publique et au bon sens de mes
concitoyens le soin de les apprécier et d’en faire Justice. Ainsi, quand
vous avez parlé de moi, à l'occasion de la formation de la liste des
notables qui a servi à l'élection des membres du Tribunal de commerce
d'Arras, je me suis tu, persuadé que l’on s'apercevrait aisément que
vos attaques tombaient à faux. La formation de cette liste n'était pas
un acte de l’administration des maires, l’article 619 du code de com-
merce chargeant spécialement les Préfets de la composer et d’y com-
prendre tous les notables de l'arrondissement.
De même les faussetés renfermées dans la pétition de la veuve
Lenfle m'ont peu touché, et cette plainte ne m'a pas paru digne de
réponse. Elle contenait des injures qui ne pouvaient m'atteindre ; car,
outre qu’elle était sans objet, puisqu'il existait un moyen légal d’ex-
porter les vinaigres avec remise du droit d'octroi, elle devait être
regardée comme une vaine déclamation contre moi, par cela seul que
l'administration municipale est tout à fait étrangère au service de
En, ee
Au mois de mars 1829, le budget de la ville d'Arras fut
l'octroi qui est confié à l'administration des contributions indirectes,
par suite d’un acte régulier du 21 juillet 1817.
Plein de confiance dans la droiture de mes intentions et dans le
suffrage des hommes éclairés, j'aurais donc continué d'envisager tran-
quiflement vos attaques. Mais l’article insidieux du dernier numéro
de votre feuille, renferme un outrage trop sensible au cœur d’un
magistrat pour rester sans réponse. En parlant de notre appel à la
bienfaisance publique, vous attribuez à l'Administration une négligence
coupable lorsqu'il s'agit de venir au secours des malheureux. On vient
seulement d'y songer, dites-vous. Je me dois à moi-même, je dois à
mes collègues les membres du Conseil municipal, à la confiance dont
mes concitoyens me donnent un si doux témoignage en ce moment, de
repousser avec toute l'indignation qu'elle mérite une accusation aussi
fausse que perfide.
Mais, Je n’ai besoin que de votre propre témoignage pour vous
confondre.
L'administration vient seulement de songer à venir au secours
des pauvres ! Vous n'ignorez cependant pas, Monsieur, que dès le
3 novembre 1828, j'ai appelé de la manière la plus pressante les médi-
tations du Conseil municipal sur l’état de misère de la classe indigente
et sur les moyens de l’adoucir, et que des mesures furent prises à cet
effet.
Le 10 décembre 1828, j'ai appelé de nouveau l'attention du Conseil
municipal sur ce point. Une nouvelle résolution fut adoptée.
Le 19 janvier 1829, j'ai encore prié le Conseil municipal de s’accuper
des besoins des pauvres. Le Conseil, vu l’urgence, et en attendant
l'approbation par le Gouvernement des moyens précédemment adoptés,
vota un secours de 3,500 francs emprunté provisoirement sur le crédit
des dépenses imprévues de 1829.
C'est ainsi, Monsieur, que je me suis occupé sans relâche, et avec
toute la sollicitude possible, d'augmenter les ressources du bureau de
charité et de venir au secours de la classe indigente qui, déjà, en a
ressenti les bienfaits par les distributions extrordinaires qui lui ont été
faites; ce n’est donc point aujourd'hui que je viens d'y songer. Tel a
toujours été le vœu de mon cœur et l’objet de mes plus séricuses
réflexions. Je pourrais, s'il le fallait, ajouter à toutes ces preuves les
huit lettres officielles que j'ai adressées à M. le Préfet à ce sujet.
Vous ne pouvez avoir oublié, Monsieur, la mesure prise il y a deux
mois par le Conseil municipal et qui excita les réclamations des bras-
2e 79-—
ainsi fixé (1) : recettes extraordinaires, 6,000 francs (2),
seurs d'Arras; quel était, je vous le demande, l’objet de cette mesure ?
Pourriez-vous l’ignorer, vous qui en avez inséré la censure, dans les
colonnes de votre feuille? N’était-elle pas inspirée par le désir louable
d'appliquer aux indigents les résultats et les bienfaits qu’on devait en
attendre ? Vous saviez donc, à n’en pouvoir douter, qu'on s’occupait, il
y a près de trois mois, des moyens à prendre pour adoucir la misère
des pauvres; et vous venez nous déclarer aujourd'hui qu’on vient
seulement d’y songer. En vérité, Monsieur, soyez à l'avenir plus adroit
dans vos inventions, car les lignes que nous avons relevées ne sont
qu'une grossière calomnie d’autant plus coupable qu’elle pouvait arrèter
l'élan de la bienfaisance publique. Il ne me convient pas de répondre
aux observations que vous faites sur le mode adopté. Je me bornerai à
vous dire que Île Conseil municipal, consulté officieusement par moi
sur l'opportunité d’une quête, a improuvé ce moyen, que la souscrip-
tion, seulement ouverte depuis deux jours, s’élève à plus de 9,000 fr.;
tandis que la dernière quête, faite en pareille circonstance, n’a produit
que la somme de 4,867 francs, et vous saurez que pour les personnes
qui ne veulent pas rendre le papier confident de leur bienfaisance, il
se trouve à l’Hôtel-de-Ville, ainsi que chez le Receveur municipal, un
tronc tout aussi discret que le sac du quêteur municipal.
Vous terminez votre article en vous plaignant de n'avoir pas été
compris dans le nombre de ceux à qui des lettres d'invitation ont été
adressées. Cet innocent oubli provient de ce qu'on a suivi les états de
population et les numéros de section pour les suscriptions des lettres
envoyées, et malheureusement votre demeure n’en a pas. Cette futile
inadvertance ne saurait refroidir votre ardente charité; et, sans doute,
vous nous prouverez bientôt, par une offrande généreuse, que celui
qui se prétend constituer l'organe des besoins de la cité, ne se contente
pas de prêter sa plume pour révéler ces besoins, mais qu’il ouvre avec
empressement sa bourse pour les satisfaire. »
Le Propagateur ne laissa pas sans réponse la lettre du baron de
Hauteclocque.
(1) Le Propagateur, le 26 octobre 1829, écrivit un article pour
demander la publicité des budgæets communaux. Il demanda aussi en
1829, un meilleur nettoyage des rues d’Arras et un changement dans
l'heure de l'ouverture des portes de la ville. Il traita aussi la question
des octrois.
(2) On vendit le 29 novembre 1829, dans l'ancien cimetière de Saint-
Nicaise, 4,463 pieds d'arbres (frênes, ormes, sycomores).
— 73 —
recettes ordinaires, 293,065 francs, total 299,065 francs.
Dépenses ordinaires, 255,614 francs, dépenses extraordi-
naires, 43,318 francs, total des dépenses 298,932 francs,
excédent de recettes 133 francs. Les frais de perception de
l'octroi s'élevaient à 24,000 francs. Les Hospices deman-
daient un secours de 50,000 francs. On leur en accorda un
de 38,000 francs. Le Conseil municipal vota 13,800 francs
pour l’Hospice des vieillards et 700 francs pour acheter les
feuilles de manuscrit volées à la Bibliothèque d'Arras (1).
Le Conseil municipal s'était occupé les 2 avril-5 juin 1826
et 44 mars 1827 des églises des faubourgs, et avait voté
20,000 francs pour en bâtir deux. Les habitants avaient
offert des terrains, mais M. Grandsart, l’un d'eux, retira sa
proposition pour l'église du faubourg Ronville. On décida
alors qu'on bâtirait seulement celle du faubourg St-Sauveur.
Le lion du beffroi menacait ruine, on vota 450 francs pour
le réparer.
Il fut question également du transfert du Marché au pois-
son, il se tenait sur la place de la Comédie, ce qui présentait
des inconvénients à cause de l'odeur qu'il répandait. On
demandait par des pétitions son transfert. Le journal le
Propagateur était de cet avis, prétendant que ce marché
dégradait une place qu'il appelle le « Palais Royal », c'était
(1) On imprima dans l’/ndicateur de Calais : « Il y a quelques années
une partie des parchemins de la bibliothèque de Saint-Vaast fut mutilée
par un scélérat. Un grand nombre de feuilles arrachécs par ce vandale
ont été retrouvées, grâce aux recherches actives de l'habile diplomate
anglais (sir Philipp) auquel on doit la publication des catalogues et
maouscrits des Bibliothèques publiques de Lille et d'Arras. Ce savant
archéologue s’est empressé de les acheter et d’instruire de son heureuse
découverte le Maire d'Arras, en lui annonçant qu'il les tenait à sa
disposition. M. de Hauteclocque accucillera sans doute avec empresse-
ment l'offre du généreux étranger que nous avons le plaisir de compter
depuis quelque temps au nombre des habitants de Calais. »
Ces feuillets de velin, arrachés aux plus précieux des manuscrits
de la bibliothèque, étaient offerts au prix d'achat.
Sr =
un cloaque qui entravait la circulation. Mais il reconnaissait
la difficulté de trouver un autre emplacement. 11 proposa le
boulevard nouvellement aplani à la suite du Marché aux
moutons (1).
Le Conseil municipal décida qu'on rendrait à la famille de
Beaulaincourt les documents qui la concernaient; le Conseil
municipal rejeta la demande de Mlle du Feillans, héritière
(1) Le Propagateur du 5 avril 1829 publia la lettre humoristique
suivante :
« Décidément votre Propagaleur est un brouillon, un humoriste.
Sa causticité n'épargne rien. C’est, aujourd'hui, au Marché au poisson
qu’il a déclaré la guerre. Vous n’avez point craint de noircir les tables
de nos poissonniers et de déverser tous les venins de la calomnie sur
la fraîche marée. Oui, Monsieur, à la lecture de votre article, incon-
tinent, toutes les cuisinières de la ville ont frémi de colère ! Que dis-je!
J'ai vu les carpes elles-mêmes, au marché de samedi dernier, bondir
d’indignation, les sauterelles se lever en masse, comme jadis en Égypte ;
et peu s'en est fallu que les anguilles de mer se dressassent sur leurs
anneaux comme des serpents à sonnettes pour siffler votre arrêt de
proscription. Vous avez en effet l’odorat bien délicat pour vous
plaindre tandis que nous voyons les narines, je ne dis pas des neuf
Muses (celle de la Comédie est absente) qui décorent notre salle de
spectacle, sentir l'odeur que fait monter vers elles certain endroit du
marché qu’on appelle le Puits, et que connaissent très bien les ama-
teurs de poisson faisandé. Il vous convient bien de vous boucher le
nez, quand les Déesses elles-mêmes ne se permettent pas d'avoir des
vapeurs. Je vous soutiens, moi, qu'il n’est pas, dans une ville, d’em-
placement plus convenable à un marché au poisson que le centre. Tous
les centres, dans un Gouvernement représentatif, appartiennent de
droit à la gastronomie; d'où vient donc que la marée se trouverait en
dehors de la loi constitutionnelle ? Et dans quel endroit prétendez-
vous la reléguer ? Dans votre salle de concert ?.. Contentez-vous d'y
faire chanter un jour, si vous le pouvez, votre pécheur Masantiello.
Puisque nous sommes dans le siècle des indemnités, vous auriez été
plus raisonnable de placer à la place Sainte-Croix le #:nck en dédom-
magement du charbon qu'on lui a ravi pour l'enterrer tout vivant dans
un cimetiere. Peut-être auriez-vous pu encore parler de la place du
Wetz d'Amein,; mais, comme le poisson donne la peste, vous êtes
trop philanthrope pour ne pas consulter la santé des malades de
l'hôpital. La place de la Madeleine ? Mais c’est encore le centre de la
TR
de Mgr de Conzié, qui réclamait des tableaux se trouvant
au Musée d'Arras; ils avaient été confisqués lors de l’émi-
gration de cet évèque. Le Conseil municipal prétendit qu'elle
ne justifiait pas suffisamment de son droit de propriété,
et un des tableaux qu'elle réclamait, représentant une mar-
chande de poissons, existait déjà à l'Évêché du temps de
Mgr de Bonneguise. Du reste, la ville les avait acquis léga-
lement.
ville; mais l’'Evèché! Vous vovez done que pour vous satisfaire, on
n'aurait d'autre ressource que de précipiter le Marché au poisson dans
le Crinchon ou dans le gouffre. Pensez à nos estomacs, proscripteur
de nos friandises ! Gardez pour vous vos odieuses Philippiques. L'expo-
sition de la marée accuse, dites-vous, une civilisation arriérée; elle
vaut bien, ma foi, celle de vos antiques en plâtre, de la savate de
la reine Berthe, du peigne du roi Thierry, de vos crocodiles et
coquillages. Elle dégrade une place qui est pour vous le Palais Royal.
J'accepte la comparaison. Mais au Palais Royal même, au milieu de
ces pompeux magasins où brillent les produits de tous les arts, vous
n'avez donc jamais respiré les vapeurs, les saveurs énivrantes des
turbots, des homards, des truites du lac de Genève, dans l’appétissante
boutique de Monsieur Chevet, parfumant toutes les avenues de la
galerie vitrée ? 11 m’en souvient encore lors de mon dernier voyage à
Paris ! Dieu ! quelles délices !.…
Ce lieu que vous qualitiez de cloaque en plein vent, n'est-il pas le
rendez-vous de la meilleure société ? On n’y voit pas seulement des
rouges, des merlans ou des esturgeons, mais encore des banquiers,
des rentiers, des officiers, des légistes, des publicistes, etc. Je vous
defic de trouver en France une Bourse de commerce mieux composée.
La circulation publique est, dites-vous, entravée. Mais, nous ne
voyons pas le grand mal que les voitures soient obligées de faire le
grand tour pour que les gourmets puissent flnirer, mirer, contempler,
et enfin acheter leur poisson sans risquer d'être écrasés.
Vous invoquez l'intérêt du commerce! Demandez aux débitants
circonvoisins si les précautions que vous prenez pour leur sùreté,
seraient favorables à l'écoulement de leurs spiritueux.
Renoncez done, Monsieur, au coup d'État que vous méditez contre
la marée. Vous qui parlez chaque Jour contre l'abus des destitutions
et de l'amovibilité des places, daignez permettre au Marché au poisson
de garder la sienne. »
ne
L'exercice du culte protestant à Arras donna lieu,en 1829,
à des difficultés. Le pasteur Billot avait obtenu du Conseil
municipal une indemnité de logement; il avait demandé,
en 1827, un local pour les offices religieux. 1l n’y avait,
alors que soixante protestants. Un membre du culte réformé
avait également prévenu le Maire, en 1829, qu'on en célé-
brerait les cérémonies dans son domicile, rue de la Cronerie,
comme culte domestique. Cette même année, le Président du
Consistoire de Lille, écrivit au Préfet pour lui demander
l'autorisation d'élever à Arras un petit temple. 11 s'adressa
aussi à la ville pour qu'elle participât à la dépense. Outre les
protestants habitant Arras, il y en avait, disait-il, dans les
environs et dans la garnison. Le maire répondit, le 4 août
1829, qu'il ne croyait pas utile d'autoriser ce temple, car on
avait exagéré le nombre des protestants, il y en avait trop
peu pour que cela fût nécessaire. M. Billot écrivit au
Ministre le 10 novembre qu'en présence des renseignements
défavorables de la Municipalité, il ne voulait pas établir de
polémique avec elle et prouver l'exactitude de ce qu'il avait
dit; il renonçait à élever un temple; il avait prévenu le
Maire que les protestants se réuniraient tous les dimanches
dans un vaste local loué rue Sainte-Croix. Le baron de
Hauteclocque répondit, le 10 novembre, qu'il ne donnait
pas son autorisation, vu le nombre peu important des
personnes appartenant au culte réformé à Arras. L'oratoire
d'Achicourt, situé à une demi-lieue, suffsait; bref, c'était
aux chefs de famille et non à M. Billot, de faire la demande.
Celui-ci lui envoya une longue lettre où il maintenait sa
première en invoquant l'article 5 de la Charte garantissant
la liberté des cultes, abrogeant les articles 291 et 294 du Code
pénal, et déclarait qu'il ouvrirait son oratoire. Le Maire lui
fit dire par le commissaire de police qu'il lui fallait l'autori-
sation du Gouvernement. Ce pasteur écrivit alors au Préfet,
qui s'adressa au Maire; celui-ci lui répondit ainsi qu'à
M. Billot, le 14 novembre. II se justifiait de toute idée de
2 _—
ee
persécution religieuse ; il ne faisait qu'exécuter la loi.
L'Administration municipale ne pouvait accorder d’autori-
sation de ce genre avant qu'on lui eût indiqué le local et
que la demande fût faite par les chefs de famille; enfin, il
ne redoutait pas l'opinion publique dont on le menaçait.
L'affaire alla au Ministre qui autorisa les protestants d'Arras
à se réunir à la condition que leur culte ne se manifes-
terait par aucun signe extérieur (1), et M. Thomas Langlet
fut autorisé à affecter une partie de sa maison à cette
destination (2).
On ouvrit dans le Propagateur une souscription pour les
frais de ce culte et on fit une inauguration du temple.
M. Dehée-Cayet, négociant à Arras, demanda au Maire
d'établir à ses frais une grue près du rivage pour le déchar-
gement des bateaux; il offrait pour cela de louer une partie
du quai. M. Raffeneau, ingénieur en chef des Ponts et
Chaussées, était favorable sous la condition qu'on devrait
l'enlever à la première réquisition du Gouvernement. Le
Conseil municipal nomma une Commission pour étudier
l'affaire. L'architecte de la ville fit un devis qui s'élevait
à 8,151 francs. Le Conseil municipal examina s'il fallait
mieux laisser l'exploitation de cette grue à un particulier
à charge de payer une redevance annuelle, ou la faire
(1) Le Propagateur attaqua l'Administration municipale avec beau-
coup de vivacité sur la malveillance qu’elle avait montrée dans cette
affaire. Le baron de Hauteclocque écrivit au rédacteur du journal, en
Janvier 1830, une lettre lui offrant de lui démontrer, dans une réunion
à l'Hôtel de Ville et de vive voix, l’inexactitude de ses accusations;
qu’il n'avait fait qu'exécuter la loi et que le Ministre lui avait donné
raison.
(2) Les réunions avaient lieu les dimanches et jours de fêtes protes.
tantes à 44 heures et à 3 heures du soir. En outre, les mercredis et
jeudis, il y avait réunion à 7 heures du soir. On commémorait l'anni-
versaire de la mort de Louis XVI et celle de Marie-Antoinette. Le
31 janvier 1830, le temple fut orné de draperies noires et le pasteur
Billot lut le testament de Louis XVI.
ee
gérer par un préposé. La solution de l'affaire se fit attendre,
elle n était pas arrivée en 1830.
Une question qui intéressait la ville d'Arras et le dépar-
tement, fut l'acquisition d'une partie des bâtiments de
l'ancienne abbaye de St-Vaast. Ils avaient été affectés à la
dotation du Sénat et, par une ordonnance du Roi du 4 juin
1814, à celle de la Chambre des Pairs, il fut question, dans
la session de 1828, de vendre au profit de l'État les anciennes
Sénatoreries. Une loi du 29 mai 1829 décida cette aliénation.
La ville d'Arras, depuis longtemps, jouissait de la Biblio-
thèque et de la partie du cloitre qui la longe. Le départewent
occupait une portion du grand eloitre où il avait nus ses
archives. L'autorité ecclésiastique désirait avoir à St-Vaast
le petit séminaire, car le Gouvernement devait fournir pour
cela un local. Le Préfet était d'avis de s'entendre avec
l'Évêque à ce sujet. Le Conseil municipal décida, ie 21 août
1829, qu'il achèterait une partie de l'ancienne Sénatorerie
ainsi que le jardin botanique. If proposa au Gouvernement
pour le paiement une redevance annuelle de 6,000 fr. (1).
Cet arrangement n'aboutit pas d'abord. Le 25 février 1830,
l'abbé Dubois proposa au Conseil municipal d'Arras, dont
il était membre, de s'entendre avec l'Évèque pour acheter
cette propriété en commun avec la ville. Celui-ci prendrait
la partie qu'il louait pour le petit séminaire. On répondit à
l'abbé Dubois que l'Évèque occupait seulement dans ce but
le dessus de la Bibliothèque. La ville désirait l'avoir. On
pourrait trouver dans Saint-Vaast un autre iocal pour le
même usage. Cette allaire ne se termina que plus tard.
Le Roi, le 6 août 1829, nomma conseillers généraux du
(1) Le Préfet, sur l'avis du Conseil Général, alla à Paris au Minis-
tère. On lui dit que les Domaines de la Couronne ne pouvaient être
aliénés que par voie d'échange contre des biens fonds. Il fallait donc
attendre le vote d’une loi qu'on proposerait et qui permettrait à l’'Admi-
nistration des Domaines de vendre ces biens dans la forme ordinaire.
Le Conseil du Roi était d'avis de les aliéner.
2 C0
Pas-de-Calais M. Le Sergeant d'Hendecourt, conseiller à la
Cour royale de Douai; M. de Rosny, ancien député à Bou-
logne ; M. Fontaine, député de cette ville; M. Brulé maire
de Montreuil, conseiller d'arrondissement; M. Isaac, négo-
ciant à Calais; M. Allent, propriétaire à Hames-Boucres.
C'était des nominations faites in extremis par le Ministère
de Martignac (1).
Les préliminaires du rapport du Préfet au Conseil général
sont très courtset ne font pas allusion à la situation politique.
M. Duquesnoy, quoiqu'il fût député, resta secrétaire, et
M. Lallart fut maintenu à la première Commission.
Le Conseil Général fut d'avis que les Frères de la Doc-
trine chrétienne étaient insuflisants pour l'instruction
primaire (2). [1 fallait une école normale pour former des
instituteurs. Les cours durcraient deux ans, il pourrait y
avoir de vingt à trente élèves. IT était question d'en former
une à Douai; le Préfet proposa d'y voter des bourses de
400 francs.
(1) Une partie de ces nominations indiquait le désir de ce Ministère de
se rapprocher de la gauche, en nommant M. Fontaine qui avait sup-
planté M. de Rosny aux dernières élections.
Le premier, dit le Propagateur, à sou arrivée au Conseil Géaéral
y fut reçu avec empressement, cordialité et reconnaissance. On verra
l'hostilité qu'il montra contre le Gouvernement.
Le Propagatleur, le 29 août 1829, disait : « C’est sur le patriotisme,
sur le zèle éclairé des membres constitutionnels composant notre
Conseil Général, que le département compte pour faire parvenir au Gou-
vernement le véritable vœu, le tableau fidèle de ses besoins, l’expres=
sion de ses pensées en ce moment. »
(2) Le Préfet, par un arrêté du 10 décembre 1828, avait établi des
Comités gratuits pour encourager l'instruction primaire. En 1829, il
décida que pour payer les frais qu'ils auraient à faire, on en ferait la
répartition entre les communes de leur ressort en proportion de la
population. Il avait proposé 600 francs, ce crédit ne fut pas autorisé,
Le Propagaleur attaquait les Frères qu'il appelait « Ignorantins »
et les entraves mises par l'Administration dans l’organisation de l'ins=
truction primaire.
— 80 —
Le département acheta à Montreuil l'Hôtel de Long-
villers pour en faire la sous-préfecture. Il s'occupa aussi
de l'achèvement de la cathédrale d'Arras, de l'acquisition
d'une partie des batiments de Saint-Vaast, et de la création
de nouvelles routes départementales, au moyen d'un million
produit par le vote de trois centimes additionnels extraor-
dinaires pendant huit ans à partir de 1831.
La discussion fut vive et.cette proposition ne fut adoptée
qu'à une voix de majorité.
On proposa de nommer des commissaires voyers. Il fut
question d'établir des courses de chevaux; on y renonça
dans le Pas-de-Calais, on se contenta de faire des concours
de chevaux comme il y en avait à Paris et à Alençon. Le
Conseil Général vota 4,500 francs de primes; un concours
eut lieu à Arras pour les chevaux de cet arrondissement et
de celui de Saint-Pol. Le Gouvernement donnait depuis
plusieurs années des primes d'encouragement aux culliva-
teurs s'occupant avec le plus de succès de l'amélioration de
la race chevaline.
La fête d'Arras eut lieu avec les divertissements accou-
tumés, concert de la Société Philharmonique, etc.
Il fit mauvais temps; la revue et la procession ne purent
avoir lieu (1). Il y eut cinq chansons de la fète (2). Le
(1) On composa à ce sujet les vers suivants imités de Virgile :
Le vent, la foudre et la tempête
Grondent la nuit comme le jour,
Cesar et Jupiter semblent, aurant la fête,
Se partager le monde et régner tour à tour.
(2) Chansons de la fête.
Il y eut cinq chansons de la fête, c’est l’année où elles furent le plus
nombreuses. Voici d'abord l'entretien de Jacqueline et Colas :
JACQUELINE
Ech° l’année chi tu n° dirau pon
Qu’ nous somm's atargës d' nou moésson,
J'ai fait implett’ d'in biau jupon,
A l’ ducass’ d'Arrau,
Nous irons Colau,
oi =
15 août 1829 eut lieu la distribution des prix du Collège (1).
Mais si vit’ nous nous dépéchonss
Adiu pour nous |’ procession
COLAS
D'pu |’ temps que ch' blé qu'il est quére,
Gn’a pu d' gambon dins nous armoëre,
A ch’ momint-lau faut pon ët' fière :
Du pain et.du bure,
Cha vaut ein friture,
Mais l’pir' je n° peux pu boire in coup;
Et j’ viens sé tout comme in coucou.
0...
COLAS
J’ai acaté des belles bottes,
Cha n° suit pon avec mes culottes ;
1 vaudrau miu que j’ suiv’ |’ mode
Ed tous chés jeun’s hommes
Epi d' tous chés crônes,
Comm: ch'là Je m' fraus raviser,
Sans chau je m’ fraus mépriser,
JACQUELINE
In port’ des rob's ed dr’ façon,
Chés manch's inflés comm’ des ballons,
Pour être comm’ ch'lau j’n'in vndros pon,
Faut pon qu’ chat’ chagreine,
Et j’ tu |’ dis sans peine.
Car i faudrau que j’ varos sotte
Pour mi mett’ in cotron d’ la sorte.
ss st
B. I.
2e chanson.
Vœux des habitants d'Arras dédiés à l'immortel Turennne en
l'honneur de l'anniversaire du 23 août 1828 de la levée du siège
d'Arras en 4654.
En mil six cent cinquante-quatre,
Vingt-cinq août, jour si chéri.
Tous nos uxîeux furent combattre
Pour chasser au loin l'ennemi.
Sous tes ordres, grand capitaine,
lis le battirent sur nes remparts,
= 89 —
M. Denissel obtint le prix d'honneur. L'abbé Herbet, prin-
Magnanime, inmortel Turenne,
Ré<çois nos vœux de toutes parts.
REFRAIN
Grand guerrier, tu verras
Toujours notre constance
Féter la délivrance
De la ville d'Arras.
Le tocsin fatal de nos peines
Pour nos malheurs allait sonner,
Ton bras furieux brisa les chaines
Que l'étranger voulait donner.
Tu parus dessus nos murailles,
L'ennemi fuit à ton aspect,
O foudre et vrai dieu des batailles,
Nous le disons d’un saint respect
REFRAIN
Grand guerrier, etc.
Nous célébrons ce jour naguèëres
Jour où le tenare chalumeau
Se fit entendre après la guerre,
Tout devient paisible au hameau.
Un père, une mère hors de peine,
Au loin des tracas des combats,
Bénissaient le vaillant Turenne.
Répétons comme eux ici bas.
REFRAIN.
Grand guerrier, etc.
lilustre fils de la vallance,
Héros si digne de renom,
Toi qui jadis, dès ton enfance.
Dormait sur l'affût d'un canon,
Dans nos cœurs. comme dans l'histoire,
Tes hauts faits resteront écrits.
Chaque an nous féterons la victoire
Du sauveur de notre pays.
REFRAIN
Grandiguerrier, etc.
cipal du Collège, âtitre provisoire, fut nommé définitivement
3e chanson.
LE JOUR DÉSIRÉ ou LA GAIETÉ D’ARRAS
Couplets en l'honneur de l'anniversaire d'aoùt 1654.
AIR : Nos amours ont duré une semaine.
Messieurs, d' l'an dernier, c’ n'est pas | même puête,
S’ ti là n’a pas tant d'esprit dans sa tête,
Mais sur le même air s'ii a fait ces couplets,
C'est qu’il a bien cru que c" l'air là vous plaisait.
Si ça vous convient chantez tous satisfaits :
REFRAIN
Le voilà revenu ce jour d'allégresse
Ce jour de bonheur si cher à nos cœurs,
Jour bien précieux,
Doux instants d'ivresse,
Oh! d'aussi beaux jours, bi
Pour nous devraient durer toujours. te
Beau vingt-cinq août, jour si mémorable,
Envers nos aîeux l'ennemi formidable.
D'un siège trop long nous avait harassé,
Turenne survint qui les a repoussés.
Chantons en l'honneur de nos malheurs passés.
REFRAIN
Le voilà, etc.
Il faut de tout cœur dans ces temps prospères,
Féêter le vainqueur qui dit à nos pères :
« Braves habitants, rentrez dans vos foyers,
Vous étant baitus comme de vieux guerriers,
Vous filerez vos jours à l'ombre des lauriers. »
REFRAIN
Le voilà etc.
Courses de bagues à cheval et danses publiques,
Comedie et bal, nombreuses musiques,
A maints jeux charmants, nons irons de bon cœur,
Tout cela pour fêter notre libérateur.
Couronnons son front et répétuns en chœur :
REFRAIN
Le voilà, etc.
es
M. Granoski, que nous avons vu professer un cours de
4e chanson.
Sur le même sujet.
Am : du Petit Tamboar.
L'étranger était à nos portes
Et nous préparait des verrous
Il fallait voir fuir ses cohortes
Quand Turenne fut parmi nous.
REFRAIN
Au bruit du son du clairon,
Des violons à perdre haleine,
Fétons le grand Turenne,
Ce guerrier de renvm,
Qui chassa l'ennemi bien loin
Par la mitraille et le canon.
L'ennemi se crut la victoire,
Nous forgeant des fers inhumains,
Mais le vainqueur couvert de gloire
S'en servit pour lier leurs mains.
REFRAIN
Au bruit, etc,
En ce jour pour nous si prospère,
Du vainqueur chantons les hauts faits,
Oublions les maux de la guerre,
Loin des combats chantons en paix.
REFRAIN
Au bruit, etc
ôe Chanson.
TOUS LES JEUX PUBLICS
Ronde en l'honneur de la levée du siège de la ville d'Arras en 1654,
AIR : Zurlurelle.
Accourez bons villageois
Pour vous unir à ma voix,
Venez au son des violons
Danser plusieurs rigodons,
Re —
géométrie descriptive (1) fut chargé de faire au Collège un
Que vos cœurs soient en délire
il faut rire,
Il fauc rire,
Rire, toujours rire.
Pour fêter d'aussi beaux jours
Qui devraient durer toujours,
Il vous faut à qui mieux mieux
Participer à tous nos jeux,
Je n'ai pas besoin de vous dire
Qu'il faut rire, etc.
Il faut jouer mes amis
Au jeu de paume au tamis
Et celui qui gagnera
Pour prix il emportera
Certains présents qu'on admire
Il faut rire, etc.
La comédie me plaira,
Sans argent un entrera
Car la salle doit être surtout
Dit-on, percée aux deux bouts.
Qu'on y donne Tapin, Zaire,
Il faut rire, etc.
L' feu d'artifice commencera,
Pour le voir chacun s’ pouss'ra,
Car tous ces fusées en l'air
Ça doit faire un feu d'enfer.
Je perds mes souliers, tant pire,
Il faut rire, etc.
Présenté aux Magistrats de la Ville d'Arras par leur respectueux
DeGanp, auteur-chansounier.
AnrAs. — Imprimerie Leclercq et Gorillot.
(1 p.81) Le discours fut prononcé par un jeune professeur de rhéto-
rique, élève de l’école normale, successeur de M. Sauvage. Il prit pour
sujet : « De l'excellence de la Morale dans les lettres et de l’incom-
parable union de la vertu et du génie. »
(4) Le Propagateur, à propos de la classe de philosophie du collège,
se plaignit qu’elle se fit en latin quand M. de Vatimesnil, Ministre de
l’Instruction publique, avait ordonné de la faire en français. Le profes-
seur disait qu'en la faisant en latin, on préparait mieux les élèves du
— 86 —
cours de mathématique, physique et chimie, ilne pouvaiten
obtenir la fonction définitive que s'il avait le diplôme de
bachelier ès-science, on lui donna pour cela jusqu'à 1830
On imprima le récit des distributions des prix de l'Ecole
de Médecine.
L'Académie d'Arras, pour remplacer l'abbé Dissaux,
nommé curé à Boulogne, élut comme membre de cette
Société, M. Léon d'Herlincourt. Il avait pour concurrents
l'abbé Dubois, M. Brégeant et M. Garnier, ingénieur des
mines pour le Nord et le Pas-de-Calais
Petit Séminaire, qui suivaient les cours du collège, à l'étude de la
Théologie au Grand Séminaire.
Le 14 mai 1829, le Conseil municipal décida que les élèves paieraient
la moitié de la rétribution scolaire. L’Évêque réclama, menaçant de
les retirer. Il alla à Paris, et M. de Montbel lui promit de faire con-
naître au baron de Hauteclocque son désir qu'on revint sur cette
décision. Le Ministre demanda que la remise ne s’appliquât qu'aux
séminaristes pauvres. Le Conseil municipal s’occupa de nouveau de
cette affaire et, le 4 mars 1830, maintint son premier vote à une
faible majorité et malgré l'avis du Maire. Le Propagateur dit que
c’est le premier échec administratif qu’il éprouva au Conseil municipal.
= 7 —
1830
AN sommes arrivés à l’année qui verra disparaître
3 la Royauté de la branche ainée des Bourbons. Cette
Famille illustre avait donné des siècles de bonheur à la
France et l'avait rendue glorieuse. Si on a suivi les événe-
ments qui amenèrent son renversement du Trône, on ne doit
pas s'étonner de ce dénouement. Il devait être suivi de
l'arrivée au pouvoir de gouvernements de rencontre devant
causer la déchéance politique, religieuse et sociale de notre
pays.
Le 1er janvier 1830 indiqua la gravité de la situation.
Charles X, en recevant les corps constitués, adressa ces
paroles à la Cour royale de Paris qui avait prononcé de
regrettables acquittements en faveur de journalistes accusés
d'attaques violentes contre la Monarchie : « N'oubliez
jamais les importants devoirs que vous avez à remplir:
prouvez, pour le bonheur véritable de mes sujets, que vous
cherchez à vous rendre dignes des marques de confiance
que vous avez reçues de votre Roi. » Ces mots semblaient
indiquer la volonté de se montrer énergique. Mais le vieux
Monsrque ne pouvait soutenir ce rôle; quand la Cour
royale alla des Tuileries au Palais Royal, elle y reçut des
d'Orléans l'accueil le plus distingué.
Les Chambres furent convoquées pour le 2 mars 1830.
Les journaux, prévoyant un coup d'État, engagèrent immé-
diatement une ardente campagne (1). Ce n'était pas seule-
(4) Les journaux royalistes disaient : « La Révolution et la Monar-
chie vont se trouver en présence; il faut que l’une étouffe l’autre. Les
révolutionnaires menacent la Couronne du retus du budget; nous les
en défions, la France ne peut cesser de vivre; qu'ils essaient d'arrêter
les services publics, de suspendre l'administration, ils verront. C'est
un acte de révolte contre l'autorité souveraine; il ne faudra au Roi
— 88 —
ment le changement d’un Ministère, mais le renversement
du Roi qu'ils avaient pour but. L'hiver était rigoureux et
la misère rendait les esprits plus hostiles. Il y eut de nom-
breux incendies, autre cause d’agitation.
Charles X, effrayé de cette situation, pensa à prendre un
Ministère moins désagréable à la gauche avec MM. Roy,
de Mortemart, de Martignac, etc. Cet essai ne lui avait pas
réussi. M. de Polignac, son ami, restait plein de confiance
et affirmait qu'il se procurerait une majorité à la Chambre;
il ne proposerait à celle-ci, dans cette session, que des
mesures d'intérêt matériel ou des lois d’une incontestable
utilité (1). Nous avons déjà vu combien ce Ministre était
que des baïonnettes, il n’en manquera pas. La partie est engagée, il
faut qu'on sache ce qu'il y a des deux côtés. Dans la lutte, c’est la
Royauté contre l’usurpation; il vaut mieux périr avec honneur dans
six mois que misérablement dans deux ans. » Ils traitaient fort mal
les électeurs à cent écus et les intrigants qui les soutenaient. Les
journaux de l'opposition, de leur côté, disaient : « La crise actuelle
est la plus décisive qui se soit présentée pour la Maison des Bourbons ;
la question des dynasties se trouve posée pour la quatrième fois en
France depuis que les baïonnettes étrangères y ont ramené cette
Famille. M. de Polignac a attiré l'orage. Le moment où ce Ministre
va se trouver face à face avec le pays est vivement attendu, car rien
de si humiliant pour un grand peuple que d’avoir chaque matin à
prévoir ou à déjouer les folies d’un Pouvoir à la fois menaçant et
méprisé. » On traitait les Royalistes de gentillâtres incorrigibles, de
terroristes convertis, de parvenus sans honneur, de Tartuffes sans foi,
de traîtres sans patrie, d’intrigants de toute espèce affamés de places
et d’appointements, de parasites du budget, etc. Dans le Wationul,
M. Thiers disait : « Si vous vous révoltez contre la loi ou si vous la
refaites, en vertu de l’article 44 de la Charte, on vous résistera, non
pas violemment, mais avec la légalité. La continuation de votre révolte
vous conduira à tirer le glaive. Or, l'Évangile nous a dit quel est le
sort de celui qui se sert du glaive. » On rappelait la Révolution
d'Angleterre de 1640.
(1) Au nombre des lois préparées, il y en avait une sur le duel, une
sur l'instruction primaire (1,500 communes se trouvaient alors sans
école). On devait s'occuper de règlements pour l'Armée et la Marine,
— 89 —
favorable aux grands travaux publics; c'était facile, car la
France était prospère et l'argent ne demandait qu'à trouver
un emploi. Ce moyen n'était pas suffisant pour calmer les
esprits.
La session s'ouvrit le 2 mars (1). À la messe du Saint-
Esprit, le Roi fut accueilli avec froideur. Pour la dernière
fois, il prononca le discours d'usage. Après avoir annoncé
la fin des hostilités entre la Russie et la Porte et le choix
d'un Roi pour la Grèce, il fit prévoir une expédition contre
le Dey d'Alger. Il parla des dépenses faites pour la défense
du Royaume et de la prospérité du Commerce et de l'Indus-
trie, de l'amortissement de la rente, etc. Élevant la voix, il
prononcça des paroles pour dire que les droits de la Couronne
étant sous la sauvegarde de la Charte, il surmonterait les
obstacles qu'on mettrait à l'exercice de son Gouverne-
ment (2). Cette partie de son discours devait avoir de
graves conséquences (3).
Ce qu'avait dit le Roi, il fallait le faire, maïs était-il néces-
saire de le dire ?
La lutte engagée dans la presse des deux partis redoubla
de violence. Les journaux royalistes disaient que ce discours
(1) Les députés du Pas-de-Calais furent présentés au Roi le 2 mars.
(2) Voici cette partie du discours royal :
« La Charte a placé les libertés publiques sous la sauvegarde des
droits de ma Couronne. Ces droits sont sacrés; mon devoir envers
mou peuple est de les transmettre intacts à mes successeurs.
Je ne doute pas de votre concours pour opérer le bien que je veux
faire. Vous repousserez avec mépris les perfides insinuations que la
malvetllance cherche à propager. Si de coupables manœuvres susci-
taient à mon Gouvernement des obstacles que je ne peut pas prévoir,
que je ne veux pas prévoir je trouverais la force de les surmonter
dans ma résolution de maintenir la paix publique, dans la juste con-
fiance des Français et dans l'amour qu'ils ont toujours montré pour
leur Roi. »
(3) Charles X très ému laissa tomber son chapeau, il fut ramassé
par le duc d'Orléans ; c'était un présage.
— 90 —
était l'expression des sentiments personnels du Roi (1) et
une nouvelle profession de foi aussi sacrée que celle de
Reims, Les écrivains libéraux prétendaient que c'était
l'œuvre de la contre révolution et devenaient plus menaçants.
La réponse au discours royal ne se fit pas attendre. La
Chambre des Députés proposa au Roi comme Président
cinq membres appartenant à l'opposition (2). Le Roi choisit
M. Royer-Collard.
Les fonctions de vice-présidents et de secrétaires furent
attribuées à des libéraux. Puis vint la discussion de l'adresse.
A la Chambre des Pairs, la majorité de cette assemblée,
malgré la nomination de sept nouveaux membres (3) n'était
pas favorable au Ministère. Le Président était le marquis de
Pastoret. Le projet de réponse eut pour rapporteur le comte
Siméon. On voulait donner au Roi une leçon enveloppée
sous la forme d'un dévouement respectueux. L'Adresse
fut votée sans discussion et M. de Chateaubriand prit seul
la parole sur l'ensemble du projet (4).
Le Projet de l'Adresse de la Chambre des Députés répon-
(4) La majorité des Ministres avait approuvé ce discours.
(2) La Chambre des Députés se composait de 361 membres, dont
450 appartenaient à la droite et au centre droit, 175 à la gauche et au
centre gauche. Restait une quarantaine de Royalistes, mécontents du
diseours du Roi et de la marche du Gouvernement ; ils se joi-
goirent à la gauche et lui donnèrent la majorité.
(3) Le Roi avait nommé pairs de France le marquis de Brancas,
le marquis de Tourzel, le marquis de Puivert, le comte de la Bour-
donnaie, le comte Beugnot, le général Vallé. L'opposition les appe-
lait les sept péchés capitaux.
(4) M. de Chateaubriand continuait son opposition au Ministère et
ea même temps faisait grand tort à la Royauté légitime. M. de Villèle
écrivait : « Il a bien plus d’esprit que moi, mais j'ai plus de jugement
que lui. Ce n’est pas l'esprit qui remplace le jugement, c’est le juge-
ment qui remplace l'esprit. » Dans son discours, Chateaubriand disait :
« Une révolution venant d'en bas est impossible, mais elle peut venir
d'en haut et sortir d'une administration égarée dans ses systèmes,
ignorante de son pays et de son siècle. »
0
dait avec beaucoup plus d'énergie à la malveillance et aux
coupables manœuvres, dont parlait le discours du Roi (1).
La lecture de ce projet fit une profonde impression, on
réclama une seconde lecture, puis survint la discussion,
elle fut vive des deux côtés, M. de Polignac n'avait pas
l'habitude des luttes parlementaires, Il prit pour le remplacer
deux de ses collègues MM. de Montbel et de Guernon-
Ranville qui prenaient souvent la parole. M. de Courvoisier
(1) Voici une partie de cette adresse :
« Au milieu des sentiments unanimes de respect et d'affection dont
votre peuple vous entoure, il se manifeste dans les esprits une vive
inquiétude qui trouble la sécurité dont la France avait commencé à
jouir, altère les sources de sa prospérité et pourrait, si elle se prolon-
geait, devenir funeste à son repos. Notre conscience, notre honneur,
la fidélité que nous vous avons jurée et que nous vous garderons
toujours, nous imposent le devoir de vous en dévoiler la cause.
Sire, la Charte que nous devons à votre Auguste prédécesseur, et
dont Votre Majesté a la ferme résolution de consolider le bienfait,
consacre comme un droit l'intervention du pays dans la délibération
des intérêts publics. Cette intervention devait être, elle est en effet
indirecte, sagement mesurée, circonscrite dans des limites exactement
tracées et que nous ne souffrirons jamais que l’on ose tenter de
franchir; mais elle est positive dans son résultat, car elle fait du
concours permanent des vues politiques de votre Gouvernement avec
les vœux de votre peuple, la condition indispensable de la marche
régulière des affaires publiques. Sire, notre loyauté, notre dévouement
bous condamnent « à vous dire que ce concours n'existe pas ».
Une défiance injuste des sentiments et de la raison de la France est
aujourd'hui la pensée fondamentale de l’administration; votre peuple
s’en afflige parce qu’elle est injurieuse pour lui; il s’en inquiète parce
qu'elle est menaçante pour ses libertés.
Entre ceux qui méconnaissent une nation si calme, si fidèle, et nous
qui, avec une conviction profonde, venons déposer daus votre sein les
douleurs de tout un peuple, jaloux de l'estime et de la confiance de
son Roi; que la haute sagesse de Votre Majesté prononce! Ses royales
prérogatives ont placé dans ses mains les moyens d’assurer entre
les pouvoirs de l'État cette harmonie constitutionnelle, première et
nécessaire condition de la force du Trône et de la grandeur de la
France. »
— 92 —
était malade. M. de Lépine, au nom de la Droite, demanda
qu'on sortit des voies effravantes que huit mois de licence
et de fermentation politique avaient préparées. MM. Agier
et Félix Faure appuvyèrent l'adresse. M. de Conny dénonça
la faction antipatriotique qui menacait la France de périls
imminents. M. de \Montbel chercha à justifier la conduite du
Ministère. M. Benjamin Constant voulut prouver que
l'Adresse n attaquait pas l'autorité Royale et qu'elle signalait
seulement un danger pour la défense du pays. Un discours
de M. de Guernon-Ranville fit une si profonde impression
que si on avait voté de suite, il aurait pu faire modifier
l'Adresse et ramener les royalistes dissidents. M. Dupin lui
répondit et déclara qu'on ne méconnaissait pas les droits du
Roi. M. de Chantelauze critiqua l'adresse commeinjurieuse
pour le Souverain, inconstitutionnelle et hostile à la Monar-
chie. Les trois premiers paragraphes passèrentsansdifficulté.
M. Delaborde atttaqua l'expédition d'Alger comme injuste
et téméraire. M. de Haussez, ministre de la Marine, lui
répondit. A près le rejet de plusieurs amendements qui adou-
cissaient le ton de l'Adresse, M. de Lorgeril en présenta un
qui, sans exprimer le refus de concours de la Chambre, le
faisait pressentir. Ce fut alors que débutèrent deux orateurs
politiques qui devaient jouer un grand rôle dans les débats
parlementaires. L'un était M. Guizot, nouvellement élu à
Lisieux. Il parla contre l'amendement de M. de Lorgeril, il
ne réunit qu'une trentaine de voix ; l'autre, M. Berryer,
s'exprima avec une grande hauteur de vues, il attaqua
l'opposition avec tant d'énergie que la Gauche cria :
« À l'ordre (1)! »
(1) Dans la discussion, on parla de l’irritation de la France contre
le Ministère. Un député, M. de la Boulaie, prétendit qu'elle ne se
manifesta d'abord que dans les journaux; si elle s'était ensuite éten-
due, la cause en était uniquement dans l'acharnement que les journa-
listes mettaient à en parler. Il suffit de dire à un homme dix jours de
suite : « Mun Dieu ! que vous êtes changé ! » pour qu'il finisse par se
2 De
[Il était sept heures du soir quand, le 15 mars, on procéda
au vote de l'Adresse, sur 402 votants, 221 se prononcèrent
pour l'adoption et 181 contre. Si les 30 royalistes dissidents
quiavaient soutenu l'amendement de M. de Lorgeril s'étaient
réunis à la droite, l'Adresse aurait été rejetée et les graves
événements qui allaient arriver et amener la Révolution de
1830 n'auraient peut-être pas eu lieu. Le vote eut un grand
retentissement dans le payset produisit une grande émotion
dans le Conseil des Ministres. Charles X prenant le bras de
M. Guernon-Ranville lui dit avec calme : « La Presse est
cause de tout le mal. » Il regrettait le manque de concours
des Députés, mais ses résolutions étaient smmuables..
En présence des menaces de l'Adresse, le Gouvernement
devait prendre un parti. M. d'Haussez croyait qu'on se
procurerait une majorité à la Chambre en déplaçant les
trente voix qui avaient assuré le triomphe de l'opposition, il
suffirait de quelques places, et de trois millions. Le Roi et
le Dauphin trouvèrent cette proposition immorale. Chercher
à vivre avec la Chambre actuelle, en évitant les questions
irritantes, était difficile. Renvoyer le Ministère pour en
“prendre un dans la Gauche, Charles X ne le voulait pas, car
c'était un acte d'ingratitude de sa part pour ses amis et ses
serviteurs dévoués, et cela n'aurait modifié la situation que
pour peu de temps. Restait la prorogation de la Chambre,
suivie de sa dissolution, ou un coup d'Etat.
: Charles X reçut le 18 mars la députation chargée de lui
présenter l'Adresse. Il montra beaucoup de calme et de
dignité ; il répondit que ses ministres feraient connaitre ses
intentions, et le 19 mars, ceux-ci portèrent à la tribune une
ordonnance Royale qui prorogeait les Chambres jusqu au
premier septembre. La violence des journaux avait redoublé
croire malade. Eh bien ! quand on répète dix jours de suite à un hon-
pète marchand, à un abonné de cabinet de lecture : « Mon Dieul que
vous êtes malheureux ! » il finit par en être convaincu... Ce sont votre
opposition, vos exigences qui empêchent de gouverner.
— di —
d'un côté comme de l’autre. Les Royalistes disaient : « Plus
de concessions ». C'était un appel à un coup d'Etat. Les
libéraux le combattaient et continuaient leurs violentes
attaques contre le Gouvernement (1). M. de Polignac, le
14 avril, présenta un rapport au Roi, (2) où il indiquait les
dangers de la situation, mais cet esprit léger croyait qu'il
surmonterait les difficultés et qu'en dissolvant la Chambre
on aurait de bonnes élections, il le fit croire à Charles X.
Il se trompait, car il était probable que les électeurs à cent
écus, indépendants et excités par les journaux et la presse
libérale renommeraient les députés de l'opposition et peut-
être en plus grand nombre. C'est ce qui eut lieu.
Le prince de Polignac chercha au moyen de M. de Sémon-
ville à créer au Gouvernement un appui dans la Chambre
des Pairs. Cet essai fut infructueux.
Le Ministère était indécis, découragé et parfois d'avis
différents. M. d'Haussez proposa de former des associations
(4) On reprochait au Gouvernement d’être clérical, les journaux libé-
raux prirent alors pour prétexte la solennité que le Gouvernement avait
donnée au transfert des reliques de St-Vincent de Paul, de Notre-Dame
à la chapelle des Lazaristes, rue de Sèvres. Dans d’autres circonstances,
le Gouvernement avait cherché à éviter cette accusation. On prétendit
que pour empêcher les attaques des journaux libéraux, lors du voyage
de Charles X en 1827 dans le Pas-de-Calais, un des motifs pour les-
quels ses Ministres l'engagèrent à ne pas aller à Boulogne était pour
qu’il ne renouvelât pas le vœu traditionnel que les Rois de France
firent, jusqu’à Louis XIV, à Notre-Dame de Boulogne.
(2) D’après le rapport de M. de Polignac, malgré une certaine agita-
tion intérieure, personne en France ne regardait comme sérieusement
possible le renversement de l’ordre de choses établies. Puis il énu-
mérait les avantages que les institutions constitutionnelles assuraient
à la France. Il regardait un coup d’État comme une déviation légère
et momentanée. Après avoir indiqué la situation prospère du pays À
l'intérieur et glorieuse à l'étranger, il trouvait le mal dans la Presse
et dans les Comités directeurs organisés par l'opposition. Il était
difficile d’y remédier et le Gouveraement devait se borner à éviter tout
prétexte de mécontentement pour le présent et tout motif de crainte
pour l'avenir. Ce n’était pas une solution définitive des difficultés. Le
ts —
royalistes pour lutter contre les associations libérales et de
rapprocher les troupes de Paris. M. de Polignac, toujours
rassuré, ne crût pas devoir l’appuyer (1). MM. de Guernon-
Ranville, de Courvoisier et de Chabrol, reconnaissant qu'ils
n'étaient plus à la hauteur de leur tâche, voulaient seretirer.
Le Roi appela M. de Villèle, les Centres lui étaient favorables,
mais il n'entrait pas dans les idées du Prince de Polignac,
il refusa de rentrer aux affaires. MM. de Bourmont et
d'Haussez étaient pour les mesures violentes, MM. de
Montbel et de Courvoisierleur étaient hostiles. On finit par
décider, le 21 avril, la dissolution de la Chambre (2). On
espérait en avoir une meilleure. Le clergé était favorable.
On se séparerait des fonctionnaires douteux et on recom-
manderait aux autres l'énergie. On chercherait à amé-
liorer la Presse Royaliste. Enfin, on décida l'expédition
d'Alger, sur les instances du Général de Bourmont et du
Dauphin, car une partie des Ministres y étaient opposés, à
cause des difficultés qu'elle présentait. On croyait que le
succès exciterait un enthousiasme patriotique qui ferait
changer l'esprit d'opposition se manifestant en France. On
se trompait. Un rapport du 30 mars fait par M. de Chabrol,
Ministre des Finances indiquant la situation prospèie des
finances de la France, fit peu d'effet, tant était grande l’agi-
tation politique (3).
moment était arrivé de mieux établir les prérogatives du Roi et celles
du Parlement. Il fallait avoir une Constitution dans le genre de celle
de l'Angleterre, etc.
(1) La marquise de Gontaut, dans ses mémoires, dit : « Polignac
était bon, loyal, aimait le Roi comme on aime sa mère, mais il était
faible, assez mal entouré, et ne doutant pas qu’il ne füt à la hauteur
des circonstances. »
(2) Le Ministère était divisé : M. de Guernon-Ranville opinait pour
la dissolution; M. de Montbel croyait qu'une proclamation du Roi
comme celle de Louis XVIII en 1816 ferait bon effet, c'était aussi l'avis
de M. de Villèle qui trouvait pourtant la dissolution dangereuse,
(3) En quinze ans, on avait payé 700 millions de contributions de
guerre; 250 millions de réclamätions particulières; les frais d’une
"Op
Dans un conseil des Ministres, on avait examiné deux
hypothèses : ou une Chambre nouvelle apporterait une
majorité au Gouvernement, ou ce serait le contraire. Dans
le premier cas, on modifierait la loi électorale, on voterait
des lois plus sévères contre la Presse. Dans le second cas, on
aviserait à ce qu'il y aurait à faire.
L'ordonnance royale dissolvant la Chambre des Députés
parut le 21 avril 1830. Les élections étaient fixées au 23 juin
pour les collèges d'arrondissement et au 25 pour les collèges
de département. L'ouverture de la Chambre nouvelle devait
avoir lieu le 3 août.
Une question dynastique se présenta alors : un décret de
Ferdinand VII, Roi d'Espagne, décidait qu’à défaut d'enfant
mâle dans la ligne directe, les filles succéderaient au Trône.
Ce fut l'objet d’une longue délibération dans le Conseil des
Ministres de France, car cela pouvait amener l'annulation
de la renonciation faite par la branche aînée des Bourbons
au Trône d'Espagne. L'Ambassadeur de France à Madrid
fit une protestation. Les événements politiques empêchèrent
d'y donner suite.
Les préparatifs de l'expédition d'Alger s'achevèrent au
mois de mars 1830 (1). André Doria avait dit à Charles-
Quint, se préparant à une expédition contre cette ville : « Il
y a trois ports excellents en Afrique: Juin, Juillet et Août.»
On voulut suivre son conseil. L'amiral Duperré fut mis à la
tête de la flotte avec le vice-amiral de Rosamel sous ses
occupation de 150,000 soldats étrangers et ceux des expéditions en
Espagne et en Grèce et de celle qu’on prépatait contre Alger. Le
budget des dépenses était de 932,766,288 francs. Les dotations, les
non-valeurs sur les quatre contributions, et les remboursements
et restitutions coûtaient 171,264,116 francs. Les services publics récla-
maient 661,502,172 francs. La dette flottante montait à 433 millions
dont il fallait déduire 58 millions dus par l'Espagne, etc.
(1) Le Propagateur du Pas-de-Calais, dans son numéro du 26 avril
1830, compara cette expédition à celle qu'avait faite Bonaparte en
Egypte en 1798.
— 99 —
ordres (1). Les troupes de terre étaient commandées par le
maréchal de Bourmont. Il avait été choisi par le duc d’An-
goulème. Trois divisions avaient pour chefs les lieutenants-
généraux Berthezène, Laverdo et le duc des Cars. Le maré-
chal de camp Lahitte commandait le Génie (2). Le maréchal
de camp Valazé, l'Artillerie. Le baron Denniée était à la
tête de l'Intendance.
L'Armée comptait 37,331 hommes et 4,008 chevaux dont
30,410 hommes pour l'infanterie avec 219 chevaux, et 539
hommes pour la cavalerie avec 493 chevaux (3). 11 y avait
en plus un parc de siège se composant de 82 grosses pièces
et 9 mortiers.
La Flotte comprenait 11 vaisseaux de ligne, 24 frégates,
7 corvettes de guerre, 26 bricks, 26 corvettes de charge et
7 bateaux à vapeur, divisée en trois escadres : une de
bataille, une de débarquement et une de réserve.
Il y avait un grand enthousiasme et une grande émulation
parmi les soldats et les matelots.
Voici le motif qu'on mit en avant pour faire cette expédi-
tion : le Dey Hussein laissait les pirates barbaresques
capturer nos navires; 1l exigeait des droits énormes pour
l'exploitation des bancs de corail. Le dernier grief fut un
affront fait à la France. Sous le Premier Empire, deux
Algériens, Baril et de Bussac, avaient fait des fournitures de
(1) L’amiral de Rosamel était artésien. Parmi les officiers apparte-
nant au départenant, se trouvait le capitaine Godard, fils d’un mare
chand d'Arras.
(2) Trois compagnies du Génie du régiment d'Arras composées de
300 hommes avec 4 officiers, firent partie de l'expédition ainsi que
M. Roguin, payeur du département du Pas-de-Calais.
(3) L’artillene comprenait 2,815 homimes et 1,246 chevaux; le
génie, 4,345 hommes et 117 chevaux; le train des équipages, 882
hommes et 1,302 chevaux ; les ouvriers d'administration, 688 hommes;
la gendarmerie 123 hommes et 31 chevaux; les officiers d'adminis-
tration et les employés 429 hommes et 354 chevaux; l’Etat-major,
410 personnes et 246 chevaux. 1
— 98 —
laine; ils réclamaient quatorze millions pour le paiement.
Le Dey prit leur cause espérant en tirer parti. De concert
avec lui, la dette fut réduite à sept millions, mais des
créanciers des deux Algériens firent opposition au paiement.
L'affaire, portée devant les tribunaux français, traina en
longueur. Le Dey écrivit directement au Roi de France
pour s'en plaindre. La réponse n'était pas encore parvenue
lorsque, pendant les fètes du Bairam, notre Consul se pré-
senta devant Hussein pour réclamer contre la saisie et la
vente de deux bàätiments romains capturés par les corsaires
algériens. Celui-ci lui dit : « Tu viens me tourmenter pour
une affaire qui ne regarde pas la France, quand ton maïitrene
daigne pas répondre à la lettre que je lui ai écrite pour une
affaire qui me concerne. » Le Consul lui répondit : « Un
Roi de France ne répond pas à un homme tel que toi. » Le
Dey se leva et le frappa d'un chasse-mouches en plumes de
paon. Pour obtenir réparation, la France envoya un capi-
taine de vaisseau avec une frégate. Hussein fit tirer à
boulets sur elle. I] ne restait plus qu'à déclarer la guerre.
Le Gouvernement, pour éviter des complications diploma-
tiques, pensa d'abord à employer Mohammed Ali, vice-roi
d'Égypte, comme lieutenant de la France; mais, sur les
conseils de l'Angleterre, il refusa. Le Gouvernement alors
résolut d'agir seul. On consulta les puissances étrangères;
aucune ne fit d'observations, sauf l'Angleterre qui demanda
par son ambassadeur le résultat que la France comptait
retirer de son expédition. Le prince de Polignac répondit
quelle vengeait son honneuret ne prenaitaucun engagement,
qu'elle s entendrait avec les autres puissances, si la Régence
était renversée. Ce fier langage ne ressemblait pas à la poli-
tique hésitante qu'on suivait dans les affaires intérieures.
Le # mai 1830, le duc d'Angoulème vint à Toulon où
élaient rassemblées la flotte et les troupes; il les passa en
revue en présence d'une foule immense. On fit un simulacre
de débarquement, Le 17 mai l'embarquement était terminé,
— 99 —
Laissons les vaisseaux, retenus par les vents contraires,
attendre jusqu'au 25 mai pour pouvoir mettre à la voile,
et revenons à ce qui se passait en France.
On se prépare à la lutte des deux côtés. La Société secrète
dite « Aide-toi, le ciel t'aidera, » avait succédé aux anciens
« Carbonari »; elle était dirigée par les chefs du parti libéral
et avait cherché à amener le refus de l'impôt. Elle redoubla
d'efforts pour triompher aux élections ct faire revenir à la
Chambre les 221. Aussitôt après le vote de l'Adresse, elle
organisa des banquets en leur honneur, la salle était ornée
d'inscriptions, on les regardait comme les sauveurs de la
Patrie, on leur portait des toasts. On n'attaquait pas encore
l'autorité royale, mais on criait : « Vive la Charte! » et
« Vivent les 221! » (1).
Charles X avait cru devoir opérer des changements dans
son Ministère, espérant trouver par de nouveaux choix, un
moyen d'arriver à triompher aux élections.
Le 19 mai, M. de Chantelauzc, procureur général à la
Cour de Grenoble, devint Ministre de la Justice, en rempla-
cement de M. de Courvoisier; M. de Peyronnet fut nommé
(1) Le 4er avril, un banquet fut offert par sept cents électeurs aux
députés de Paris qui avaient voté l’Adresse. M. Odilon-Barrot, prési-
dait. On ne porta pas de toast au Roi, mais aux trois Pouvoirs. On
avait suspendu 221 couronnes et on frappa une médaille commé-
moralive.
Un autre banquet eut lieu en l'honneur des députés du Nord et du
Pas-de-Calais qui avaient voté l'Adresse. M. Labbey de Pompièvre,
doyen d'âge de la Chambre, présidait. M. Benjamin Constant y assista,
Il y avait quatre-vingts convives dont cinq élèves de l'Ecole de Droit
et quatre de l'Ecole de Médecine; ils appartenaient au Nord de la
France. M. Desportes porta un toast au oi où il disait : « Ea vérité,
il est de notre devoir de déposer au pied du Trône nos vœux pour
convaincre Charles X que, sans la rigoureuse observalion de la Charte,
il ne peut exister de bonheur pour les Bourbons ni pour la France. »
Il fut applaudi. Frédéric Degeorge porta un toast au Président de la
Chambre Royer Collard, qui, en présence d'un Ministère provocateur,
a montré un bel exemple de courage civil. Il y eut d’autres toasts,
— 100 —
Ministre de l'Intérieur, à la place de M. de Montbel qui
passa aux Finances,remplaçant M. de Chabrol; M. Cappelle,
préfet de Versailles, fut chargé du Ministère des Travaux
publics. On comptait beaucoup sur lui pour diriger les
élections, car on le disait très capable en cette besogne. Le
choix le plus important était celui de M. de Peyronnet (1);
il avait figuré dans le Ministère de M. de Villèle et devait
défendre les lois sur le droit d'ainesse et le sacrilège ; aussi
était-il peu sympathique aux libéraux. On voit que c'était
un Ministère de résistance; mais comment allait-on l'em-
ployer ? L'opposition avait organisé dans tous les arrondis-
sements des Commissions consultatives pour éclairer les
électeurs libéraux sur leurs droits. Des commis-voyageurs,
des agents parcouraient les campagnes pour exciter les
électeurs de ce parti; on leur faisait parvenir des journaux,
des pamphlets; on employait les affiches et on allait jusqu'à
s occuper du transport et de la nourriture des électeurs ;
avant tout, il fallait obtenir la réélection des 221.
Revenons à l'expédition d'Alger. Le Gouvernement avait
demandé le 17 mai, aux Évêques, des prières publiques (2).
(4) M. de Chantelauze avait une grande confiance dans la politique
et l'habilcté de M. de Peyronnet. Celui-ci l’avait également en lui-
même, ce qui lui avait souvent nui. Il traitait ses collègues de pessimistes
et affirmait que tout irait pour le mieux. La Magistrature le détestait.
C'était un choix malheureux.
(2) Voici le mandement de l'Évéque d'Arras, il est daté du
24 mai 1830 :
« Une puissance barbaresque s’est permis d'insulter l'Ambassadeur
de notre Roi. Cet outrage a retenti dans tout le Royaume et a frappé
droit au cœur Charles X, justement jaloux de la gloire de la France.
Le l’etit-Fils de Saint Louis s’est armé pour punir l’insolence du Deyÿ
d'Alger. Le pavillun français, habitué à la victoire, se déploie contre
l'Afrique. Le sable brûlant de ce pays et la barbarie de sœ habitants
ne sauraient arrêter l'armée française. Rien ne l’a jamais effrayée ;
elle a combattu les éléments. On pourrait aussi dire qu’elle a su en
triompher. Le drapeau des Lys, en Afrique comme en Europe, ue
cessera d'être l’oriflamme de l'honneur, de la bravoure et de la gloire.
— 101 —
La flotte, arrêtée par des vents contraires, ne put que Îe
14 juin débarquer les troupes sur la plage de Sidi Ferruch.
Elles furent accueillies par le feu des redoutes établies sur
les hauteurs voisines, et par les coups de fusil d’une masse
considérable d'Arabes embusqués dans les broussailles. Le
Mi de Bourmont les fit aborder à la baïonnette, enleva les
redoutes et dispersa les douze à quinze mille Arabes dont
le feu inquiétait les troupes débarquées; puis il établit son
camp et le défendit par des retranchements. Le 15 et le 16,
il n'y eut que des feux de tirailleurs ; le 18, l'ennemi con-
centra la masse de ses forces sur le plateau de Staouëli pour
nous attaquer le 19. Mais ce fut le maréchal de Bourmont
qui prit l'offensive; ses colonnes s'avançant calmes, fermes,
compactes à travers une foule confuse d'Arabes, luttant au
hasard, sans direction, sans ordre, foudroyée par notre
artillerie, arrivent aux deux redoutes construites en avant
du camp ennemi et sur leurs batteries, les abordent et les
enlèvent. Les Arabes fuient abandonnant leur camp, leurs
tentes et leurs munitions. Les quatre jours suivants, il n'y
eut que des engagements de tirailleurs où les ennemis, grâce
à la nature du terrain, nous firent beaucoup de mal. Le 24,
les Algériens, revenus de leur épouvante, se portèrent au
nombre de 20,000 sur les positions avancées du camp de
Cependant, quelque garantie que nous présente une guerre aussi
justement entreprise, quelque confiance que nous avons en nos braves
soldats, nous ne pouvons pas ne pas reconnaître que toute force vient
du Ciel, et que le succès des grandes entreprises est dù à la protection
du Dieu des armées. A l'exemple des Rois, ses pieux ancêtres,
Charles X vous appelle en conséquence au pied des autels. Il vous
demande vos vœux el vos prières en cette circonstance. Vous ne les
refuserez pas au Père de la Patrie. Sa voix nous est connue et clle est
toujours celle de la justice et de l’houneur. »
Mgr de La Tour d'Auvergne ordonna des prières publiques.
— 102 —
Staouëli (1). Les Français les repoussèrent et nos troupes
allèrent s'établir à Sidi-Kalef, mais leur position était
dominée par des hauteurs sur lesquelles les Algériens
avaient établi deux batteries qui nous firent éprouver des
pertes assez notables. Le convoi qui portait la grosse artil-
lerie et les chevaux du train débarqua la plus grande partie
du matériel le 27 juin. Le 28, deux divisions se dirigèrent
vers le point culminant du large groupe de montagnes, à la
base duquel Alger est assise. La troisième division marcha
contre un fort, situé au-dessus de la ville, appelé le Château
de l'Empereur parce que Charles-Quint l'avait construit
quand il attaqua Alger. Il était armé de 120 canons de gros
calibre et de mortiers à bombes. Les plus habiles canon-
niers du Dey et 1,500 janissaires avaient juré de s’ensevelir
sous ses ruines, La tranchée fut ouverte le 30. Une vive
canonnade démolit une partie des murs de la forteresse et
les obus en décimèrent la garnison. Hussein, voyant que
la résistance n'était plus possible, ordonna l'évacuation
du fort, et, au moment où nos troupes montaient à l'assaut,
il fit sauter la tour centrale, écrasant assiégeants et assiégés.
Il envoya ensuite un parlementaire pour traiter de la paix,
acceptant toutes les conditions qu'on voudrait exiger; il fit
intervenir le Consul d'Angleterre pour faire accueillir sa
demande, Le maréchal de Bourmont lui déclara qu'il eùt à
se rendre à discrétion, que nonobstant la France le laisserait
aller où il voudrait avec ses femmes et sa famille. Quant à
la milice turque, elle pourrait également se retirer. Les
habitants conserveraient l'exercice de leur religion, leurs
lois et leurs mœurs. Les propriétés seraient respectées ainsi
que le commerce et l'industrie. Le Dey accepta ces condi-
tions et partit pour Naples.
(1) L'armée du Dey, outre ses troupes, comprenait des contingents
amenés par les Beys de Constantine et d'Oran. Hussein avait appelé
tous les croyants à sa défense. Son armée comptait 45 à 50,000 hommes
presque lous cavaliers, | |
— 103 —
Le 5 juillet 1830, vingt-et-un jours après le débarquement,
l'armée faisait son entrée dans Alger et ouvrait les portes de
la Casbah aux prisonniers chrétiens qui y étaient enfermés.
On trouva 48,684,527 francs, plus pour 11,000,000 de
denrées et 1,540 bouches à feu; l'expédition avait coûté
48,000,000 de francs (1). On devait ce succès qui donnait à
la France une belle colonie, surtout à l'habileté de l'amiral
Duperré et du maréchal de Bourmont.
La nouvelle de la prise d'Alger était arrivée à Paris le
5 juillet (2). Le Roi écrivit le 10 de ce mois aux Évêques pour
demander qu on chantât dans toutes les églises un Te Deum
d'action de grâces pour remercier Dieu de cette glorieuse
victoire. Mgr de La Tour d'Auvergne fit un mandement où
il disait « que cet heureux évènement devait amener l'union
du pays et du Roi (3). Dans les villes du Pas-de-Calais les
(1) Oa fit une souscription publique pour couvrir les frais de cette
expédition. À Arras, elle fut ouverte chez le Receveur général. Le
vicomte de Cazes, le vicomte Blin de Bourdon, M. de la Rivière secré-
taire-général, le comte de Lonverval, le marquis Lejosne-Contay, etc.,
y prirent part. :
(2) À Arras, on célébra la prise d'Alger le dimanche 28 juillet. On
sonna le carillon et les cloches de toutes les paroisses. On tira des
boîtes, le drapeau blanc fut arboré sur les édifices publics et l'on
invita les habitants à faire de mème. Il y eut Te Deum, parade mili-
taire sur la Grande Place, bal champêtre aux Allées, bal paré à la
Mairie et illuminations.
(3) Voici le mandeinent de l'Évèque d’Arras daté du 12 juillet 1830.
Après avoir célébré notre victoire, il fait des vœux pour qu'elle amène
l'apaisement des esprits et la réunion des cœurs :
« Le Seigneur vient de faire éclater la magnificence de sa protection
sur les armées de notre foi; toujours miséricordieux et bon envers
le plus juste et le meilleur des Princes, il a béni ses généreux desseins,
et la justice de sa glorieuse entreprise. Alger, cet antique repaire de
barbares et de pirates, s'est soumis à nos lois. O France ! à ma Patrie!
lève-toi ! abjure les dissensions qui te travaillent et te consument, et
reconnais la puissance du Très-Haut qui a brillé sur toi. Une victoire,
telle qu'aucun autre Monarque n'a pu obtenir encore, couronne déjà
tes efforts magnanimes. Les peuples de l'Afrique sont à tes genoux.
— 104 —
administrations municipales organisèrent des fêtes. Mais
Ils s’éclaireront bientôt à ta lumière. Ils se livrent à la sagesse de ton
Roi. Vois tes mers redevenir libres, tin commerce renaître et refleurir,
et les richesses du Midi se mêler aux précieuses ressources de ton
abondance. Plusieurs de tes enfants avaient voulu humilier leur Père.
Hélas ! que n’osent-ils encore pour affliger une âme si belle, un cœur
si généreux? Mais le Seigneur, qui, sans doute dans sa colère, a
permis un aveuglement si étrange, a jeté un regard de prédilection
sur Charles X et, appréciant ses intentions et ses vues, il en a récom-
pensé la pureté par l’abaissement de ses ennemis du dehors. Puisse
une aussi brillante victoire, et dont les suites seront si avantageuses
pour la France, rallier autour du plus sage des Monarques tous les
enfants de la même famille ! Lorsque le fier et sauvage Africain s’est
rendu à discrétion aux armes de Charles X, nous, peuple civilisé,
nous qui sommes à Lui, pouvons-nous vouloir méconnaître les droits
et les prérogatives de son sceptre et chercher à ébranler les colonnes
de son trône, lorsque son pavillon a porté la gloire du nom français
jusqu'aux extrémités de la terre. Lorsque le Dey vaincu lui assure la
soumission des puissances barbaresques, nous, formés à toutes les
vertus civiles, pourrons-nous nous plaire encore dans le tumulte des
factions, pour avoir le funeste plaisir de paralyser les conseils de
notre Roi et d'entraver l'exercice d’une autorité toute paternelle ?
Mais, songez-y bien, si tels étaient les desseins impies de quelques
hommes, /a France, selon l'expression d'un publiciste de nos jours,
ne veut pas que le Rot rende son épée et ne devienne prisonnier des
factions quelles qu'elles soient. Ah! n'est-ce pas que l'hymne de la
reconnaissance que nous allons chanter sera pour nous l’hymne d’une
réconciliation générale : plus de divisions! plus d'orages! plus de
tempêtes! Désormais, au milieu de nous, la force des armes de
Charles X a vaincu la barbarie. Voilà l’œuvre de la gloire de notre
Roi ; laissons-lui faire aussi l’œuvre de la sagesse en cédant avec plus
de confiance à ses hauts et augustes desseins. Alors les vengeances
du Seigneur s'éloigneront de nous, et nous verrons enfin la France,
triomphante et glorieuse, goûter à l'ombre du Trône la douceur d’une
paix inaltérable. Plein d'espérance que la reddition d’Alger sera pour
nous l'époque à jamais mémorable de la réunion de nos esprits et de
nos cœurs, et pour satisfaire en même temps aux intentions religieuses
du Roi, nous ordonnons qu’on chantera un 7e Deum dans toutes les
églises de notre diocèse et on y invitera les autorités, »
— 105 —
il n’y eut guère que les édifices publics qui furent illuminés,
si on en croit le témoignage suspect du Propagateur.
Qu'allait-on faire de l'Algérie? Le Gouvernement, le
20 juillet 1830, résolut de conserver sa conquête bien que
cela déplût à l’Angleterre. On fit une expédition malheu-
reuse sur Blidah. Le Bey d'Oran se soumit, il n'en fut pas
de même des habitants du centre de l'Algérie, ils devaient
lutter longtemps.
Hélas! le sentiment patriotique était tellement assoupi
par la violence des luttes politiques, qu'au lieu de tenir
compte à Charles X du grand service qu'il rendait à la
France, quelques jours après on renversait son Trône.
Voici ce qui se passa alors dans le Pas-de-Calais :
M. le baron de Hauteclocque, Maire de la ville d'Arras,
était un homme intelligent, énergique. On avait pensé à
le nommer Sous-Préfet de Saint-Omer, pour essayer de faire
réussir la candidature du vicomte du Tertre; mais il préféra
rester Maire d'Arras. Il fut également question de lui comme
Président du collège électoral de cette ville. Nous verrons plus
tard qu'en juillet 1830, en faisant exécuter les ordonnances, il
courut de sérieux dangers. Le Gouvernement allait sans
doute récompenser ses services par le titre de gentilhomme
ordinaire de la chambre du Roi, dignité que possédait le
vicomte Blin de Bourdon; quand la Révolution de 1830
empêécha qu'il n'obtint cette faveur (1).
L'hiver fut très froid en 1830. Déjà la misère avait été
grande en 1828 et 1829, le pain avait été cher; il en fut de
(4) Le Ministre d'État, Pair de France, Intendant général de la
Maison du Roi, fit savoir au baron de Monbel, Ministre de l'Intérieur,
que le nom de M. le baron de Hauteclocque serait présenté au Roi. Il
espérait qu’il lui accorderait le titre de Gentilhomme de la Chambre.
Le baron de Monbel écrivit, le 7 mai, au baron de Hauteclocque qu'il
serait heureux lui-même d’applaudir à cette nomination, à laquelle il
avait contribué par sa recommandation.
(Voir : Arch. nation., dossier F, 16 II, Pas-de-Calais, 13.)
— 106 —
même pendant l'hiver de1830(1); les ressourcesdu Bureau de
bienfaisance furent insuffisantes. En 1826, on avait voté une
taxe additionnelle de 10€ p. °/, sur les droits de l'octroi, et
l'autorisation dela percevoir avait été accordée sous la condi-
tion que les boissons en seraient exceptées. En 1829, on orga-
nisa une souscription, on fit de même en 1830. Le Maire
adressa aux habitants d'Arras un lettre pour exciter leur
charité (2).
(4) La cherté du pain amena une réclamation du Supérieur général
des Frères de la Doctrine chrétienne à Paris. Il écrivit au Directeur
de la Maison d’Arras le 45 janvier 1830, pour qu'il demandät à la ville,
vu la cherté des denrées, d'augmenter la pension des Frères. Il repré-
senta que la situation de leur école d’Arras était fort misérable. Il n’y
avait qu'une centaine de francs en caisse. Le linge était usé; on avait
2,700 francs de dettes et les Frères avaient dù avancer mille francs
pour parer aux plus pressants besoins. Ils avaient été victimes d’un
vol dans leur maison de la rue du Calvaire, et les auteurs n’avaient
pas été trouvés. On pouvait venir à leur secours sans blesser pour cela
leur vœu de pauvreté. La ville, en 4829, avait voté pour eux 700 fr.,
le Préfet autorisa le Mont de Piété à leur prêter 400 fr. Heureusement,
ils avaient reçu, en 1825, un legs de la veuve Leclerc consistant en
deux mesures et demie de terre, et en 1826, 6,000 fr. de Me Dourlens.
Elle voulait encore leur faire un legs, ainsi qu'une autre personne, ils
pouvaient les accepter sans blesser leurs vœux de pauvreté; ce n’était
pas, comme le bruit en avait couru, pour servir à entretenir un frère
surnuméraire.
(2) Voici la lettre que le baron de Hauteclocque adressa aux habi-
taats d'Arras le 30 janvier 1830.
« Jusqu'ici, tant que je l’ai pu, j'ai täché, de concert avec le Conseil
municipal et le Bureau de bienfaisance, de pourvoir aux plus pressants
besoins des malheureux de cette ville, dont la position vraiment critique
inspirait le plus pressant intérèt.
Constamment occupé de leur situation, j'ai à diverses reprises appelé
les résolutions du Conseil sur ce point. La sollicitude de l’Administra-
lion municipale a été continuellement occupée de cet objet. Mais la
misère étant arrivée presque à son comble, la rigueur du froid, sa
durée, la chéreté du pain, le manque de travail étant venus aggraver de
plus en plus la position déjà assez déplorable des pauvres, et rendre tout
à fait insuffisante la distribution extraordinaire que l'Administration et la
— 107 —
On reçut à la Mairie 8,089 fr. 40, chez le Receveur général
3,942 fr., total 12,041 fr. 95 (1).
charité font depuis plusieurs mois; les ressources ordinaires municipales
étant d’ailleurs épuisées aujourd'hui ; j’ai pensé que le meïlleur moyen
à employer était d’intéresser en leur faveur votre générosité particu-
lière. Après avoir consulté le Conseil municipal, unanime sur ce point,
et encouragé par les heureux résultats qu’a produits, l'an passé, une
mesure semblable dans un conjoncture presqu'aussi difficile, je viens
avec une entière confiance faire de nouveau appel à votre charité.
J'ose espérer que ma voix sera entendue comme alors de mes conci-
toyens. Ce que les cœurs généreux et sensibles ont déjà fait, m’est un
sûr garant de ce qu’ils feront encore. Les habitants d'Arras, qui déjà
pous ont donné de si touchants témoignages des sentiments qui les
animent, ne refuseront pas de seconder nos efforts en cette occasion,
et, je l’espère, avec d'autant plus de confiance que des circonstances
aussi malheureuses ne devront plus, nous l'espérons, forcer l’admi-
nistration à réclamer désormais de votre part de nouveaux sacrifices.
Pour vous faciliter les moyens de concourir à une œuvre digne de
toucher si vivement l’humanité, j'ai l’honneur de vous annoncer qu’à
partir de demain (vu l'urgence) une souscriprion sera ouverte comme
l’année dernière à l'Hôtel de Ville, chez M. le Receveur municipal, et
qu'il se trouvera à la mairie une bourse particulière destinée à recevoir
les offrandes des personnes qui ne voudraient pas être connues. Comme
il importe beaucoup de donner de l’ouvrage aux ouvriers indigents
sans travail, et qu’à l'égard de ceux-ci ce moyen de secours leur est le
plus profitable, le produit de ces dons volontaires sera employé en
secours extraordinaires de chauffage ou autres, selon l'occurrence des
besoins les plus impérieux et aussi à payer les journées d'ouvriers
reconnus indigents, sans travail et soutiens d'une famille pauvre, qui
seront employés à l’atelier de charité que nous avons organisé et que
l’Administration muvicipale se verrait forcée de supprimer sans ce
secours. L’Administration municipale, par mon organe, s'abandonne
avec confiance à l’espoir bien doux qu’elle a conçu de trouver aujour-
d’hui, dans ses administrés, une nouvelle preuve de leur charité et de
leur sensibilité envers les besoins des malheureux. Ce sera pour nous,
en particulier, une bien noble récompense de nos soins et de notre
zèle pour les intérêts de cette ville.
Je suis..., etc. »
(1) Voici l'emploi du produit de la souscription :
Au Bureau de bicnfaisance d'abord 2,400 fr., puis 3,822 fr. ; achat
de denrées, 1,559 fr. ; paille pour paillasser, 6€ fr.; chauffoir, 38 fr. ;
— 108 —
Le Maire prit un arrêté au sujet du prix du pain (1). La
neige, la glace, plusieurs dégels avaient rendu la circulation
dans les rues difficile, le baron de Hauteclocque prit un
arrêté pour le bris des glaces (2). Le 14 mai, le Conseil muni-
cipal tint une séance où il fixa le budget de 1831 :
Les Dépenses ordinaires furent évaluées à 258,137 fr. 30; -
Les Dépenses extraordinaires à ....... 28,931 fr. 20 (3);
Les Recettes furent évaluées à......... 287,435 fr. 70 (4);
Excédent des Recettes....... se | 367 fr. 20.
ateliers de charité, 2,250 ; impressions, %6 fr.; secours divers. 63 fr.
498 couvertures coùtèrent 1,745 fr. 25.
(1) Cet arrêté, daté du 22 juillet 4830, disait : « La récolte de 1829
ayant donné une quantité supérieure à celle de 1828, il convient, aujour-
d’hui que le blé a atteint un certain degré de sècheresse, de procéder
à une nouvelle épreuve, afin de s'assurer si les bases suivies depuis
1829, sur la fixation de la taxe pour le pain, sont applicables cette
année. Le Syndic des boulangers assistera à l'épreuve ainsi qu’une
Commission d’essayeurs. » Le Maire, par son arrêté, les remercia.
(2) Dans un {er arrêté, le Maire avait ordonné de casser et d’amon-
celer les glaces; ce fut inefficace. Par un deuxième arrêté du 25 jan-
vier 4830, il chargea le commissaire de police de prendre toutes les
mesures utiles pour enlever les glaces. On travaillait avec ardeur et
on employait les pauvres, quand un troisième dégel rendit ces moyens
insuffisants. Le Maire décida qu'on percevrait une taxe, ce qui donna
lieu à une polémique avec le Propagateur. Pourtant, ce journal
demandait l'enlèvement des neiges. Il avait d'abord discuté le droit ;
mais il écrivit ensuite « qu'il avait trop de confiance dans l'autorité
paternelle qui nous régit, pour se plaindre ; mais la décision du Maire
était tardive ». Plus tard, il prétendit qu'on avait commencé par
dégager la rue Saint-Aubert, le Maire habitant près de là et devant
donner une soirée. Certains propriétaires refustrent de payer la taxe
et, malgré la plaidoirie de Me Luez, combattue par le commissaire de
police, ils furent condamnés. Les débats durérent neuf jours. L'affaire
alla en cour de cassation qui donna raison au Maire.
(3) Comme dépenses extraordinaires, on vota 2,400 fr. pour meubler
la Salle des Concerts, et 10,000 fr. pour établir un établssement de
jauge et poids publics. Ge crédit ne fut voté que grâce à la voix du Maire.
15,000 fr., destinés à l'Eglise du faubourg Saint-Sauveur, étaient
portés au budget des dépenses.
(4) Le tarif de l'octroi sur les boissons ayant été supprimé, c'était,
pour la ville, une perte de 15 à 18,000 francs.
— 109 —
Le Conseil municipal et le Maire eurent avec M. Bénard
des difficultés et un procès au sujet du curage du Crinchon,
qui avait causé le chômage de son usine, ce qui amena
contre le Maire de violentes attaques du plaignant (1). On
demanda au Gouvernement d'allouer au Collège d'Arras les
bourses qu'il accordait aux Lycés d'Amiens et de Rouen.
Le Maire fut autorisé à acheter à Lille, pour la chapelle du
Collège, une belle copie du Christ en Croix de Van Dyck.
Le Conseil municipal tint sa dernière séance sous le Gou-
vernement de Charles X, le 18 juillet 1830. Le dernier arrêté
du Maire est du 7 juillet, il concerne un transit de savon
vert.
Le 25° régiment d'Infanterie légère quitta Arras pour aller
à Valenciennes; il détachait un bataillon à Béthune; il fut
remplacé par le 1° régiment de Ligne, venant de Boulogne
et Ardres, colonel de Lison; il y avait encore des aumôniers
dans les régiments. Les Carabiniers étaient toujours à
Arras; on y établit une Compagnie de discipline.
Le camp de Saint-Omer existait encore. Le {°r de Ligne
y alla en 1830. Un détachement, composé de douze hommes
du régiment du Génie, commandé par un sergent-major, fut
envoyé à Paris pour construire au château de Bagatelle un
simulacre de redoute pour amuser le duc de Bordeaux.
Le service anniversaire de la mort de Louis XVI fut
(1) Le baron de Hauteclocque avait fait nommer adjoint M. Bénard et
il eut d’abord avec lui de bonnes relations ; mais, M. Bénard cessa d’être
adjoint. Le Conseil municipal avait décidé le curage d’un abreuvoir
alimenté par le Crinchon, doat le cours faisait tourner le moulin de
poterne appartenant à M. Bénard. Les travaux amenèrent le chomage de
cette usine pendant trois semaines. Une gelée de 149, suivie d'une funte
de neige comblant la fosse nécessitée par le curage, causa encore
un chômage de quinze Jours. M. Bénard obtint de la Préfecture le
droit de poursuivre la ville en dommages et intérêts. Il fit imprimer
un Mémoire intitulé « Réflexions et documents pour servir à l'intelli-
gence des faits et de notoriété aux actes qui établissent ses droits en
indemnité de chômage ainsi que de preuves aux abus de pouvoir et
— A10 —
célébré par l'Évèque d'Arras le 21 janvier (1). L'église était
tendue de draperies noires avec des fleurs de lys d'argent et
des franges blanches. On plaça sur la chaire les armes de
France.
Monseigneur de la Tour d'Auvergne fut reçu par le Roi.
MM. Traxler et Bourgois formèrent une Société commer-
ciale pour la construction de machines de toute espèce,
telles que moteurs à vapeur, moteurs hydrauliques, etc.
M. Crespel-Dellisse, fabricant de sucre, avait abandonné la
4
construction des machines utiles à son industrie; il leur
céda le brevet qu'il avait pris conjointement avec un ingé-
nieur anglais, pour les chaudières d'évaporation et les
d'autorité imputés au baron de Hauteclocque, maire d'Arras, avec cette
adresse : À mes Juges, à mes Concitoyens, au Public. » Le Maire et
le Conseil municipal, qui avaient examiné la réclamation et le procès
dont les menaçait M. Bénard, furent indignés de ce que contenaient
contre eux ces mémoires. Une plainte fui déposée par le baron de
Hautcclocque pour injures et diffamations contre un fonctionnaire
public à l’occasion de ses fonctions. Me Artaud, qui occupait le siège
du Ministère public, démontra à l'audience que M. Bénard avait épuisé
toutes les formes de l'injure et de la diffamation, en traitant le
Maire de despote, de tyran et d'hypocrite. Il avait aussi attaqué le
Conseil municipal. M. Bénard présenta une défense écrite et reprocha
au Maire d'empêcher les citoyens de critiquer ses actes. Depuis un an,
voilà 5 à 6 procès qu'il intente à ses administrés. Depuis l'établissement
des communes sous Louis le Gros, jamais la mairie d'Arras n'a fatigué
les tribunaux de tant de poursuites judiciaires. Il continue en atta-
quant l’administration du baron de Hauteclocque. Me F'érot, avocat de
M. Bénard, prit ensuite la parole pour justifier son client au point de
vue juridique, etc. Le tribunal le condamna pour diffamation à cent
francs d'amende, à la suppression des passages injurieux de son
Mémoire et aux frais du procès. Le /’ropagyateur prit fait et cause
pour M. Bénard.
(1) Un ouvrier en mettant des lampions à la porte du baron de
Coupigny, se tenait à une fleur de lys en bois placée sur la porte; elle
cassa el il tomba. Le Propaguteur dit : « C’est une simple coïncidence
avec la candidature à la députation du baron de Coupigny. »
— 111 —
appareils cannelés. L'emplacement de cette usine était rue
du Calvaire, à Arras.
Le 1° mai, on découvrit rue Ernestale, dans un jardin où
se trouvait autrefois une partie de l’église des Jésuites, un
caveau où était un coffre en bois plombé soutenant un vase
de forme antique. D'après la forme du vase, un parchemin,
et l'étoupe dont était enveloppé le corps, c'était un person-
nage important du XVI° ou du XVII: siècle.
En 1830, au Théâtre d'Arras, on joua Nergate ou Les
Voleurs de Londres. Un beau décor représentait cette prison.
La troupe de comédie était sous la direction de M.Tony.lifit
jouer Marie Stuart et Françoise des Ursins; ces deux rôles
furent interprétés par Mlle Dufresnoy. La troupe d'opéra
comique débuta le 15 janvier 1830 par Marguerite d’Anjou
et une pièce nouvelle (alors) la Muette de Portici, avec une
élégante mise en scène; Mazaniello parut à cheval sur le
théâtre. M. Bertéché, le directeur, quittait les mêmes fonc-
tions à Mons et avait pour associé M. Dalenne. Il devait
diriger longtemps la troupe d'opéra d'Arras.
M. Bracquehay vint jouer du violoncelle dans un concert
à Montreuil-sur-Mer.
On vendit la prévôté de Saint-Michel par Arras avec
23 hectares de jardins et pâtures.
En 1830 moururent l'Evêque contitutionnel Porion (1);
(4) L'Évêque Porion était né à Thièvres en 1743. Il mourut le
20 mars 1830.
Le Propagateur publia, le 23 avril 14830, un article nécrologique,
sur cet oratorien. On yÿ voit qu’il devint un des secrétaires de Mgr de
Beaumont, Archesèque de Paris; puis professeur au Collège militaire
de la Flèche; en-eigna la philosophie à celui d'Arras. Nommé curé
constitutionnel en l'église Saint-Nicolas en cette ville, l'assemblée
départementale l'élut, eu 1791, Evêque du Pas-de-Calais en résidence
à Saint-Omer, à la place de M. Duflos, aacien curé d'Hesmond qui
refusa cette fonction. Quand l'Evêque Porion fit son entrée dans sa
ville épiscopale, les autorités lui firent une brillante réception. C'était
le soir, la Société des Amis de la Constitution alla à sa rencontre à
— 112 —
M. Delgorgue, magistrat (1); M. Enlart de Grandval,
ancien conseiller au Conseil d'Artois(2); le capitaine Langeot
condamné à mort en 1821 lors de la conspiration de Belfort;
M. l'abbé Lemaire, grand pénitencier du diocèse, vieillard
fort respectable; M. Reboulh de Veyrac, décédé subitement
à Hendecourt-lez-Cagnicourt, c'était le père du substitut
d'Arras.
M. de Staplande fut nommé juge auditeur à Arras.
Boulogne-sur-Mer, le 5 février, cette ville fut autorisée à
prendre pour armoiries : d’or à trois tourteaux de gueules et
en abime un écusson de même chargé d'un cygne d'argent. On
réunit les armes du comté de Boulogne à celles de la ville.
une lieue de la ville. Il était à pied. D'après ce journal, il fut reçu au
milieu des acclamations et à la lueur des illuminations. En 1793, il
renonça à ses fonctions; il devint défenseur officieux. Il épousa
Mile Gardhan, fille d’un officier irlandais ; il devint notable de la
municipalité de Saint-Omer, puis, peu de temps, président de l’Admi-
nistration municipale. Parti en 1802 pour Paris, il y vecut dans
l'obscurité, s'occupant surtout de l'éducation de sa fille unique et de
littérature ; il composa de médiocres vers latins, un commentaire de
la Grammaire de Lhomont et d’autres ouvrages. Toujours, d'après le
Propugateur, il avait une figure paternelle et austère.
La Gazette des Cultes du 8 avril 4830 a publié une notice sur lui.
(1) Il mourut à Douai à 80 ans. Il fut d’abord avocat au Conseil
d’Artais, juge suppléant à la Cour des affaires commerciales du Nord,
substitut du Procureur général à Douai, puis conseiller à cette Cour.
(2) M. de Grandval mourut à Arras, le 13 avril 1830, à 94 ans. Il
fut conseiller au Conseil d'Artois à 30 ans. Procureur général du Roi
près cette Compagnie, fut jeté en prison sous la Terreur. Après cette
funeste époque, il s’occupa de la cuiture des lettres dans l'antiquité,
de la langue et de la littérature biblique, et, à 90 ans, traduisit en
vers « avec chaleur et inspiration » les psaumes du prophète David.
M. Thelliez de Sars, Président du Tribunal d'Arras, prononça son
oraison funèbre au cimetière de cette ville. Il avait épousé Anne de
Lavacq.
Le Propagateur a publié sa biographie dans son numéro du
16 avril 1830.
— 113 —
Une ordonnance royale du 21 mars 1830 autorisa le legs
fait par M. de Lalande au Musée de cette ville.
Le 9 juillet, le Roi de Wurtemberg s'arrêta à Boulogne,
et le 24 octobre la Société d'Agriculture de cette ville fit
rétablir la pierre rappelant le lieu où on avait distribué les
croix lors de l'institution de l'ordre de la Légion d'honneur,
On commença de grands travaux dans le port de Boulogne.
Le moment des élections approchait, les Royalistes étaient
divisés, la politique du prince de Polignac ne contentait
pas tous les monarchistes. Du côté des libéraux régnait
l'union et nous avons dit les efforts qu'ils faisaient pour
triompher, aidés par une presse intelligente et énergique,
et par les Comités cantonaux. Au commencement de mai,
les Préfets faisaient espérer au Gouvernement d'obtenir à
la Chambre des Députés, par les élections, une majorité de
trente à quarante voix.
Le Ministère choisit les Présidents des collèges parmi les
royalistes d'opinions modérées. On retarda les élections
dans vingt départements, sous prétexte que les listes des
électeurs se trouveraient incomplètes, si on n'avait pas
donné aux Cours royales le temps de statuer sur les récla-
mations (1).
Le Ministre de l'Intérieur écrivit au vicomte Blin de
Bourdon, le 26 mai 1830, pour qu'il lui proposät dans le plus
bref délai : 1° le lieu de réunion des collèges électoraux;
2° les Présidents; 3° des renseignements sur les candidats
qui se présentaient en indiquant ceux dont il regardait
l'élection comme certaine, ceux dont elle était douteuse,
(1) Ces départements dépendaient des Cours royales de Paris, Rouen,
Orléans, Angers, Metz, Pau et Nimes. D’après M. de Vanlabelle, les
électeurs liberaux y étaient en grande majorité et devaient triompher,
ce qui serait un mauvais présage pour les élections du 3 juillet, tandis
que si le Ministère obtenait la majorité dans les autres circonscriptions
on pourrait mieux lutter dans celles dont on avait retardé la réunion
électorale. Ce fut une mesure inutile,
8
mAfiie
et les collèges qui paraissaient irrévocablement acquis aux
adversaires du Gouvernement.
La première chose qu'on fit, fut de nommer les présidents
des collèges, c'était un moven d'indiquer aux électeurs Îles
préférences du Gouvernement pour le choix des députés.
Mais ce moyen qui avait réussi au retour de la Monarchie
légitime, n'avait plus guère d'influence. On nomma, pour
présider les collèges d'arrondissement du Pas-de-Calais :
à Arras, M. Le Roux du Châtelet, ancien député (1); à Bou-
logne, M. du Wicquet, baron d'Ordre, inspecteur des forêts;
à Aire, le vicomte du Tertre; à Ilesdin, le baron de Cou-
pigny. Pour le grand collège, le marquis de Tramecourt,
Pair de France.
Le Gouvernement devait de plus choisir ses candidats.
À Arras, il était difficile de renverser M. Ilarlé, l'un des
221, car sa position était forte; la seule personne qu'on
pouvait lui opposer était M. Le Roux du Châtelet, son
ancien concurrent. [Il avait joué à la Chambre des députés
un rôle assez important, tandis que M. Ilarlé en avait eu
un très effacé.
À Boulogne, la situation n'était pas meilleure, car cette
circonscription, longtemps royaliste, avait conservé le sou-
venir de l'Empereur (2), et était devenue le centre du parti
(1) M. Le Roux du Châtelet écrivit au Ministre pour lui témoigner
sa reconnaissance.
(2) On adressa à M. M.-X., chevalier de la Légion d'honneur, les
vers suivants :
Toi, qui pour ton pays cembattis tant de fous,
Toi, qui réponds au cri de la France alarmee,
Qui viens défendre encore et la Charte et nos lois,
Vieux suldat de la vieiile Armée.
Eh quoil preux cavalier, aux champs clos de Thémis,
Avec les gens du Roi, tu sus rompre la lance,
\iais pour les irriter, quel crime astu commis ?
Lâche et vil déserteur. as-tu trahi la France P
Meéprisant tes serments aux jours du danger,
As-tu livré ses fils au fer de l'étranger ?
Ou, vil conspirateur partageant la doctrine :
. 1e
libéral dans le Pas-de-Calais. M. Fontaine, son député,
d'abord donna des gages à la Monarchie iégitime, puis,
gauné par l'opposition, dont les journaux ne cessaient de
répéter que c'était la noblesse et le clergé qui prétendarent
administrer seuls les affaires de l'Etat, M. Fontaine était
devenu l'un des 221 (1). Il présidait, pour le Pas-de-Calais, la
Ligue du refus de l'impôt » (2); c'était un concurrent redou-
table par sa considération et par son influence; il était l'oncle
de M. Adam, banquier. M. de Rosny, l'ancien député, ne vou-
« Que le but ubsout les moyens »,
Par une internale machine,
As-lu donné la mort à tes concitoyens?
Non! Non! à ton pays tu fus toujours fidéle,
Nuün' tu n'as point ourdi de trame criminelle,
nn ns mt sommes soso est
Tu plaignis l'infortune et lui donnas des pleurs.
nn mms esse
Bientôt disparaitront les lâches imposteurs
Attaquant nus lois venerecss
Cherchunt à désunir et leurs adorateurs
Et le Roi qui les a jurées.
Alors on demandera qui detencit nos droits,
Et ton nom graundira dans la France ealmée,
Foi, qui pour lun pays combattis tant de fois
Vieux soldut de la vieille Arince.
(1) Les libéraux de Boulogne envoytrent aux électeurs de l'arron-
dissement de Boulogne une circulaire qui, étant en faveur de sa
candidature à la députativn, fut reproduite par l'Annotateur et que
le Parquet poursuivit.
(2) Après la session de la Chambre, le a avril 1830, les libéraux de
Boulogne organistrent, au Cirque des Arts, un banquet en l'honneur
de M. Fontaine. On voyait, au milieu de guirlandes et de drapeaux, le
buste de Charles X eutouré de noms et de légendes dont le choix
n'était guère en harmonie avec les principes du Gouvernement. Après
l'audition de plusieurs discours, on porta un toast au Roi et à la Charte.
« 1ls sont inseparables », disait l'orateur. Puis on but à la santé de
M. Fontaine, aux 221, à la mémoire de Hambden (il refusa l'impôt à
Charles Ier, Roi d'Ansicterre), à la Magistrature, à l'union intime et
à la prospérité des villes de Calais et de Boulogne. On fit une quête
pour les pauvres.
— 116 —
lait pas se présenter, car il avait plus de chance de réussir
au grand collège. Le vicomte Blin de Bourdon et le baron
Le Cordier, Sous-Préfet de Boulogne, pensèrent à M. Allent,
conseiller de l'Etat, député du Pas-de-Calais, homme de
valeur, royaliste d'opinion modérée; il s'était abstenu, lors
du vote de l'Adresse. Le Préfet le proposait pour présider
le collège; mais, le Ministre de Peyronnet trouva que sa
conduite n'avait pas été assez franche lors de ce vote (1).
Le maire de Boulogne, M. Grandsire de Belleval, parut à
l'Administration être un candidat ayant des chances de
réussir. C'était un royaliste d'opinion modérée et jouissant
d'une grande considération (2). Le bruit de sa candidature
(1) Voici ce qu’écrivait le Préfet du Pas-de-Calais au Sous-Préfet de
Boulogne, le 30 avril 1830, en réponse à la lettre que celui-ci lui avait
euvoyée par une ordonnance arrivée à Arras à 3 heures 1/2 du matin:
« Ne parlez à personne de ce qui concerne M. Allent, d'autant
plus que le Ministère y répugne beaucoup et ne s’y déciderait qu'à la
dernière extrémité. Je ne crois pas qu'il voudrait même le nommer
président, tant la concession lui parait grande ; on a été mécontent de
lui, et on me saurait peu de gré d’une victoire aussi pâle. Vous insis-
tiez dans votre dernière lettre pour M. Grandsire comme candidat et
président, je suis convaincu que le Gouvernement le verrait avec plaisir.
Croyez-vous qu'il ait des chances de succès, comme il est allié à quel-
ques libéraux, il pourra par là obtenir quelques voix, il lui en faudrait
seulement six puisque vous m'avez dit que les libéraux ne l'empor-
taient que de dix voix dans votre collège sur les royalistes.
Je suppose que dans votre calcul, vous avez compté la totalité des
électeurs, tant ceux de Boulogne que ceux de Saint-Omer et de Mon-
treuil, compris dans la circonscription. Vous ne m'avez donné aucune
explication sur ce point, au reste cela ne changerait que bien peu de
chose à mes calculs, car parmi les électeurs fournis à votre collège,
par les arrondissements de Saint-Omer et de Montreuil, il yen a
autant de droite que de gauche, et plutôt au profit de la gauche d'après
les statistiques de vos cullégues. Je désire seulement être fixé à cet
égard et j'attends un mot de réponse. »
(2) Après avoir fait ses études à la faculté de droit de Paris, M. Grand-
sire fut reçu avocat au Parlement, en 1786. En 1790, il remplit les
fonctions de subdélégue de la province du Boulonnais. En 1794, membre
du Conseil Général de la commune de Boulogne. Le 40 août, ilcontribua
— 117 —
s'étant répandu, des royalistes ultras de Boulogne, dès le
25 mai 1830, envoyèrent directement au Ministre de Pey-
ronnet un mémoire, soi-disant confidentiel, contre le choix
de M. Grandsire, proposant à sa place M. Vasseur, l'ancien
maire, ou M. de Berthier, dont on vantait le dévouement au
Roi et les talents distingués (1). Le Sous-Préfet ne lui était
à un arrêté pris par cette Assemblée contre les révolutionnaires ; aussi,
en 1793, il fut destitué. Il reprit ses fonctions en 1794. En 1802, il
élait maire de Wimille, membre de la Société d'Agriculture de Bou-
logne. En 1803, membre affilié de l’Académie de législation ; en 1805,
conseiller d'arrondissement de Boulogne ; en 1806, président du canton
de Marquise ; en 1810, président du tribunal des douanes de la direc-
tion de Boulogne; en 4814, membre de la députation chargée de pré-
senter à Louis XVIII l'hommage des habitants de l’arrondissement de
Boulogne; en 1815, il se rendit à Paris comme volontaire royal pour
la défense du Roi; en 1815 et 1816, président du collège électoral de
Boulogne; en 4816, membre du Comité d'organisation de la Garde
nationale de l'arrondissement de Boulogne et chef de cohorte; en 1824,
1822, 1828, en l'absence du Sous-Préfet, il en remplit les fonctions ;
en 1825, président de la Commission de l'inspection des chemins
vicinaux du canton de Samer.
(1) Ce mémoire était assez long, écrit en style pompeux ; on y disait
que l'administration de M. Grandsire de Bellevalle comme maire de
Boulogne avait été déplorable. On lui reprochait d’avoir faitnommertrois
conseillers municipaux d'opinion bonapartiste, dont deux avaient signé
l'acte additionnel aux constitutions de l’Empire; sous son administra-
tion, on avait transformé la chapelle de l'ancien séminaire en musée,
et le Conseil municipal avait décidé le rétablissement de l'enseignement
mutuel, si défavorable « à cette jeunesse si chère à Dieu, au Roi, et à
l'avenir de la Patrie, et cela malgré l’avis de la majorité du Conseil
d'instruction ». On citait les paroles de Mgr de Pressy, l'avant
dernier évêque de Boulogne : « Seigneur! sauvez le Roï!, bénissez sa
famille, conservez la maison de Saint-Louis, et faites que tous ses
enfants soient imitateurs de sa foi. »
Les partisans de M. Grandsire, d'un autre côté, disaient qu'il avait
créé une école gratuite de musique, contribué à faire exécuter les
travaux du port, enfin que sous son administration la dette municipale
avait diminué de 150,000 francs.
Il avait remplacé, le 25 mai 1828, comme maire, M. Vasseur
démissionnaire,
— 118 —
pas favorable, lui croyant, dit-on, peu de chances. On pensa
au Président du collège, le baron d'Ordre, qui avait donné
une bonne impulsion rovaliste à ses agents, mais il n'en
avait pas davantage.
Au milieu de toutes ces hésitations, M. Grandsire de Bel-
leval ayant connu les menées ourdies contre lui, eut une
explication avec le Sous-Préfet au sujet de ce qu'il qualifiait
de calomnies, et, non seulement refusa la candidature (1),
mais donna sa démission de maire (2). M. de Berthier vou-
(1) M. Grandsire de Belleval écrivit très confidentiellement au
Préfet, le 28 mai 1830 :
« J’éprouve un vif chagrin de vous causer quelques contrariétés. Je
vous avoue que j'en suis désolé. Je ne saurais adhérer aux propositions
que vous me faites. Je n’ai pu vous dire à Boulogne ce que je pensais
à l'égard de la présidence pour ce qui me concernait, puisqu'alors il
ne s'agissait nullement de moi et qu’il fut toujours question de M. de
Berthier ou de M. d'Ordre, dans le cas, où les candidats seraient pris
parmi les habitants de l'arrondissement. J'ai d’ailleurs de nouveaux
motifs pour refuser à Boulogne la candidature à la présidence; ce serait
une mesure inutile, excepté dans le cas où le candidat serait étranger
à l'arrondissement. Au reste, la conversation que je viens d'avoir avec
M. le Sous-Préfet de Boulogne, me détermine à une retraite complète.
Dévoué totalement au Roi et flatté d'obtenir les suffrages de mes
concitoyens, j'aurais pu consacrer mon existence à le servir encore,
mais J'apprends que l’intrique et la calomnie agissent contre mot
auprès des électeurs et auprès de vous-même, M. le Vicomte, cette
circonstance me détermine entièrement et non seulement je persiste
dans ma premiére résolution à l'égard de la présidence, mais encore
je crois devoir vous prier de faire agréer ma démission de la place
de maire de Bouloyne. La bassesse des intrigants qui vous entourent
se découvrira. »
(2) Le Ministre de l'Intérieur écrivit au Préfet, le 2 juin 1830 :
« J'ai reçu vos lettres des 24 et 29 mai, je ne puis qu'approuver
vos différentes propositions et je crois devoir me borner à vous
recommander de ne rien négliger pour assurer le triomphe des
intérêts monarchiques. Ce que vous me dites au sujet de M. Grandsire
ne doit pas le décourager, s'il est le seul qui vous paraisse avoir
quelque chance de succes contre M. Fontaine; 1l ne doit pas se laisser
arrèter par les intrigues dont il est devenu le but. L’appui du Gouver-
— 119 —
lait aussi se retirer, on pensa à M. de Rosamel père. Pour
sortir de cet imbroglio, le Sous-Préfet et M. de Rosny,
crovant qu'un étranger avait seu] quelque chance de réussir,
décidèrent M. de Berthier à accepter la candidature (1).
Le Sous-Préfet multiplia les démarches et les efforts pour
le faire triompher. Le Procureur du Roi, Lardear, s'efforca
de s'assurer le concours des juges de paix qui avaient une
assez grande influence (2}et de la Chambre de Commerce de
nement et la confiance du Roi le défendront avec honneur contre les
attaques dont il est l’objet. Veuillez donc le faire revenir sur sa
détermination, puisqu'elle aurait le résultat fâcheux de favoriser un
choix hostile que vous devez repousser de lous vos soins et de tous
vos efforts. Je compte sur votre zèle actif et dévoué, et je vous prie
de me faire successivement connaître la situation électorale dans votre
département. »
(4) Voici une lettre écrite par l'abhé Haffreingue au Préfet, le
46 juin 1830 :
« Je vous demande excuse d’avoir différé jusqu'à ce jour à répondre
à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de nr'écrire le 8 courant. Je
ne pouvais rien vous dire de positif touchant l'élection de M. de Ber-
thier. Aujourd'hui, cette élection me paraît assurée, si Calais consent,
comme on a lieu de l’espérer, à nous donner quelques voix. Depuis
votre passage, nos autorités, et surtout le Sous-Préfet et le Procureur
du Roi, vont très bien. Toutefois, les royalistes de Boulogne et de
Calais ne vous rendent pas toute la justice que vous méritez. Je ne
veux pas m'occuper d'élections pour les motifs que j'ai eu l'honneur
de vous exprimer. Mais cela ne m'empéchera pas de faire connaitre
en temps opportun, à M. de Berthier, tous les soins et le zèle que
vous avez mis à assurer son élection. »
(2) M. Lardeur éerivit au Préfet, le 17 juin, qu'il était content de la
plupart des juges de paix de l'arrondissement et de leurs suppléants, sauf
à Calais. Le Sous-Préfet fit une démarche auprès de lui, mais sans
obtenir autre chose que des phrases sur la délicatesse de ses senti-
ments, sur le régime de la légalité où on vivait, ete., mais il n'avait rien
promis. S'il ne voulait pas se déclarer, le baron Le Cordier le signa-
lerait au Procureur général: un exemple plus tard serait utile, Quant
à son suppléant, il n'y avait rien à faire; il avait déclaré qu'il voterait
pour M. Fontaine. Le juge de paix d’Ardres avait toujours été d'opi-
pion libérale ; il faisait ouvertement des démarches pour le candidat de
cette ville. Comme on craignait le vote de Calais, le baron
Le Cordier fit savoir par le maire, M. Bénard, à la Chambre
de Commerce de cette ville que le Gouvernement verrait avec
plaisir son concours politique,enreconnaissance des travaux
que le Gouvernement avait décidés pour améliorer le port.
ce parti et déclarait franchement qu’il userait de tout son pouvoir.
Il avait une grande influence sur son canton et sur ceux d’Audruicq,
Calais et Guînes. Il pourrait faire échouer l'élection du candidat roya-
liste. Le Sous-Préfet avertit le Procureur général qu'il ferait bien de
lui écrire. Le Gouvernement jugea que leur conduite politique n'avait
pas été régulière puisqu'il les destitua après les élections; c'était
trop tard.
D’après la proposition du Sous-Préfet, M. Wissocq, président au
tribunal de Boulogne, accepta d’être secrétaire du bureau électoral.
« C’est un moyen d’avoir sa voix ; c’est tout ce qu’on peut en attendre. »
M. Lurdeur écrivit au Préfet, le 48 juin 1830, que la circulaire qu'il
avait envoyée aux juges de paix avait été communiquée par l’un d’eux
à l’Annotateur de Boulogne qui l’avait publiée ainsi que la réponse faite
par ce juge de paix. Il avait fait également publier sa circulaire dans
la Boulonnaise et l'avait fait répandre partout. Il ajoutait que les
libéraux faisaient distribuer dans les campagnes, par les employés des
douanes, plusieurs de leurs instructions. A l’exception du directeur,
qui malheureusement était un peu faible, tous les agents de cette admi-
nistration étaient détestables.
« Il y a beaucoup de fonctionnaires qui ne peuvent pas se persuader
que le Gouvernement conservera son énergie et se montrera sévère en
même temps que juste envers ceux qui l’auraient abandonné et trahi.
Aussi, beaucoup de suppléants de juges de paix et de greffiers m'ont-
ils écrit avec une réserve qui indique assez qu’on ne peut compter sur
eux. d’autres s'expriment plus positivement. Mais, je suis convaincu
que ce ne sont que des hypocrites qui ne font rien de ce qu'ils pro-
mettent. Dans cet état de choses, nous ne pouvons avoir confiance
qu’en nous-mêmes; aussi, nous n’épargnous aucune démarche pour
ramener les gens les plus abordables ; nous ne désespérons pas encore
de la réussite, mais nous avons les plus grandes craintes, et, si Calais
n’est pas pour nous, la partie est perdue d'avance. La destitution du juge
de paix X°*"” est indispensable et frapperait de terreur les Calaisiens.
» I! faut absolument renouveler l'esprit de l'arrondisssement de Bou-
logne par le renvoi de fonctionnaires qui depuis si longtemps ont aidé
à le pervertir. » |
— 121 —
La Chambre répondit qu'elle conserverait son indépen-
dance (1). Le Sous-Préfet écrivit au Préfet que le canton de
Boulogne allait assez bien; si tous les cantons étaient dans
les mêmes dispositions, on pourrait compter sur un succès.
A Aire, le Gouvernement espérait réussir. M. le vicomte
du Tertre, député sortant, avait repoussé l'Adresse ; il était
du pays et d'une famille riche et considérée. Il avait
eu une brillante carrière militaire. C'était le député
du Pas-de-Calais qui avait pris le plus souvent la parole, et
il l'avait fait avec talent pendant la dernière session. Il
s’occupait surtout des questions concernant l'armée. M. Le
Sergeant de Bayenghem, également député sortant, appar-
tenait au parti royaliste, mais faisait partie du centre droit,
(4) Voici la lettre que la Chambre de Commerce de Calais écrivit
au maire de celte ville, le 21 juin 1830 :
« Nous avons reçu la lettre que vous nous avez fait l'honneur de
nous écrire, par laquelle vous nous annonciez que M. le Sous-Préfet
vous a communiqué une lettre de Son Excellence le Ministre de l’Inté-
rieur dans laquelle il rappelle que nous avons obtenu, par une faveur
spéciale, une Chambre de Commerce, et fait sentir combien il nous
importe que nous concourions à envoyer à la Chambre des députés
des mandataires qui méritent la confiance du Gouvernement. Vous
nous avez fait aussi communiquer individuellement par le secrétaire
de la mairie, une autre lettre de M. le Préfet d’après laquelle il paraît
que l'intention du Gouvernement est d'accorder ou de refuser les tra-
vaux du port selon que nous voterons pour ou contre le candidat
ministériel.
Nous devons vous témoigner le double étonnement que nous causent
ces communications. La première, comme Chambre de Commerce,
nous paraît diamétralement opposée à la loi qui nous a institués pour
nous occuper des améliorations du commerce et non de la politique
qui est absolument étrangère à nos fonctions.
La seconde, qui aurait peut-être été plus convenable si elle avait été
directe de votre part, nous parait aussi opposée à l'esprit de la loi des
élections d’après laquelle les votes doivent être nécessairement secrets.
Nous avons.., etc., les Membres de la Chambre de Commerce. »
Signé : Jacques Leveux, Reisenthel, Guillebert, C. Matis, Alexandre
Pocquet, Willez, Ch. Devot, Bénard et Henry Dupont, Président.
était d'opinions moins prononcées que le vicomte du Tertre.
Absent de a Chambre, lors du vote de l'Adresse, il ne faisait
pas partie des 221.
Le Gouvernement ne pouvaitavoir deux candidats officiels,
il donna la préférence au vicomte du Tertre, ce qui déplut
sans doute à M. de Bavenghem, qui désirait rester député,
et le rendit peu disposé à soutenir la candidature d'un autre.
Les libéraux désiraient présenter un candidat appartenant
au centre gauche et choisirent M. Harlé, fils du député
d'Arras. Mais il n'était connu, dans la circonscription d'Aire,
que des personnes qui l'avaient vu lors de ses tournées
comme Receveur général. Les voix des libéraux n'étaient
pas suffisantes pour assurer son élection. Pour triompher,
il fallait détacher en leur faveur une partie des voix des
partisans de M. de Bavenghem. Pour arriver à ce résultat,
l'opposition emplova, dit-on, un moven qui lui réussit. TI
était diflicile que celui-ci les soulint ouvertement après les
sentiments rovalistes qu'il avait manifestes lors du vovage
de Charles X en 1827, et les félicitations que le Roi lui avait
adressées alors. De plus, c'était le Gouvernement qui l'avait
nommé maire de Saint-Omer, I était sympathique, il avait
des partisans qui voteraient pour lui, quand méme il ne
serait pas le candidat officiel. Les Hbéraux vinrent donc lui
dire : si vous ne passez pas au premier tour, engagez ceux
qui ont voté au premier tour à reporter leurs voix sur
\f. Iarlé, et nous vous présenterons au grand collèue (1).
On prétenditque M. de Bayenghem hésita d'abord à accepter
cet arrangement, il voulait se faire prier et examiner S'il
avait des chances de succés au grand collège; il disait que
le vicomte du Tertre ÿ aurait plus de voix que lui parmi les
(1) Le Propagateur publia un artiele pour proposer cette combinai-
son. D'après un pointage du journal, il y avait dans la circonscription
d'Aire 269 constitutionnels et 205 absolutistes. C'était dans les cantons
de Fauquembergues et de Béthune que les hbéraux étaient le plus
pombreux.
— 192
2e) —
électeurs de l'arrondissement de Saint-Omer. M. Harlé
étant venu dans cette ville pour une affaire d'assises, alla le
voir, dit-on, pour le décider à accepter cet arrangement,
car les royalistes prétendaient qu'il avait promis de rester
neutre.
Le vicomte du Tertre n'était pas sans inquiétudes, sa
popularité avait baissé; pourtant, il espérait que les soixante
électeurs qui voteraient pour M. de Bavenghem au second
tour, reporteraient leurs voix sur lui; mais il craignait beau-
coup que les divisions des royalistes fissent perdre la partie.
«On ne voulait pas sacrifier les affections de personnes à l'in-
térêt général. Il serait à désirer qu'une proclamation éner-
gique du Roi précédät les élections et servit de discours aux
Présidents de cotlèges. Le Gouvernement ne saurait trop
manifester ses intentions. » [1 aurait préféré être nommé
Président du grand collège et y être candidat, car les élec-
teurs paraissaient meilleurs.
Le vicomte du Tertre et le Sous-Préfet de Saint-Omer
multipliaient leurs démarches pour rendre les élections favo-
rables au candidat du Gouvernement (1).
(1) Le vicomte du Tertre écrivit au Préfet, le 29 mai, que M. de
Bayenghem n'aurait pas plus de 66 suffrages royalistes. Quelques
agents de l'Administration montraient peu de zèle. Le Sous-Préfet de
Bethune (nous avons vu qu'il se prétendait un vieux royaliste) était
üivde dans ses démarches pour rallier à sa cause les électeurs sur
lesquels il pourrait avoir de l'influence. Î fallait stimuler son zèle,
surtout dans les cantons de Cambrin et d'Houdain. M. de Laage faisait
écrire par le Ministre à un magistrat soi-disant douteux. Le 6 juin,
le Sous-Préfet dit : que dans une réunion préparatoire aux élections,
composée de 50 libéraux, 46 ont voté pour M. Harlé et 4 pour
M. de Bayenghem. Le 8 juin, il ajoute que, dans une autre réunion,
un certain nombre de libéraux ont dit qu'ils voteraient plutôt pour
M. du Tertre que pour M. de Bavyenghem. Il espère que le premier
passera.
Le 31 mai, le vicomte du Tertre écrit au Préfet qu'il craint que les
— 124 —
MM. du Hays et de Givenchy pensèrent à poser leur
candidature; il y renoncèrent.
A Hesdin la situation n'était pas meilleure. M. Degouves
de Nuncques, député sortant, par sa famille et ses relations,
était très populaire dans cette circonscription où il y avait
beaucoup de gros fermiers, acquéreurs de biens natio-
naux. Îl avait fait une tournée presque triomphale dans le
département et nous avons vu que les libéraux avaient
organisé en son honneur des banquets avec toasts, etc. (1).
30 ou 40 partisans de M. de Bayenghem ne tiennent pas la promesse
de voter pour lui au second tour.
Le 10 juin, nouvelle lettre au Préfet : « Si les dispositions du grand
collège sont bonnes, ici l'esprit de vertige et d'opposition s'empare
de toutes les têtes. Dieu seul connaît le résultat que doit avoir cette
conflagration générale. » Il envoie au vicomte Blin de Bourdon une
autre lettre sur la situation, et une nouvelle le 11 juin. Il a vu avec
M. de Laage divers électeurs royalistes qui ont promis de voter pour
des hommes de leur parti; mais ils veulent conserver leur libre arbitre
pour les choisir. Il a combattu leur opinion disant : qu'il y a des
circonstances où les amis de l’ordre et de la Monarchie doivent se
réunir. Le mème jour, il écrit au Préfet que si M. de Bayenghem
voulait se désister, cela aplanirait bien des difficultés.
D'après les partisans de M. Harlé, les royalistes vont rétablir le droit
d’ainesse et les droits féodaux. C’est ce que dit également le Propa-
galeur qui soutient cette candidature.
(1) M. Degouves de Nuncques avait composé pour la discussion de
l'adresse en 1830, un discours contre le ministère Polignac. Il ne put
le prononcer et on l'imprima dans le numéro du Propagateur du
24 mars 1830.
Ce journal ne cessait de faire l'éloge de ce député de l'opposition,
M. Degouves de Nuncques étant venu à Arras, il inséra l’article
suivant : C’est une vive satisfaction pour ses commettants de revoir
après les travaux d'une session, les députés en qui ils ont mis leur
confiance et qui l'ont dignement justifiée. Cette satisfaction ne nous
est pas donnée par plusieurs membres de la députation du Pas-de-
Calais que leur famille ou le siège de leurs affaires retiennent loin de
nous. Nous y perdons l’hcureuse occasion de leur prouver que notre
sollicitude n’a pas cessé de les suivre dans la carrière où ils se sont
— 1495 —
Le baron de Coupigny, ancien député, ardent royaliste,
chef du parti des « Ultras », habitant la circonscription
paraissait le candidat indiqué; mais il avait peu de chances.
Les Sous-Préfets de St-Pol et de Montreuil pensèrent que
M. Dussaussoy, royaliste d'opinions plus modérées, ayant
de nombreuses relations dans la circonscription, pourrait
être plus heureux. Mais le baron de Coupigny ne voulut
pas abandonner la candidature, se faisant un devoir de
servir encore la Monarchie légitime à laquelle il avait voué
une inviolable fidélité. Le Préfet essaya de le faire revenir
sur sa résolution (1), mais il ne put y parvenir. Le Gouver-
engagés pour la cause de nes intérêts les plus chers et dont notre
reconnaissance est acquise à leur patriotique dévouement.
L’honorable M. Degouves de Nuncques en se rendant à Douai a
passé deux heures dans nos murs, il a pu du moins recueillir les
témoignages de cette reconnaissance. Il a le droit d'en réclamer sa
part comme un de ces fidèles députés qui ont régulièrement compris
et rempli avec fermeté le mandat des électeurs de 1827. Son zèle
éclairé pour les réformes, son vote ennemi des prodigalités du budget
méritent nos éloges. Cependant son obligeance connue le mettent
souvent peut-être dans la nécessité de se rendre l'interprète des solli-
citations de ses comunettants auprès du Ministère. Tout lui assure
l'estime et la reconnaissance de ses concitoyens et des électeurs qui
l'ont choisi.
À son arrivée à Douai, M. Degouves de Nuncques eut une brillante
réception ; M. Demuliez le complimenta au nom des commerçants, le
député lui répondit, on cria : Vive la charte ! Vive le député ! M.
Durand d’Elecourt, conseiller à la Cour, l'ami du vicomte Blin de
Bourdon parla dans un sens moins libéral aussi le Propagateur dit
qu’il fut écouté avec blâme et indifférence. Chose étrange, un certain
ombre de fonctionnaires assistaient au triomphe d'un conseiller
nommé par le Gouvernement, investi de diverses fonctions par lui et
lui faisant une vive opposition. M. Degouves de Nuncques com-
prit que sa position était fausse, sous prétexte de ses longs séjours à
Paris, 1l donna sa démission de conseiller d'arrondissement, de
conseiller municipal de Douai, de membre de la Commission du musée
et même de marguiller de St-Jacques.
(1) Dans le collège d’Hesdin, l'élection amena entre le Préfet, les
Sous-Préfets de Saint-Pol et de Montreuil et le baron de Coupigny une
—" 196 —
nement se décida à le soutenir et les Sous-Préfets de St-Pol
et de Montreuil multiphièrent les démarches et firent des
tournées pour faire réussir cette candidature. Le baron de
Coupigny en lit également et il écrivit au Préfet que le récit
en serait aussi pénible que long (1).
active correspondance. Sans doute pour en empècher la divulgation,
elle se faisait ordinairement par l'intermédiaire de la gendarmerie.
Le 10 juin, le baron de Coupigny écrivait au Préfet : « La circulaire
de M. Corne a fait changer de langage plusieurs personnes. La récep-
tion de M. Démarquez a été perdue. La volonté du Roi bien exprimce
aurait un grand empire. Quelques exemples de sévérité envers les
employés seraient nécessaires. Les juges de paix ont besoin d'être stimu-
les. Le Sous-Préfet de Saint-Pol n'était pas très rassuré. On lui disait
qu'un candidat roturier réussirait mieux qu'un noble. Il attendait la
nomination des présidents de collèges pour se mettre en campagne.
Le 13 juin, il commence une tournée et en indique les résultats au
baron de Coupigny. La proclamation du Roi a, dit celui-ci, paru
faire une grande impression à Hesdin et à Saint-Pol; on lui assure
qu'elle reste profondément gravée dans tous les cœurs, que les inten-
tions de Notre Auguste Monarque seront remplies et qu'elle raméènera
les égarés. Il a tout organisé pour les séances; il s'établira à Hesdin
chez le Mis de Bryas, sun parent. Le 19 juin, le Mis d'Ilumerœuille
tremble pour le resultat des élections; il envoic au Préfet le pointage
suivant : pour M. de Nuncques, 136 voix ; pour le baron de Coupigny,
86; voix douteuses, 98. On pourrait les capter pour M. Dussaussoÿ
ou pour un autre candidat quine scrait pas noble. On arriverait ainsi à
444 voix. Mais tous les royalistes, bien amis de l'ordre et du Roi,
consentiront-1ls à abandonner le baron de Coupigny, dont « chacun se
plait à vénérer les bonnes qualités et les rares vertus, mais qui par
unc fatalité que lingratitude peut seule expliquer, est devenu l'objet
de la répuguance de tous tes électeurs campagnards ou non-nobles ?
Les royalistes ardents reprochaient au Sous-Préfet de Saint-Pol
d'être opposé à la candidature du baron de Coupigny. Le Mis d’Hume-
rœuille répondit que c'était une calomnie mais qu'avant tout il devait
dire la vérité.
(4; Voici la lettre qu'écrivait le Préfet au baron de Coupigny, le
21 juin 430 :
* « Mon cher Baron, vous me mandez par votre lettre du 18, que
je n'ai reçue qu'hicr soir, que vous ne croyez pas devoir m'entreteair
de tout ce que vous avez appris Cu parcourant votre arrondissement
Pour le grand collège, dont les électeurs paraissaient plus
favorables au Gouvernement, celui-ci n'arrèta pas définiti-
vement le choix de ses candidats, il attendit le résultat des
élections dans les collèges d'arrondissement pour savoir s'il
électoral, attendu que ce serait aussi pénible que long. Les choses
pénibles dout vous me parlez, sans me dire ce dont il est question, me
donnent à penser que vous voulez parler da relus d'un certain nombre
d'électeurs qui, sans aucun motif raisonnable, déclarent ne pas devoir
vous donner leurs sulfrages sur lesquels on avait compté pour le
candidat royaliste.
Ce qui me le ferait croire, c'est qu'il résulterait de divers renscigne-
ments, lettres et rapports qui me sont parvenus, que ces préventions
déraisonnables augmentent chaque jour. Il m'est assurément très
pénible de traiter ce chapitre, mais je erois remplir mes devoirs et peut-
ètre, Si Je m'en abstenais, me reprocheriez-vous un jour de ne pas
vous avoir parlé avec franchise. Au reste, vous avez auprès de vous
des amis sincères qui pourraient, si vous les consultiez, vous dire si la
chose existe ou non. Quant à moi, Je dois appuyer le candidat du Gou-
vernement du Roi, et Je le fais avec d'autant plus de plaisir que ce
candidat est mon ami depuis de longues années. Toutes mes démar-
ches, toutes mes instructions tendent vers ce but, et Dieu sait si elles
sont positives et pressantes.
C'est donc à vous que Je m'en rapporte. Ma pensée est que si vous
reconnaissez que votre candidature, svutenue avec trop de persévérance,
puisse compromettre l'élection, vous serez le premier à faire ce que
votre dévouement au Roi vous indiquera.
Dans le cas où vous croiriez que les rapports qui n'ont été faits sur
les dispositions des électeurs ne seraient pas exacts, vous pourriez en
parler à vos amis, MM. de Partz, de Tramecourt, et tant d'autres qui
vous entourent, et si vous reconnaissez qu’un désistement de votre
part puisse empêcher la réélection d’un des députés dont le vote a si
vivement affligé le cœur de notre Roi, je suis convaincu que vous
n’hésiterez pas à prendre une généreuse résolution.
Nonobstant, je maude encore aujourd'hui au Sous-Préfet qu'il doit
continuer à vous soutenir de tous ses moyens, et qu'il ne devrait
cesser de le faire qu'autant que vous-même lui diriez qu'il peut
porter les voix sur un autre candidat. Si le contenu de cette lettre
pouvait vous contrarier, veuillez me le pardonner, eu égard aux
motifs qui me l’ont dictée. Je vous envoie, comme vous l'avez désiré,
la copie du procès-verbal tenu à Aire en 1827. La nomination du
— 198 —
he faudrait pas porter ceux de candidats ayant échoué dans
un premier scrutin.
Le Gouvernement avait nommé les Présidents des collèges
et choisi les candidats qu'il présentait aux électeurs. Ce qui
était le plus important était de les faire triompher. On esseya
d'un moyen qui avait réussi lors des élections de 1816 : une
Proclamation du Roi adressée aux électeurs (1). Non seule-
vicomte du Tertre, dont vous me parlez, me parait à peu près certaine
à Aire. »
Le baron de Coupigny écrivit au Préfet, le 22 juin, qu’en parlant
de la tournée pénible qu’il avait faite, ce n'était pas pour lui annoncer
des défections, au contraire les électeurs sur qui il comptait sont iné-
branlables; d’autres, dont il n’était pas sùr, voteront pour le candidat
du Roi. On veut le jouer comme en 1827 et, après lui avoir donné les
charges et les dérangements de préparer son élection, l’abandonner.
Son désir est de sacrifier les dernières années de son existence en se
consacrant au service du Roi. Il l'a fait depuis son entrée au service
militaire. Il devait espérer être secondé franchement comme on lui
avait promis. S'il n’en est pas cause, tant pis pour ceux qui le jouent.
Quant à lui, rien ne le fera jamais dévier de l’inaltérable dévouement
qu’il a voué à cette cause sacrée pour la vie.
Le Préfet lui répondit, le 23 juin, qu’il avait cru comprendre qu’une
partie des électeurs l'abandonnerait. Puisque ce n’était pas exact, il
n'avait, ainsi que ses Sous-Préfets qu’à appuyer sa candidature, sauf
changement. \
(4) Voici la Proclamation du Roi, datée du 43 juin 1830, contre-
siguée du Vte de Peyronnet, Ministre de l’intérieur.
« Français, la dernière Chambre des Députés a méconnu mes
intentions. J’avais le droit de compter sur son concours pour faire le
bien que je méditais. Elle me l’a refusé! Comme Père de mon peuple,
mon cœur s'en est affligé ; comme Roi, j'en ai été offensé. J'ai prononcé
la dissolution de cette Chambre. Français! votre prospérité fait ma
gloire! Votre bonheur est le mien! Au moment où les collèges élec-
toraux vont s'ouvrir sur tous les points de mon Royaume, vous écou-
terez la voix de votre Roi. Maintenir la Charte constitutionnelle et les
institutions qu’elle a fuudées, a été et sera toujours le but de mes
efforts. Mais, pour atteindre ce but, je dois exercer librement, et faire
respecter les droits sacrés qui sont l'apanage de ma Couronne. C'est
en eux qu'est la garantie du repos public et de vos libertés. La nature
— 129 —
ment le Préfet la fit afficher dans toutes les communes, et
distribuer à tous les électeurs. L'Evèque ordonna de la lire
au prône (1) et y joignit l'invitation aux fidèles à se rendre
aux élections et à y voter pour le Gouvernement. Il ordonna
des prières publiques (2).
du Gouvernement scrait altérée, si de coupables atteintes affaiblissaient
mes prérogatives, et je trahirais mes serments si je le souffrais. A
l'abri de ce Gouvernement, la France est devenue florissante et libre.
Elle lui doit son crédit, ses franchises et son industrie. La France n'a
rien à envier aux autres Etats et ne peut aspirer qu’à la conser-
vation des avantages dont elle jouit. Rassurez-vous sur vos droits :
Je les confonds avec les miens et les protègerai avec une égale solli-
citude. Ne vous laissez pas égarer par le langage insidieux des
ennemis de votre repos. Repoussez d'indignes soupçons et de fausses
craintes qui ébranleraient la confiance publique et pourraient exciter
de grands désordres. Les desscins de ceux qui propagent ces craintes
échoueront quels qu’ils soient devant mon immuable résolution. Votre
sécurité, vos intérêts ne seront pas plus comprmis que vos libertés.
Je veille sur les uns comme sur les autres.
Électeurs, hâtez-vous de vous rendre dans vos collèges. Qu'une
négligence répréhensible ne les prive pas de votre présence! Qu'un
même sentiment vous anime! Qu'un même drapeau vous rallie! C'est
votre Roi qui vous le demande; c'est un Père qui vous appelle. Rem-
plissez vos devoirs ; je saurai remplir les miens.
CHances X. »
(1) L'Évèque d'Arras, le 46 juin, ordonna de lire cette Proclamation
du Roi au Prône; en même temps il écrivait à ses curés : « S'il n’est
pas permis de rien ajouter à des paroles aussi augustes, vous croirez
cependant que votre devoir le plus sacré est de les publier avec le plus
de solennité possible et de donner par là à cette publication tout l'éclat
et l'entrainement qu'elle mérite. Il est juste que la pensée tout entière
du Père de la Patrie soit bien comprise de tous ses sujets; qu'elle
parvienne jusqu'aux cœurs les plus froids, et vous trouverez tout à
fait digne de votre ministère de ne rien négliger de ce qui peut de
votre part conduire plus sùrement à ce but. Je compte à ce sujet sur
votre invariable dévouement au Roi et sur votre sincère attachement
à la cause sacrée de son Trône.
(2) Voici le Mandement de Mgr de la Tour d'Auvergne :
« L'époque où nous nous trouvons fixe l'attention de tout véritable
ami du Trôue et de la France. Aux élections qui vont avoir lieu sc
ÿ
= 130 —
Cette Proclamation ne produisit pas l'effet de celle de
Louis XVIII. Les temps étaient bien changés et l'esprit de
parti en subit peu d'atteintes.
Pour arriver à un succès qui était difficile, M. de Pey-
ronnet, Ministre de l'Intérieur, et M. Capelle, Ministre des
Travaux publics, qui s'occupait du mouvement électoral,
multipliaient les circulaires et les lettres aux Préfets (1), et
rattachent les plus grands intérêts de la Religion et de la Monarchie.
Dans une circonstance aussi grave, Notre devoir est de vous appeler
au pied des autels pour implorer avec nous l'assistance du Très-Haut
et le coujurer de répandre sa divine lumière sur les collèges électoraux,
afia qu'ils fixent leur choix sur des hommes loyaux et fidèles, pénétrés
de la crainte de Dieu et entièrement dévou‘s à leur Prince et à leur
Patrie. Nous avons la ferme confiance que vous remplirez avec empres-
sement et ferveur une obligation que nous impose la qualité de chré-
tiens et de sujets du mcilleur des Rois. »
Il ordonnait de chanter tous les jours, jusqu'à la fin de l'élection,
au salut le Vent Creator avec les oraisons ordinaires. Les fonction-
naires étaient invités à y assister.
(1) Le Préfet réclamera des fonctionnaires des preuves du zèle le
plus efficace, et l'emploi de tous les moyens que commande le dévoue-
ment et qu'autorise l'honneur et la probité pour déjouer des manœu-
vres hostiles, et éclairer le choix des électeurs : « Il ne peut croire
qu'aucun d'eux se melte en opposition avec le Gouvernement dont il
tient son rang et son existence sociale », sans cela, il les menace
d’une sévère justice et de perdre la confiance du Gouvernement s'ils
ne réponuent pas au zèle qu'on attend d'eux.
« L'administration se séparera sans hésiter de tous ceux qui pren-
draient part aux manœuvres de la malveillance, et si l’administration
est livrée à ses simples forces, qu’elle ne craigne pas de les employer
à soutenir ct à faire craindre et respecter l'autorité qui lui est confiée. »
Le Ministre demandait aux Préfets de lui signaler le nom des
sigaataires de l’actc d'association pour le refus de l'impôt et des mem-
bres des comités électoraux, avec leurs noms, professions, états de
fortune, moralité et autres indications. Ces institutions sous quelque
dénomination qu'elles soient annoncées, se rattachent à un système
général d'opposition, vers lequel les ennemis de l'ordre, de la monar-
chie, tendent à familiariser les esprits et elles ont un centre commun,
«ont l'impulsion est toujours hostile.
Je recommande encore, vigilance, énergie et soins dévoués.
RER —
ie -toe-——* ‘Hoi St
— 131 -
ceux-ci leur répondaient. Le 2 juin circulaire confidentielle
du Ministre de l'Intérieur aux Préfets pour qu'ils ne négli-
gent rien pour assurer le triomphe des intérêts monarchiques
et pour qu'ils lui signalent les modifications qui survien-
draient dans la situation électorale.
LS
« Veuillez, disait-il, écrire à tous les fonctionnaires
royalistes, et adressez-moi la liste de ceux d'entre eux qui
seraient employés dans d'autres départements. Indépen-
damment de l'avis qu'ils recevront de vous, je leur écrirai
‘individuellement et je les ferai inviter par leurs chefs effectifs
à se rendre aux élections (1). »
(1) Circulaire ministérielle aux Préfets du 7 juin 1880:
« Monsieur le Préfet,
Le désir que vous et Messieurs vos collègues avez manifesté de
donner desinstructions aux agents supérieurs de l'autorité dans chaque
département a été apprécié par tous les Ministres, et chacun d'eux
s'est empressé d'inviter les fonctionnaires placés sous ses ordres, à
employer toute leur influence, dans l'intérêt des élections royalistes,
C’est donc à vous qu'il appartient aujourd'hui, de réclamer leur action
franche et continue. L'intention du Gouvernement est qu'ils manifes-
tent tous ostensiblement leur zèle et leur concours dans une affaire
aussi importante ; et vous devez en conséquence inviter les fonction-
paires supérieurs de votre département, à quelque ordre de service
qu'ils appartiennent, à publier une circulaire comme une nouvelle
preuve des sentiments qui les animent, et comme un efficace moyen
d'influencer leurs subordonnés. Messieurs les Procureurs du Roi,
Directeurs de l'Enregistrement, des contributions directes et indirectes,
les Receveurs particuliers, etc., apprécieront l'utilité de cette mesure
et n’hésiteront pas à se conformer à votre invitation.
J'espère qu'aucun d'eux ne répudiera la noble mission qui lui est
dévolue et vous vouirez bien m'envoyer un exemplaire des instructions
données par eux ».
Circulaire confidentielle du Miaistre de l'Intérieur du 49 juin 1830 :
«a Monsieur le Préfet,
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 44
de ce mois et la copie de la circulaire qui y était jointe, ne perdez pas
de vue les manœuvres de nos adversaires et faites-moi part de celles
qui seraient de nature à mériter mon attention particulière. Vous
— 132 -—-
Les Directeurs de l'Enregistrement, des Contributions
directes et indirectes du Pas-de-Calais, pour obéir aux ordres
ministériels, firent des tournées dans le département; ils
envovèrent des circulaires pour agir sur leurs subordonnés.
Le Procureur général de Douai (1) et le commandant de la
168 division militaire (2) s occupèrent également de s'assurer
du concours de leurs subordonnés.
Le Propagateur protesta contre cette pression adminis-
trative. Dans son numéro du 16 juin 1830, il disait que
M. de Villèle avait combattu en 1816 celle exercée par
les autorités et par le Préfet Malouet lors des élections de
cette année. L'indépendance du vote, avait-il dit, est la
première condition d'un Gouvernement représentatif. Ce
voudrez bien surveiller les démarches des fonctionnaires, dont les
dispositions vous paraitraient suspectes ct vous mettre à même dans
le rapport que je vous ai demandé par ma lettre du 14 de ce mois
d'apprécier leur conduite et de juger des mesures qu'il serait nécessaire
de provoquer à leur égard ».
(4) Voici la lettre que le Procureur général de Douai écrivait au
Préfet du Pas-de-Calais, le 43 juin 1830 :
« Je vous remercie de la communication que vous m'avez faite par
votre lettre du 11, j'en ai fait usage sur le champ et en même temps
que la présente lettre vous portera des instructions spéciales, pour
tous les Procureurs du Roi du Pas-de-Calais. Je ne puis pas les stimuler
plus vivement, mais plusieurs me paraissent agir avec mollesse. Du
reste, M. le Garde des Sceaux sera exactement instruit. Je vous prie
de tâcher de découvrir quel usage fera mon substitut d'Arras, de ce
que je lui ai écrit. Il ne m’a pas encore accusé réception de mon
instruction générale. J'aurais désiré aller à Arras pour avoir l'honneur
de vous voir et pour me concerter avec vous. Mais les nécessités de
veiller au service qui est immense dans ce moment, et la correspon-
dance que je ne puis confier à personne, ne me permettent pas de
m'absenter ».
(2) Le baron de Rothembourg avait écrit aux officiers sous ses
ordres, de ne pas favoriser les sentiments contraires aux doctrines que
sa Majesté a jugées le plus convenables à la situation du Royaume. Il
faisait sentir ec qu'aurait d'incompatible avec les fonctions militaires,
une conduite qui contrarierait les vues du Roi.
— 15 —
journal ajouta : «Certains fonctionnaires se déclarèrent roya-
listes mais voulurent rester maitres de leur vote. lis atten-
dirent leur destitution, mais elle fit plus de mal que de bien
au Gouvernement (1). »
Dans un autre article, il disait que le Préfet Malouet,
pour obéir aux ordres du Gouvernement, avait cru devoir
agir, lors des élections de 1816, sur les fonctionnaires et les
électeurs, ce qui ne l'avait pas empêché de tomber en dis-
grâce. [Il ajouta que le Sous-Préfet de Béthune, dans un
travail sur l'administration départementale et communale,
écrivait que le Gouvernement devait s'abstenir de toute
influence sur les électeurs. Il attaqua aussi le commandant
de la 16° division militaire pour sa circulaire. Quand les
libéraux espèrent la victoire, ce journal change de ton. On
lit dans le Propagateur du 11 juin 1830 : « Le vote des fonc-
tionnaires ne peut changer le résultat des élections; les
électeurs royalistes constitutionnels du Pas-de-Calais ont
cessé de s'occuper des prochaines élections, leur succès est
certain, ils n'attendent plus que le jour du combat pour pou-
voir annoncer leur triomphe. Ils voient les manœuvres
employées par les absolutistes et ils en rient; ils savent que
les menaces, comme les cajoleries de l'administration Poli-
gnac-Peyronnet, sont restées sans effet sur la masse des
électeurs. Les circulaires ministérielles et préfectorales,
fussent-elles exécutées à la lettre par tous les fonctionnaires
publics, ne peuvent nous ravir la majorité. Que tous les
employés de l'Administration et les membres du Parquet,
les juges de paix, les gens d'église, les ofliciers de l'armée
(Le Propagateur disait également : « Si les fonctionnaires
travaillent pour le Gouvernement, leur influence sera nulle. S'ils votent
selon leur conscience, il ne leur arrivera rien de fâcheux. Lors des
élections de 1826, le baron Siméon, préfet Ju Pas-de-Calais, fut menacé
de perdre sa place par MM. de Corbière et Capelle, s'il ne soutenait
pas les candidats du Gouvernement Il le fit, et ceux-ci trivmphèrent,
ce qui ne l'empêcha pas quelque temps aprés, d'être destitue,
— 134 —
votent au gré du Ministère, la majorité resterait encore
pour nous. Car, sur les 109 électeurs, fonctionnaires amo-
vibles et irrévocables, nous n'avons jamais compté que sur
26, et ces 26 votants consentissent-ils à se déshonorer en
sacrifiant leur conscience à la menace d'une destitution,
qu'on n'aura ni le temps, ni la force de prononcer, la majo-
rité serait toujours pour les constitutionnels; et cela dans
une proportion qui étonnera nos adversaires. »
L'ennemi le plus redoutable que le Gouvernement eût
à combattre pour triompher aux élections, était la presse
libérale et surtout le Propagateur du Pas-de-Calais.
Ce journal avait pris de plus en plus d'influence. Il n'atta-
quait pas d'abord en apparence la Monarchie, mais l’abso-
lutisme qu'il voulait combattre au moyen du refus de l'impôt.
Mais, en le faisant disparaître, il n’était sans doute pas sans
espérer que sa Chute entrainerait celle de la Royauté légitime
ou au moins favoriserait l'arrivée au pouvoir de la bour-
geoisie libérale.
Il ne tarda pas, en 1830, à démasquer ses projets, et des
articles, où il faisait une guerre sans trêve ni merci, parais-
saient presque dans chaque numéro de ce journal. Ils étaient
empruntés à des journaux de Paris ou fournis par ses rédac-
teurs et surtout par Frédéric Degeorges.
Le 2 janvier 183), le Propagateur offrant à ses lecteurs
ses souhaits de nouvel an, passait en revue les événements
politiques des années précédentes et attaquait les Ministères
de Vilièle, de Martignac et surtout celui du prince de Poli-
gnac, les dénonçant comme des ennemis de la Charte, des
libertés publiques, ne pensant qu'à un coup d'Etat (1).
(1) Voici cet article, il indique le genre de polémique du Propa-
gateur :
« Résumons. Le Ministère Villèle était tombé couvert de boue et de
sang. La France qui l'avait renversé, pleine de confiance dans les
nouveaux ministres choisis par son Roi, entourait le Trône des témoi-
gnages de son allégresse et des expressions de sa reconnaissance.
— 135 —
Nous ne pouvons citer ses nombreux articles (1).
MM. Portalis et de Martignac essayèrent de capter la nation par des
paroles mielleuses ; mais leurs actes ne répondirent pas à leurs
discours. Enlacés dans les intrigues de cour et de sacristie, ils n’appor-
térént aucune franchise dans leur conduite parlementaire. Le retrait
des lois communales et départementales les montra les compères ou
les dupes d'une faction qui se défiait du peuple, et qui depuis 45 ans
lui disputait pied à pied le terrain des libertés publiques. Le Ministère
tomba, il tomba sous les coups de l’ancien régime qu’il avait ménagé ;
et sans nulle tentative de résistance de la part de la France nouvelle
qu'il avait trompée.
A cette chute, les ennemis du pays jetèrent un cri de joie. Avides
de domination, et peu instruits par les leçons du passé, ils avaient
rêvé le renversement de la Charte, et l’un des leurs avait dit hautement
dans une lettre fameuse en s'adressant au Pouvoir : « Nous sommes
cinquante mille à vos ordres, parlez, nous marcherons. » Un lion qui
dort et qu'éveille en passant près de lui un corbeau criard, lève la
paupière, regarde l’ennerni, et la referme.
Voilà ce qu'avait fait la France.
L'absolutisme prit le calme pour le décooricement et le repos pour
la stupeur. Ses partisans crurent le moment venu pour réaliser leurs
rêves d'ancien régime. Polignac arriva, et avec lui La Bourdonnaic,
Courvoisier et de Bonrmont! Hommes d'une autre époque, pynees
politiques. Ils venaient essaver de fausser nos institutions. Eux !
Mais alors aussi le lion qui dormait, s’éveilla, leva la tête. fitentendre
un long cri et rex:arda ses ennemis ea face. Ce regard les prtrifia et
ils ne furent plus à craindre. Ils croyaient trouver des esclaves, ils
trouvèrent des hommes libres ; tous leurs plans furent soudain
renversés, et le Ministère aux coups d’Etat se trouva réduit à aller
méditer dans une honteuse retraite ses plans de catégories et de
vengcances.
De Polignac, de Bourmont et Courvoisier restèrent ; la contre-
révolution, le jésuitisme et la trahison conservèrent leurs apôtres ; à
éeux-ci on adjaignit de Montbel et de Guernon-Ranville et le système
de Villèle, détruit à la fin de 4827 par la volonté du Roi et du pruple,
se trouva reconstitué. M. de Villèle était tombé, et pourtant, il avait
une majorité dans les deux Chambres ; trois cents spartiates le soute-
naient. Qu'espèrent M. de Polignac et ses collègues sans majorité
dans les Chambres, sans appui dans les tribunaux, odieux au peuple
— 136 —
Après le vote de l'Adresse et quand il espère la victoire,
il devient plus audacieux.
et à l'arméc ? Végéter jusqu'à l’ouverture des Chambres et mourir
avec la session.
Que peuvent-ils faire ? Les tentatives de coups d’Etet sont tsmbées
avec l’homme qui, seul, en avait le courage et l'infernal génie. Leurs
projets contre-révolutionnaires, ils nicnt d'en avoir eu la pensée.
Soixante-dix départements associés pour résister légalement à leur
oppression, leur ont rendu le mensonge nécessaire, ont fait avorter
tous leurs plans et les ont laissés sans volonté, sans force, sans appui.
S'ils n’ont jusqu'ici fait aucun mal, c’est par impuissance. Ils se
sont comptés : ils ne sont que cinquante mille et nous sommes trente
millions. Mais ils ne sauraient non plus vouloir ni pouvoir faire le
bien ; car, encore une fois, leurs noms tristement fameux, rappellent
l'absolutisme, le jésuitisme et la trahison, et n’inspirent ni estime, n
respect, ni confiance.
La presse les poursuit, la nation les repousse, les tribunaux les
condainnent et la Chambre les tuera.. Voilà les destins réservés à tout
Ministère de la contre-révolution ; voilà ceux qui déjà s’accomplissent
pour M. de Polignac et ses collègues ; car les Journaux les ont démas-
qués ; les associations pour le refus de l'impôt illégal leur ont fait peur ;
les derniers arrêts de la Cour royale de Paris ont commencé leur
awonie ; ct le refus du budget par la Chambre élective, terminera leur
existence. C'est là notre pensée ; c'est là le souhait de nouvel an que
forme toute la France.
Cet article n'est pas signé, il paraît être emprunté à un journal
libéral de Paris.
(1 p. 435) Voici les titres ou le sujet des principaux articles : 16 janvier
4830: Refus absolu de l'impôt; Entraves à l'esprit public. — 23 jan-
vier: Comment arrivent les révolutions. — 27 janvier : Bruit sur les
tendances de la session.
2 février : Plus de soumission. Un député royaliste ayant été élu,
le journal prétend qu’il était le protégé de la Congrégation : « Le Père
Rousin a dù faire des neuvaines pour sa réussite. » Il ajoute : le
voilà sur la route des portefeuilles. —5 février : Plus de concessions.—
6 février : La Chambre jugée par ses députés. — 10 février : C'est le
Ministère qui doit être changé. — 15 février : Pétitionnons; Renvoi
des Ministres. — 16 février : ce qu'il faut faire à l'avenir. — Le
47 février, l'article commence par ces mots : « Ils veulent du sang et
nous voulons des lois. » Il annonçait la chute du Ministère. Les Roya-
— 137 —
Les élections approchant, il redouble d'efforts. Il donne
listes constitutionnels d'Arras se disent encore partisans de la Royauté
de la branche aînée; mais bientôt cela va changer. Propriétaires,
négociants, électeurs ou imposés s'occupent d'apposer leurs signatures
sur une pétition où 1ls demandent à la Chambre d’emplayer, dès
l'ouverture de la session, tous les moyens que les lois constitutionnelles
leur donnent pour faire obtenir à la France des administrations muni-
cipales et départementales électives, appropriées aux besoins du pays.
Et de ne point accorder de subside à tous les Ministères qui se refu-
seraient à proposer ces lois. Il supplie les députés d'en réclamer du
Gouvernement la présentation. Il annonce que M. Ilarlé, député, a
déposé à la Chambre une pétition des habitants d'Arras demandant
que l’on s'occupe des lois organiques promises par la Charte. —
24 février : De la crise actuelle et de celle qui se prépare. Il annonce
que l'horizon ne tardra pas à s'éclairer.
Le 3 mars : Ouverture des Chambres. Dans un article de foad il
dit, citant Massillon : « Celui qui trompe le Roi est aussi coupable
que celui qui voudrait le détrôner ». — 6 mars : Viennent de nouvelles
élections, voilà nos forces, et cite, comme de bonne augure, l'élection
de M. Dudon, candidat libéral. — 12 mars : Travaux de la Chambre ;
La majurité l'abandonne ; A propos du discours du Roi : Si on dissout
les Chambres, le Pas-de-Calais sera représenté par six députés consti-
tutionnels au lieu de trois. — 13 mars : Il raconte les séances des Etats
généraux de 4484. — 27 mars : « Qui l'emportera des Ministres ou
de la Chambre ? On a peur des élections, on veut étouffer la Presse,
et réduire au silence la tribune. Les menaces d'une poignée de
scpluagénaires goutteux ou d'adolescents sans cervelle, n'effraient
personne, on en rit, si de mauvais jours nous arrivent, nous les
traverserons sans faiblesse ». Le journal réclame la liberté de cons-
cience et la libe:té des cultes. Un peu de courawe.
Le {1 avril : Il prétend que le Prince de Polignac, favorise l'indus-
trie anglaise. — 14 avril : Article sur les deux camps royalistes. —
21 avril : « Aide-toi, le ciel t'aidera ». — 25 avril : La dissolution
probable. — Le 29 avril : Il compare l'expédition d'Alger en 1830, à
celle que fit Bonaparte en Orient en 1798 ; L'administration départe-
mentale et communale.
fer mai : De la dictature ; Un échec probable du Ministère par Îles
élections. — 7 mai : Versatilité de l'administration en matière électo-
raie. — 9 mai : Vrai caractère de la crise actuelle. — 12 mai : De
l'impossibilité des coups d’Etat ; Des poursuites contre la Presse. —
— 138 —
des conseils pratiques aux électeurs (1), pour assurer le
44 mai : Dissudra-t-on la Chambre ? Le 16, il anaonce qu'elle est
dissoute. — 23 mai : Lutte entre le nouveau et l’ancien régime. —
27 mai : La situation politique.
2 juin : Le Ministère Polignac a cessé ; L'arrivée au Pouvoir de
M. de Pevronnet. — 4 juin : Les fautes commises par les absolutistes ;
La victoire est assurée. — 9 juin : Ce que veut la faction, c'est l’ancien
régime. — {4 juin : Le vote des fonctionnaires ne peut changer
l'élection. — 45 juin : Le salut de la France dépend des élections ;
Derniers devoirs de l'électeur. — 46 juin : A la veille des élections, il
fait un appel aux acquéreurs de biens nationaux. — 20 juin : Autre
appel. — 23 juin : Ajournement des élections. — 25 juin : Le combat
électoral est commencé ; Les pamphlets publiés par les absolutistes.
27 juin : Une victoire éclatante s’est déclarée pour nous, il nous reste à
triompher au grand collège, nous le pouvons. — 30 juia : Le résultat
des élections dans les petits collèges, ce srra de même dans les
grands collèges.
4 juillet : Nouvel appel aux électeurs : Les libéraux sages et
modérés doivent voter avec nous. — 14 juillet : Coup d’æœil sur notre
situation intérieure. — 16 juillet : Droit du Monarque de chasser ses
Ministres. — 20 juillet : Comptes et budgets départementaux. — 24
juillet : La constitution comme la voulait les Ministres. — 25 juillet :
La France a répondu.
Quand il apprend les ordonnances, le Propagatear écrit : Que veut
faire la France ? La situation est grave, il faut éclairer le Roi. Les
fils de la liberté ne se laisseront pas traiter comme des esclaves. Puis,
comme on le verra, ses presses sont saisies, il cesse de paraître et
ne renait qu'après les événements de juillet 1830 ; le 4 août, grand
article sur la Monarchie constitutionnelle.
Le Prepagatenr ne s'accupait pas sculement de questious politiques
dans les nouvelles locales, il cherchait l'occasion de combattre la
religion ou les royalistes. Ainsi, il attaque les confréries religieuses,
trouve qu'on devrait interdire les processions dans les rues, quand
il v a dans une ville des cultes dissidents. Dans un autre ordre
d'idées, il fait, le 4er janvier, un article contre les visites du nouvel
an, et le 48 mai, il se plaint des dégâts causés par les lapins.
(1) Il les engage à se rendre au chef-lieu électoral le mardi soir:
des comités cantonaux devront assurer les movens de transport et de
logement des électeurs ; s'ils sont arrêtés comme voyageant sans
passe-port, ils n’aurott qu’à faire reconnaitre leur identité. On doit
s'assurer si les cartes d’électeur ont été délivrées,
— 139 —
succès de ses candidats, et pour lesengager à sefaireinscrire,
et à vérifier les listes électorales au sujet des inscriptions
et des adjonctions. Ce fut une des grandes préoccupations
des libéraux.
La Société Aide-toi, le Ciel t'aidera avait établi un Comité
pour la vérification des listes électorales et la répression des
abus de l'autorité (1). Ces questions soulevaient des diffi-
cultés et l'Administration avait peine à rendre des jugements
en temps utile, tant les réclamations étaient nombreuses (2).
(1) Cette Société publia son programme. La cotisation annuelle ne
pouvait dépasser 40 francs. |
Les francs-maçons avaient aussi à Arras, deux loges dont une « du
Rite Ecossais ». Elles portaient les noms de l'Amitié et de la Cons-
tance. Le Propagateur en faisait l'éloge, ce qui donne à présumer
qu'elles étaient plutôt favorables aux libéraux.
(2) Le Préfet du Pas-de-Calais écrivit au Ministre de l'Intérieur le 40
juillet 1830 que, conformément à sa circulaire du 7 juillet sur la véri-
fication des listes électorales, il avait effectué d'olfice 12 changements,
mais que son droit était contesté au sujet des cas prévus par la loi et
qu'il craignait de voir annuler ses arrêtés. La Cour de Douai lui donna
raison, ainsi que la Cour de cassation, bien qu’elle eùt rendu un arrêt
contraire en 1829. Il avait exigé des individus réclamant leur inscrip-
tion, une réclamation écrite ; c'est ce qui avait eu lieu, sauf pour une
seule arrivée en retard ; mais cela n'avait pas d'importance. Il avait
fait rayer des individus décédés ou ayant subi une condamnation.
Pendant les 8 juurs accordés par la loi, il n’arriva d’abord que deux
réclamations, puis en arrivèrent 153, dont 104 le dernier jour, un
certain nombre entre 9 heures du soir et minuit. Elles furent toutes
jugées le lendemain et le surlendemain. Huit demandes étaieut faites
par des tiers, 61 radiations furent proposées par le Sous-Préfet de
Boulogne ; elles furent admises sauf 8 ; mais on alla en appel ; il fut
décidé que 18 électeurs seraient remis dans leurs droits. Dans tout le
Pas-de-Calais, il y eut 22 recours devant les tribunaux ; aucun n’alla
en cassation. C'étaient surtout des questions de cens. Deux protesta-
tions furent faites contre le Sous-Préfet de Saint-Omer et contre l'abbé
Joyez, supérieur du petit séminaire de cette ville.
Les libéraux attaquaient certaines inscriptions d'électeurs royalistes,
sans donner suite à leurs procès, mais cela suffisait pour les empêcher
pour le moment de voter, sans diminuer le nombre des électeurs
— {0 —
On n'avait dans le Pas-de-Calais, pour combattre la presse
de l'opposition, qu’un seul organe (1): La Boulonnaise,
feuille d'annonces devenue politique, sans rédacteur de talent
et sans influence sur l'opinion (2). On se servait d'un journal
inscrits, et faire monter le cens du grand collège. Le Préfet, pour
arrèler cette manœuvre, fit insérer un avis dans le Recueil des Actes
de la Préfecture. Les électeurs dont l'inscription était contestée,
répondirent aux attaques.
En résumé, il y eut un: inscription d'office et 41 radiations. Sur les
demandes faites par les intéressés, 64 furent admises et 30 rejetées.
Sur 44 demandes en rectification, 31 furent adinises, 143 rejetées. Sur
les demandes faites par les tiers, { pour inscription fut admise. Pour
les demandes en radiation, 15 furent admises, 3 rejetées. Total :
Demandes faites par les intéressés, 15 admises, 49 rejetées. Demandes
faites par des tiers, 6 admises, 3 rejctées. Eu tout 153 questions
furent décidées.
(Archives nationales).
(1) Les feuilles d'annonces d'Arras et de Saint-Omer ne s'occupaient
que de nouvelles locales et pas de politique.
(2) Il existait dans le Pas-de-Calais trois journaux libéraux : le
Propagateur d'Arras, le Journul de Calurs et l'Annotateur de Htou-
logne, et un seul journal royaliste La Boulonnaïse. C'était une feuille
d'annonces judiciaires, commerciales, etc., existant depuis vingt ans.
Elle avait pris pour devise : U'{r{rté. Ulle paraissait toutes les semaines
et coûtait 12 francs par an. La: 6 janvier 1829, à son 106e numéro, ce
journal devint politique, mais d'une manière secondaire et succincte.
Il s'occupa alors de la réorganisation des écoles mrtuclles, d'une
création de bourse militaire, ete. H joignit à sa publication une
partie réservée aux annonces et avis divers de larrondissement de
Montreuil, Ce journal prit fin en IS$1
L'Annolateur Boulonnars s'inutuluit journal d'annonces, du com-
merce, des ars et de la littérature. En tète de sa feui le 1l mettait :
Diversilé c'est ma devise. W coùtait 12 francs par an et paraissait
tous les jeudis. En 1829, il existait depuis six ans. Le 29 janvier de
cette année, il devint un journal politique; mais il jouait un rôle peu
important et ne faisait pas de polémique comme le Propagatenr. Ce
qui lui donnait une certaine importance, c'était d'avoir publié les
statuts de l'association fondée à Boulogne pour le refus de l'impoit.
I! fut poursuivi et, en première ins'ance, fut acquitté. Le Ministère
public alla ea appc', et la Cour de Douai, présidée par Me de Forest
— 141 —
de Lille et des journaux royalistes de Paris, qui ne s'enten-
daient pas toujours entre eux, comme la Quotidienne et la
Gazette de France, à la grande joie du Propagateur. Il eut
été facile de transformer en journal politique la feuille d’an-
nonces d'Arras : c'est ce que fit le Gouvernement de Juillet,
quand le Propagateur eut abandonné sa cause. Ce fut regret-
table, car on négligea un appoint très important dans la lutte
électorale.
M. de la Rivière, Secrétaire général dn Pas-de-Calais,
crut devoir écrire deux lettres au Propagateur en l'absence
du Préfet, pour repousser des attaques faites par ce journal
contre ce fonctionnaire, au sujet de l'échenillage, des gardes
champêtres, des contributions et d'un certain Leclercq. Il
disait, dans la première, que sa patience était lassée, et, à
une époque où tout se discute dans la presse, il se faisait
journaliste, car son devoir était de désabuser les hommes
qu'on veut tromper. Malheureusement, sa plume était loin
d’être aussi habile que celle de Frédéric Degeorges.
Nous sommes arrivés au moment où on allait connaitre
le résultat des efforts faits par le Gouvernement pour triom-
pher dans une lutte si importante pour lui.
Le scrutin pour les élections des députés des colièges
d'arrondissements s'ouvrit le 23 juin 1830; à Arras, il fut
présidé par M. Leroux du Châtelet, ancien député. La réu-
de Quartdeville, condamna son éliteur responsable et son rédac-
teur à un mois d'emprisonnement, 300 francs d’amendes et aux
frais. En 4830, il s’occupa un peu plus des événements politiques,
annonça le 4 août la Révolution de juillet, et le 22 août l'avènement
du Roi Louis-Philippe. De libéral, il devint ardent orléaniste. Il déclara
que maintenant on était libre, qu’autrefois on ne l'était pas, et pourtant
il avait défenau les idées libérales avec courage ce qui alors n’était
pas sans danger. Il promettait d’être impartial. A partir du 27 janvier
4830, d'in-4o il prit le format in-folio. Il se composait de deux parties :
dans la première, c'était un journal politique, commercial et littéraire,
dans la seconde, une feuille d'annonces.
— 142 —
aion eut lieu à huit heures du matin à l'Hôtel-de-Ville (1).
On célébra d'abord une messe du Saint-Esprit dans un local
voisin du lieu où se tenaient les séances. Les formalités de
l'élection furent les mêmes dans les différents collèges. Le
Président lut les ordonnances du Roi qui convoquaient les
électeurs, et on annonça que, d'après la loi, la moitié des
députés d'un département devait être prise parmi les éligibles
y ayant leur domicile; puis les électeurs devaient prêter le
serment de fidélité au Roi et d'obéissance à la Charte cons-
titutionnelle et aux lois du Royaume.
Le Président prononçsa un discours terminé par le cri de
« Vive le Roi! » cher aux Français, dit le procès-verbal. Le
bureau provisoire, composé de royalistes, fut remplacé par
des libéraux, à la suite d'un premier vote (2); c'était de bien
(1) On imprima chez Boutry à Arras, une brochure électorale
contre les 221 députés qui avaient voté l’adresse, on les qualifiait de
factieux et leurs électeurs de révolutionnaires qui avaient accepté sous
bénéfice d'inventaire le sanglant héritage de leurs devanciers; si
Robespierre vivait, il serait un de leurs candidats. « Mais qu'ont-ils
besoin de se parer d’une hideuse solidarité avec des crimes passés ?
Ne sont-ils pas assez riches de leurs forfaits ? Audacieux conspirateurs,
n'ont-ils pas préparé l'effronuté succès du 20 mars, et appelé sur notre
malheureuse France tous les maux d'une seconde invasion ? N’ont-ils
pas armé le bras de Bertin du glaive de l'insurrection, et la main de
Louvel du poignard de l'assassin ? Tribuns factieux, n'ont-ils pas
répandu dans nos paisibles cités, les turbulentes ovations, les ignobles
parades, les saturnales révolutionnaires, dont nos mœurs nationales
avaient depuis longtemps fait justice ? Farouches incendiaires, ne les
voit-on pas la torche à la main, répandre dans plusieurs de nos jour-
naux la terreur et la désolation ? N'ont-ils pas formé des vœux parri-
cides contre le succès de nos armes dans l'expédition d'Afrique ?
N'ont-ils pas aidé l'ennemi par d'indiscrètes révélations et cherché par
de sinistres pronostics à effrayer le Roi et à arrêter le zèle de nos
braves soldats? »
Cette brochure fut distribuée à la porte de la salle de vote, le 23
mai, ce qui excita la fureur du Propagateur.
(2) Bureau provisoire : MM. Thelliez de Sars, Président du Tribunal
d'Arras; Hurtrel-Letombe, Président du Tribunal de Commerce ;
— 143 —
mauvais augure pour le résultat de l'élection, et, malheu-
reusement, il devait en être de même dans les autres collèges.
Il était six heuresdu soir quand finirent ces premières forma-
lités. On procéda le lendemain à la nomination des députés.
Inscrits, 520; votants, 473; majorité, 238. M. Harlé père
obtint 295 voix; M. Leroux du Châtelet, 173; le baron
Lallart, 1 voix; M. de Sus-Saint-Léger, 1 voix. M. Harlé
fut déclaré député; il était cinq heures du soir (1).
Le Propagateur et les libéraux furent dans l'enthousiasme
de ce résultat; ce journal prétendit qu'on avait employé tous
les moyens pour empêcher la réélection de M. Harlé, et que
le soir ses salons, sa cour et les abords de sa maison furent
remplis de ses amis, et d'électeurs de la ville et de la cam-
pagne; une sérénade lui fut donnée par des amateurs
d'Arras.
À Boulogne, la réunion eut lieu à l'Hôtel-de-Ville (2). Elle
était présidée par M. du Wicquet, baron d'Ordre. Après la
nomination du bureau qui fut défavorable aux royalistes (3),
Eolart de Grandval et Parmentier-Legrand, propriétaires, scrutateurs;
Lebrun, notaire à Lens, secrétaire, — Bureau définitif : 372 votants :
MM. Harlé père, 229 voix; Lantoine-Harduin, 218; Taillandier père,
209: Baggio, notaire, 175, scrutateurs; Deladerrière-Huret, 235 voix,
secrétaire; puis vinrent MM. Enlart de Grandval avec 125 voix;
Lebrun, 118, etc.
(1) Le Propagateur fut poursuivi comme ayant imprimé des bulle-
tins de vote au nom de M. Harlé père, où il était indiqué comme l’un
des 221. On l'accusa d'offense contre la personne du Roi. La Cour de
Douai décida qu’il n’y avait pas lieu à poursuite.
2) Le procès-verbal ne parle pas qu'il y eut une messe du St-Esprit.
(3) Bureau provisoire : MM. Marcotte, directeur des douanes;
Lorgnier, propriétaire, maire de Réty; Lemaître, juge de paix de
Montreuil; Dissaux, avocat et juge suppléant, scrutateurs; Wissocq,
Président du Tribunal, conseiller général, secrétaire. — Bureau
définitif : 313 incrits, 204 votants : MM. Hubert Degrés, 169 voix:
Dupont Verlaines, 164; Dupont de Coquelles, 157; Sansot, 141,
scrutateurs ; puis viennent MM. Dissaux, avec 1438 voix; Lemaitre,
125; Marcotte, 108; Lorgnier, avec 102. M. Wissocq fut nominé
secrétaire par 275 voix.
— 144 —
le Président prononça avec émotion un discours qui fut
suivi des cris unanimes de « Vive le Roi! », dit le procès-
verbal. Nomination du député : 383 votants : M. Fontaine
obtint 20$% voix, M. Ferdinand de Berthier, 137. M. Fon-
taine fut proclamé élu; c'était un nouvel échec pour le
Gouvernement.
A Aire, le Président était le vicomte du Tertre, maréchal
de camp des armées du Roi, commandeur de la Légion
d'honneur, chevalier de saint Louis. [l prononça un discours
« écouté avec attention et sans murmures ». Les Rovalistes
le firent suivre des cris de vive le Roi! Le vicomte du l'ertre,
après avoir réclamé la bienveillance des électeurs ct leur
avoir parlé des preuves qu'ils avaient données de leur amour
pour la dynastie des Bourbons, dépeignit la prospérité de la
France dont la Restauration avait été le principe; il rappela
que c'était dans cette situation si florissante que la Chambre
des députés, dans une Adresse qui avait déchiré le cœur du
Roi avait déclaré que le Gouvernement ne devait pas compter
sur son concours et avaitannoncé que l'harmonie des grands
Pouvoirs se trouvait détruite. Le Roi faisait appel à la sagesse
et à la loyauté des électeurs pour pouvoir réaliser ses inten-
tions bienveillantes. Levicomtedu Tertreexposa l'importance
des élections des députés et présenta comme consolation
des divisions intestines la gloire d'une armée fidèle et sou-
mise, et pour gage de la sécurité pour le présent et pour
l'avenir, la fermeté de Charles X et les vertus héréditaires
dans l’auguste famille des Bourbons. L'élection du Bureau
fut un nouveau triomphe pour les libéraux (1). Le vicomte
du Tertre en fut effravé (2). |
(1) Bureau provisoire : MM. le Marquis de Baynast de Sept
Fontaines, maire de Béthune ; Dallennes, maire. d’Aire ; Denissel,
maire de St-Venant ; Delalleau, maire de Lillers, scrutateurs ; de
Laage, sous-préfet de St-Omer, secrétaire. — Bureau définitif :
Votants 371 : M. Cauwet père, 197 voix ; M. Boubert, 494 ; le sénéral
— 145 —
Le vote pour l'élection des députés eut lieu le 2% juin:
486 inscrits, 433 votants : M. Harlé fils obtint 198 voix; le
vicomte du Tertre, 175; M. de Bayenghem, 55. Il fallait
procéder à un second tour de scrutin; il fut remis au lende-
Garbé, 192; M. Denissel, 176, scrutateurs. Puis venaient M. Dallennes
avec 172 voix ; M. Delalleau avec 170 ; le marquis de Baynast avec
169. Le baron Olivier fut nommé secrétaire par 193 voix ; M. de
Laage n'en obtint que 169.
(2 p- 144) Voici la lettre écrite par le vicomte du Tertre au Préfet
le 23 juin 1830 :
« La journée est mauvaise ; les candidats des libéraux l'emportent ;
nous sommes au dépouillement du scrutin pour la nomination des
scrutateurs, et tout annonce que nous serons battus comme nous
l'avons été pour le secrétaire qui est le baron Olivier. Tout cela fait
présager que la journée de demain ne sera pas heureuse pour la cause
royale ni pour moi !! Il est vrai que nous ne sommes que 369 votants
et que la liste est de 486 électeurs, mais on peut en déduire au moins
30 morts ou malades qui ne pourront pas venir demain, peut-être, et
Je le crois, quarante ; s'il vient 73 votants de plus qu'aujourd'hui, il
faut compter qu’il ÿ en aura une petite portion appartenant au libéra-
lisme ; le reste suftira-t-il pour nous donner la majorité, les royalistes
étant divisés lorsque nos ennemis sont si unis ?
Il est bien certain que les libéraux peuvent assurer la victoire à
M. Le Sergeant s'ils ne peuvent l'obtenir pour M. Harlé. Aussi notre
défaite ne parait pas douteuse. S'il en est de même dans toute la
France, que fera le Gouvernement ? Quel triste avenir |!
Serons-nous plus heureux à Arras que dans le 3e arrondissement ?
Le grand collège enverra-t-il du moins trois députés royalistes ? Je
n’ai pas le courage de vous en dire davantage ; M. de Laage va sans
doute vous écrire lorsque le scrutin sera dépouillé ; si un des scruta-
teurs du bureau provisoire est conservé, ce sera M. Dallenne, et cela
seulement, parce que les libéraux ont porté M. Delalleau sans désigna-
tion, ce qui lui a fait perdre une vingtaine de voix.
Votre dévoué serviteur et ami, je n'ose l’espérer, votre futur collègue,
à moins que les électeurs du grand collège me soient plus favorables,
On a commencé par vouloir me lâter, mais on a senti que Je ne me
laisserais pas dominer ; les libéraux sont devenus plus sages : ils
l’auraient sans doute été moins s'ils avaient été battus.
Nous n’aurons pas fini le dépouillement avant neuf heures, quelle
séance |
10
— 146 —
main. Le résultat du premier vote n'était pas heureux pour
les royalistes, puisque les partisans de M. de Bayenghem
n'avaient pas voté pour le vicomte du Tertre, comme on
l'espérait, il était à craindre qu'au scrutin de ballottage ils
ne reportassent le lendemain leurs voix sur M. Harlé, comme
les libéraux l'avaient demandé à M. de Bayenghem; le
vicomte du Tertre était bien découragé, il écrivait au Préfet,
le 23 juin, après la nomination des Bureaux : « La journée
a été mauvaise, les libéraux l'emportent, tout annonce que
nous serons battus demain. » C'est ce qui devait se réaliser.
Le 25 juin, M. Harlé fils obtint 222 voix; le vicomte du
Tertre, 203; M. de Bayenghem, 1 voix (1). On voit que les
électeurs de M. de Bayenghem étaient divisés en deux partis,
(4) Le vicomte du Tertre écrivit au vicomte Blin de Bourdon le
27 juin, la lettre suivante :
« Où allons-nous mon cher Vicomte, les élections sont épouvantables
pour la Monarchie, elles prouvent l'agitation des masses, et la corrup-
tion des opinions. Je ne crois pas que cette Chambre ainsi comppsée,
puisse longtemps se maintenir dans la modération que la prudence
perfide des meneurs voudra lui imposer, et je ne crois pas à sa durée.
L'avenir est sombre et gros d'orages.
» À Airc on a été sage et tranquille, mais sortis des murs, les
libéraux ne se sont pas contenus plus longtems, des chants révolu-
tionnaires, des propos factieux et l’insolence des premiers jours de la
Révolution. Les nobles et les prêtres sont des ennemis qui troublent
la société.
» On croit que M. Lesergeant, compte sur l'appui des libéraux au
graud Collège, en reconnaissance de son désistement. Je crois avec
vous que l’incurie et le découragement des Royalistes peuvent compro-
mettre notre succès à Arras. Je vous ai prié, mon cher Vicomte, de
faire connaître d'avance aux Sous-préfets les candidats du Gouverne-
ment. C’est indispensable.
» En vérité ceux qui ne seront pas de cette nouvelle Chambre.
éviteront le désagrément de se trouver en fort mauvaise compagnie,
Dans quelle minorité seront les Royalistes? car il ne faut plus espérer
la majorité, tout ce que nous apprenons est effrayant.
» Nous serons de bonne heure le 2 à Arras et j'irai vous voir de
suite, recevez cn attendant l'assurance de mes invariables sentimens ».
— 147 —
la moitié environ avait reporté ses voix sur M. Harlé fils,
qui fut proclamé député (1). Un courrier, parti à franc étrier,
porta la nouvelle aux libéraux d'Arras; il arriva à onze
heures et demie du soir : nouvelle sérénade donnée par les
jeunes gens à M. Harlé (2). Le vicomte du Tertre avait
d'abord eu l'espoir d'être élu, car son discours avait été
accueilli avec sympathie; mais le résultat prouva qu'il s'était
trompé; il fut très sensible à cet échec, il s'était beaucoup
remué ainsi que M. de Laage, Sous-lréfet de Saint-Omer.
Aussi écrivait-il au Préfet : « Nous sommes battus; la
Monarchie est en péril avec de pareils choix ; M. le Sous-
Préfet s'est fort bien conduit; M. Dallenne, maire d’Aire,
m'a assez bien secondé; mais des individus que je ne vous
noinmerai pas, ont trahi leurs devoirs, quoique tenant des
places de notre Gouvernement. »
Hl écrivit au Ministre, le 26 juin, une lettre pour se plaindre
de certains agents de l'Administration, et pour demander
des faveurs pour ceux qui avaient le mieux soutenu sa can-
didature (3). Il pria le Préfet de faire parvenir cette lettre;
(4) M. Harlé Charles-Marie-Louis-Eugène était né le 4 février 1790,
11 payait 4,669 francs d'impôts.
(2) Un des musiciens fut introduit dans la maison, il adressa à
M. Harlé fils, les paroles suivantes qui, d’après le Propagateur furent
fort applaudies : « Monsieur, vous avez été fidèle à votre mandat,
vous avez fait nombre dans la Cohorte vraiment française des 221,
acceptant aujourd’hui la candidature votre nom vient de sortir de
nouveau de l’urne électorale. La jeunesse d'Arras, dont vous voyez
devant vous la députation, a bieu senti tous les mérites de votre noble
courage et persuadée que vous combattrez toujours sous la bannière de
la liberté, elle vous prie par ma voix d'agréer l'hommage de ses féli-
citations et de sa vive reconnaissance. Vive notre Roi ! Vive la Charte |
Vive notre député ! Vivent les 221 ! »
Ce jeune homme étant employé chez un fonctionnaire, il fut renvoyé ;
grande fureur du Propagateur qui y vit la menace d'autres desti-
tutions.
(3) 1! demandait pour ceux qui avaient le mieux agi pour lui cinq croix
de la Légion d'honneur ei des lettres de félicitations, ce qui était plus
— 158 —
mais le 27 juin il se ravisa et demanda qu'on ne l'envovät
pas, car il voulait vérifier si ses renseignements étaient
exacts.
A Hesdin, la réunion du collège électoral eut lieu à neuf
heures et demie du matin à l'Ilôtel-de-Ville; elle avait été
précédée d'une messe du Saint Esprit. Le Président,
M. Valentin-Charles-Hubert de Mallet baron de Coupigny,
chevalier de Saint-Louis, officier de la Légion d'honneur,
après avoir donné lecture de l'ordonnance de convocation,
prononceundiscours dans lequelils attachait à faireressortir
toute l'importance de faire un choix qui répondit à l'attente
du Monarque et aux vrais intérèts de la Patrie. Après avoir
attiré l'attention de l'Assemblée sur l'accroissement de gloire
qui résulterait pour la France de l'expédition d'Alger, il
exprimait sa reconnaissance de l'honneur que S. M. venait
de lui faire en l'appelant à la présidence du Collège; le bureau
provisoire, composé de royalisles, fut remplacé par des libé-
raux (1). Premier échec{(2).On procéda à l'élection des députés
‘facile à obtenir. On n'eut pas à examiner ces demandes car, si le
Préfet avait envoyé la première lettre, il avait également fait partir la
seconde qui l’annulait.
(1) Bureau provisoire : vicomte de Montbrun, ancien député;
MM. Quarré de Chelers, juge de paix du canton d’Aubigny ; Flécheux,
maire d'Auxi-le-Chàteau; Barbier, conseiller d'arrondissement, scru-
tateurs; Lefebvre de Gouy, chef d’escadron au 12e Chasseurs, secré-
taire. — Bureau définitif : inscrits 315, votants, 218 : MM. Danvia,
maire de Gouy, 151 voix; Jean-Baptiste Petit, maire de Bryas, 442;
Lévêque, avocat, 139; Deslaviers, maire de Frévent, 140, scrutateurs.
Puis viennent : vicomte de Montbrun, 75 voix ; M. Quarré de Chelers, 64.
M. Thelliez, avocat, fut nommé secrétaire par 143 voix contre 67 à
M. Lefebvre de Gouy.
(2) Le Sous-Préfet de Saint-Pol écrivait au Préfet, le 23 juin 1830,
à huit heures du soir : « Mes prévisions ne sont que trop confirmées.
Le bureau a été renversé à une majorité épouvantable et que vous
indiquera M. de Gantès. S'il ne s'opère pas un généreux désistement
en faveur de M. Dussaussoy, on ne sera pas plus heureux demain.
Mais on dit qu'il ne veut plus être porté. »
De son côté, le Sous-Préfet de Montreuil écrivait au Préfet, sept
— 149 —
le lendemain. M. Degouves de Nuncques obtint 184 voix; le
baron de Coupigny, 84; M. Dussaussoy, 8. C'était l'échec
le plus grave que le Gouvernement eût éprouvé dans les
quatre circonscriptions (1). Les libéraux et leur journal
manifestèrent leur joie. Le Propagateur disait le 27 juin :
« La victoire se déclare pour nous; c'est pour les libéraux
du Pas-de-Calais un succès complet, il en est de même dans
les départements voisins (2).
heures du soir : « Tout fait craindre pour demain un bien triste
résultat, il y a zèle et union de la part des royalistes, mais que faire
contre le nombre? »
Le baron de Coupigny envoya au vicomte Blin de Bourdon une
lettre bien découragce.
(1) Le baron de Coupigny écrivit au Préfet le 24 juin la lettre
suivante :
« Monsieur le Vicomte,
» Informé par M. le Sous-Préfet de Montreuil qu’il vous rendait
compte du résultat du scrutin d'hier pour la formation du bureau
définitif du collège que je préside, j'ai différé jusqu'aujourd'hui à vous
écrire pour pouvoir vous donner celui du scrutin pour la nomination
du député. Il a été tel que nous avions lieu de le craindre, comme
vous le verrez par la note ci-jointe.
» Vous partagerez sans doute, Monsieur le Vicomte, tout le regret
que j'éprouve d’un résultat aussi peu satisfaisant : ce qui peut y
apporter quelque consolation, c'est que les royalistes se sont montrés
unis, puisqu'à l'exception de dix voix, j'ai réuni celles qui n'ont pas
été données à mon compétiteur.
» Ï: faut espérer que si les autres arrondissements des départements
de France font de semblables choix, on sentira enfin la nécessité de
chercher les moyens de sortir d'une voie dans laquelle la Monarchie
doit succomber et l'on fera bien d’user d'une grande surveillance,
pour qu'il ne se commette pas d'excès.
» Je vous envoie, ci-joint, quelques exemplaires de mon discours.
» Je recois dans l'instant la lettre que vous n'avez fait l'honneur
de m'écrire hier.
» Espérons qu'au moins au collège de département, nous pourrons
obtenir quelques-uns des nôtres ».
(2) D'après le Propagateur, dans le département du Nord, les
députés qui avaient voté l'adresse furent réélus ; ceux qui avaient
— 450 —
Du reste, l'Administration préfectorale s'attendait à ce
résultat. On voit que l'opinion royaliste avait été battue
dans les quatre collèges ; c'était à craindre. On espérait être
plus heureux, dans l'élection du 3 juillet, au collège dépar-
temental. Le Ministre de l'Intérieur, M. de Peyronnet,
écrivit au Préfet, le 28 juin : « La faction libérale se croit
déjà assurée du triomphe parce qu'elle a obtenu quelques
succès dans les collèges d'arrondissements; mais les collèges
de départements donnent des espérances qui diminueront sa
jactance. C'est sur ce point que vous devez maintenant
réunir toutes vos forces; que les royalistes ne se découragent
pas; si leurs adversaires ont eu jusqu'ici quelques avan-
tages, ce doit être un motif de plus pour redoubler d'efforts.
Ce n'est plus une question d'administration, c'est des inté-
rêts de la Monarchie et de la paix publique qu'il s'agit, et
c'est ce qu’il faut défendre de tous nos moyens. Quoi qu'il
arrive,le Ministère remplira avec courage etavecune inébran-
lable fermeté le mandat qu'il a reçu de la confiance du Roi,
mais il a besoin d'être secondé, non seulement par ses agents,
mais par tous les hommes véritablement amis de l'ordre et
de la prospérité du pays. C'est aussi leur cause qui est atta-
quée; à l’activité de la faction, opposez l'activité la plus sou-
tenue, la plus énergique, et n'épargnez ni soins, ni démar-
ches. C’est à chaque individu que les libéraux s'adressent,
et de préférence à ceux dont le caractère faible et timide peut
volé contre échouërent, entre autres M. Cotteau: sur huit députés,
six étaient des constitutionnels. M. de Vatimesnil à Valenciennes et
M. d’Estournnel à Cambrai luttèrent contre M. de Monthvon, et furent
élus, comme M. de Brigode, l’un des 221. Dans la Somme à Amiens,
M. Caumartin l’emporta sur le baron de Morgan de Belloy, député
sortant, qui n’eut que 125 voix. M. de Dompierre d'Hornoy, l'un des
221, obtint 194 voix et M. Daveluy, 110. Le vicomte Blin de Bourdon
à Abbeville ne réunit que 194 voix et son concurrent M. de Rain-
villers, en eut 210, mais il fut nommé par le grand collège. Le comte
d’Hunolstein qui avait voté contre l'adresse, le baron de l'Epine, le
vicomte de Casteja, ancien sous-préfet de Boulogne, échouërent.
— 151 —
leur offrir plus d'espoir de réussir; suivez ces exemples dans
ce qu'ils ont de permis; que votre constante vigilance ne
vous laisse ignorer aucune de leurs manœuvres, aucune de
leurs tentatives, et prenez vos dispositions pour en détruire
aussitôt les effets; de votre côté ne négligez rien pour dimi-
nuer leur force au profit des royalistes; l'autorité, quelles
que soient la violence et l'audace de ses détracteurs, ne peut
être sans action et sans influence, si elle use avec suite,
intelligence et fermeté, des ressources dontelle peut disposer.
Les hommes auxquels elle doit s'adresser aujourd'hui pour-
ront la mieux comprendre, et moins susceptibles d’être
aveuglés ou entraînés par l'esprit de parti, les électeurs des
grands colièges doivent plus facilement apprécier tout ce
qu'aurait de dangereux le triomphe d'un partiqui ne respecte
plus rien, et ne se refuseront pas, je l'espère, à l'empècher.
Cela dépend encore entièrement d'eux, Agréez,.….. etc. »
Ce que disait le Ministre était vrai, mais, au point où en
était arrivée l'opinion de la majorité des électeurs dans le
Pas-de-Calais, l'exécution de ces instructions était difficile
et inefficace; c'était trop tard pour prendre de viriles réso-
lutions quand la partie était perdue. Les fautes commises
avaient amené cette regrettable situation.
Il s'agissait de choisir les candidats pour le grand collège.
Deux étaient désignés d'avance : c'étaient M. de Rosny,
ancien député, et M. du Quesnoy, député sortant; et pour
le troisième siège, on avait attendu le résultat des élections
dans les collèges d'arrondissement. Deux des candidats du
Gouvernement avaient échoué : le vicomte du Tertre et le
baron de Coupigny. Ils désiraient tous deux être désignés
par le Gouvernement. Le Préfet préférait le vicomte du
Tertre parce qu'il lui croyait plus de chances; mais il écri-
vait à celui-ci qu'il avait constamment refusé d'adopter les
candidats au nom du Gouvernement, car cela aurait gèné
son appui si la place était prise, et que d'ailleurs le Ministre
ne l'y avait pas autorisé. Pourtant, il ajoutait : « Tout se
— 152 —
prépare bien ici pour vous porter au grand collège avec
MM. de Rosny et du Quesnoy; je crois d'ailleurs que c'est
un devoir pour tout royaliste de porter un des 181, de même
que nos adversaires portent les 221, et je n'ai annoncé que
la candidature officielle de MM. du Quesnoy et de Rosny.»
Le baron de Coupigny renonça à se porter, et le vicomte du
Tertre resta seul candidat.
Les libéraux choisirent comme candidats d'abord M. de
Bayenghem; puis le général Garhé, puis M. de Forest de
Quartdeville, premier président à la Cour royale de Douai.
On peut s'étonner de voir un magistrat d'un ordre aussi
élevé dans la magistrature, se porter comme candidat de
l'opposition, mais déjà M. Degouves de Nuncques, qui faisait
une si vive opposition au Gouvernement, était lui-même
conseiller à cette même Cour. Nous avons vu souvent dans
nos récits le Gouvernement abandonné par ses fonctionnaires
et on ne doit pas s'étonner que les journaux libéraux, quand
ils étaient poursuivis, trouvaient des juges indulgents.
Les libéraux pensèrent aussi à prendre pour candidat
M. de Sus-Saint-Léger, ancien maire d'Arras et ayant une
certaine influence, mais il refusa la candidature (1).
(1) Lettre écrite par M. Mayoul de Sus-Saint-Léser :
« Arras, le 22 juin 1830.
» J'ai appris que plusieurs de Messieurs les Royalistes constitu-
tionncls, avaient le projet de me présenter comme candidat à la
députation, au Collège départemental. Permettez que je m'adresse à
vous, pour vous prier de leur faire connaître que, quelque honoré que
je sois d’un si haut témoignase d'estime et de confiance, J'éprouve le
regret de ne pouvoir accepter.
» La faiblesse actuelle de ma santé, mes habitudes sédentaires, qui,
sans offrir le moindre intérêt au public, ont une grande puissance sur
moi, s’y opposent.
» Peut-être aussi les fonctions ‘publiques de Maire de Sus-Saint-
Léger et d'Arras, et de membre du Conseil général, m’autorisent-
elles à me considérer comme libéré de la dette, dont tout Français est
comptable avec son pays.
» D'ailleurs, ne se présente-t-il pas de tous côtés des candidats qui,
— 153 —
On se réunit à l'IHôtel-de-Ville d'Arras le 3 juillet; la messe
du Saint-Esprit fut célébrée par Mgr l'Evèque, les électeurs y
assistèrent. Le marquis de Tramecourt,qui présidaitle Collège
prononça un discours où il engageaïit les électeurs à écouter
la voix du Monsrque fort de son amour pour son peuple et
de ses nobles vertus. Il leur démontre la nécessité de faire
un choix sage afin de rendre vains les efforts de ces esprits
inquiets que l'expérience n'a pas éclairés et qui travaillent
sans relâche à égarer l'opinion. Il termine en faisant con-
naître la conviction où il est que les électeurs voudront avoir
pour députés des vrais amis du Trône et de l'Autel, et des
institutions que la Charte a consacrées, qui professent pour
la religion de nos pères un attachement profond, et qui
avec une bien plus grande habileté que moi, soutiendront avec un
zèle aussi énergique et une conviction aussi intime, notre doctrine
politique qui, après tout, n’est qu'un amour bien légitime de la royauté,
du Roi et de la dynastie.
» Tous nos éligibles ne savent-ils pas comme moi, qu'au fond du
noble cœur de Charles X, repose un trésor de Justice et de bonté, et
que le but de tous mes efforts est de travailler à dissiper ce nuage de
préventions et d'erreurs qu’amènent autour de son trône quelques
hommes, ou peu éclairés ou conduits par une ambition mal conçue ou
dominés par des préjugés dont plusieurs mêmes sont respectables,
afin que le fRoi puisse découvrir que cette majorité nationale, si
forte, si soumise est dévouée à ses véritables intérèts, afin qu'alors
s’abandonoant à l'impulsion de sa bienveillance naturelle, il écoule
avec faveur les prières de son peuple fidéle et chéri, et ordonne enfin
l'exécution complète et sincère de la Charte, de cette Charte, unique
objet de tous nos vœux, de cette Charte, que dans sa haute sagesse
Louis XVII nous a donnée comm la seule règle convenable à l'époque,
comme la seule garantie du bonheur et de la gloire de la France
bien aimée. Je me flatte que la résolution que j'ai prise ne me privera
pas de la bienveillance de Messieurs les électeurs que je mériterai
toujours d'ailleurs par ma persévérance dans les mêmes principes et
que vous voudrez bien, Monsieur, employer toute votre influence,
pour leur faire agréer toutes mes excuses et leur offrir l'hommage de
ma profonde reconnaissance ».
— 154 —
sachent défendre avec le même courage les libertés publiques
et les prérogatives du Trône.
Ce discours excita dans l’Assemblée, dit le procès-verbal,
le plus grand enthousiasme et fut accueilli aux cris répétés
de « Vive le Roi! Vivent les Bourbons! ».
La constitution du Bureau annonça que la lutte serait
vive, les deux partis se balançaient (1). La séance ne se
termina qu'à cinq heures et demie et on remit au lendemain,
4 juillet, l'élection des députés.
Voici le résultat : 425 incrits, 369 votants, majorité 185.
M. de Bayenghem, 190 voix (2); général Garbé, 186; M. de
Forest, 181; M. du Quesnovy, 180; M. de Rosny, 17#; Le
vicomte du Tertre, 157; M. du Iays, 7. MM. de Bayen-
ghem (3) et le général Garbé (4) ayant une majorité suffi-
sante furent proclamés députés. Pour le troisième siège, il
y avait ballottage. Le second tour de scrutin eut lieu Île
lundi 5 juillet, à 2 heures 1/2 de l'après-midi. M. du Ques-
noy (95) obtint 190 voix et fut proclamé député, M. de Forest
(4) Bureau provisoire : MM. le prince de Berghes, baron de Coupi-
gay, Hurtrel d’Aboval, Proyart d'Ervillers, scrutateurs ; Letebvre des
Trois Marquets, secrétaire. — Bureau définitif : MM. le prince de
Berghes, 160 voix; Hurtrel d’Aboval, 457; l'amiral Wattier, 449 ;
Danvin, maire de Gouy, 149 ; Proyart, 149 ; puis venaient MM. Des
Lyons de Noircarmes, 144; le baron de Coupigny, 143; Pigault de
Beaupré, 141. M. Lefebvre des Trois Marquets fut nommé secrétaire
par 160 voix; M. Enlard de Grandval, en obtint 149. L'amiral Wattier
étant plus jeune ne fut pas scrutateur.
(2) Le Propagaleur vrac mte qu'à sa rentrée à St-Omer, on lui fit
une ovation à laquelle prirent part les pompiers. En se rendant à
Arques, la population vint le féliciter.
(3) M. de Bayenghem Henri, maire de St-Omer. conseiller général,
était né le 13 décembre 1788. Il payait 1,024 francs d'impôts.
(4) Le lieutenant-général, Vte Garbé Théodore, payait 1,094 fr. 35
d'impôts. Il était d’Hesdin ; il mourut en 1831 et eut pour successeur
M. d’'Hérombault, qui représenta très longtemps l'arrondissement de
Montreuil.
(5) M. Du Quesnoy, Joseph-Michel, né le 15 février 1776, payait
1,798 fr. 75 d'impôts.
— 155 —
de Quartdeville n'en ayant obtenu que 178. Comme on le
voit, le Gouvernement avait été battu; les royalistes qui fai-
saient partie de l’ancienne députation n'avaient pas été
renommés; les libéraux avaient un succès presque complet:
M. du Quesnoy était le seul royaliste qui eût été choisi (1).
Le Propagateur disait le 27 juin : « Royalistes constitu-
tionnels, vous avez beaucoup fait, beaucoup obtenu, maisil
reste encore quelque chose à faire ; un dernier succès à
obtenir : en 1824, sept nobles du Ministère Villèle représen-
taient votre département ; en 1827, on les remplaça par
quatre choix constitutionnels; en 1830, six de vos repré-
sentants appartiennent à notre parti; ilfautqu'aux prochaines
élections sept noms de royalistes constitutionnels sortent de
l'urne électorale, vous le pouvez ».
« Lors de l'élection du grand collège, presque tous les
électeurs ont voté, jamais il n'y a eu aussi peu d'abstentions;
on commença par renvoyer le bureau provisoire; l'abandon
de quelques constitutionnels a produit l'échec de M. de Quart-
deville ; c'est très regrettable ; le premier scrutin avait été
accueilli par le cride : Vivele Roi! Vive la Charte! l'élection
de M. du Quesnoy, fut accueillie, par le silence. »
Cette assertion du Propagateur, étant connue la partialité
de ce journal, doit être accueillie avec réserve. Dans un
autre article il dit : « Les libéraux vainqueurs au scrutin
d'Arras firent une distribution de pain aux indigents de cette
ville. Les partisans de M. Harlé se réunirent, la nuit qui
suivit l'élection, dans un banquet où on porta de nombreux
toasts aux vainqueurs, et aux députés nommés. M. Harlé
(4) M. de Bayenghem, nommé malgré le Gouvernement, ne pouvait
rester maire de Saint-Omer, il le comprit et envoya sa démission. La
nouvelle municipalité nommée le 22 juillet 1830, se composait de
M. de Lestrange, maire, avec MM. de Taffin et Dupuis Ternaux,
adjoints. Quelques jours plus tard, la Révolution de 4830 devait faire
cesser leurs fonctions.
— 156 —
fils donna, le vendredi, un diner (1), on s'y livra à des
(1) A ce diner assistèrent le général Garbé et MM. de Bayenghem,
Fontaine et Harlé père, et une trentaine d’électeurs.
M. Harlé fils porta un toast au Roi, où il disait : Puisse-t-1l encore
vivre longtemps pour le bonheur de sou peuple, nous formons des
vœux ardents pour qu'il choisisse bientôt des Ministres dignes de lui,
et de notre belle patrie. Joignez-vous à moi, Messieurs, et crions :
Vive le Roi ! Vive la Charte! Ils sont désormais inséparables.
M. Pigault de Beaupré, propriétaire à Calais, porta la santé des
nouveaux députés, et du général Garbé, « investi de la confiance du Rai,
il saura continuer à s’ea montrer digne, en défendant le trône et les
institutions constitutionnelles, qui en sont le plus ferme appui : et
nous le verrons, Messieurs, aussi dévoué aux Bourbons et aussi
prudent à la tribune, qu'on le vit toujours brave sur le champ de
bataille. « S’adressant à M. de Bayenghem, il dit : « Si le dévouement à
son Roi, l'estime publique et la modération, sont des titres à la candi-
dature, quel homme, Messieurs, en était plus digne que M. Le Sergeant,
que cet administrateur estimable, qui a su sacrifier ses fonctions {il
avait donné sa démission de maire de St-Omer)? Ua tel choix, Messieurs,
est aussi honorable pour les électeurs que pour celui qui en est
l'objet. M Le Sergeant promet à la Monarchie et à la Charte, un
défenseur de plus. Ses vertus privécs, sa conduite administrative ;
sont des garanties certaines de son indépendance parlementaire. »
M. Enlart, président au tribunal de Montreuil, but à la santé des
quatre députés des petits collèges appelés à la Chambre par les rova-
listes constitutionnels : « ils ne séparèrent jamais les intérèts du Roi,
d'avec ceux de la Charte qui, exactement exécutée, peut seule faire
cesser les divisions, qui retardent le bonheur dont les Français sont
appelés à jouir. » Il termina en criant : Vive le Roi! Vivent nos députés !
M. Mancel, négociant à Calais, dit : aux toasts qui vienvent d'être
portés, il convient d'en ajouter un autre, en faveur de M. Corne de
Brillemont, le réorganisateur de l'esprit public dans le Pas-de-Calais.
C’est à son zèle infatigable, c'est à son désintéressement digne de tout
éloge que le pays doit le progrès de son industrie et ses progrès
constitutionnels. La place de M. Corne de Brillemont est marquée
depuis longtemps parmi les citoyens dont la France peut le plus
s’enorgutillir. Qu'il vive encore longtemps pour achever l'ouvrage
qu'il a si bien commencé. M. Corne répondit : Je suis loin Messieurs,
de mériter les éloges que je viens de recevoir. Si l'esprit public a fait
des progrès dans le département, ce sont nos efforts communs qui
ont amené ce résultat. Au reste, si vous pensez que quelque recon-
hé ee
manifestations tellement bruyantes qu'un habitant de la rue
St-Aubert, réveillé par le bruit, crut à une altercation dans
la rue, et parut à sa fenètre en caleçon et un sabre à la main;
la police dressa procès-verbal contre les perturbateurs de la
paix publique. »
Dans l'élection du 23 juin l'opposition avait obtenu une
grande majorité; le Cabinet, sur 198 députés à élire, n'avait
obtenu que 55 nominations contre 183. Les 221 qui étaient
candidats avaient été réélus, tandis que les 181 de la mino-
rité avaient été en partie remplacés par des libéraux. La
seconde série n'avait pas été meilleure, les huit députés de
Paris furent élus à une grande majorité. En province, sans
être aussi significatives, les nominations ne furent pas plus
favorables au Ministère. Dans les grands collèges on avait
l'avantage de quelques nominations, mais l'opposition gar-
dait le considérable bénéfice qu'elle avait eu dans les collèges
d'arrondissement.
La situation était grave. Charles X avait dit que ses réso-
lutions seraient immuables. Les changer, le pouvait-il sans
déshonneur, dit Vaulabelle, quand, sourd à sa voix, le corps
électoral, par un insolent défi, lui renvoyait une Chambre
,
naissance soit due au dévouement sans bornes que je porte au Roi
et à ses institutions, j'en trouve, Messieurs, la récompense dans les
choix que vous venez de faire. A la santé des électeurs des Collèges
du département.
Ces protestations de dévouement au Roi et à la Monarchie légitime
devaient être bien éphémères, un mois plus tard, nous voyons ces
mêmes personnes, manifester le même dévouement à Louis Philippe
arrivé au Trône, après le renversement de Charles X et de la
Monarchie légitime. Ceux qui ont lu notre travail sur la Restauration
ne doivent pas s'en étonner, ils ont vu ces mêmes variations de la
part des hommes politiques, arrivés au pouvoir et désirant y rester.
Cela eut lieu dans tous les temps, mais, il faut rendre justice aux
royalistes qu'on qualifiait alors d’Ultras, la plupart résiguèrent
leurs fonctions ou brisèrent leur épée, lorsque les évènements de 1830
eurent chassé le Monarque à qui ils avaient prêté serment de fidélité.
— 158 —
plus hostile encore que l'Assemblée qu'il venait de dissoudre
parce qu'elle l’« avait offensé », lorsque son armée venait
de remporter, au cri de Vivele Roi! des victoires en Afrique
qui ajoutaient à sa Couronne le fleuron d'une vaste et glo-
rieuse conquête ?
Ce fut le 29 juin 1830, trois jours après les élections des
collèges d’arrondissements, qu'eût lieu dans le Conseil des
Ministres la première discussion sur la convenance du
recours à l'article 14 de la Charte (1). M. de Chantelauze le
proposa et il soumit les projets suivants : suspendre entiè-
rement le régime constitutionnel et gouverner par ordon-
nances jusqu au rétablissement du Gouvernement sur des
bases vraiment monarchiques ou déclarer nulles les nomi-
nations comme députés des votants de l’Adresse, ou casser
la nouvelle Chambre aussitôt que les élections seraient
terminées, et en faire élire une autre d'après un système
électoral établi par une ordonnance et qu’on combinerait de
manière à donner aux royalistes une majorité certaine dans
les collèges. Avant tout, disposer les troupes de manière à
placer vingt à trente mille hommes à Paris, à Lyon, à Bor-
deaux et à Rouen, en déclarant au préalable ces villes en
état de siège. Il y eut une longue discussion, et malgré
l'avis de M. de Guernon-Ranville, d'après le principe : Salus
populi suprema lex, on décida que le Roi pouvait prendre
les mesures extra légales qui lui paraîtraient nécessaires
pour garantir le salut public. M. de Peyronnet croyait qu'on
pouvait les ajourner. Quand on apprit que l'opposition était
décidée à ne jamais transiger avec la Royauté, que les
sociétés secrètes n'étaient pas inactives, et que leurs mem-
bres parcouraient les provinces et représentaient le Gouver-
nement des Bourbons comme le seul obstacle au bonheur
(1) Cet article disait : « Le Roi est le chef de l’Etat.…., il fait les
règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois et la
sûreté de l'Etat. »
— 159 —
de la France, qu'on cherchait à ébranler la fidélité des
troupes, le Ministère pensa que l'opposition préparait une
guerre civile. En même temps les violences des journaux
redoublaient, ils faisaient des rapprochements entre la situa-
tion des Stuarts en 1688 et celle des Bourbons en 1830, et
appelaient à grands cris un changement de dynastie.
Dans un Conseil tenu le 4 juillet, le prince de Polignac et
trois de ses collègues offrirent de se retirer. Le Roi refusa
disant : « Vos successeurs ne seront pas plus heureux, s'ils
veulent aussi défendre les prérogatives royales. » Il ne
voulait pas reculer. Selon lui, c'était ce qui avait perdu
Louis XVI. Charles X se crut acculé à l'article 44 (1). Le
6 juillet, M. de Peyronnet déclara au Conseil que c'était le
seul moyen de salut. Il fut appuyé par M. de Polignac. Le
Roi convoquerait, sous le nom de Grand Conseil de France,
une Assemblée composée de pairs, de députés, de magistrats,
de conseillers généraux, sous la présidence du Dauphin.
On lui demanderait les moyens de vaincre les obstacles
qu'éprouvait le Gouvernement. Cette copie de l'Assemblée
des notables de 1787 était impuissante à faire le bien et pré-
sentait de nouvelles difficultés. On y renonça et on se décida
à publier des ordonnances. Le 16 juillet, le Président du
Conseil fit connaître au Roi la décision du Ministère, et,
malgré M. de Guernon-Ranville, le Roi sanctionna l'avis
de la majorité.
M. de Peyronnet proposa trois projets d'ordonnance :
l'une suspendait la liberté de la presse et interdisait toute
publication périodique sans l'autorisation du Gouvernement.
La seconde dissolvait la Chambre. La troisième établissait
(1) M. de Villèle, qui voyait les choses en noir, dit : « L'esprit de
Charles X se troubla, au lieu de louvoyer ou de changer ses Ministres,
d'attirer à lui les hommes d'opinion modérée, il crut que la sûreté de
la couronne l’obligeait à recourir aux mesures extra légales. » Malgré
l'avis de cet homme d'Etat, on peut croire que, saus cela, au point où
en était la Monarchie légitime rien ne l’aurait sauvé.
— 160 —
un nouveau système électoral plus favorable au Gouverne-
ment (1). Le nombre des députés était réduit à 258. On
-
(4) Ire Orvoxnaxce : La liberté de la Presse périodique est suspendue.
Nul journal ou écrit périodique ou semi-périodique, établi ou à établir,
sans distinction des matières qui y sont traitées, ne pourra paraître,
sit à Paris, soit dans les départements, qu'en vertu d’une autorisa-
tion qu’en aurontobtenue de nous séparément les auteurs et l’imprimeur.
Cette autorisation devra être renouvelée tous les trois mois, elle
pourra être révoquée. Nul écrit au-dessous de vingt feuilles d’im-
pression ne pourra paraître qu'avec l'autorisation du Ministre de
l'Intérieur à Paris et du Préfet dans les départements. Tout écrit de
plus de vingt feuilles qui ne constituerait pas un même corps d'ouvrage,
sera également soumis à la nécessité de l'autorisation.
Les Mémoires sur procès et les mémoires des Sociétés savantes ou
littéraires sont soumis à l'autorisation préalable, s'ils traitent en tout
ou partie de matières politiques.
Les journaux ou écrits, publiés en contravention de ces dispositions,
seront immédiatement saisis, et les presses et les caractères ayant servi
à leur impression placés sous scellés ou mis hors de service.
Ile Onponnance. — La Chambre des députés des départements est
dissoute.
Ille OrnvoNNANCE. — Conformément aux articles 45-36 et 40 de la
Charte constitutionnelle, la Chambre des députés ne se composera que
de députés de département.
Le cens électoral et le cens d'éligibilité se composeront exclusive-
ment des sommes par lesquelles l'électeur et l’éligible seront inscrits
personnellement en qualité de propriétaires ou d’usufruitiers au rôle
de l’imposition persoanelle et mobilitre.
Chaque département aura le nombre de députés qui lui est attribué
par l’article 36 de la Charte. Ces députés seront élus et la Chambre
sera renouvelée dans la forme et dans le temps fixé par l’article 37.
Les collèges électoraux se diviseront en collèges d’arrondissements
et collèges de département. Les premiers se composeront de tous les
électeurs domiciliés politiquement dans la circonscription ; les seconds,
du quart le plus imposé des électeurs du département.
Chaque collège d'arrondissement élira un nombre de candidats égal
au nombre des députés du département et se divisera en autant de
sections qu'il devra nommer de candidats. Ces sections pourront être
assemblées dans des lieux différents, en ayant égard autant que possible
aux convenances de localités et de voisinage. Chacune d'elles élira
— 161 —
supprimait ceux d'arrondissement, mais leurs collèges
proposaient des candidats. On fixait à cinq ans, la durée du
mandat électoral. On abaissait le cens électoral. On retirait
aux tribunaux les questions concernant le droit électoral. Le
Roi ne croyait pas violer la Charte en usant de l'article 14.
Louis XVIII l'avait fait en 1815 et la Chambre des Pairs
avait reconnu ce droit en 1828.
M. de Chantelauze fit un rapport destiné à exposer les
dangers que le Gouvernement royal avait à vaincre. Il
représenta la liberté de la Presse, comme ces breuvages
puissants qui fortifient quand ils n’enivrent pas. C'était elle
qui donnait le vertige à l'opinion publique en France.
C'était lui qui avait préparé l'ordonnance sur la Presse, et
un candidat et procédera séparément; leurs présidents seront nommés
par les Préfets.
Le collège de département élira les députés ; la moitié de ces députés
devra être choisie dans la liste générale des candidats proposés par les
collèges d’arrondissements.
La liste des électeurs sera arrêtée par le Préfet en Conseil de Pré-
fecture et affichée cinq jours avant la réunion des collèges. Les récla-
mations sur la faculté de voter auxquelles les Préfets n'auraient pas
fait droit, seront jugées par la Chambre des députés en même temps
qu'elle statuera sur la validité des opérations des collèges.
Les électeurs voteront par bulletins de liste; ils écriront leur vote
sur le bureau ou le feront écrire par un des scrutateurs.
Conformément à l’article 46 de la Charte constitutionnelle, aucun
amendement ne pourra être fait à une loi dans la Chambre s'il n’a été
proposé en Conseil par nous et s'il n’a été renvoyé et discuté dans les
bureaux.
IVe Onvonnancs. — Les collèges électoraux se réuniront savoir :
les collèges d'arrondissement, le 6 septembre prochain; et les collèges
de département, le 43.
La Chambre des pairs et la Chambre des députés des départements
sont convoqués pour le 28 du même mois.
Ve OnDoxnancs. — MM. Franchet, Delavau, Dudon, de Vaublane,
Forbin des Issarts, de Freuilly, de Castelbajac, Syriès de Meyÿrinhao,
Cornet d’Incourt, de Conny de Curzay et plusieurs autres anciens
députés rentrèrent dans les fonctions actives du Conseil d'Etat.
41
— 162 —
le vicomte de Peyronnet, celle sur le nouveau système
électoral.
MM. d'Haussez et de Guernon-Ranville les combattirent,
mais ils ne voulurent pas décliner leur part d’un péril,
auquel leurs collègues s’exposaient, ils donnèrent leur
adhésion.
Le prince de Polignac improvisa ce coup d'Etat, dont il
ne prévoyait pas les suites terribles, avec une inconcevable
légèreté. [1 ne songea pas à organiser la défense contre une
attaque qui ne lui paraissait pas probable. Il ne croyait qu'à
une émeute comme on en avait eu et qu on avait facilement
étouffée. Il n'attendit pas le retour des troupes qui venaient
de conquérir Alger et dont le chef était le Ministre de la
Guerre. Il ne pouvait disposer à Paris que de 11,500 hommes,
_ à Vincennes, St-Denis, Sèvres et Versailles se trouvait un
effectif de 4,500 hommes, en tout la première division
militaire comprenait 19,000 hommes avec 48 bouches à feu,
sans compter la Maison du Roi. Une partie de la Garde
Royale était en Normandie. Le Roi des Pays-Bas, effrayé
des progrès de l'esprit révolutionnaire, négociait secrète-
ment l'aide de la Prusse, elle ne se produisit pas, mais,
l'intervention possible de la France, empècha d'utiliser les
15,000 hommes des camps de Saint-Omer et de Lunéville.
Le prince de Polignac faisait l'intérim du Ministre de la
Guerre avec M. de Champigny sous ses ordres, l’un était
incapable, l'autre manquait de l'autorité suffisante. On
refusa l'offre du marquis de la Rochejacquelein de mettre à
la disposition du Roi un corps de Vendéens.
Voulant garder le secret sur les ordonnances, on ne fit
aucune communication aux puissances étrangères. Le 25
juillet on les présenta au Roi à signer, M. Mangia, préfet
de police, avait déclaré : « Quoi que vous fassiez, Paris ne
bougera pas. J'en réponds sur ma tête, marchez hardiment ».
Le Roi consulta le Dauphin, celui-ci répondit : « Lorsque
le danger est inévitable, il faut l’aborder franchement et
— 163 —
aller tête baissée, on périt ou on se sauve ». Le Roi parut
alors absorbé dans une profonde réflexion, il resta pendant
quelques minutes, la tête appuyée sur une de ses mains,
puis il dit : « Plus j'y pense, plus je demeure convaincu que
je ne puis faire autrement », il signa. Tous les Ministres
contresignèrent en silence. « Voilà de grandes mesures, dit
le Roi, il faudra beaucoup de courage et de fermeté pour
les faire réussir, je compte sur vous, vous pouvez compter
sur moi. Notre cause est commune; entre nous c'est à la vie
et à la mort ». M. de Guernon-Ranville se tournant vers
M. de Montbel lui dit : « Notre conscience est tranquille,
car nous n'avons en vue que le service du Roi et le bonheur
de la France ».
Le 26 juillet, le Roi et le Dauphin sallèrent à la chasse,
pendant que les ordonnances paraissaient au Moniteur. Ce
jour-là le duc de Raguse, major général de la Garde Royale,
fut mis à la tête de la première division militaire, son nom
évoquait de pénibles souvenirs, l'armée et les partis voyaient
en lui le général qui avait fait ouvrir aux alliés les portes
de Paris. De plus, Marmont était opposé aux ordonnances,
mais c'était un soldat et il obéissait.
Les ordonnances éclatèrent comme une bombe, le secret
fut bien gardé et on ne les apprit que par le Moniteur. Au
premier moment, elles ne peraissaient pas faire-une grande
émotion ; le peuple ne s'ébranlait pas, mais il était avide de
nouvelles, pourtant la Bourse baissa de 4 francs.
Les journalistes atteints par l'ordonnance sur la Presse,
se réunirent le 26 juillet pour lutter contre son exécution.
Ils consultèrent MM. Dupin, Odilon Barrot, Barthe et
Mérilhou. Quarante-quatre écrivains réunis au Bureau du
National, le journal d'avant-garde créé pour l'attaque,
signèrent une protestation rédigée par M. Thiers dans
laquelle ils établissaient l'illégalité des ordonnances. Ils
engagèrent les députés élus à se réunir le 3 août, date fixée
pour leur convocation. Le 27 juillet, cette protestation parut
= A6t
en tête du National et du Temps. Le 26 juillet, quelques
députés se réunirent chez Casimir-Perrier, on proposa de
protester contre les ordonnances, au nom de la Chambre
nouvelle. On répondit qu'elle n'avait pas qualité pour le
faire, avant le 3 août. On décida que les députés de Paris,
prendraient l'initiative dela résistance, et M. Delaborde
promit de les rassembler chez lui le soir même. Quatorze
députés s'y rendirent ; on ne décida rien, mais on devait se
retrouver le lendemain chez M. Casimir-Perrier.
Les bureaux du National étaient le centre de la résistance.
À la reunion de quelques députés, succéda celle des électeurs
influents, sous la présidence de MM. Treilhard et Mérilhou.
M. de Schonen (1) décida que le moment d'agir était venu
et le refus de l'impôt fut décidé. Des Commissions devaient
être formées dans chacun des arrondissements de Paris
pour arriver à ce but. On réclama l'insurrection et la réorga-
nisation de la Garde Nationale. M. Thiers répondit : Qu'on
ne s'insurgeait pas avec rien, en effet, le peuple restait
calme.
Le soir du 26 juillet, des rassemblements se formèrent sur
les places du Palais-Royal et du Carrousel. Ils parcoururent
la rue de Castiglione, la place Vendôme et la rue de la Paix
en criant : « Vive la Charte ! A bas Polignac ! A bas les
Ministres ! » Ceux-ci étaient sans crainte, au Conseil, le
prince de Polignac fit des réponses évasives, ce n'était qu'un
trouble léger et passager. Le Roi alla à la chasse, le maré-
chal Marmont à l'Institut,
Des rapports inquiétants arrivaient. Le prince de Polignac,
reconnu dans une voiture avec le baron d'Haussez, fut
accueilli aux cris de «A bas les Ministres! À bas Polignaci »
et assailli par une grêle de pierres. Ils se rendirent chez le
Commandant de la place de Paris pour s'entendre sur les
(4) C'était un ancien carbouaro dont on avait fait un conseiller à
la Cour de Paris.
= 416 —
mesures à prendre. Il fut question de mettre Paris en état
de siège. Les troupes n'avaient pas encore été consignées et
ne commencèrent à agir qu'à six heures du soir.
Quatre imprimeurs que l'ordonnance sur la presse frap-
pait dans leurs intérêts,et un certain nombre de commerçants
et d'industriels de la ville de Paris, réunis à l'Hôtel-de-Ville
pour le renouvellement des membres du Tribunal de Com-
merce, excités par les chefs de l'opposition, se décidèrent &
fermer leurs ateliers et à jeter leurs ouvriers dans la rue.
C'était en faire des insurgés.
Le 27 juillet, le Roi et les Ministres ne paraissaient encore
avoir aucune crainte. M. de Guernon-Ranville avait vu la
foule des solliciteurs remplir ses salons et le Roi donner des
audiences. Les journaux royalistes méconnaissaient l'éten-
due du mouvement qui se préparait; ils célébraient le triom-
phe de la Royauté sur la Révolution, représentant les
ordonnances comme des mesures de salut qui venaient
d'écraser les ennemis du Trône et de l’Autel. Pendant ce
temps-là, l'insurrection s’organisait, excitée par les décla-
mations des ouvriers imprimeurs et des jeunes gens. Le
Constitutionnel et les Débats ne voulurent point obéir aux
ordonnances et cessèrent leur publication. Le National et
le Temps parurent sans autorisation. Ils publièrent la pro-
testation dont nous avons parlé, mais on ne put l'exécuter.
L'autorité essaya inutilement d'arrêter l'impression de ces
journaux. Ils furent enlevés par milliers, distribués dans
tous lés quartiers de Paris et arrivèrent dans les départe-
ments, rapportant les germes de l'incendie qui allait s'étendre
à la frontière. La Magistrature, que nous trouvons encore
hostile au Pouvoir, décida, sur la requête du Journal du
Commerce et du Courrier Français, que leurs imprimeurs
devaient remplir leurs engagments. L'autorité voulut faire
exécuter les ordonnances sur la presse. Malgré une vive
résistance, on démonta les presses du National; mais elles
furent bientôt remontées et mises au service de l'insurrec-
— 4166 —
tion. Au bureau du Temps, il fallut enfoncer les portes et
un des rédacteurs menaça le commissaire de police de le
faire traduire en Cour d'assises pour violation de la loi. De
nombreux assistants, excités par cette résistance, allèrent
briser les presses des journaux royalistes.
Le Préfet de police fit évacuer le Palais-Royal qui était le
quartier général de la résistance. Les marchands effrayés
commençaient à fermer leurs boutiques. L'effervescence
populaire se manifestait de toutes parts, pendant que le duc
de Raguse prenait ses premières dispositions. Les groupes
d'ouvriers dirigés par les étudiants et des élèves de l'Ecole
polytechnique, se formaient aux cris de « Vive la Charte!
A bas les ordonnances! A bas les Ministres! » Des charges
de cavalerie ne purent dégager le jardin. On jeta des pierres
sur la troupe; les insurgés se portèrent au Ministère des
Affaires étrangères pour l'assiéger. Les gendarmes de garde
les dissipèrent. On brisait les enseignes sur lesquelles les
armes du Roi et du prince étaient représentées. Au Palais
Royal, les gendarmes, assaillis à coups de pierres, firent feu.
Quatre insurgés tombèrent, l'un mortellement atteint, les
autres reculèrent criant : « Vengeance! Aux armes! » Il
était six heures du soir, la Garde Royale vint apporter un
secours nécessaire à la gendarmerie et à la ligne. Il v eut
plusieurs décharges de mousqueterie. Pendant ce temps-là,
une trentaine de députés s'étaient réunis chez M. Casimir
Perrier, ils étaient très effrayés, et M. Villemain leur dit :
« Je ne m'attendais pas à voir tant de poltrons réunis. »
Après une discussion très vive, on ne prit aucune résolution.
Une députation d'électeurs de Paris vint déclarer que
l'insurrection était le seul moyen de résistance et demanda
aux députés de se mettre à leur tête. On se sépara sans rien
décider. On devait se réunir le lendemain chez M. de Puyra-
veau. Pendant ce temps-là, les premières barricades s'éle-
vaient dans les rues Saint-Honoré et de Richelieu. Le duc
de Raguse donna l'ordre, vers cinq heures du soir, à une
— 167 —
partie des troupes de se porter vers le Carrousel, la place
Louis XV et les boulevards. La cavalerie devait exécuter
des patrouilles avec les gendarmes d'élite, détruire les barri-
cades et ne faire feu que s'ils étaient attaqués. Les insurgés
accueillirent la ligne avec des cris d'enthousiasme. Aussi
ces troupes refusèrent-elles de tirer sur le peuple rue Saint-
Honoré. La troupe se dirigea vers la première barricade
rue de l’Échelle; on dut faire feu, un vieillard fut atteint.
On promena son cadavre pour exciter l'indignation de la
foule. On recueillait les curieux et les oisifs. Le soir on était
menacé d'une révolution. On refaisait les barricades à
mesure qu'elles étaient détruites ; le tumulte s'était étendu
aux places du Châtelet, au faubourg Saint-Antoine, aux
quartiers du Temple et du Château-d'Eau.
Les insurgés s'emparèrent de l’Imprimerie Royale ; dans
le quartier du Temple, les ra:isemblements nombreux se
formèrent aux environs de l'Hctel-de-Ville ; à cinq heures,
ils se mirent en mouvement et se déployèrent sur les boule-
vards, de la Bastille à la place Saint-Denis, ce qui amena
des engagements avec la troupe. On mit le feu à des barrières
et à un corps de garde sur la place de la Bourse. Des
patrouilles fréquentes parcoururent la ville et rendirent une
sorte de calme aux boulevards des Italiens et Poissonnière
etau quartier des Italiens. Parunaveuglementinconcevable,
l'autorité ordonna aux troupes de rentrer dans les casernes
à onze heures du soir, laissant le champ libre aux insurgés
pour s'organiser.
Le mouvement parlementaire commença à s'accentuer.
Dans une réunion assez nombreuse, chez M. Cadet-Gassi-
court, on réclama la lutte à outrance ; on décida que les
douze comités qui avaient organisé le refus de l'impôt,
seraient convoqués et chargés, dans chaque arrondissement,
de diriger la résistance ; ils réuniraient des munitions, des
armes et rassembleraient la Garde Nationale.
L'insurrection devenait formidable. Le 27 juillet, le
— 168 —
Conseil des Ministres, à onze heures du matin, fut réuni
chez le Prince de Polignac. On décida sa perma-
nence à l'Hôtel de la Présidence et la mise en état de siêge
de Paris. Ce fut le seul acte de vigueur qu'il accomplit. Sa
responsabilité se trouvait dégagée, la ville de Paris passant
sous l’autorité absolue du duc de Raguse. M. de Guernon-
Ranville rédigea une proclamation pour annoncer la mise
en état de siège ; le Procureur du Roi lança #4 mandats
d'amener, contre les signataires de la protestation insérée
dans le National ; mais les évènements empèchèrent de les
mettre à exécution. Pour ne pas effrayer le Roi et le
Dauphin, les Ministres qualifiaient l'insurrection de
simple émeute, que l'arrivée de quelques régiments du
voisinage de Paris réprimerait. Mais celle-ci ne restait pas
oisive ; elle réunissait des projectiles, se retranchait derrière
les maisons et appelait le peuple aux armes par des procla-
mations.
Le 28 juillet au matin, le maréchal Marmont ordonna
aux hommes qui occupaient les postes, dont les révoltés ne
s'étaient pas rendus maitres, d'aller renforcer les troupes,
qui avaient passé la nuit dans les casernes. On allait laisser
bien des points sans défense. A six heures du matin, les
Ministres se réunirent en Conseil, on leur dit, que la situa-
ton devenait salarmante, que la ligne inspirait peu de
confiance et que la population était disposée à prendre part
à l'insurrection.
Une grande exaspération contre le Président du Conseil
régnait en ville, le peuple se porta contre l'Hôtel de la
Présidence, que les Ministres avaient quitté pour aller
s'établir aux Tuileries. A dix heures, la fusillade commenca.
les insurgés se mélaient aux soldats, leur offraient des
rafraichissements, tandis qu'on les laissait sans vivres. Ils
désarmèrent les petits postes isolés. Avant midi le drapeau
tricolore était arboré à l'Hôtel-de-Ville, un gouvernement
insurrectionnel voulait s'y établir. Le drapeau tricolore
— 169 —
flotta sur Notre-Dame et on sonna le bourdon, pour appeler
le peuple aux armes. On commença à crier : Vive la liberté |
A bas les Bourbons !
Le 28 au matin, le duc de Raguse écrivait à Charles X
qu'il s'agissait d'arrêter une révolution, la lettre ne parvint
que l'après-midi. Les troupes étaient arrivées de Versailles,
on les dirigea de différents côtés, pour garder les boule-
vards, le Panthéon, le Palais de Justice et l'Hôtel-de-Viile.
Le premier plan du duc de Raguse était purement défensif.
1! voulait laisser au Louvre et aux Tuileries une protection
suffisante, espérant que le Gouvernement négocierait. Puis
il résolut de prendre l'offensive, car, sans cela, le mouvement
des troupes aurait été impossible. Il les divisa en quatre
colonnes, la première devait se diriger vers la Bastille, la
seconde vers le marché des Innocents, la troisième vers
l'Hôtel-de-Ville, la quatrième, partie des Champs-Elysées,
devait parcourir les boulevards jusqu'à la rue de Richelieu
et revenir à son point de départ. Ces colonnes devaient
rayonner et détruire les barricades sur leur passage. Un
détachement important s'établit sur la place des Victoires,
on ne devait iaire feu qu'après avoir reçu une fusillade d'au
moins cinquante coups. Ces colonnes qui devaient se prêter
un appui mutuel, se trouvaient trop faibles pour vaincre
l'insurrection, leur marche était lente et pénible, sans vivres
et sans munitions, attaquées de tous côtés du haut des
maisons, leur action était peu efficace et on avait abattu les
arbres des boulevards pour les empècher de passer.
À midi, au moment où les colonnes se mettaient en
mouvement, 28 ou 30 députés se réunissaient chez M. de
Puyraveau pour décider les formes de la protestation rédigée
au nom de la Chambre. MM. de Lafayette et Laffitte, étaient
arrivés à Paris pour se mettre à la tête du mouvement
parlementaire, M. Guizot proposa un projet de protestation
qui fut adopté. On décida, qu'on enverrait une députation,
au duc de Raguse.
— 170 —
Une trêve permit d'envoyer une députation au Roi pour
lui exprimer les regrets de la population des évènements qui
se passaient. On avait chargé Marmont de faire arrêter six
des députés les plus compromis dont Lafayette, Lafitte, de
Salverteet de Puyraveau. Le maréchal, croyant qu'on allait
entrer en négociations, attendit pour faire exécuter cet
ordre. Il était effrayé de la situation et l'avait écrit au Roi
le 28 à neuf heures du matin.
La députation étant arrivée chez Marmont, celui-ci déclara
qu'il n'avait pas qualité pour accepter la proposition. Il en
parla au prince de Polignac qui répondit qu'il ferait connaître
au Roi l'objet de cette mission.
Pendant ce temps-là les colonnes rencontraient de grandes
difficultés, on ne put faire venir l'artillerie de Vincennes, le
régiment envoyé pour cela ne put rentrer dans Paris. La
colonne chargée de faire évacuer l'Hôtel-de-Ville, trouva
beaucoup de résistance. Un régiment de ligne paraissait
hésitant. Une partie de la colonne dirigée vers le Marchédes
Innocents parvintavec peine à regagner les Champs Elysées.
L'autre partie prit position au Louvre. Celle qui avait suivi
la rue Richelieu et les boulevards, arrivée à l'entrée de la
rue Saint-Antoine fut vivement attaquée, elle vit qu'elle ne
pourrait forcer le passage. Une portion arriva à la Barrière
du Trône, après avoir enlevé cinq barricades. Voyant que
les insurgés les relevaient aussitôt, le général de Saint-
Chamans se décida à retourner aux Tuileries avec des soldats
épuisés de fatigue et de faim. La Garde Royale s'était bien
battue mais manquait de munitions. Les soldats de la ligne
tiraient souvent en l'air et étaient travaillés par la popula-
tion. À la fin de la journée, la Révolution était maitresse
sur tous les points. Les troupes ne pouvaient se maintenir
dans les positions qu'elles avaient occupées. Les munitions
manquaient aux soldats, tandis que la poudrière du faubourg
Saint-Marceau et la manutention étaient tombées aux mains
des insurgés. L'Hôtel-de-Ville, bien qu'il fût attaqué et cerné,
était encore au pouvoir du Roi.
— 171 —
Les réunions de parlementaires se multipliaient. La dépu-
tation chargée de demander au duc de Raguse la cessation
de la lutte, vint apporter à quatre heures la réponse chez
M. Bérard. Cet essai de faire finir une lutte dont les libé-
raux n'espéraient pas encore le succès, n'ayant pas réussi,
65 députés acceptèrent la protestation qu'on avait précédem-
ment rédigée. À dix heures du soir, une troisiéme réunion
eut lieu chez M. de Puyraveau et on se donna rendez-vous
le lendemain matin chez M. Lafitte.
Le Maréchal, après avoir reçu les cinq députés, envoya
un exprès au Roi pour lui dire que toute la population était
en armes. Charles X crut qu'on exagérait et donna ordre à
Marmont de réunir ses forces au Carrousel et sur la place
Louis XV et d agir avec des masses. On ordonna aux gardes
du corps de se tenir prêts à monter à cheval. Les élèves de
Saint-Cyr reçurent également ordre de se rendre à St-Cloud
avec leur artillerie. Et les régiments de la Garde en garnison
à Beauvais, à Orléans, à Rouen et à Caen, furent rappelés
à Paris, ainsi que le camp de Saint-Omer.
La Cour conservait ses habitudes et le 28 juillet, le jeu du
Roi eut encore lieu dans la soirée.
La nuit était arrivée, les cartouches manquaient, le
combat cessa. Le général Talon dut abandonner l'Hôtel-de-
Ville et les troupes se trouvèrent concentrées aux Tuileries.
Le 29 juillet, le maréchal Mormont annonça au prince de
Polignac que sa position était inexpugnable et qu'il pourrait
y tenir trois semaines. On le fit dire au Roi. Les pertes des
troupes étaient de deux mille cinq cents hommes, dont beau-
coup d'égarés, elles ne pouvaient que se tenir sur la défen-
sive en attendant les renforts. Quinze cents fantassins et
six cents cavaliers arrivèrent de Versailles. Pendant ce
temps-là, les insurgés élevaient de nouvelles barricades et
se fortifiaient dans Paris. Les Invalides et l'Ecole militaire
étaient tombés dans leurs mains. À sept heures, le Louvre
fut attaqué. Le Ministère, en présence de la gravité de la
—-172 —.
situation était assemblé en permanence à l'Etat major établi
aux Tuileries. Les Maires de Paris et la Cour royale furent
invités à s’y rendre, on espérait que leur intervention ferait
cesser l'insurrection et aménerait Charles X à des conces-
sions. La Cour royale ne répondit pas à cet appel et deux
maires de Paris seulement vinrent. Le Maréchal, par une
proclamation, avait annoncé une suspension d'armes et
engageait les bons citoyens à rentrer chez eux; mais elle ne
put être affichée et elle aurait produit peu d'effet, car les
insurgés continuaient leurs préparatifs. Il était urgent de
prendre des mesures énergiques, car l'inaction mettait les
troupes en rapport avec le peuple qui cherchait à les gagner
à sa cause.
Deux régiments de ligne firent défection et laissèrent la
place Vendôme et la rue de la Paix à découvert; on dut
dégarnir la colonnade du Louvre pour les remplacer ; on
n’y laissa qu'un bataillon suisse. Un ordre du maréchal
mal compris fit exécuter un mouvement de retraite, les
insurgés en profitèrent pour entrer dans les parties du palais
laissées sans défense. Les Suisses, se croyant cernés, se
retirèrent sur les Tuileries. Le peuple déboucha sur le Car-
rousel en les poursuivant. Les deux bataillons de la Garde
qui stationnaient en avant des Tuileries, voyant la retraite
des Suisses, se précipitèrent vers l'arc de triomphe de la
grille d'entrée. Les lanciers augmentèrent la confusion,
manœuvrant difficilement, l'infanterie crut à une fuite, elle
suivit le mouvement de retraite; il n’y eut pas de résistance
sérieuse de la part de troupes affolées par une panique.
Le maréchal de Raguse ordonna alors aux deux batail-
lons qui occupaient la Banque et le Palais Royal, de
suivre le mouvement de retraite. Aussitôt les Tuileries
évacuées, le torrent révolutionnaire remplit le château, y
arbora le drapeau tricolore et y commit des dévastations.
Deux pairs de France, MM. de Sémonville et d’Argout,
avaient proposé à Marmont d'aller à Versailles pour obtenir
— 173 —
de Charles X le retrait des ordonnances et du Ministère. Ils
se mirent en route et allèrent annoncer la gravité de la situa-
tion. Le Gouvernement avait fini par la comprendre. Après
la messe, le Conseil des Ministres s'ouvrit; le Roi était
calme, le Dauphin agité, les Ministres abattus. M. d Haussez
proposa de se retirer sur la Loire. Pendant qu'on délibérait,
le général du Coëtlosquet, arrivé de Paris, annonça le
refus de la suspension d'armes par l'insurection, la panique
du Louvre et l'évacuation des Tuileries. Il fallait prendre
une décision. Le prince de Polignac demanda à ses collè-
gues s'ils approuvaient le retrait des ordonnances. M. de
Guernon-Ranville s'y opposa disant que ce serait une abdi-
cation. Le Dauphin était d'avis de céder, mais il se ralliait
à la majorité. « Si nous sommes obligés de continuer la lutte,
dit-il, nous trouverons de nombreuses ressources dans la
fidélité des provinces ; mais, fussions-nous abandonnés de
tous, ce jour fut-il le dernier de notre dynastie, nous saurons
honorer notre chute en périssant les armes à la main.» Plus
tard, il ajouta : « Le Duc de Bordeaux est là, nous devons
traiter pour lui, il n’y faut plus penser. » Il faisait allusion
à ce qu avait fait son oncle, Victor-Emmanuel. Le Roi prit
la parole : « Me voilà dans la situation où était mon frère
en 1792, mais j'aurai sur lui l'avantage d'avoir moins long-
temps souffert. En trois jours, tout aura été terminé avec
la Monarchie, quant au Monarque, sa fin sera la même.
Puisqu'il le faut, je vais faire appeler le duc de Mortemart et
l'envoyer à Paris. » En effet, on décida que le duc d'Angou-
lème serait mis à la tête des troupes rassemblées à l'Arc de
l'Etoile et qu'elles seraient dirigées sur St-Cloud. On retire-
rait les ordonnances et on nommerait un nouveau Ministère.
Le duc de Mortemart serait ministre des Affaires étrangères,
M. Casimir Perrier, ministre de l'Intérieur, et le général
Gérard, ministre de la Guerre. Marmont arriva alors à
St-Cloud, il raconta au Roi les tristes nouvelles, Charles X
Faceueillit avec bonté. Le: Maréchal faisait peser sur les
— 174 —
Suisses l'incompréhensible évacuation de la Capitale. Les
insurgés, maitres de Paris, allèrent piller le palais épiscopal,
et dévaster le couvent de Montrouge ainsi que le couvent
des Missionnaires de France au Mont Valérien. Ils firent
feu sur le Père de Rauzan, si connu à Arras. Il leur disait :
« Mes enfants, que me voulez-vous ? » Deux cents Suisses
abandonnés à la caserne de Babylone opposèrent une éner-
gique résistance et furent presque tous massacrés.
Le 29 juillet, deux réunions eurent lieu chez M. Laffitte.
À midi, on connaissait l'évacualion de Paris: on résolut
d'opposer une digue à l'anarchie qui menaçait de dominer
la situation. Le commandement des forces de Paris fut
confié à Lafayette. I1 s’adjoignit le général Gérard, puis il
alla s'installer à l'Hôtel-de-Ville. On procéda chez M. Lafitte
à la nomination d'une Commission municipale chargée de
veiller aux intérêts généraux et de prendre ies mesures
nécessaires pour assurer les intérêts du pays. Le général
Lafayette avait été reçu avec un grand enthousiasme; il
s'occupa immédiatement de la réorganisation de la Garde
nationale. Par une proclamation, il demanda à la population
de fraterniser avec les militaires. Le Gouvernement provi-
soire engagea les commerçants à rouvrir leurs boutiqnes,
et les ouvriers à reprendre leurs travaux. MM. de Sémon-
ville et d'Argout, auxquels s'était joint M. de Vitrolles,
s'étaient chargés d'annoncer le retrait des ordonnances et
la nomination du nouveau Ministère, mais, par suite de
retards énormes causés par la difficulté de circuler dans
Paris, partis à cinq heures de Saint-Cloud, ils n'arrivèrent
à l'Hôtel-de-Ville qu'à huit heures du soir. M. Casimir
Perier les engagea à aller à la réunion des députés siégeant
chez M. Lafitte. La majorité de ceux-ci trouvait les conces-
sions suffisantes, car les troupes arrivant de province et le
camp de Saint-Omer pouvaient amener de grands change-
ments. Mais M. Lafitte fit observer que la communication
n'avait rien d'officiel, et que Charles X ne pouvait rentrer à
. — 175 —
Paris couvert de sang et qu’il importait de substituer à
une dynastie impopulaire une dynastie nouvelle plus libé-
rale. Le duc de Mortemart, par un retard inexplicable,
partit de Saint-Cloud, le 30 juillet, à huit heures du
matin, et n'arriva à Paris que lorsque la Révolution était
faite; peut-être aurait-il pu l'éviter ? Mais Charles X, après
avoir publié les ordonnances avec une rare imprévoyance,
avait toutes les mauvaises chances. La réunion des députés
attendit le nouveau président du Conseil jusqu'à minuit; il
ne parut pas. |
Le 30 juillet fut un jour important, il devait décider du
sort de la Monarchie légitime. Quelques écrivains du
National, dès six heures du matin, lancèrent des proclama-
tions, en partie rédigées par M. Thiers, en faveur du duc
d'Orléans. Elles furent froidement accueillies par les masses,
car ce prince n'était pas populaire. Un certain nombre de
députés s'étaient réunis à l'hôtel Lafitte sous la présidence de
M. Bérard. Dans cette matinée, on discuta pour savoir s'il
fallait s'en rapporter au pays. Quelques-uns voulaient la
République, mais les financiers en avaient peur. La candida-
ture du duc d Orléans fut proposée et elle fut accueillie avec
sympathie parla majorité et même parle général Lafayette(1).
On décida que la prochaine réunion aurait lieu au Palais
Bourbon vers midi.
M. Thiers, qui joua ce jour-là un rôle important, était allé
à Neuilly pour dire au duc d'Orléans qu'on voulait Île
nommer lieutenant-général du Royaume et pour l'engager
à rentrer à Paris. Le Duc était au Raincy, et sa sœur,
Mne Adélaïde, accepta pour lui.
La Chambre des députés s'était réunie au Palais Bourbon.
On examina si on recevrait le nouveau Ministre, mais il
n'arrivait pas, tandis que M. Thiers revenait annoncer le
résultat de son voyage. La Chambre décida qu'on enverrait
(4) 1l disait que c'était la meilleure des Républiques.
— 176 —
une députation de cinq membres pour s'entendre avec les
pairs de France pour inviter le duc d'Orléans à se rendre à
Paris et à exercer les fonctions de lieutenant-général du
Royaume.
Le duc de Mortemart n'était pas un homme politique, son
esprit était lent el son caractère sans décision. Souffrant du
talon, arrêté par les barricades, il n'arriva à Paris que dans
l'après-midi, et, au lieu d'aller à la Chambre des députés,
toute puissante en ce moment, il se rendit à la Chambre des
pairs pour communiquer les pièces officielles dont il était
porteur. Une vingtaine de membres étaient présents. Malgré
un discours de Chateaubriand, ils ne décidèrent que l'envoi
de ces documents par un de leurs collègues, M. de Sussy au
Palais Bourbon et à l'Hôtel-de-Ville. Le duc de Mortemart
perdit encore du temps à des choses peu importantes. M. de
Sussy, arrivé au Palais Bourbon, lut les ordonnances nom-
mant les nouveaux Ministres et convoquant les Chambres
pour le 3 août. M. Lafitte qui présidait refusa de les recevoir,
la Chambre n'étant pas régulièrement réunie, et les renvoya
à la Commission municipale. Le duc de Mortemart aurait
peut-être été plus heureux. La Commission envoyée à la
Chambre des pairs apporta son assentiment à la nomina-
tion du duc d'Orléans aux fonctions qu on voulait lui pro-
poser, et la Chambre décida qu'on lui enverrait un message
pour lui annoncer sa nomination. Pendant ce temps-là,
M. de Sussy arrivait à l'Hôtel-de-Ville. Les esprits y étaient
surexcités et il n'était plus question de la Royauté légitime.
Il fit la lecture des ordonnances, mais on refusa encore de
les recevoir. Le général de Lafayette dit : « Il est trop
tard (1). Les Bourbons sont finis » Ilécrivit une lettre assez
embarrassée au duc de Mortemart.
Pendant ce temps-là, on était inquiet à St-Cloud, n'appre-
nant pas de nouvelles de Paris. L'inactivité des troupes,
(4) On a prétendu qu'il n'avait pas prononcé ces paroles,
_—
— 177 —
leur proximité des insurgés, le manque de vivres, les ren-
daient indécises. Les désertions augmentaient. Le duc de
Raguse, sans avoir pris l'avis du Dauphin, sou chef, avait
lancé une proclamation annonçant l'ouverture de négocia-
tions, ce qui amena entre le duc d'Angoulème, qui disait
qu'il fallait continuer la lutte et lui une vive altercation.
Marmont donna sa démission et engagea le Roi à se retirer
sur la Loire. Dans la nuit du 30 au 31 juillet, Charles X,en
présence de ces difficultés, de celle de nourrir les homimes
et d'un insuccès au pont de Sèvres, se décida à s'éloigner
de Paris et se dirigea vers Trianon avec les troupes sur
lesquelles on pouvait compter.
Le duc d'Orléans avait fini par arriver au Palais royal, le
31 juillet, fort hésitant, dit Vaulabelle. Il fit venir le duc de
Mortemart pour lui faire connaitre qu'on l'avait amené de
force à Paris. Il lui demanda si, parlant au nom du Roi,
il pouvait l'engager à accepter les fonctions dont l'Assemblée
venait de l'investir. Celui-ci répondit qu'il ferait connaitre à
Charles X qu'il était utile qu'il y consentit pour faciliter de
nouvelles et plus importantes négociations. Le duc d'Orléans
le chargea pour le Roi d'une lettre où il assurait qu'il ne ferait
rien contre sa Maison. La députation envoyée par les députés
étant arrivée, il accepta les fonctions qu'on lui offrait et
l'annonça aux Parisiens par une proclamation, elle fut bien
accueillie. La Commission municipale en fit une également
aux habitants de Paris. La Chambre des pairs rédigea aussi
une adresse aux Français pour faire connaitre la victoire de
l'insurrection, l’arrivée au Pouvoir du duc d'Orléans et les
changements qui allaient avoir lieu. Les députés allèrent
présenter leur adresse au duc d'Orléans. Il leur fit un accueil
gracieux. Un cortège se forma à deux heures de l'après-midi
pour se rendre avec lui à l'Hôtel-de-Ville. Le général
Lafayette mit dans ses mains un drapeau tricolore et lui
donna l'accolade (1).
(4) Le duc d'Orléans prenant la déclaration de la Chambre qui lui
12
— 178 —
À Trianon, le Roi, entouré de ses Ministres et de la
Duchesse de Berry avec ses enfants, attendait avec impa-
tience des nouvelles du duc de Mortemart. Quand il sut que
les concessions qu'il avait faites à l'insurrection ne l'avaient
pas arrêtée, et que les troupes de Versailles paraissaient
hésitantes, le duc d'Angoulême décida son frère à se retirer
à Rambouillet avec les troupes restées fidèles pour attendre
le résultat des négociations. Le Roi n'avait aucune méfiance
du duc d'Orléans auquel, disait-il, il n'avait jamais fait que
du bien et qui ne pouvait que répondre à sa confiance (1).
Il le nomma, le {er avril, lieutenant-général du Royaume.
Celui-ci, après avoir consulté ses Ministres, lui répondit
qu'il occupait cette fonction par le choix de la Chambre; la
Commision municipale lui avait remis ses pouvoirs.
Charles X fit une dernière tentative pour sauver son Pou-
voir. Dans la nuit du 4° au 2 août, sur le Conseil de
donnait le pouvoir, la pressa sur son cœur et dit : « Je déplore,
comme Français, le mal fait au pays et le sang qui a été versé, comme
prince, je suis heureux de costribuer au bonheur de la Nation ». Après
cela il était difficile d'accepter le duc de Bordeaux comme roi et la
duchesse d'Orléans disait : « S'il mourait, on dirait que c'est nous
qui l'avons tué ».
(4) Le duc d'Orléans écrivit de Palerme à Louis XVIII le 6 juillet
4808 : a Jamais je ne porterai la couronne tant que le droit de naissance
et l’ordre de succession ne m’y appelleront pas. Jamais je ne me souil-
leraien m'appropriant ce qui appartient légitimement à un autre prince.
Devenir le successeur de Bonaparte ce serait me placer dans une
situation que je méprise et que je ne pourrais atteindre que par le
parjure le plus scandaleux, et où je ne pourrais espérer me maintenir
quelque temps que par la scélératesse et la perfidie dont il nous a
donné tant d'exemples. .
Quaad on est ce que ic suis, on dédaigne et on méprise l'usurpation.
Il n'y a que les pers:inues sans naissance et sans âme qui semparent
de ce que les circunstances mettent a leur portée, mais que l’honneur
défend de s'approprier. »
(Le Ro: Louis XVIII et le duc d'Orléans par E. Daudet; Corres-
pondant du 18 novembre 1896).
CR ES ;
— 179 —
Marmont, il abdiqua ainsi que le duc d'Angoulême en
faveur du duc de Bordeaux qui prendrait le nom d'Henri V,
et chargea le duc d'Orléans de le faire reconnaitre. La
Monarchie faisait toujours la même faute; elle traitaiten s'en
allant; elle fut à peine entendue quand elle parla de Ram-
bouillet. M. de Chateaubriand se rendit au Palais royal
pour engager le duc à reconnaître le jeune prince. Il ne
réussit pas, non plus que le duc de Mortemart qui lui pré-
senta la lettre d'abdication. Il avait résolu d'accepter la
couronne.
Comme l'insurrection faisait peu de progrès en France,
le duc d'Orléans et les libéraux n'étaient pas sans inquiétude,
et résolurent de décider Charles X à perdre tout espoir et à
ne pas chercher, dans des contrées restées fidèles, un appui
qui aurait pu leur donner beaucoup d'embarras. Pour cela,
le maréchal Maison, Mis de Shonen, et Odilon-Barot furent
envoyés à Rambouillet pour engager le Roi à quitter la
France pour la paix du royaume, promettant de veiller à sa
sûreté, on espérait encore l'effrayer par le sort de Charles Ier
et de Louis XVI. Charles X refusa de les recevoir.
Ils revinrent à Paris le 3 août au matin, et le duc
d'Orléans, de concert avec le général de Lafayette, décida
qu'ils retourneraient à Rambouillet, et que, pour les faire
réussir, on les ferait accompagner par 6,000 gardes natio-
naux, si On pouvait appeler ainsi des insurgés vêtus de toutes
nuances avec toutes espèces d'armes, sans ordre et sans
discipline.
Il restait encore à Charles X 10 à 12,000 hommes avec
40 pièces de canon, c'était plus qu'il n'en fallait pour
écraser cette bande confuse. Quand elle serait arrivée à
Rambouillet, elle aurait fui en désordre, criant comme
souvent en pareille circonstance : Qu'elle était trahie (1),
et bien que la partie fûüt très compromise, on ne sait trop ce
(4) Le général Vincent, qui commandait les troupes royales, disait
qu'ils auraient fui comme une bande de moineaux effarouchés,
= 180 —
qui serait arrivé. Cela aurait donné confiance aux troupes
et la poursuite de ces insurgés aurait peut-être engagé la
Chambreetleducd'Orléans à un accommodement.CharlesX,
une dernière fois, donna une marque de faiblesse. Au lieu de
prendre une résolution virile,il consulta le maréchal Maison,
en qui il avait confiance, parce qu'il l'avait comblé de bien-
faits ; ce général, lui dit que ces prétendus gardes-nationaux
étaient 60,000 animés de mauvaises intentions et qu'il n’y
avait rien à faire. Alors le Roi consentit le 3 août 8 quitter
la France, ne sachant montrer aucune énergie ; il partit
le soir à la grande joie de ses ennemis et prit la route de
Cherbourg. À Maintenon, le 4 août, le maréchal Marmont,
par ordre de Charles X, adressa aux troupes restées fidèles
l'ordre de se séparer. Le Roi leur fit dire qu'il conserverait
toujours le souvenir de leur belle conduite. Charles X, les
princes et les princesses de la Cour firent approcher les
principaux officiers et leur donnèrent leurs mains à baiser.
J'out le monde était trés ému. Le Roi était accompagné
des Cominissaires que nous avons indiqués plus haut. A
Valognes, il se sépara de son escorte, commandée par le
maréchal Marmont, et composée des gardes du corps, des
gendarmes d'élite et de deux pièces de canon. Cette scène
eut un caractère de profonde douleur, il y avait des pleurs
dans tous les yeux. Charles X, d'une voix pleine de sanglots,
s adressant tour à tour à chaque compagnie, leur dit : « Je
reçois ces étendards, ils sont sans tache, j'espère qu'un jour
mon pett-tils vous les rendra ; je vous remercie de votre
fidélité et de votre dévouement et je n'oublierai jamais les
preuves d'attachement que vous m'avez données ».Le 10 août,
il apprenait l'arrivée au trône de Louis-Philippe, le 18, il
arrivait sans incident à Cherbourg où il s'embarqua sur le
Great Britain commandé par Dumont d'Urville, et débarqua
a Cowes près de Portsmouth. Charles X devait séjourner
quelque temps en Angieterre, pays hospitalier pour sa
famille, et retrouver jusqu à sa mort le douloureux exil connu
— "181 —
par lui trente-huit ans auparavant. Quant à ses anciens
ministres, on devait les faire passer en jugement.
Le 3 août, le duc d'Orléans convoqua les Chambres, il
annonça l'abdication de Charles X et celle du duc d'Angou-
lème. Le 7, sur la proposition de M. Bérard, après un
rapport de M. Dupin et des discours de M. Burger, etc.,
en faveur de la Monarchie légitime, le duc d'Orléans fut
nommé roi des Français sous le nom de Louis-Philippe aux
conditions fixées par les Chambres. A celle des députés, sur
252 votants, il obtint 219 boules blanches contre 33 noires ;
à celle des pairs, sur 114 votants, il eut 89 boules blanches
contre 10 noires, il y eut 15 billets blancs ; M. de Chateau-
briand prononça un discours. Le maréchal Gérard avait
donné ordre aux troupes des camps de St-Omer et de Luné-
ville de rebrousser chemin; les gardes nationales étaient
réorganisées et la cocarde tricolore remplaçait la cocarde
blanche. Le 9 août, Louis-Philippe signa les déclarations
de la Chambre des députés, l'acte d'adhésion de la Chambre
des pairs et la formule du serment qu'il venait de prêter.
Nous allons maintenant raconter ce qui se passa dans le
Pas-de-Calais pendant les journées de juillet 1830 (1).
Après les élections on ne s'attendait pas à un coup d'État
aussi proche. Vers le 25 juillet les députés avaient reçu la
lettre de convocation pour la session qui devait s'ouvrir le
3 août. Le vicomte Blin de Bourdon était parti déléguant le
Secrétaire Général pour le remplacer en son absence. Le
général Garbé était déjà à Paris. Les autres députés du Pas-
de-Calais comptaient y arriver le 25 juillet. Le télégraphe
apporta à Lille le texte des ordonnances le 27 juillet dans la
matinée; on l'expédia de suite par une estafette à la Préfec-
ture d'Arras, puis arrivèrent les lettres écrites par le Ministre
(1) Nous suivons le récit qu’en fit le Propagateur dans ses numéros
89, 90, 91, 93 et 95. Il en composa une brochure; naturellement il
raconta et juyea les faits au point de vue libéral, aussi son impar-
tialité est partois en défaut.
— 182 —
les 26 et 27 juillet (1) pour en assurer l'exécution (2). Elles
(1) Le 26 juillet 4830 Monsieur de Peyronnet, ministre de l'Inté-
rieur, écrivit au Préfet: « Je vous envoie le Bulletin des lois 367, vous
y trouverez l'ordonnance qui suspend la presse périodique, une ordon-
pance sur l’organisation des collèges électoraux et enfin une ordonnance
qui les convoque. Vous vous occuperez immédiatement et avec la plus
scrupuleuse exactitude de l'exécution des trois ordonnances. Vous
serez responsable de toute négligence et de toute omission, etc.
» Agréez, etc.
» P. S. Je vous envoie aussi un exemplaire de l'ordonnance de
police de M. le Préfet de Police de Paris, en date de ce jour. »
Ce même jour, le même ministre écrivit au Préfet : « Le Ministre
des Finances me prévient qu’en exécution de l'ordonnance du 25 de ce
mois, il vient d'inviter M. le Directeur Général des Postes à n'admettre
désormais, ni à l'arrivée, ni au départ, aucun journal qui ne soit
autorisé. De semblables ordres ont été adressés à tous les Directeurs
des Postes du royaume. Vous voudrez bien, en conséquence, faire
exactement connaître au directeur de votre département les journaux
et ouvrages périodiques ou semi-périodiques dont vous aurez autorisé
la publication, conformément à l'article 3 de l'ordonnance précitée, et
qu'ils pourront accepter et faire parvenir à leur destination. Il compte
sur vos soins pour remplir l’objet de cette lettre.
» Agréez, etc. »
Le 27 juillet, nouvelle lettre du Ministre au Préfet : «a Vous voudrez
bien donner immédiatement les ordres nécessaires pour que toutes les
diligences et messageries soient surveillées avec la plus sévère exac-
titude et vous devrez vous assurer par tous les moyens que la loi met
à votre disposition, qu'elles ne transportent ni lettres, ni journaux, ni
écrits politiques quelconques. Vous ferez rigoureusement saisir tous
les objets transportés en contravention des règlements, dresser des
procès-verbaux et m'en rendre compte sur le champ.
» Agréez, etc. »
(2) Voici l'ordonnance du Roi du 25 juillet 4830 que l'autorité
préfectorale fit afficher :
Art. 4er. — La liberté de la Presse périodique est suspendue.
Art. 2. — Les dispositions des articles 1, 2 et 9 du fitre 1er de la
loi du 21 octobre 1814 sont remis en vigueur. En conséquence nul
journal périodique ou semi-périodique établi ou à établir sans distine-
tion des matières qui y seront traitées ne pourra paraître, soit à
Paris, soit dans les départements, qu’en vertu d’une autorisation qu’en
auront obtenue de Nous les auteurs et l’imprimeur. Cette autorisation
— 183 —-
étaient relatives à la presse périodique, à l'organisation
devra être renouvelée tous les trois mois. Elle pourra être révoquée.-
Art. 3. — L’autorisation pourra être provisoirement accordée et
provisoirement retirée par les Préfets, aux journaux et ouvrages
périodiques ou semi-périodiques publiés ou à publier dans les dépar-
tements.
Art. 4. — Les journaux et écrits publiés en contravention de
l'article 2 seront immédiatement saisis. Les presses et caractères qui
auront servi à leur publication, seront placés dans uo dépôt public et
sous scellés, ou mis hors de service.
Art. 5. — Nul écrit au-dessous de 20 feuilles d'impression ne
pourra paraître qu'avec l'autorisation de notre Ministre secrétaire
d’Etat de l'Intérieur à Paris et des Préfets dans les départements.
Tout écrit de plus de 20 feuilles d'impression qui ne constituera pas
un même corps d'ouvrage sera également soumis à la nécessité de
l'autorisation. Les écrits publiés sans autorisation seront immédiatement
saisis. Les presses et caractères qui auront servi à leur impression
seront placés dans un dépôt public ou sous scellés ou mis hors de
service.
Art. 6. — Les mémoires sur procès et les mémoires des sociétés
savantes ou littéraires seront soumis à l'autorisation préalable, s’ils
traitent en tout ou en partie de matières politiques, cas auquel les
mesures prescrites par l’article $ leur seront applicables.
Art. 7.— Toute disposition contraire aux présentes restera sans effet.
Art. 8. — L’exécution de la présente ordonnance aura lieu en
conformité de l’article 4 de l'ordonnance du 27 novembre 1816 et de
ce qui est prescrit par celle du 48 janvier 18417.
Art. 9. — Nos Ministres, secrétaires d'Etat sont chargés de l’exécu-
‘ tion des présentes.
Voici l’arrèté préfectoral qu'on afficha :
Vu l’ordonnance du Roi en date du 25 de ce mois qui remet en
vigueur les articles 4, 2 et 9 de la loi du 24 octobre 1814. Les articles
283 et suivants du Code pénal qui punissent de peines carrectionnelles
toute publication ou distribution d’écrits, dans lesquels on ne trouvera
pas l'indication des nom, profession et demeure de l’auteur ou de
l'imprimeur.
Les articles 49 et 50 de la loi du 24 décembre 4789 et le n0 3 de
l’article 3, titre XI, de la loi du 24 août 1790 qui chargent l’autorité
locale de faire des règlements pour le maintien du bon ordre dans les
lieux publics.
Arrêtons :
Art. 4er, — Tout individu qui distribuera des écrits imprimés dans
— 184 —
nouvelle des collèges électoraux et à leur convocation. On
devait d'abord s orcuper de la première et empêcher la poste
ainsi que les diligences et les messageries de transporter
les journaux non autorisés. M. de la Rivière, dès le 27 juillet,
publia un premier arrêté pour ordonner l'impression et
l'affichage de l'ordonnance du 26 juillet concernant la presse,
et un deuxième pour indiquer qu'on appliquerait les articles
283 et suivants du Code pénal qui punissait la publication
avec la distribution d'écrits dans lesquels ne se trouverait
pas l'indication vraie des nom, profession et demeure de
l'auteur ou de l'imprimeur. On devait immédiatement
traduire ces derniers devant l'autorité chargée de la police
locale, saisir les écrits et poursuivre comme complices les
individus tenant cabinet de lecture, café, etc., qui donne-
raient à lire les journaux ou autres écrits imprimés en
contravention de l'ordonnance, et fermer provisoirement
leur établissement (1). Un troisième arrêté retirait l'autori-
lesquels on ne trouvera pas l'indication vraie des nom, profession et
demeure de l’auteur ou de l’imprimeur, ou qui donnera à lire les
mêmes écrits sera immédiatement traduit devant l’autorité chargée de
la police locale et les écrits saisis.
Art. 2. — Tout individu tenant cabinet de lecture, café, etc., qui y
donnera à lire des journaux ou autres écrits imprimés en contravention
à l'ordonnance du Roi du 25 de ce mois, sur la Presse, sera poursuivi
comme complice des délits que ces journaux ou écrits peuvent
constituer et son établissement sera provisoirement fermé.
(1) Un arrêté du Secrétaire-Général du 27 juillet 4830 disait : Vu
l'ordonnance en date du 25 du mois, qui remet en vigueur les articles
4, 2 et 9, de la loi du 22 octobre 1814, les articles 283, et suivants
du code pénal, qui punissent de peines correctionnelles, toute publi-
cation où distribution d'’écrits dans lesquels on ne trouvera pas l’indi-
cation vraie, des nom, profession et demeure, de l’auteur ou de
l'imprimeur ;
Les articles 49 et 50 de la loi du 24 décembre 1789 et le n9 3 de
l’article 3, titre XI, de la loi du 24 août 4790, qui chargent l’autorité
locale de faire des règlements pour le maintien du bon ordre, dans les
lieux publics,
Arrètons :
Art. 4er.— Tout individu qui distribuera des écrits imprimés, dans
— 185 —
sation de paraître au Propagateur du Pas-de-Calais, à
l'Annotateur Boulonnais et à l'Indicateur de Calais. On
autorisait à paraître les feuilles d'annonces d'Arras et de
Béthune, la Boulonnaise, le Journal de Calais, le Mémorial
Artésien et la feuille d'annonces de Saint-Omer (1).
lesquels ne se trouvera pas d'indication vraie, des nom, profession
et demeure de l’auteur ou de l’imprimeur, ou qui donnera à lire au
public, ces mêmes écrits, sera immédiatement traduit devant l'autorité
chargée de la police locale, et les écrits seront saisis.
Art. 2. — Tout individu tenant cabinet de lecture, café, etc., qui
donnera à lire les journaux ou autres écrits, imprimés, en contra-
vention de l'ordonnance du Roi du 25 de ce mois, sur la Presse, sera
poursuivi comme complice des délits que ces journaux ou écrits
pourraient constituer et son établissement sera provisoirement fermé.
Art. 3. — Le présent arrêté sera publié et affiché.
Un autre arrêté préfectoral du 27 juillet disait :
Vu le no 367 du Bulletin des lois contenant une ordonnance royale
en date du 25 juillet 4830 qui suspend la liberté de la presse périodique
et semi périodique. Ladite ordonnance portant que l'exécution en
aura lieu en conformité de l'article 4 de l'ordonnance du 27 novembre
1816 et de ce qui est prescrit par celle du 8 janvier 1817,
Vu ces deux ordonnances.
Arrêtons :
Art 4er. — L’ordonnance royale ci-dessus visée du 26 juillet 1830
sera imprimée à la suite du présent arrêté et affichée dans toutes les
communes du département. |
(1) L'arrêté préfectoral du 27 juillet 1830, disait :
Vu les articles 2 et 3 de l'ordonnance royale du 25 de ce mois,
Arrétous :
Art. 4er. — L'auiorisation de paraître est retirée aux journaux
publiés dans le département, dont les noms suivent, savoir : Le
Propagateur du Pas-de-Calais, l'A nnotateur boulonnats, l’Indica-
tear de Caluis.
Art. 2. — Les autres journaux publiés dans le département et dont
les noms suivent, sont autorisés à paraître : La feuille d'anaonces
d’Arras, la feuille d'annonces de Béthune, la Boulonnaïse, le journal
de Calais, le Mémorial artésten, la feuille d'annonces de St-Omer.
Art. 3. — Le présent arrêté sera notifié immédiatement aux gérants
des trois journaux supprimés, par les soins du commissaire de police
— 18 —
Enfin une circulaire du Secrétaire Général était adressée
aux maires pour leur communiquer les ordonnances et les
arrêtés préfectoraux et en ordonner l'exécution ainsi que la
publication et l'affichage (1).
des villes où ils se publient, lesquels sont chargés d'en surveiller
l'exécution.
(1) Voici la circulaire adressée aux Maires par le Préfet, le 27
juillet 1830 :
« Premièrement, j'ai l’honneur de vous adresser à la suite de ces
présentes 10 une ordonnance du Roi du 25 de ce mois qui suspend la
liberté de la Presse périodique et semi-périodique. 20 Une autre ordon-
nance du mème jour qui dissout la Chambre des Députés des dépar-
tements. 30 Une ordonnance qui réforme les règles d'élection selon les
principes de la Charte Constitutionnelle. 40 Une ordonnance qui
convoque les Collèges électoraux ainsi que la Chambre des Pairs et
celle des députés. 50 L'arrêté que j'ai pris en exécution de l'article 8
de la première de ces ordonnances. 60 L'arrêté par lequel j'ai interdit la
distribution et la lecture dans les cabinets littéraires, cafés, etc., des
écrits imprimés qui ne contiendraient pas l'indication vraie des nom,
profession et demeure de l’auteur ou de l’imprimeur des journaux ou
autres écrits imprimés en contravention de l'ordonnance du Roi du
25 de ce mois sur la presse. 70 L'arrêté qui retire à divers journaux
la faculté de paraître et autorise les autres.
» Je vous recommande de veiller à l'entière exécution des dispo-
sitions de ces ordonnances et arrêtés. Veuillez surtout veiller soigneu-
sement à ce qu'aucun journal ou autre écrit imprimé en contravention
de l'ordonnance sur la presse, ne soit distribué ou donné en lecture
dans les cafés ou autres lieux ouverts au public. Vous vous assurerez
également qu'aucun de ces journaux et écrits n’est transporté par les
diligences et les messageries et vous dresserez des procès-verbaux
contre tous les contrevenants.
» Veuillez aussi informer sans délai M. le Sous-Préfet de tout ce
qui pourrait intéresser notamment dans votre commune la police et
le bon ordre dont le maintien vous est confié.
» Agréez, etc. »
Le 28 juillet, ce fonctionnaire écrivit à une heure du matin aux
maires : « Je vous envoie copie de la dépèche télégraphique que Je
reçois à l'instant de Son Excellence le Ministre de l'Intérieur et je vous
en recommande la stricte exécution. Vous devrez surveiller avec le
plus grand soin les diligences et messageries pour vous assurer qu’elles
— 187 —
M. de la Rivière convoqua à la Préfécture le baron de
Hauteclocque et le colonel de gendarmerie pour leur donner
ses instructions.
La publication eut lieu à Arras à son de trompe (1). Le
commissaire de police fut mandé pour notifier au Propa-
gateur l'arrêté qui lui défendait de paraitre. C'est ce qu'il fit
vers quatre heures de l'après-midi dans les bureaux du
journal, parlant à Frédéric Degeorges, son directeur.
Celui-ci déclara qu'on voulait baillonner la presse et qu'il
n'y obtempérait pas pour deux raisons : 1° parce que les
ordonnances des 25 et 26 juillet étaient inconstitutionnelles ;
2° lors même qu'elles seraient légales et constitutionnelles,
elles n'étaient pas exécutoires à Arras ce jour-là, conformé-
ment aux dispositions du Code civil,art. 4er, Il ajouta qu'ilne
tiendrait pas compte de l'arrêté et qu'il était décidé à résister.
Le commissaire de police crut devoir rendre compte immé-
diatement au maire de ces observations et des motifs de ce
refus, et l'ayant cherché quelque temps, il le trouva chez le
général Matis avec qui il était en conférence. Quand il lui eut
fait part des motifs allégués, le baron de Hauteclocque fit
remarquer qu en ce qui concernait la constitutionnalité des
ordres cette question lui était étrangère, mais, qu'en ce qui
concernait le deuxième motif relatif à la date de l'exécution
ne transportent ni lettres, ni journaux, ni écrits politiques quelconques.
Faites rigoureusement saisir tous Îles objets qui seraient en contra-
vention au règlement. Dressez des procès-verbaux, dont vous me
rendrez compte sur le champ. Ces mesures devront être exécutées par
tous les moyens que la loi met en votre pouvoir, Je présume que vous
avez pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher la circulation
du Propagateur publié en contravention de l’article 4 de l’ordonnance
du 26 juillet 1830. Appliquez au besoin cet article.
(1) M. Lenglet, avocat, qui devait, en 1870, jouer un rôle politique,
entendant la lecture du manifeste royal, s’écria : « C’est l’abdication
de Charles X qu’on publie ».
D'après le Propagateur, le peuple était pensif et silencieux.
— 188 —
de ces ordonnances, l'éditeur était dans une complète erreur.
Lorsqu'une ordonnance était insérée au Bulletin des lois,
dans les cas d'urgence le Ministre pouvait en ordonner l’exé-
cution en la faisant parvenir par une estafette aux préfets qui
constataient par un arrêté la date de la réception, que dès
lors l'exécution devait être immédiate; que cette marche
ayant été suivie rigoureusement, les ordonnances étaient
exécutoires à Arras ce jour-là. Cependant, ne voulant pas
que l'erreur de l'éditeur amenât une résistance irréfléchie
de sa part et l'obligeât à recourir à des mesures fâcheuses,
il chargea Île commissaire de police de retourner aux
bureaux du Propagateur, pour communiquer les obser-
vations ci-dessus et le Bulletin des lois. Pour lors, le com-
missaire de police ayant inutilement heurté à la porte de
M. Degeorges, revint chez le Maire pour lui rendre compte
de l'impossibilité de le voir.
Le Maire résolut d'envoyer chercher M. Souquet, l'impri-
meur, celui-ci vint vers dix heures du soir et le baron de
Hauteclocque en présence du commissaire de police lui
ayant communiqué les ordres qu'il avait reçus, le prie de la
manière la plus bienveillante et la plus paternelle, de
congédier les rédacteurs du Propagateur, de suspendre la
publication du journal, et de bien réfléchir, que sans utilité
réelle, elle pouvait produire à Arras des malheurs, puis-
qu'elle entrefnerait nécessairement des saisies, les ordres
étant précis. Cette mesure de rigueur affligeait le Maire, à
cause des résultats qui ne pouvaient manquer de se produire.
M. Souquet répondit qu'il transmettrait de suite à M.
Degeorges ces observations et qu'il ferait ce qu'il pourrait
pour l'engager à céder, mais, qu'il ne pensait pas y
réussir.
En effet, pour annoncer la publication des ordonnances
du Roi, le Propagateur avança sa publication et le numéro
qui devait paraître le lendemain fut imprimé à sept heures
du soir et la distribution se faisait à l'heure même de dix
"189 —
heures du soir (1). En effet, M. Souquet était à peine parti,
que ce journal était remis à la mairie et le baron de Haute-
clocque fut également informé qu'un paquet de numéros de
cette feuille, destiné aux abonnés du dehors, avait été refusé
à la poste, vers neuf heures et demie du soir. Vers une heure
de la nuit, le Maire, ayant reçu de nouveaux ordres de la
Préfecture, se rendit immédiatement à l’Hôtel-de-Ville pour
(4) Voici ce que disait le Propagateur dans son numéro du ? juillet
au sujet des ordonnances :
CRIS D’ALARMES
Les coups d'état auxquels, hier, le Ministère semblait avoir renoncé
sont accomplis aujourd'huy. La Chambre des députés est dissoute, la
liberté de la presse suspendue, un simulacre d'élections va remplacer
le système électoral consacré par la Charte, sanctionue par deux lois
(Voir les ordounances, 2e page).
Dès aujourd’huy, le Gouvernement représentatif n'est plus, nos
libertés les plus chères sont détruites, l'empire des ordonnances rem-
place le règne des lois. La volonté ministérielle est plus forte que la
raison publique. Elle détruit, elle brise, elle anéantit la presse pério-
dique, la Chambre élective, les lois organiques et la charte consti-
tutionnelle sans lesquelles il n’y a plus de gouvernement légal, de liens
possibles entre les gouvernants et les gouvernés.
Que va faire la France ? 32 millions d'hommes courberont-ils le
genou devant six ministres ? abdiqueront-ils leurs droits ? consenti-
ront-ils à passer silencieux et muets sous les fourches caudines dont on
paie leur patriotisme, qu’on élève à leur courage ?
Le Roi est trompé, éclairons le Roi, adressons-nous à sa sagesse,
invoquuns sa justice, que tous les corps de l'Etat, tous les bons citvyens
fassent enteadre leurs voix, qu'ils repoussent l'arbitraire, qu'ils se
cuirassent contre l'illégalité, qu'ils rappellent toute leur énergie, que
des pétitious arrivent de toutes parts aux pieds du trône ; la situation
est grave, il y va de la tranquilhté de la France, du salut de la
Monarchie, de la couservatiun de nos libertés. Cest dans les granis
périls que se moutren les grands courages, les Français ne degéné-
rerval pas de leur ancienne réputativn et les tiis de la liberté ne cuusen-
tirunt pas à descendre au rang des plus vils esclaves.
On voit que le jourual ne faisait pas encore appel à l'insurrection,
— 190 —
en opérer l'exécution. Vers deux heures du matin, il fit venir
le commissaire de police et le maréchal des logis de gendar-
merie, des postes de police furent placés aux portes de la
ville, une saisie considérable de feuilles publiées en contra-
vention des ordonnances fut faite.
C'était le 28 juillet vers midi, qu'un ordre venu du Préfet,
adressé au maire et au commissaire de police, ordonnait la
saisie des presses du Propagateur qui avaient servi à
imprimer son numéro de la veille. Le commissaire de police,
se rendit aux ateliers du journal, pour en opérer l'exé-
cution. Toutefois, lorsqu'il était occupé de cette affaire,
une note du Maire lui fut remise par l'huissier de la ville,
laquelle avait pour but, de l'engager à mettre seulement les
scellés sur les presses mais, de ne procéder à leur enlève-
ment, qu'après de nouveaux ordres, c'est ce que fit ce
fonctionnaire. Il revint à la mairie; le soir, des ordres
iropératifs étant parvenus, le Maire le chargea d'aller à la
Préfecture, prendre directement les instructions du Secré-
taire-Général ; il y arriva vers dix heures du soir, et pour
s’y conformer, le lendemain matin 29 juillet, il alla avec la
gendarmerie enlever les presses à quatre heures du matin
et on les porta dans les salons de la mairie (1).
Ce qui avait excité le mécontentement du pouvoir, c'est
que le premier bruit du soulèvement de Paris était arrivé à
Arras le 28 juillet au soir. Un bulletin imprimé dans les
caves du Propagateur, avec une mauvaise presse qu'on
avait soustraite aux recherches de la police et quelques
(1) Voici comment le Propagateur raconte cette scène : « Le
marteau du forgeron frappe, démonte, brise l'instrument sublime qui
donne l'existence à la pensée. MM, Souquet et Degeorges protestent
contre les mutilations ; ils déclarent qu'ils ne cédent qu'à la force. Ils
demandent et obtiennent qu'on dresse un procès-verbal de toutes
ces illégalités. Des amis courageux arrivent pour rendre témoignage
de ces attentats commis à la propriété du citoyen. Les presses, les
casses sont placées sur des charettes par des mains ignorantes. On
— 191 —
poignées de caractères prêtés par M. Leclercq, imprimeur,
avait annoncé cette nouvelle. L'ardeur de combattre, dit le
Propagateur, s'était aussitôt fait jour dans quelques âmes
énergiques et des volontaires s'étaient fait inscrire au bureau
du journal pour marcher au secours des Parisiens et la
lutte avec l'autorité allait commencer.
Le Propagateur privé de ses presses avait dû cesser de
paraître. La rédaction et l'imprimeur tentèrent de les ravoir.
Dans la matinée du 29 juillet, une requête fut présentée à
M.Thelliez de Sars, président du Tribunal; on lui demandait
de faire citer devant lui le vicomte Blin de Bourdon et le
baron de Hauteclocque, afin de voir déclarer nulle la saisie
des presses de M. Souquet ; celui-ci, ainsi que M. Degeorges
et M. G. Lenglet, avocat, se rendirent chez ce magistrat afin
de démontrer l'illégalité des ordonnances, réclamant la mise
en jugement de l'autorité coupable d'avoir attenté à la pro-
priété des citoyens, et rappelant au Président ses devoirs de
magistrat; mais la requête fut repoussée. Tandis que cela se
passait dans son salon, M. Souquet se rendit à Douai pour
dénoncer à la Cour royale le déni de justice du Président
du Tribunal d'Arras.
Bien qu'on eût peu de nouvelles de Paris, dans les bureaux
du Propagateur on cherchait à réorganiser la Garde natio-
nale, on travaillait l'esprit de la garnison. M. Corne de
Brillemont, appelé le matin à une réunion d'officiers du
les enlève et une longue ligne formée de caractères d'imprimerie
tombés dans les rues, indique le chemin qu'a parcouru la charette
depuis les bureaux du Propagateur jusqu’à la mairie. Les habitants
sont consternés. L'administration est radieuse ; elle croit avoir porté le
coup de la mort au journal contrôleur de ses excès. Espérance trop
hâtive ! Ce sont des corps de fer que le pouvoir a à combattre. Si l'on
a pu les briser du premier coup, ils se relèveront, ils lutteront. Ils
ont des auxiliaires dans les troupes de la garnison ; ils trouvent un
appui dans Îles classes laborieuses ; ils vont s'entendre, se réunir, et
demain, fonctionnaires de Charles X, vous ne commanderez plus,
— 192 —
2e régiment du génie, communiqua à M. F. Degeorge l'offre
faite par cux d'enlever leur régiment pour s'unir aux
volontaires d'Arras et marcher sur Paris. MM. Cavaignac,
capitaine (1), Lebleu et Odier, lieutenants du génie, étaient
les principaux auteurs d'une conspiration qui devait rendre
les patriotes d'Arras maîtres de la citadelle, et enlever tout
moyen de répression aux autorités civiles et militaires de
la ville. On comptait aussi sur les ouvriers renvoyés des
ateliers.
À partir du 29 juillet, la place de la Comédie devint le
rendez-vous, dit le Propagateur, de tous les citoyens coura-
geux, et de nombreux officiers, des jeunes gens de la ville,
et d'une foule d'ouvriers volontaires prêts à partir pour
Paris. On y attendait l'arrivée du courrier avec une anxiété
impossible à décrire. Le peuple de Paris était-il victorieux ou
vaincu ? À sept heures du soir le courrier n'était pas arrivé.
Les bruits les plus sinistres couraient dans la ville. Cet état
d'anxiété ne pouvait durer. Les nouvelles n'arrivant pas, il
fallait aller au-devant d'elles. MM. Jean Degeorges, caissier
du Propagateur, et Letierce sont envoyés à Paris pour
s'enquérir de l'insurrection. MM.Odier, F. Degeorges,André
Jean, puis, le lendemain, G. Lenglet, partent pour Douai
afin d'obtenir la réunion des artilleurs à cheval aux mineurs
et aux volontaires d'Arras qui se préparaient à partir pour
la capitale (2).
Tandis qu'Arras était dans l'ignorance de la marche des
grands événements qui se passaient à Paris; tandis que
deux ou trois habitants de la ville prenaient la poste pour
enlever leurs fils aux dangers que présentait cette ville,
(1) Après les événements de juillet 4830, pour récompense il fut
attaché à la place de Paris.
(2) Le Propagateur publia la liste de ces volontaires inscrits avant
le 4er août, ils étaient 92. Ce journal dit que plus de cent autres se
présentèrent après le 1er août,
— 193 —
un étudiant en droit, M. Louis Hovine, arrivait et apportait
des détails sur la lutte qui s'était engagée entre les Parisiens
et les soldats. Il avait été témoin de quelques-unes de ces
scènes sanglantes. On venait d'apprendre que le 28 juillet au
matin, Paris n'offrait plus de passage aux voitures; que la
circulation y était partout interrompue et que de nombreuses
barricades s'élevaient dans chaque quartier. La nuit, les rues
étaient tristes et silencieuses, et le jour elles étaient bruyantes
et en feu. Dans sa fuite, M. Hovine avait suivi les boulevards
extérieurs de Paris, depuis la barrière d'Enfer jusque près
de St-Denis pour éviter les barricades. Il avait entendu la
fusillade, il avait vu les ouvriers courant au combat, il avait
pu apercevoir dans un coin de rue le feu qui se continuait à
l'autre bout. A son départ la lutte n'était pas terminée. La
victoire était incertaine entre les combattants.
Le 30 juillet au matin, les autorités civiles et militaires
d'Arras conservaient encore l'espoir de voir le triomphe
récompenser la bravoure et l'obéissance des troupes du Roi,
Les fonctionnaires civils se réunirent à la Préfecture. Les
officiers furent convoqués chez le général Matis. M. De-
mons, lieutenant-colonel du 1° régiment de Carabiniers fut
le seul, lorsqu'on proposa de faire contenir les constitu-
tionnels d'Arras par la force armée, pour dire en présence
du colonel du Génie qui répondait de son régiment :
« Que l'obéissance passive avait des bornes, que les chefs
et les soldats ne pouvaient dépasser sans danger. » Parmi
les lieutenants de carabiniers, il y en avait deux qui étaient
en relation directe avec le Comité du Propagateur et pro-
mettaient au 2° du Génie des auxiliaires pour le mouvement
qui devait avoir lieu. Il y eut aussi plusieurs réunions à la
mairie.
Le lieutenant Odier, MM. F. Degcorges et André Jean
étaient revenus de Douai. L'artillerie à cheval avait promis
de marcher sur Arras. Un coup de canon tiré par elle le
lendemain à minuit dans la porte Méaulens, était le signal
43
= A0 =
qui devait réunir les militaires de la citadelleet les volontaires
de la ville avec l'artillerie à cheval pour marcher sur Paris.
Le plan de marche fut arrêté fort avant dans la matinée (1).
La majeure partie de la garnison s'étant déclarée pour la
cause de l'insurrection, l'autorité ne pouvait empécher
l'exécution dece projet; mais il fallait, après ce départ, main-
tenir la tranquillité dans la ville. La réorganisation de la
Garde nationale devenait donc un impérieux besoin pour la
cité. Une réunion eut lieu chez M. Harlé fils ; elle était nom-
breuse. On discuta longuement et chaudement; il y eut
même une vive apostrophe adressée par MM. Corne de Bril-
lemont, Cornille, ‘F. Degeorges, Crespel-Dellisse, Huré et
Lenglet à des hommes qui, par peur, faisaient naître des
obstacles pour s'opposer à la réorganisation réclamée.
Quelques ofliciers de l'ancienne Garde nationale prétendirent
que personne ne répondrait à l'appel. Un notable des envi-
rons offrit d'amener une partie des habitants de son village.
On manquait d'un chef, il proposa M. Louis de Grandval;
c'était un protecteur donné à l'autorité en cas d'un mouve-
ment populaire. On accueillit cette proposition, et il fut
chargé avec M. Corne d'aller lui offrir ce commandement.
Les premières personnes qui parurent en uniforme furent
MM. Toursel-Trannoy et Godard-Vallée en officiers,
M. Devaux en sergent, M. Delannoy en caporal de volti-
geurs, MM. Théry et Pérot en habits de grenadier, et
M. G. Souquet en costume de voltigeur.
MM .Jean Degeorgeset Letierce, partis d'Arras pour Paris
par Amiens, n'avaient pas encore donné de leurs nouvelles.
L'anxiété était extrème à Arras. Dans la journée, deux
élèves du collège, le jeune Langlois, âgé de 14 ans, et son
ami Desplanques s'étaient échappés de chez leurs parents et
allaient partir pour porter l'appui de leurs faibles bras aux
insurgés de Paris. On courut après eux en chaise de poste
(1) Les détails qui suivent sont empruntés textuellement au Propa-
gateur. Ses assertions doivent être acceptées suus réserves.
— 195 —
et ce n'est qu'en employant la force qu'on les ramena.
Le 30 juillet, le courrier de Paris n'arriva pas encore à
Arras. Dès lors l'inquiétude est au comble. M. Letierce,
arrivant de la capitale descend de voiture, se rend aux
bureaux du Propagateur, et annonce les premiers succès des
Parisiens; il apporte une lettre de M. Jean Degeorges qui
appelle les volontaires d'Arras au secours de Paris. «Je vais
m'engager, écrivait-il, dans la Légion d'Amiens; je partirai
ce soir pour Paris; formez un bataillon et venez nous joindre;
il faut marcher sur la capitale pour porter secours à nos
concitoyens ; ils en demandent par une proclamation. »
« Nous nous occupons, écrivait à M. Degeorgesle rédacteur
de la Sentinelle picarde, d'organiser un bataillon composé
de jeunes gens, renforcé de tous les sous-officiers et soldats
qui travaillent dans nos ateliers ; nous sommes déterminés
à pousser sur Paris. Organisez-vous et faites-vous suivre,
nous allons répandre l'annonce de votre venue. Le Hâvre
est en marche, Rouen l'attend au passage pour y joindre
deux bataillons ; échauffez, enflammez vos compatriotes ;
envoyez-en le pius que vous pourrez. Tout va bien. »
Ces extraits de lettres publiés par un bulletin du Propa-
gateur sont répandus dans tout Arras. Les volontaires
accourent s'inscrire aux bureaux de journal. On en compte
plus de 60 nouveaux dans cette seule soirée. On forme une
compagnie. M. Martin, de Roclincourt en sera capitaine.
Le Général de division avait envoyé de Lille une estafette
au général Matis pour qu'il dirigeât deux escadrons des
carabiniers d'Arras sur Paris. Le régiment ne partit pas,
arrêté par la menace que firent entendre les chefs du mou-
vement populaire de l'arrêter par une insurrection. Une
seconde estafette arriva, renouvelant les ordres de départ.
M. Hallette se fit l'intermédiaire entre les habitants et les
fonctionnaires de Charles X. Il voulait empêcher une lutte
sanglante; il y parvint. Un seul escadron quittera la ville.
Le général Matis le fit annoncer au milieu de la nuit aux
— 196 —
bureaux du l’ropagateur et donna sa parole d'honneur que
ce détachement ne dépasserait pas Amiens. Les autorités
commencèrent à craindre. Les volontaires se préparaient
pour le départ du lendemain.
- La réorganisation de la Garde nationale, proposée le
28 juillet au soir par M. Corne de Brillemont et décidée dans
la matinée du 30 à la réunion tenue chez M. Harlé fils,
n'avait recu encore le lendemain ancun commencement
d'exécution. Quelques gardes nationaux avaient bien endossé
l'habit d'uniforme, mais M. L. de Grandval en était encore à
répondre sil acceptait le commandement qui lui avait été
offert, et pas un seul des anciens capitaines n'avait cru pru-
dent de convoquer sa compagnie. C'est qu'à Arras comme
à Paris des parlementaires avaient surgi au milieu de la
lutte entre l'autorité et le peuple; c'est que M. Boussemart-
Huré avait prévenu l'autorité militaire de la réunion tenue
la veille chez M. Harlé fils; c'est que M. Lair, sous-inten-
dant militaire envoyé par le général Matis, avait porté les
ordres et les menaces du général contre la réorganisation
de la Garde nationale; c'est qu'enfin des hommes méticu-
leux et caressés par le Préfet, n avaient osé se résoudre à lui
déplaire en appelant aux armes une milice citoyenne que
le Pouvoir avait autrefois licenciée. C'est dans ces conjonc-
tures que M. F. Degeorges s offrit pour aller demander au
vicomte Blin de Bourdon la remise des presses qu'on avait
enlevées, et l'autorisation de réorganiser la Garde natio-
nale d'Arras, autorisation dont M. Louis de Grandval
paraissait avoir besoin pour accepter le commandement.
Ce fut M. Hallette qui accompagna M. F. Degeorges chez
le Préfet. L'entrevue fut longue, la discussion chaleureuse.
Ce fonctionnaire consentait à remettre les presses, mais il
voulait qu'on les lui demandàt. M. Degeorges lui disait que
puisqu'onlesavait saisies illégalement, on devaits empresser
de les restituer, sans aucune demande, sans aucune con-
dition. « Le peuple est avec nous, disait-il, et les presses
— 197 —
saisies, dès hier nous les eussions reprises, si nous l'avions
voulu. — Mais on aurait opposé la troupe aux agitateurs,
répondit le Préfet. — Les soldats sont aussi avec nous : ils
sont aussi citovens, et tandis que votre hôtel est désert, une
partie des officiers de la garnison attend mon retour dans
les jardins du Propagateur ». En effet, malgré les menaces de
leur colonel, MM. Cavaignac, Lebleu, Odier, Husson, Des-
ravaud, du 2e du Génie, plusieurs officiers des Carabiniers
et de la Ligne s'occupaient avec MM. Martin, G. Lenglet,
Corne de Brillemont, Huré, St-Rémy-Mareuse et quelques
autres chauds patriotes du mouvement insurrectionnel qui
devait avoir lieu dans la nuit. Enfin le vicomte Blin de
Bourdon ordonna la remise des presses de M. Souquet et
ajouta que la Garde Nationale pouvait s'organiser (1). Mais
tandis que le samedi soir à Arras, tout étaitencore agitation,
alarmes, préparation à l'attaque, depuis jeudi soir à Paris,
la victoire était à l'insurrection. À #4 heures, le drapeau
tricolore flottait au Louvre et aux Tuileries, et les troupes
royalesquiavaientopéréleur retraite parles Champs-Élysées,
traversaient le bois de Boulogne pour rejoindre le Roi à
(1) Voici comment le Préfet annonça la réorganisation de la Garde
nationale : « dans la vue de maintenir, au chef-licu du département,
la continuation de la tranquillité qui v a régné jusqu'à ce moment, il
s'est fait présenter les contrôles de la Garde nationale, et croyant ne
pouvoir mieux assurer la sécurité des familles et des propriétés qu'en
les coufiant à la surveillance des citoyens qu'elles intéressent directe-
ment, après en avoir conféré avec l'autorité militaire, le Préfet s’occupe
de mettre en activité le service de la Garde nationale dans les cadres
existants. Il ne doute pas qu'avec son concours et celui des habitants
les plus notables qui ont déjà rendu à la conservation du bon ordre
des services dont il ne saurait trop les remercier, la ville d'Arras n'ait
l'honneur d’avoir su se préserver de tout trouble intérieur et de justi-
fier la confiance que le bon esprit des habitants a toujours inspirée à
l'autorité administrative, heureuse en ce moment de n'avoir qu'à le
seconder. »
— 198 —
St-Cloud (1). Le courrier de Paris qui, depuis deux jours,
avait manqué, arriva le samedi à Arras. Dire l’impatience
des habitants à connaitre les nouvelles qu'il apportait serait
impossible. La foule, qui emplissait la place de la Comédie,
descendit en courant la rue St-Aubert et fut en un clin d'œil
devant le bureau de la poste. Une seule lettre de Paris,
timbrée du Ministère des Finances, était adressée à
M. F. Degeorges, elle était de M. Chardel, député, chargé
provisoirement de la direction des Postes, et contenait le
Moniteur publié dans la soirée du 29. Il annonçait l'organi-
sation d'un Gouvernement provisoire sous la direction des
généraux La Fayette et Gérard et du duc de Choiseul, la
formation d'une commission municipale, l'occupation de
Paris par la Garde Nationale et la réunion des Députés dans
les lieux ordinaires de leurs séances. Un bulletin du Propa-
gateur apprit aussitôt au public ces nouvelles. Les amis de
M. Harlé fils coururent les lui annoncer, en l’engageant à
partir lui-même pour Paris, afin de coopérer avec ses col-
lègues à l'établissementd'unnouveau Gouvernement. À onze
heures du soir, M. Jean Degeorges. arrivant en poste,
annonça que le duc d'Orléans élait nommé généralissime
du royaume et que le drapeau tricolore flottait à Paris et à
Amiens. La marche des volontaires d'Arras sur Paris n'était
plus nécessaire.
Le baron de Hauteclocque, maire d'Arras, avait couru
(4) Voici l'affiche que le vicomte Blin de Bourdon fit apposer :
« Le Préfet du Pas-de-Calais croit devoir porter à la connaissance
des habitants d'Arras les nouvelles qui ont acquis un degré de certitude
à peu près entier sur la position actuelle.
Les dépèches télégraphiques n'ont pu parvenir régulièrement parce
que le poste de Montmartre occupé interrompt la circulation.
Le camp de Saint-Omer est levé par ordre du Roi.
La tranquillité règne à Rouen, un peu troublée à Amieus, elle y est
entière en ce moment ainsi que à Lille et à Douai. Toutes les villes du
Pas-de-Calais sont dans le plus grand calme. Il est certain que l'effu-
sion de sang a cessé totalement à Paris. » .
— 199 —
un véritable danger, car c'était un hommeénergique, dévoué
à la Monarchie légitime : il avait fait exécuter la saisie des
presses du Propagateur, ce qui avait exaspéré les Libéraux
d'Arras. Le jeudi, vers six heures du soir, le vicomte Blin
de Bourdon revint et prit la direction des affaires ; il y eut
une réunion des principaux fonctionnaires à la Préfecture,
le général Matis fit connaître le danger que courait le maire
contre qui on s'était plu à créer une véritable agitation popu-
laire dont le but et le résultat ne pouvaient être que très
graves pour lui et pour la tranquillité publique. L'adminis-
tration municipale, nonobstant le danger, continua à remplir
ses devoirs et à prendre les mesures nécessitées par la posi-
tion difficile où on se trouvait, sans nouvelles, sans ordres et
sans direction du Gouvernement. Le vendredi se passa sans
rien d'extraordinaire. L'agitation cependant s'accroissait et
l'autorité se réunit plusieurs fois à la Mairie. Le Préfet fut
de nouveau averti par la police civile et militaire des com-
plots formés contre le Maire, et des dangers que courait
ce magistrat. Il lui offrit de le faire protéger par la gendar-
merie. Le baron de ITauteclocque préféra se retirer à la
préfecture (1). M. Blin de Bourdon prit l'avis des principales
autorités pour savoir le moyen de le mettre à l'abri des
violences. On fut d'avis qu'il devait quitter la ville et le
Préfet l'autorisa à s'absenter temporairement. Il lui dit : |
« Que la Providence veille sur vous ! » (2) et désigna M. de
(1) Le baron de Hauteclocque écrivit au Préfet qui lui répondit :
« Il est triste d'occuper des fonctions publiques surtout lorsque les
esprits sont vivement agités par les événements. Mais le temps et les
réflexions produiront un jour leur heureux effet. »
(2) Voici l'arrêté du Vite Blin de Bourdon daté du 30 juillet 1830 :
« Nous, Préfet... cte.,
Attendu qu'il résulte des rapports qui nous sont faits que la sécurité
— 940 —-
Rauiln, adjoint, pour faire fonctions de maire (1). Le baron
de Hauteclocque, obéissant à cet ordre, quitta Arras dans
un Cabriolet qui l'attendait à la porte Baudimont, et se retira
chez son ami Île marquis d'Ilumereuille, sous-préfet de
St-Pol, puis en Belgique, dans la famille de sa femme.
Pendant ce temps-là, les révolutionnaires étaient venus faire
du bruit devant sa maison et malgré la résistance de ses
domestiques, placèrent un drapeau tricolore à ses fenêtres.
Peu à peu les préventions contre lui diminuèrent, surtout
quand on sut qu'il n'avait fait qu'exécuter des ordres.
M. Cahouet ayant été nommé préfet du Pas-de-Calais, le
baron de Hauteclocque lui évrivit pour lui exposer sa situa-
tion, celui-ci lui conseilla, le 17 août, d'attendre quelque
temps pour revenir (2), M. Dudouit, maire d'Arras, était du
du baron de Hauteclocque, maire d'Arras, parait être compromise par
son séjour en cette ville ;
Arrétons :
Anar. er. — Le baron de Hauteclocque est invité à s'éloigner de la
ville d'Arras.
Ant. 2.— M. de Raulin, adjoint au maire, remplira provisoirement
les fonctions de maire de la ville d'Arras.
AnT. 3. — Ampliatiou du présent arrêté sera adressée au baron de
. Hauteclocque et à M. de Raulin. »
(4) Voici la lettre qu'il lui écrivit :
« Le baron de Hauteclocque vient de quitter la ville comme il y
avait été autorisé. Je viens de vous désigner pour le remplacer provi-
soirement dans les fonctions de maire. J'ai l’honneur de vous prier de
vouloir bien, dans cette circonstance importante, veiller au maintien
de la tranquillité publique. Je désire que vous veniez me voir le plus
tôt possible.
(2) Voici la lettre de M. Cahouet :
« Je vous prie d’être persuadé de l'intérêt que je prends à la situation
désagréable dans laquelle vous vous trouvez et les vœux que je forme
pour que les préventions qui se sont élevées contre votre admiaistration
se dissipent. L'expérience mème atteste qu'il est difficile d’administrer
dans des temps de crise. Les devoirs et les obligations de position ne
sont pas toujours appréciés. L'on ne voit que la main qui exécute et
soÛl
même avis tout en lui étant favorable. M. Bénard, son
ancien adversaire, se porta son défenseur. Le baron de
Hauteclocque put rentrer chez lui sans exciter de manifes-
tation hostile.
Le vendredi soir, on apprit les évènements de Paris, le
succès des insurgés et en général ce qui s'était passé. Les
autorités se réunirent ; on discuta la question de l'oppor-
tunité de la Garde Nationale. Des avis courageux furent
ouverts, enfin, on sut le lendemain le détail de ce qui s'était
passé à Paris et l'organisation du Gouvernement provisoire.
Le mouvement militaire qui devait avoir lieu à minuit
fut décommandé, et, à onze heures du soir, M. Jean De-
georges arrivait de Paris et annonçait que le duc d'Orléans
était proclamé généralissime du Royaume et que le drapeau
tricolore flottait à Paris et à Amiens.
On se pressait de célébrer un triomphe qui n'était encore
qu'à demi arrivé. Paris n était plus occupé par les troupes
royales ; Louis Philippe y commandait, avec La Favette et
Gérard, maïs était-ce pour longtemps ?
Le courrier de Paris qui arriva à Arras le 17 août,
rapporta les détails de la journée du 30 juillet. Une lettre
adressée au Rédacteur en chef du Propagateur se terminait
par ces mots : (« L'ordre le plus admirable règne dans la
capitale, mais en ce moment (quatre heures et demie), on
entend au loin le canon ». Le Constitutionnel acheté au
conducteur de la diligence de Paris est lu publiquement
d'abord par M. Huré dans la cour de l'Hôtel de l'Europe,
ensuite par M. Audibert; ilannoncait que malgré sa victoire
Paris n'était pas sans inquiétude. On y répand le bruit, disait
le journal, que les troupes rovales qui s'étaient d'abord
on ne voit pas le moteur. Cependant, les préventions sont déjà consi-
dérablement affaiblies et je ne doute pas qu'avant peu, les passions
ne soient assez calmées pour que vous puissiez revenir à Arras avec
sécurité,
ralliées au nombre de 3 ou 4,000 dans les Champs Elysées
et plus tard dans le bois de Boulogne, munies d'artillerie,
soutenues par Vincennes vont bombarder la capitale ; quel-
ques lettres particulières exagèrent ces craintes, elles
appréhendent une dernière tentative sur Paris ; elles disent
qu on y fortifie les barricades, qu'on les perfectionne, qu'on
se tient sur ses gardes, que des alertes ont lieu à chaque
instant.
Les inquiétudes des Parisiens victorieux sont bientôt
partagées par les patriotes d'Arras et quand ils apprennent
que le camp de St-Omer a été levé, qu'il marche sur Paris,
il n'y a plus qu'un cri parmi les volontaires : « Partons !
Partons! Allons défendre les Parisiens ».
On se rassemble en tumulte sur la place de l'Hospice, on
demande des armes, on cherche en vain à calmer l'efferves-
cence, on veut partir à l'instant. M. Degeorges réclame
douze volontaires choisis pour régler l'heure et l'ordre du
départ. Ce choix est fait. Ils entrent dans le bureau du Pro-
pagateur. Il faut des chefs, on élit comme capitaine M. Mar
tin, ex-capitaine du génie, comme lieutenant M. Burlion,
ancien maréchal de logis de lanciers, comme sous-lieu-
tenant M. Leclercq, ancien sergent-major. M. Saint Rémy-
Mareuse fait les premiers frais de l'expédition et elle aura
lieu le lendemain à quatre heures du matin, malgré la
défense de l'autorité militaire à moins que M. Frédéric
Degeorges qui prend les devants en poste, accompagné de
M. Letierce, n'envoie de Doullens ou d'Amiens, un courrier
qui annonce à M. Martin que la victoire est complète et
que nul revers ne peut plus la menacer.
Le drapeau tricolore flattait à Doullens sur la fabrique de
M. Scipion-Mourgne, lorsque les deux envoyés d'Arras
traversèrent cette ville dans la nuit du ffraoût. Les trainards
du camp de St-Omer y remplissaient les cabarets, tandis
que le gros de l'armée du général Dalton s'avançait à
marches forcées sur Abbeville dont les habitants défendaient
les portes.
Ces nouvelles furent transmises à Arras par un courrier.
M. Frédéric Degeorges écrivit alors à M. Martin de
retarder le départ des volontaires et d'attendre le second
exprès qu il lui enverrait d'Amiens.
À Amiens, la Garde nationale s'était emparée de tous les
postes, un régiment de cavalerie avait voulu intimider les
habitants et ceux-ci l'avaient forcé à quitter la ville. L'esca-
dron de carabiniers parti d'Arras sous le commandement de
M. de Normandie avant reçu l'ordre de se rendre à Amiens
n'avait pu y faire son entrée. Les nombreux ouvriers de
cette ville n'avaient pas attendu le dernier jour de l'insur-
rection parisienne pour prendre part à la Révolution. Le
Séminaire de Saint-Acheul avait été saccagé et la Garde
nationale était forte de leur énergique assistance. Comme à
Paris, une commission municipale avait été organisée à
Amiens, ce fut au milieu d'elle que M. Frédéric Degeorges
se rendit, ce fut d'elle qu'il apprit la victoire des Parisiens,
ce fut par l'autorisation d'un de ses membres, M. Assclin,
avocat, qu'il obtint du marquis de Calonne, l'envoiimmédiat
à Arras de dépèches, que ce directeur des postes retenait
depuis deux jours.
Les volontaires d'Amiens avaient arrèté leur marche, M.
D. Letierce partit aussitôt pour Arras, pour faire suspendre
aussi le départ de ceux de cette ville.
Mais le mouvement insurrectionnel militaire préparé
depuis trois jours, annoncé depuis vingt-quatre heures dans
les chambrées n'avait pas été arrêté. En vain, les officiers
qui dirigeaient la conspiration essayèrent de persuader à
leurs soldats, qu'il fallait attendre, que Paris triomphant
n'avait plus besoin de leurs bras. Les imaginations étaient
montées. Un fourrier qui reçut ensuite la Croix de juillet,
se met à la tête des plus ardents, brise les chaînes qui lèvent
le pont-levis de la citadelle, enfonce la porte et malgré la
voix, les menaces du colonel, sort d'Arras et se dirige vers
Paris suivi d'une cinquantaine de ses camarades. Le reste
— 204 —
du régiment rentre à grand peine dans l'ordre. La compagnie
de discipline a aussi son insurrection et ses partants. Les
quatre principaux chefs du mouvement furent plus tard
traduits devant un conseil de guerre et acquittés.
Lorsque EF. Degeorges entra dans Paris dans l'après-midi
du 2 août, les barricades s'élevaient encore de toutes parts
et la circulation des voitures n'était pas entièrement rétablie,
La capitale était tranquille, mais au dehors, dans les envi-
rons de Versailles, de St-Cyr et de Vincennes, les défenseurs
de la royauté comptaient sur l'arrivée du camp de St-Omer
pour faire une nouvelle attaque sur Paris.
La première nouvelle de la levée du camp de Saint-Omer
fut donnée par F. Degeorges au général Lafavette, cette
nouvelle concordant avec la réunion des troupes à Ram-
bouillet, avec le refus du Roï de recevoir les envovés du
Gouvernement provisoire fit croire au projet de Charles X,
d'attendre lestroupes du général Dalton, de les réunir à celles
qu'il avait encore avec lui, pour revenir sur Paris et là
vaincre ou mourir (c'étaiten effet, ce que ce souverain aurait
dù faire). Il n°y avait pas un instant à perdre et le général
Lafayette le comprit. Après avoir organisé la marche
sur Rambouillet, 1l renvoya F. Degeorges à son premier
aide de camp ie colonel Zimmer, qui le charges de repartir
le jour même, afin qu'en cas d'un revers à Rambouillet, les
volontaires d'Amiens et d'Arras fussent prêts à marcher au
secours de Paris.
De FHôtel-de-Ville, F, Degeorges était allé au Ministère
de la Justice ou une autre mission lui avait été donnée. Les
volontaires d'Amiens se tinrent prèts pour le départ, Ceux
d'Arras n'avaient pas, pour ainsi dire, cessé d'être sous Îles
armes depuis le 31 juillet et en attendant le moment de
marcher, ils avaient arboré le drapeau tricolore sur les
principaux édifices et un caporal du génie alla en pleine
audience le présenter à M. Thellier de Kars, président.
Le 3 août, l'étendard tricolore flotte, dit le Propagateur,
2 00.
sur la plupart des maisons d'Arras. On demanda au général
Matis de le planter à la Citadelle, il ne le voulait pas, mais,
M. Demons, licutenant-colonel des carabiniers survint et y
consentit. La fleur de Ilvs disparut de l'Obélisque de la
Basse Ville et ce fut un avoué d'Arras qui paya l'ouvrier.
A peine le Gouvernement nouveau fut:1l établi, quil
multiplia ses proclamations. Lafayette en avait adressé une
aux Parisiens, les députés des départements, réunis à Paris,
une aux Français ; le maréchal Gérard (1), Ministre de la
Guerre, une à l'armée: il disaitque Louis-Philippe représen-
tait l'alliance de l'armée avec le peuple. Le général Corbi-
neau, nommé au commandement de la 16° division militaire,
en adressa une aux troupes qu'il commandait (2); le Secré-
(1) Il passa à Arras et logea à la Préfecture.
(2) Voici l'ordre du jour du général Corbineau daté du 6 août 1830 :
« Braves camarades, d'aprés les ordres de Monseigneur le duc
d'Orléans, Lieutenant général du Royaume, je prends, après quinze
ans de repos, le commandement de la 46e division militaire et du cämp
de Saint-Omer. C'est vous dire que le Gouvernement que je sers n'est
plus celui de l'intrigue et du privilège. Il est français et populaire, ses
couleurs chères à la nation française et terribles pour les ennemis de
la France, rappellent à vos cœurs les hauts faits de Fleurus, Jemmapes,
Marengo, Austerlitz et Wagram. Partout où vous les portiez; elles
vous laissèrent libres dans la carrière de la gloire et de l'honneur. Cet
avenir si prospère, ne l’oubliez jamais, vous le devez uniquement à
vos frères du peuple de Paris qui, dans les glorieuses journées des
28, 29 et 30 juillet, sont héroïquement morts pour reconquérir nos
droits.
J'ai appris avec la plus vive douleur que des soldats égarés avaient
abandonné leur poste. A dater de cet instant, le désordre doit cesser.
Les mesures les plus sévères sont prises dans toute la division et
ailleurs, pour faire arrêter et traduire devant les Conseils de guerre
tous ceux qui se rendront coupables de ce délit infdme ; mais pour
ce retour à l'ordre, je compte encore plus sur votre honneur et votre
patrivtisme. Vive la Charte ! Ce cri de ralliement du combat dans les
rues de Paris, ce cri couronné par la victoire doit être celui de tout
bon Français.
taire-général du Pas-de-Calais donna l'ordre aux administra-
tions municipales de publier des proclamations annonçant
l'avènement de Louis-Philippe au trône. À Arras, ce fut le
9 août à 9heures du soir que le Commissaire de police parcou-
rut la ville pour la lire (1). Les tambours de la garde nationale
précédaient le cortège, et l'escorte était formée par un déta-
chement de la Milice citoyenne et par les militaires qui se
trouvaient au corps de garde pourleservicedes patrouilles (2).
L'administration préfectorale avait prié les maires d'engager
les habitants à manifester à nouveau leur bonheur enillu-
minant leurs maisons comme on le faisait pour les édifices
publics (3). Le général Corbineau, par ordre supérieur fit
tirer 101 coups de canon.
Le Propagateur ouvrit une souscription pour venir au
secours des veuves, des orphelins et des blessés, victimes
des évènements de Paris. Le pasteur protestant s'inscrivit
en tête de la liste. Le directeur du théâtre donna une repré-
sentation dans le mème but. La ville d'Arras offrit un ban-
(1) Voici cette proclamation :
L'événement le plus heureux pour la France vient de combler tous
nos vœux. Son Altesse Royale, le duc d'Orléans est proclamé Roi des
Français par la Chambre des Députés et par la Chambre des Pairs.
Tous les droits sont assurés par les modifications apportées à la
Charte. Qu'une illumination spontanée vienne signaler votre allégresse
et les sentiments de cordialité qui doivent désormais nous réunir tous.
(2) Le Propagateur dit : « Que plusieurs capitaines de la Garde
Nationale avec des soldats du régiment de Carabiniers et de celui du
Génie parcoururent le soir les principales rues d’Arras, on lut la
proclamation sur toutes les places publiques. Les cris de vivat et les
torches donnaient à cette marche nocturne une sorte de majesté
tragique el mystérieuse.
(3) Voici ce que dit à ce sujet le Propagateur :
A Arras, malgré la pluie, on illumina. Des drapeaux tricolores
ornaient les fenêtres ; on tirait des coups de fusil ; tout annonçait la
joie de cette jeunesse artésienne disposée, il y avait quelques jours, à
marcher au secours de Paris, satisfaite aujourd’hui de voir un terme
aux horreurs de la guerre civile.
— 907 —
quet à la garnison «elle avait, dit le Propagateur, mérité
la sympathie des Constitutionnels. » Il y eut 300 convives
et on porta de nombreux toasts.
En général, dans le Pas-de-Calais, à l'annonce des évé-
nements de juillet, la première impression fut l'étonnement,
on ne s'attendait pas à un changement de dynastie. Puis vint
de la part des royalistes, encore nombreux, et du parti
religieux un vif regret de la fin de la monarchie légitime;
mais que faire après le départ de Charles X ? Naturellement
le parti libéral qui avait beaucoup gagné, surtout dans la
bourgeoisie et chez les intellectuels, triomphait. Il n'y eu
aucune manifestation hostile, on accepta le fait accompli (1).
A Boulogne, ce fut le 30 juillet qu'on appritles premières
nouvelles de l'insurrection. Quand elle triompha, on lut la
proclamation du duc d'Orléans. Le 1°r août, le drapeau tri-
colore fut arboré sur le beffroi; on ouvrit une souscription
pour les victimes de l'insurrection. Tout se passa avec calme.
Toutefois une bande d'individus envahit l'établissement de
l'abbé Haffreingue et y força un professeur à crier : Vive
la Charte ! Le 12 août, le Conseil municipal vota une adresse
au nouveau Roi; le 18, il chargea une députation de la lui
présenter. Elle était composée de MM. Wissocq, président
du tribunal, Adam et de Clocheville. Elle devait offrir à
Louis-Philippe l'hommage du respect et de la fidélité des
habitants de Boulogne. Eile fut reçue le 25 août; M. Wissocq
prit la parole et Louis-Philippe lui répondit gracieusement,
(1) A Arras, M. de Raulin, faisant fonction de maire, écrivait au
Préfet le 7 août que la sécurité était parfaite et demandait si la fête
d'Arras pouvait avoir lieu Le Secrétaire général lui répondit qu'il
fallait consulter le Conseil municipal. Celui-ci, à l'unanimité moins
une voix, fut d'avis qu'elle pouvait avoir lieu.
Le Propagateur écrivit à ce sujet :
« La fête fut brillante; il ajoute : La chute de quelques Jésuites
canonisés viendrait-elle la troubler ? Qu’a de commun Charles X avec
notre Turenne ?
— 208 —
À St-Omer, après la publication des ordonnances, le 29
juillet, des groupes se formèrent en demandant des armes.
Le 1°r août, les canons des remparts furent braqués sur
l'arsenal et des caissons servirent à faire des barricades ;
les troupes du camp étant parties, des gendarmes arrivèrent
dans la nuit ainsi que deux compagnies d'élite du 7° de
hgne.Ünecommissionse forma spontanément pourdemander
l'organisation de la Garde nationale. On distribua des fusils
et des sabres. Les pompiers et la ligne fournirent le service
de la place. Vers dix heures du soir, deux escadrons de
chasseurs à cheval se présentèrent à la porte Royale, la Garde
nationale leur refusa l'entrée. Le lundi 2 août, le drapeau
tricolore fut présenté sur la place par le baron Olivier et
arboré sur les principaux édifices. La garnison, par ordre
supérieur, prit la cocardetricolore; il yeutdesilluminations,
des fètes et des réjouissances, d'après M.Derheims (Histoire
de Saint-Omer). Quand Louis-Philippe eut été proclamé roi
des Français, l'administration municipale provisoire, com-
posée de MM. Deschamps, Sy, et Bigot, le fit annoncer dans
les rues. Le cortège marchait, musique en tête, escorté
des pompiers et d'un détachement de la garnison. On
tira 101 coups de canon. Une souscription pourles victimes
des journées de juillet fut ouverte.
Le général Roguct futnommé au commandement du camp
d'Helfaut, en remplacement du général Dalton. Il l'annonça
par une proclamation.
Puis viennent les prestations de serment et les adresses ;
elles reproduisent les mêmes formules de dévouement et de
fidélité que nous avons vues dans les adresses précédentes,
nous ne citerons que celle du Conseil municipal d'Arras(1).
(1) Voici cette adresse :
« Le Conseil municipal d'Arras dépose aux pieds de Votre Majesté
l'expression de son respectueux dévouement. Organe des sentiments
de la cité, il est heureux de pouvoir assurer à Votre Majesté que le
peuple fidèle de la ville d'Arras, voit dans votre avènement au Trône
— %8 a —
Cette platitude inspire le dégoût, même au Propagateur (1).
le commencement d'une ère de bonheur. Après tant d'uberrations d’un
Gouvernement qui s’est perdu et compromettait l’ordre social, la
Charte sera désormais une vérité ! Tout l’avenir de la France est dans
le règne d’un Prince qui a dit ces immortelles paroles : « Ce sera le
régne des Loïs », en choisissant la Monarchie constitutionnelle et les
institutions qui bientôt viendront poser sur des bases inébranlables
l'édifice d’une sage liberté. Pourrions-nous oublier que Votre Majesté,
en s’associant aux dangers de la Patrie, avait voué son existence au
bonheur de trente-deux millions de Français ? Ce généreux sacrifice
assure à Votre Majesté des droits imprescriptibles à notre amour et à
notre fidélité. Les sentiments que nous exprimons pour Votre auguste
Personne, nous les transmettons à Votre Royale Famille. »
Cette adresse ne fut votée que par dix membres; la plupert des
conseillers s’abstenaient ou étaient absents, et l’un d’eux, l’abbé
Dubois, donna sa démission.
(1) Voici un article paru dans ce journal :
« La Révolution de Juillet n’a pas produit ce qu’on espérait d'elle :
à force de bon ton, de souplesse et d'esprit, des hommes ont été maine
teous par le nouveau Gouvernement, après avoir adoré tous les
régimes passés, après les avoir tous trahis. Les Ministres de Louis-
Philippe les ont tous conservés, bien que notre jeune royauté ne puisse
compter sur leur consciencieuse assistance. Ils restent parmi nous
comme le type vivant de traditions qu'on croyait éteintes et qui se
réveillent avec une verdeur toute nouvelle chaque fois qu'il s’agit de
diviniser un Pouvoir nouveau qu'on abandonnera, qu’on trahira
ensuite. Nous avons vu ces courtisans de tous les pouvoirs. L’astre
Gouvernemental a pAli ; ils adoucissaient en public l'expression de leur
flatterie ; ils ne louaient plus qu'avec timidité; et devant les patriotes,
dans le coin du salon, ils laissaient échapper les premiers traits d’une
satire prévoyante contre le Pouvoir dont la popularité se retirait.
Aussi, jusqu’au 30 juillet, ces déliés politiques furent dévoués à
M. Blin de Bourdon. Du 30 juillet au 2 août, ils remplirent les salons
de M. Harlé fils, puis ceux de M. Corne de Brillemont et même le
cabinet du rédacteur en chef du Propagateur à qui ils croyaient alors
quelque pouvoir. Aussi ces caméléons politiques arrivèrent-ils à la fin
de leur vie sans avoir bronché une fois, toujours heureux, toujours
en paix, et payant par mille palinodies, par mille complaisances, par
mille bassesses, les quelques milliers de francs qu'ils mangent chaque
année au grand ratelier du budget de l’État. « La peste aurait des
43,
— 208b —
Cependant ses amis venaient de triompher, il est vrai que
F. Degeorges et ses partisans espéraient voir arriver la
République. Son journal d’abord se tint dans la réserve (1)
et quand il vit ses idées et ses coreligionnaires mis à l'écart,
il mit autant d'ardeur à combattre le gouvernement de
Louis-Philippe, quil en avait mis à le faire arriver (2).
flatteurs, dit Champfort, si la peste donnait des pensions, » et jamais
Champfort, voulant peindre la masse des fonctionnaires de la Restau-
ration, n’aurait mieux dit.
(4) Il avait dù cesser sa publication après la saisie de ses presses.
Sur quatre saisies, deux avaient été cassées. Il intenta une action en
dommages et intérêts au vicomte Blin de Bourdon et au baron de
Hauteclocque. M. de la Rivière conclut un arrangement amiable. Le
4 août, le journal reparut et le numéro porta la date du vendredi
80 juillet au mercredi 4 août. Il publia un article de tête sur la Monar-
chie constitutionnelle tiré du journal du Commerce, reproduisit la
proclamation des députés, les actes officiels, etc.
(2) Le vicomte Blin de Bourdon avait, dit l'Echo Français du 17 juin
1834, laissé des regrets sincères dans le Pas-de-Calais et on avait su
apprécier les bienfaits de son administration. « Intègre, doux et conci-
liant », dit encore le Courrier du Pas-de-Calats, journal ministériel
(en 1831) ; il y avait de nombreux amis.
Le 11 juin 4834, il écrivit au baron de Hauteclocque la lettre
suivante, imprimée dans la Guselte de Flandre et d'Artois du 15
juin 1834 :
« Vous voulez bien m'annoncer que beaucoup d'électeurs indépen-
dauts du Collège d'Arras, tntra muros ont pris la détermination de
‘me donner leurs suffrages aux prochaines élections et vous me
demandez à cette occasion, si je serai disposé à abandonner la vie
privée pour rentrer dans la carrière législative.
» Le témoignage de souvenir et de confiance qu’on veut me donner
est trop précieux pour que je ne l'accueille pas avec une profonde
reconnaissance, il est pour moi la plus douce récompense d’une
administration de six années pendant lesquelles la prospérité de votre
département et le bonheur de ses habitants (ils me rendront tous cette
justice) a été l'objet de ma constante sollicitude.
» Vous me demandez si j'ai le courage de quitter ma retraite pour
me consacrer de nouveau aux affaires publiques. Si je ne consultais
que mes goûts, ma réponse serait négative, mais dans les circonstances
On s'occupa de réorganiser la Garde nationale (1). Le
actuelles, lorsque la marche déplorable du pouvoir a mis la France
dans une position aussi critique, un Français ne se doit-il pas avant
tout à son pays ? Peut-il refuser le mandat de ses concitoyens ? Je ne
le pense pas. Si leurs suffrages me rappelaient à la Chambre, je
n’hésiterais pas à me rendre à leurs vœux, je regardcrais comme mon
premier devoir de réclamer l’abolition du monopole électoral, du
serment, des lois d'exception, la Décentralisation, l’allègement des
charges publiques et les libertés nécessaires au bonheur de la France
et loin de rechercher les faveurs du Gnuvernement, je les refuserais si
elles m'étaient offertes, conservant toute mon indépendance.
» Quelle que soit d’ailleurs l'issue de la lutte qui se prépare, je
n’oublierai jamais le souvenir bienveillant de MM. les électeurs d'Arras,
à qui je crois loyal de ne pas laisser ignorer que beaucoup d’électeurs
de la Somme se proposent aussi de me donner leurs suffrages ».
Il s'agissait de remplacer M. Harlé père. Quel fut l'écrivain qui
défendit la candidature du vicomte Blin de Bourdon ? Frédérie
Degeorges qui l’avait tant combattu, et quel journal fit l'éloge de ce
vieux légitimiste ? Le Propagateur qui avait tant attaqué la Monar-
chie légitime. Il soutenait également M. Corne de Brillemont contre
M. Harlé fils, qui devait son élection à St-Omer à ce journal. Le
Propagateur écrivait le 21 juin 1830 : de nombreux candidats se
présentent, les uns complices, les autres désapprobateurs de ce qui se
fait depuis trois ans. Les uns les encouragent dans le système qu'ils
ont adopté, les autres veulent les arrèter dans leur marche, afin de
préserver la France des hontes et des secousses d'une révolution. Aussi
les électeurs à défaut de candidats de leur opinion préféreront M. Blin
de Bourdon, etc., à ces amis damnés du Ministère dont les actes
appellent sur la France la hideuse banqueroute et les sanglantes colli-
sions. Naturellement les journaux orléanistes fulminaient contre
l'alliance qu’ils appelaient Carlo Républicaïne et traitèrent également
fort mal ses candidats, le Propayateur dans son numéro du 16 juin
4834, chercha à justifier cette alliance des républicainset des légitimistes
en disant que M. Harlé en 1824, avait dù son élection à une entente
de divers partis.
Il faut conclure comme l’a dit Molière : « Que le monde est une
étrange chose ».
M. Blin de Bourdon comptait sur les voix des républicains et des
libéraux, la moitié lui fit défaut. Il échoua avec 129 voix contre
254 données à M. Harlé père. Mais il fut nommé à Doullens et il
— 208d —
Préfet l'annonça au Conseil général. Cette mesure admi-
nistrative ne fut pas chose facile (1).
conserva longtemps ce siège de député que son fils devait occuper
après lui. M. Corne de Brillemont échoua également.
(14 p. 211) M. de Raulin écrivait au Préfet le 2 août 1830 : « Jai
l'honneur de vous informer du résultat obtenu dans le conseil de la
légion de la Garde Nationale tenu ce matin d’après votre ordre. Ces mes-
sieurs sont convenus de réunir aujourd’hui, entre trois et quatre heures
de l’après-midi, les hommes habilllés ou non habillés qui se trouvent
portés sur les contrôles de la Compagnie, à l'effet d'en dresser de
nouveaux plus exacts que les anciens et d'obtenir en même temps tous
les renseignements nécessaires sur le nombre d’armes et de fourni-
tures dont on pourrait avoir besoin. Messieurs les capitaines m'ont
promis de mettre à me disposition aujourd’hui à six heures du soir
au plus tard, trente hommes armés, équipés entièrement, lesquels
seront pris dans les cinq compagnies. Les trente hommes se réuniront
à la porte de M. Crépieux, adjudant-major, lequel se mettra à leur tête
et les dirigera vers l’avenue de la Préfecture. Là, ils trouveront un
adjudant de place qui les cunduira au poste de l’hôtel de la Préfecture
et les y installera. Ces dernières dispositions ont été convenues entre
M. le Commandant de la place et moi. J'ai eu l'honneur de le voir
tout à l’heure et je l’ai instruit de tout ce qui précède. Je dois vous
informer que sur les trente hommes qui occuperont ce soir le poste
de la Préfecture, dix formeront le poste proprement dit et les vingt
autres seront employés à faire des patrouilles. Ces dispositions sont
provisoires, attendu que le poste que vous me déterminerez au Palais
de Justice ne saurait ètre occupé aujourd’hui. J'ai écrit à M. le Pré-
sident pour lui demander un local convenable, j'attends sa réponse et
dans le cas où elle serait satisfaisante, je me déterminerai à convenir
d’un arrangement avec lui ».
(1) Voici un assez long article que publia le Propagateur :
Arras continue de jouir du calme le plus complet. Les premiers
essais de la réorganisation de la Garde Nationale ont produit la plus
heureuse impression, elle est pour tous nos concitoyens le symbole de
cette liberté si chère que nous invoquons depuis 40 ans et qu’il appar-
tenait à la jeune France de conquérir à jamais. Ne comptons plus les
sacrifices faits pour arriver à ce but si précieux ; ne comptons même
pas ceux que nous avons à faire pour le conserver. Calculer avec le
passé ou avec l’avenir, ce serait faire de l’égoïsme et l'amour de la
patrie ne le conçoit pas. Dévouons-nous à de nombreux efforts, nous
— 208 e —
L'évêque d'Arras ne crut pas devoir faire de mandement
à l'occasion de l'avènement au trône de Louis-Philippe. Les
esprits avaient été excités contre le clergé, il pouvait craindre
des manifestations hostiles. Le 4 août, il envoya une lettre
à ses curés pour leur recommander la prudence (1). Quelques
ne tarderons pas à en recueillir les premières récompenses. Dans peu
de jours notre Garde Nationale sera réorganisée. Les premières opé-
rations paraissent lentes, elles le sont en effet, il n’en pourrait être
autrement. Le point de départ était vicieux, mais il était donné ou
imposé par le Ministre : il fallait l’accepter. La législation sur la Garde
Nationale est un chaos, il faut en rechercher les principes dans plus
de quatre-vingts décrets et ordonnances que tous les gouvernements,
depuis l’Assemblée Nationale jusqu’à ce jour, ont accumulés les uns
sur les autres avec une incroyable contradiction. Le principe domi-
nant de cette première institution repose dans l’intervention des Gardes
Nationaux dans le choix des affaires. Ce principe réclamé depuis long-
temps par tous ceux qui ont des sentiments d’honneur et d'amour de
la liberté vient d’être consacré par la proclamation de nos députés et
c’est avec raison que les dernières nominations faites par le vicomte
Blin de Bourdon ont paru vicieuses et illégales à nos concitoyens,
mais, nous le répétons, le Ministre ne permettait pas une autre marche
avant la réforme de la législation, il fallait assurer le repos de la cité,
il fallait arriver à une organisation d’une manière quelconque et on ne
pouvait faire que du provisoire. Cette situation ne doit pas arrêter le
zèle de nos concitoyens ; qu'ils s’empressent de rendre le service
possible, qu'ils viennent relever ceux que le devoir, en des jours de
troubles et d’alarmes, a retenu à leur poste et dès que les bases de
l’organisation seront fixées, ils useront avec indépendance de l’impor-
tante prérogative de se donner des chefs, et soit qu'ils ratifient ou
qu’ils révoquent les nominations actuelles, nous sommes convaincus
que leur vote sera digne de notre nouvelle existence, s’ils confient le
soin de les commander à des hommes insensibles aux oscillations
politiques et qui ont donné des gages certains de dévouement à la patrie
malgré les vexations des absolutistes et sont restés invariables dans
leurs principes sans faiblesse et sans hésitation.
(4) Voici cette lettre :
« Le véritable intérêt du Ministère pastoral que Jésus-Christ nous a
confié, l’avantage réel de notre sainte Religion, la plus grande gloire
de Dieu doivent dans tous les temps être le but unique de la conduite
du Pasteur des âmes, envoyé pour leur prècher d’après l'Evangile la
— 908 f —
ecclésiastiques ayant paru en manquer, il écrivit le 28 août
une seconde lettre (1). Enfin, un nouveau Préfet ayant été
nommé, il annonça que l’état provisoire avait cessé (2).
concorde et la charité, nous devons nous montrer, partout et en toutes
circonstances, des anges de paix.
» Chargés exclusivement du salut des âmes, nous devons nous
occuper de celte auguste et sublime mission.
» Etrangers par notre état aux affaires du monde, nous devons
éviter dans nos discours, comme dans nos moindres paroles, tout ce
qui pourrait éveiller l'attention publique et devenir plutôt nuisible
qu'utile à l'avancement de la Religion.
» La prudence du serpent et la simplicité de la colombe nous sont
recommandées dans tous les temps, mais plus particulièrement dans
_Îes circonstances qui présentent quelque gravité.
» Je veille avec sollicitude à tout ce qui pourrait intéresser mes
dignes et vénérables coopérateurs. Je les prie instamment de s'appli-
quer exactement et uniquement aux fonctions de leur Ministère, et je
les conjure de ne rien faire ni rien dire qui puisse provoquer une
plainte. Attendons et prions.
» Je n'ai reçu aucune instruction, vous vous concerterez en ce qui
regarde la publicité avec les autorités locales ».
(4) Voici cette lettre :
» Malgré ma circulaire du 4 août, j'ai appris avec étonnement que
certains prêtres, au lieu de s'occuper uniquement des affaires du Ciel
ont l’imprudence de s’occuper des affaires publiques dans les visites
qu'ils se rendent, ou quand ils se réunissent en réunions particulières
produites par l'amitié ou la coutume et peuvent être considérées comme
des conciliabules publics.
» Le drapeau blanc flotte encore dans quelques églises. Il faut se
conformer à la coutume et n’y mettre que ceux conquis sur l’ennemi,
et avec une autorisation de l'administration, on pourra permettre aux
maires de mettre sur le clocher le drapeau tricolore.
» Il faudra continuer de dire les prières pour le Roi, car il faut se
conformer à la morale de l’Apôtre et du Sauveur.
» Que cette circulaire ne vous afflige pas, et voyez-y une nouvelle
preuve de mon attachement et du désir de vous voir heureux ».
(2) Voici ce qu'écrivit Monseigneur de La Tour d'Auvergne :
« L'état provisoire a cessé; le Préfet est arrivé. Nous nous sommes
concerté avec lui pour tout ce qui regarde l’administration. La
confiance peut donc renaître dans le clergé. Toute sécurité lui est
— 208 g —
I] fallut s'occuper de remplacer les anciens fonctionnaires.
F. Degeorges alla à Paris pour cela et fit modifier divers
choix à Arras. MM. Lantoine Harduin et Harbaville rempla-
cèrent provisoirement comme adjoints MM. de Raulin et
Lincque qui donnèrent leur démission le 9 août. M. Harba-
ville ayant été nommé conseiller de préfecture, M. Dudouit
le remplaça, il fut nommé maire le 12 septembre.
Comme préfet, on nomma M. Corne de Brillemont, il
refusa à cause de sa santé, le vicomte Siméon ne voulut pas
accepter et M. Cahouet fut nommé (1), il adressa aux maires
une proclamation (2). Il assista à la réunion du Conseil
général et y prononça un discours où il rendit hommage aux
anciens membres de cette Assemblée.
M. Philis devint secrétaire-général, il avait déjà rempli
cette fonction dans le Pas-de-Calais de 1820 à 1823.
MM. Goudemetz, Harbaville et Cornille furent nommés
assurée. Oceupons-nous de nos fonctions. Soyons prudents et circons-
pects. Nous devons jouir de la liberté promise à tous les Français.
Votre Evèêque est plein de confiance dans l'excellent magistrat qui
administre le département. Je me flatte que tout le monde sera sage ct
que personne n'’attirera l'attention publique.
(1) Nommé le 22 août, installé le 29. 11 avait rempli des fonctions
administratives sous le premier empire ; révoqué en 1814, renommé
pendant les Cent Jours, révoqué à nouveau en 1815, il avait toujours
professé des idées libérales, rentré dans la vie privée, il s’occupa
d’affaires, il était conseiller général de la Manche. Il tomba en
disgrâce, sa capacité active, mais rude et sauvage ayant fait fausse
route, dit le Courrier du Pas-de-Calais.
(2) La voici : « La révolution miraculeuse qui vient de sauver la
France est approuvée par tous les hommes amis de leur pays. Sous le
gouvernement de Philippe ler, avec les institutions libérales dont les
bases sont jetées, la paix et la liberté sont assurées par le nouveau
Gouvernement pour tous les Français quelles que soient leurs opinions.
» Faites arborer les Couleurs nationales adoptées par le nouveau
Gouvernement et répandez parmi vos administrés de toutes classes les
principes qu’il a proclamés et sur lesquels repose désormais le bonheur
de la patrie ».
— 9208 h —
Conseillers de préfecture à la place de MM. Constantin
de Hauteclocque, d'Hagerue et Bergé de Vasseneau.
Les Sous-Préfets donnèrent leur démission à l'exception:
de M. Denormandie qui s'était prétendu un vieux royaliste,
il resta à Béthune, puis fut nommé à Boulogne, remplaçant
M. Gingoult, plustard,administra l'arrondissement de Saint-
Omer et, après, celui de Blaye. À Montreuil, M. Enlart fils,
remplaca M. des Garez qui, à son départ, fut l'objet d'une
manifestation sympathique. M. Pellenc obtint la Sous-Pré-
fecture de Saint-Pol à la place du marquis d'Humereuille.
Nous allons résumer brièvement le long travail que nous
avons composé sur l'histoire de la Restauration dans le
Pas-de-Calais.
En 1815, à la rentrée de Louis XVIII, enthousiasme
général, c'est un père qui revient au milieu de ses enfants,
le règne des Bourbons parait assuré pour toujours. Les
Royalistes rentrés en France, après avoir subi les douleurs.
de l'exil, vu leurs parents périr sur l'échafaud et leurs biens.
confisqués, croient qu'ils vont retrouver au retour du Roi
leurs propriétés et obtenir les places et les honneurs, ainsi
que leur en donnentle droit les malheursqu'ils ontsubis pour
leur foi et leur dévouement aux Bourbons. Il n'en est rien.
Louis XVIII, au lieu de garder une silence prudent, assure
dans la Charte la possession paisible aux acquéreurs des.
biens ayant appartenu aux émigrés, sans parler de les
indemniser. Talleyrand et Foucher redeviennent ministres,
d'autres régicides et un grand nombre d'anciens Bonapar-
tistes et de republicains conservent leurs emplois ou en
obtiennent d'autres, il est vrai que le cri de : Vive le Roi,
s'il ne sortait pas de leur cœur sortait de leur bouche. Les
Royalistes, négligés, manifestent leur mécontentement,
Louis XVIII, froissé, décide qu'il se passera d'eux, dissout
la Chambre des Introuvables qui est entièrement Royaliste,
donne sa confiance à M. Decazes, ancien Bonapartiste qui,
— 908 i —
aidé de fonctionnaires hostiles aux vrais royalistes, appelés
alors les ultra, parvient, en les laissant à l'écart ou en les
combattant, àleur enleverune grande partie de leur influence.
Le parti libéral qui doit faire tant de mal à la Royauté
légitime, apparaît à la Chambre. On a vu les succès qu'il
obtint dans le Pas-de-Calais grâce au Préfet Mallouet et
plus tard, au vicomte Siméon. La majorité de la Chambre
des Pairs était royaliste; pour la faire disparaitre, on y
introduisit soixante nouveaux membres, la plupart anciens
Bonapartistes ou Républicains. Lors de la réorganisation
de l’armée, un assez grand nombre de jeunes Royalistes
avait obtenu le brevet de sous-lieutenant. Le Ministre de la
Guerre Gouvion St-Cyr, dans une nouvelle loi sur l'armée,
les renvoie et les remplace en partie par d'anciens officiers
de Napoléon mis en demi-solde et apportant leur rancune
contre les Bourbons. L'Empereur n'avait jamais voulu
accorder la liberté de la Presse, et il avait raison. Au lieu
de l'imiter, Louis XVIII l'accorde en partie, la retire,
Charles X la rend. Les journaux les plus répandus étaient
devenus hostiles et agissaient sur les électeurs à cent écus,
exploitaient contre les Bourbons les essais malheureux de
lois sur le sacrilège et le droit d'aînesse. On persuade aux
électeurs qu'ils sont gouvernés par un jésuite déguisé,
entouré de nobles et de prètres, et que l’on va voir revenir
la dime et les droits féodaux. Les sociétés secrètes s'orga-
nisent, les conspirations éclatent.
A la fin du règne de Louis XVIII, la situation devenait
grave, quand éclate un coup de foudre, l'assassinat du duc
de Berry. La France est consternée, le sentiment royaliste
se réveille de toutes parts. Les libéraux sont considérés
comme les complices de ce crime. Le duc Decazes, ses amis
et ses collaborateurs sont renvoyés, on nomme pour 7 ans
une chambre en grande partie royaliste et disposée à voter
toutes les lois conservatrices. Un Ministre d'une haute
intelligence M. de Villèle, prend la direction des affaires,
l'horizon parait éclairci, il n'en est rien. Louis XVIII
meurt, Charles X arrive au pouvair. C'était un vieillard,
bon, affable, pieux, dévoué à ses devoirs, mais faible, sans
grandes qualités politiques, cherchant la popularité et se
laissant diriger par des intrigues de Cour. Il répare une
injustice de son prédécesseur et accorde une indemnité
aux émigrés. Les royalisles se croyant invincibles, se
divisent, entrent en lutte pour des questions de personnes
et une partie va jusqu'à s'unir aux libéraux. M. de Villèle
devient l'objet des attaques des monarchistes. Mollement
soutenu par le Roi, il perd courage et propose la dissolu-
tion de la Chambre. Charles X y consent et c'est un irré-
parable malheur. M. de Villèle ne croyait pas à la puis-
sance de la Presse, elle en avait pourtant une grande sur les
électeurs, elle amena l'échec électoral d'un grand nombre
de royalistes dévoués et l'arrivée de libéraux et de monar-
chistes appelés Constitutionnels, d'un dévouement douteux
et cherchant à donner des leçons au Gouvernement.
Si la prospérité de la France en ressources financières,
commerce, industrie, augmentait chaque jour ; si, à l'exté-
rieur, notre influence grandissait grâce aux expéditions
d'Espagne et de Morée; si l'Algérie allait nous procurer
une magnifique conquête, on n'en tenait pas compte à la
Royauté.
La situation intérieure devenait difficile. Pour se créer
une majorité, le Roi chercha à gagner à sa cause la partie
des députés de la gauche qui étaient le moins hostiles. Il
prit pour chef du Ministère M. de Martignac, orateur élo-
quent, mais doué de peu de sens politique. Il chercha la
conciliation. Pour l'obtenir, il accorda laliberté de la Presse,
c'était le moyen le plus certain d'amener la chute de la
Royauté, avec une Magistrature souvent défavorable au
Gouvernement et prononçant des acquittements. La Gauche
ne lui tint pas compte des concessions qu'on lui fitetsen
servit contre ceux qui les lui accordaient. En présence de
la violence avec laquelle il était attaqué, le Roi résolut de
prendre un Ministère de résistance et, pour cela, 1l fallait
See —. me
— 9Û8 k —
un chef qui eût une volonté énergique et un bras vigoureux :
et l'ami de Charles X, le prince de Polignac, n'avait ni l’un
ni l’autre. Les journaux de l'opposition, craignant un coup
d'état, redoublèrent de violences et 221 députés votèrentune
Adresse qui, sous les apparences du respect, annonçait la
résistance ; et, pour la soutenir, il se forma des associations
menaçant du refus de l'impôt si le Gouvernement essayait
d’abolir la Charte. Ils voulaient faire de Charles X un roi
qui règne et ne gouverne pas. II fallait se soumettre, comme
on le dit plus tard au Maréchal de Mac-Mahon, ou se
démettre. Charles X pouvait être un roi faible et de peu
d'intelligence politique, mais il avait deux qualités qu'on
n'a jamais refusées aux Bourbons : l'honneur et le courage.
Il ne voulut pas abandonner ses amis, il préféra périr de
suite en combattant que de tomber sans gloire quelques
années après,comme disaitle Dauphin.Deux partis s'offraient
à lui, dissoudre la Chambre ou faire un coup d'état. On prit
le plus mauvais qui était le premier. Les électeurs à cent
écus indépendants, travaillés par les journaux libéraux, ne
pouvaient renvoyer que les mêmes députés ou d'autres plus
mauvais encore. C'est ce qui eut lieu, malgré les efforts de
l'administration, mal soutenue en général par ses fonction-
naires. Il ne restait plus, pour sortir d'embarras, qu'un coup
d'état, car le Gouvernement ne pouvait marcher sans les
ressources d'un budget qu'on lui aurait refusé. On a beau-
coup blâmé les ordonnances, on les a rendues respon-
sables de la chute de la Monarchie légitime, mais les fautes
commises successivement par Louis XVIII et Charles X
n'avaient laissé que cette solution. il fallait agir, comme
Louis-Napoléon au 2 décembre, observer un profond mys-
tère, attendre pour prendre ce parti dangereux le retour
de l'armée d'Algérie, enthousiasmée par la victoire, con-
duite par un chef énergique ; ramener le plus possible de
troupes fidèles dans Paris, éloigner celles qui étaient dou-
teuses, donner aux camps de St-Omer et de Lunéville l'ordre
d'être prêts à partir le jour où paraîtraïent les ordonnerices,
— 2081 —
faire saisir et conduire à Vincennes les chefs du parti libéral,
avec la perspective au premier mouvement insurrectionnel
de passer devant une commission militaire et d'être fusillés,
envoyer un Capitaine de gendarmerie au duc d'Orléans,
avec l'ordre d'aller au château d Eu et de ne pas en bouger.
Rien de tout cela ne se fit, et si on avait agi on aurait
réussi, car la révolution de 1830 eut beaucoup de peine
à s'organiser. Les troupes étaient, en général, fidèles et le
pays restait royaliste ; l'insurrection n'aurait probablement
pas été tentée. La branche aînée serait restée sur le trône.
L'aurait-elle conservé longtemps ? Nous n'avons pas à
l'examiner. Mais Charles X était un vieillard, le duc
d'Angoulême un prince peu populaire, le duc de Bordeaux
un enfant, les royalistes un parti divisé, les libéraux unis,
intelligents, énergiques. L'avenir restait incertain. Quarante
ans après, les sombres nuages qui obscurcissaient l'horizon
s'entrouvrirent et on crut voir reparaître la couronne des
Lys. La nuit revint pour toujours. La royauté de Louis-
Philippe ne fut pas heureuse, en voulant rester dans le juste
milieu, comme on disait alors, il ne contenta personne et
tomba sous un choc qui ne paraissait pas bien violent.
Napoléon III. dont le règne d'abord donna les plus grandes
espérances, sombra dans un désastre national, et ces deux
souverains allèrent, comme Charles X, mourir loin du sol
de leur patrie. Comment ces trois gouvernements qui
paraissaient reposer sur des bases solides, disparurent-
ils si facilement ? Les anciens y auraient vu la fatalité, les
chrétiens y trouvent la main de Dieu.
Nous ne raconterons pas l'histoire de notre pays après
1830, ces temps sont encore trop près de nous, pour les
juger avec impartialité, et notre grand âge nous avertit
qu'il faut nous arrêter. Mais il nous reste un devoir bien
doux à remplir, c'est de remercier nos confrères, de la
sympathie qu'ils nous ont toujours montrée, en écoutant
— 9208 m —
depuistrente-cinqans, nos longueset fréquenteslectures eten
en faisant insérer la plus grande partie dans les mémoires de
leur docte Académie. Ils nous ont offert un gracieux souvenir
qui nous est bien précieux et nous ont exprimé en prose et en
vers des sentiments affectueux, dont nous leur sommes
profondément reconnaissants. Nous devons ces honneurs
moins à notre mérite personnel qu'aux souvenirs de deux
anciens académiciens nos oncles, le baron Lallart et le baron
de Hauteclocque, tous deux maires d'Arras et dont le
premier fut assez heureux pour contribuer à faire renaître
l'Académie d'Arras, en 1817.
En cessant nos travaux, nous avons l'espoir de voir se
réaliser le vers du poète latin :
Uno avulso non deficit alter.
Parimni nos confrères, il se trouvera des érudits et des
chercheurs, pour continuer à faire revivre l'histoire de:
notre pays, le champ est vaste et la moisson est abondante.
Les inventaires ct les classements nouveaux dans les biblio-
thèques et les archives leur rendront le travail plus facile,
ils trouveront comme nous dans leur labeur, avec la Joie de
faire renaître les siècles qui ne sont plus, l'oubli des tristesses
du temps présent.
Bermicourt, le 18 septembre 1911.
HOMMAGE
M. LE COMTE DE HAUTECLOCQUE
Le 7 aoril 1911, M. le comte de Hauteclncque faisait à
l’Académie sa dernière lecture sur l'Histoire du Pas-de-
Calais sous la Restauration.
Pour solenniser la clôture de ses longs trarnux et féter ses
quarante années de présence à la Con:pagnie, 11. le Président,
entouré d'un très grand nombre de ses collègues, lui remit la
plaquette d'argent de l’Académie avec celte inscription :
L'ACADÉMIE RECONNAISSANTE
A M. LE COMTE DE HAUTECLOCQUE
1871-1911
14
ALLOCUTION DE M. ACREMANT
Président.
MoN CHER COLLÈGUE,
4 "ACADÉMIE 8 pensé, avec juste raison, que cette séance
#4 ne pouvait pas. ne devait pas se terminer comme
une autre.
Elle m'a chargé de parler au nom de tous, espérant qu'un
mot du Président vous occasionnerait une impression plus
sensible.
Je crois, cependant, que tout autre se serait aussi bien et
même mieux que moi acquitté de cette mission. En effet,
lorsqu'il s'agit d'affection et de respect, il y a toujours dans
notre Compagnie des voix prêtes à environner ces mots
d'une douce émotion qui en augmente le charme.
Vous êtes, Monsieur le Comte, l'un de nos doyens d'âge.
Le 31 Mars 1871, au bruit des canons qui grondaient
sous les murs de Paris, notre Société vous a baptisé
Membre de l’Académie. |
Il est donc juste que nous célébrions entre nous, en
famille, les quarante années que vous avez consacrées au
bonheur et à l'honneur de notre Société! Il est d'autant
plus naturel que nous fètions ces quarante années, qu'elles
correspondent à quarante années de travail!
Je ne suis pas un grand admirateur de la statistique, cette
science à laquelle on fait dire... tant de choses. J'ai néan-
moins eu l'idée, cette semaine, d'aligner tout ce que vous
avez pu écrire, et j ai réussi à condenser votre vie acadé-
— 911 —
mique en 166 feuilles d'imprimerie, autrement dit 2,653
pages ou si vous préférez 95,408 lignes de savantes publi-
cations. |
N'est-ce pas un record ?... Cela explique en tous cas le
titre de travailleur infatigable que je vous ai piusieurs fois
décerné en vous félicitant |!
Je n'ai là énuméré que les articles parus dans nos
Mémoires, en ayant eu soin d'éliminer ce que vous avez
fait paraitre soit dans le Dictionnaire Historique et Archéo-
logique du Pas-de-Calais, soit dans le Bulletin de la Com-
mission des Monuments historiques.
Je dois enfin ajouter que quelque nombreuses que soient
vos publications, elles n'en sont pas moins toutes intéres-
santes et écrites dans un style facile et naturel.
Il y a certes longtemps que vous nous avez donné le
compte-rendu des fètes qui ont illustré la capitale de l'Artois
au moment de la joyeuse entrée des Archiducs Albert et
Isabelle.
Pour compléter l'histoire de leur gouvernement, vous avez
ensuite fait paraitre un mémoire sur le Président Richardot
et les Etats généraux des Pays-Bas de 1598.
Depuis lors, ce qui a captivé surtout votre attention, c'est
la période qui s'est écoulée de 1804 à 1830 où vous avez tout
étudié, fouillant sans cesse dans les archives, n'abandon-
nant aucune pièce sans en avoir extrait tout ce qui devait
nous instruire.
Ainsi vous nous avez tour à tour entretenus, et avec une
égale compétence, de l'administration préfectorale, du budget
des communes, de la conscriplion, de l'instruction publique
et du clergé sous le Premier Empire, des Cent Jours... et
enfin, tout en classant les Archives de l’Académie, vous
nous avez parlé de la Seconde Restauration, relation où il a
fallu votre tact pour oser apprécier et les doctrines et les
personnages, et que vous venez de terminer magistralement
aujourd'hui.
— 919 —
Voilà ce que vous avez fait, et nous serions bien ingrats
si nous ne nous en souvenions pas |.
Pourtant, il est une chose contre laquelle je ne saurais
trop protester : c'est le désir que vous avez maintes fois
exprimé que cette composition soit la dernière qui sorte de
vos mains. Îci je proteste. et je proteste vivement tant en
mon nom que comme l'interprète de l’Académie unanime.
J'admettrais à la rigueur que vous ne veuillez plus mettre
la main à une étude de longue haleine. Mais, vous pouvez
être assuré qu'il nous sera toujours agréable d'entendre une
nouvelle communication de vous, aussi courte que vous le
voudrez, comme par exemple la biographie que vous nous
avez faite jadis (non pas du Maréchal de Lévis), mais celle
de Bernard Boiardi, notre ancien Évêque d'Arras.
Vous voyez que toutes les mains se tendent actuellement
vers vous. Aussi, je profite de l'occasion qui m'est offerte
pour vous rappeler. qu'ayant le plaisir de vous posséder
comme écrivain, nous ne voulons pas que vous vous iassiez
de nous lire vos trouvailles. Et votre exemple sera suivi
par les jeunes qui voudront à leur tour imprimer une nou-
velle vitalité à notre Compagnie.
Vous accepterez donc cette plaquette, faible écho de notre
reconnaissance.
Nous sommes heureux de vous l'offrir!
Et vous constaterez avec moi que l'amitié la plus solide se
lit ce soir dans tous les yeux, où une joie vraie s'épanouit..
l'amitié, ce sentiment cher à nos âmes, qui, si elle était
exclue du reste du monde, trouverait un refuge dans le sein
de nos Académies où, quoique l’on dise, elle occupe la
première place.
POÉSIE
Par M. le Baron CAVROIS de SATERNAULT
Secrétaire-Général
Sonnez, sonnez encor, cloches d’un vieux blason;
Levez-vous, fiers aïeux d’une antique Maison :
Au cri de « Dieu le veut », jadis contre le More
Du vaillant Godefroy vous répétiez l'appel.
Les siècles ont passé, l’on s'en souvient encore,
Hauteclocque en Artois est toujours immortel.
Vos pères, cher Monsieur, hauts et puissants seigneurs,
De l'Eglise et du pauvre insignes bienfaiteurs,
Firent dans nos pays souche à travers les âges;
États artésiens, abbave et castel,
Chapitre, armée, ont vu tour à tour leurs lignages.
Hauteclocque en Artois est toujours immortel.
Vous venez de nommer aussi le Magistrat
Qui gouverna quatre ans Arras avec éclat;
L'Eglise du faubourg, les Concerts, le Musée,
Montrent pour la Cité son zèle paternel;
Honorons ses vertus, sa carrière brisée ;
Hauteclocque en Artois est toujours immortel.
Digne fils des aïeux dont vous êtes issu,
Vous gardez le dépôt que vous avez reçu:
Joignant en vous l’ancienne et la nouvelle Fraace,
Vous conservez l'amour du trône et de l'autel.
Voyant vos petits-fils, ayez douce fiance,
Hauteclocque en Artois est toujours immortel.
Collègue vénéré, votre labeur fécond
Fait notre gloire aussi : vos œuvres resteront.
Quarante ans de travaux dans notre Compagnie
Vous assurent le nom pour jamais éternel
Que l'on obtient, dit-on, dans toute Académie !
Hauteclocque en Artois est toujours immortel.
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LE
COSTUME DES ÉCHEVINS D’ARRAS
PAR
M. Ed. MOREL
Membre résidant.
Ÿ problème relatif au costume des échevins d'Arras n'a
GZ rien de troublant ni de passionnant; tout au plus, par son
côté pittoresque, peut-il intéresser les artistes et, à l'occasion,
les organisateurs de fêtes historiques. Lorsqu'on voulut,
dans le cortège du 17 juillet 1910, faire figurer le Magistrat
de notre ville, cette question de costume ne parut pas pré-
senter de sérieuses difficultés. On savait que les échevins
portaient des robes et que ces robes furent parfois
« vermeilles ». L'impresario nous offrit les toges conven-
tionnelles et cramoisies des figurants, faisant fonction de
juges dans les pièces moyennâgeuses. Dans l'ignorance où
nous étions de la forme exacte du vêtement échevinal, cette
proposition cadrait trop bien avec la modicité des ressources
du Comité et, en somme, avec la vraisemblance historique,
puisque les échevins étaient « gens de justice », pour ne pas
être immédiatement acceptée. Peu satisfait pourtant de la
solution, économique, il est vrai, mais un peu fantaisiste de
ce petit problème, je me suis promis, dès lors, tout en admi-
— 215 —
rant la belle prestance des personnages rutilantsquidéfilèrent
devant nous, de rechercher si nos archives ne fourniraient
pas, pour l'avenir, les éléments d'une restitution moins
contestable. Que nos magistrats aient porté la robe, le fait
est certain; mais que signifiait exactement jadis le mot
robe ? D'après Viollet-Leduc (1), «ce mot comprenait toutes
sortes de vêtements, faits pour être portés, au besoin,
ensemble : d'abord la chemise, roba lingiæ, puis la coîte,
puis le bliaut ou le surcot plus tard, puis le peliçon, le garde-
corps, le chaperon, enfin le mantel ou la houppelande. »
Comment s'y reconnaître avec un terme si élastique quil
désignait indifféremment toutes les parties des vêtements
masculins ou féminins? Encore au XVIIIe siècle, les commis
aux honneurs appellent, dans leurs comptes et parfois dans
le même article, les costumes des guetteurs du beffroi, tantôt
capotes, tantôt casaques et tantôt robes (2). Dira-t-on que le
mot robe éveillait au moins l’idée d'un vêtement ample et
tombant jusqu'aux pieds ? Mais il y avait la noblesse de robe
longue et la noblesse de robe courte, la justice de robe longue
et la justice de robe courte; il y avait même à Arras des
écheoins de robe courte (3). Un ordre de service du XVIIe
siècle prescrit aux mousquetaires de revêtir, en certaines
occasions, la robe de petite ordonnance, c'est-à-dire la petite
tenue. On s'aperçoit donc très-vite, quand on le serre d'un
peu près, que ce mot ne correspond à aucune forme fixe, à
aucune image précise et utilisable. En principe, nos échevins,
étant « gens de justice », devaient porter la robe longue ; en
(4) Dictionnaire raisonné du mobilier, au mot robe.
(2) Robe est le terme généralement employé. Voir cependant registre
1677-18 fos 33 et 36 : « 14 aunes de drap bleu et 12 aunes de drap
rouge pour les robbes des guetteurs » ; « façon de deux casacques aux
guetteurs » et registre 1701-1702 fo 26 : « pour les draps des capottes
des guetteurs ». :
(3) Les gentilshommes. (Ch. de Wignacourt, observations sur
l'échevinage d'Arras p. 41 et 42".
— 216 —
fait, ni pour la façon, ni pour la couleur, ils n'adoptèrent,
comme les municipalités anglaises, par exemple, un type
invariable et traditionnel. Il est même permis d'avancer
qu'ils s'ingénièrent toujours à concilier la sévérité de leur
costume avec les vicissitudes et les agréments capricieux de
la mode. C'est ce que je vais essayer de prouver à l'aide de
textes, puisque, à ma connaissance du moins, l'échevinage
d'Arras n'apparait dans aucun document iconographique.
Forme des robes.
« C'est en 1414, dit avec raison M. Lecesne (1) que les
échevins reçoivent une sorte de traitement par l'usage qui
s établit de leur payer les robes qu'ils devaient endosser »,
mais il se trompe en ajoutant : « C'est ce qu'on appelait
estre cestus à la livrée du duc ». En effet, une ordonnance
de Jean sans Peur, visant d'ailleurs des édits précédents,
avait décidé que l'échevinage, nommé de quatorze mois en
quatorze mois, serait désormais élu annuellement à la
Toussaint et que, exceptionnellement, le présent échevinage
serait prorogé jusqu'au 31 octobre (2). L'élection du
1er novembre 1414 fut accompagnée d'un règlement déter-
minant les devoirs des membres du Magistrat et le nombre
de leurs séances hebdomadaires en halle. En voici le premier
article : « Primes, fu ordonné par l'ordonnance de notre
redoubté Seigneur, monseigneur le duc de Bourgogne... que
les maïieur, eschevins et argentier seroient vestus de vostre
livrée et les autres officiers à l'ordonnance de messieurs
maieur et eschevins » (3). De votre livrée, c'est-à-dire de la
livrée de la ville et non de celle du duc. Il ne peut en être
autrement ; car, si le mot livrée représentant, d'après son
étymologie même, les draps qu'un seigneur, un prince ou
un roi faisait déliorer aux membres de sa famille ou aux
(1) Histoire d'Arras, tome 1, p. 263.
(2) Arch. mun. reg. mémorial 5 fol. 45.
(3) id. fol. 46.
— 217 —
gens de sa maison, à des époques déterminées et régulières,
n'implique pas forcément l'idée de subordination servile, il
n'en est pas moins arrivé, par la force des choses, à marquer
une dépendance plus ou moins étroite, incompatible avec
les libres fonctions d'échevin. Cela est si vrai, que, dans le
statut de l'échevinage, promulgué par le Magistrat le 3 mai
1356, (1) une lourde amende de cent livres parisis est prévue
contre tout bourgeois qui, appartenant à un seigneur {comte
d'Artois, ou autre) et recevant de ses draps (« emprendrait
ou accepterait » l'état d'échevin.
Mais si les échevins devaient être affranchis de toute
attache à un maître, ils pouvaient, en qualité de serviteurs
de la ville, accepter de cette ville, en rémunération de leurs
travaux, « pour l'honneur de justice et décoration de l'éche-
vinage », selon la formule consacrée, les draps de robe ou
draps de livrée. De ces draps, ils étaient tenus, théoriquement,
de faire confectionner l'ample toge de judicature ; souvent,
ils n'en tiraient que des vêtements quelconques, spécialisés
par la similitude unicolore de l'étoffe et surtout par un
insigne brodé, la blouque, dont je parlerai plus loin. C'est
ce qui parait déjà résulter d'un article des comptes muni-
cipaux de 1432-1433, où les mots cottes et robes sont syno-
nymes : «a Jehan Leroux, pour avoir fait la brouderie de
XI coftes de livrée pour le maieur et partie de nous, esche-
vins, moiennant X sols par chacune d'icelles robes » (2).
Parfois même, ils se partageaient l'argent destiné à l'achat
de la livrée. « Le ITITe jour de juing l'an LXXVII (1477),
(1) A. Guesnon, /nventaire des Chartes d'Artois, p. 110. — Que
quicunques... emprendra ou acceptera... l'estat de l'esquevinaige…
pour tant que il soit au signeur, a ses gens ou gouvreneurs, a Saint-
Waast, al hospital, a l'evesque ou au Capitle d'Arras, ou a l'un d’euls
ou du serment d’yauls ou de l’un d’yauls ou que él ait de leurs draps
ou des draps de l’aucun d’yauls, il sera tenus... en la somme de cent
livres parisis…
(2) Arch. du Pas-de-Calais, sér. E, Comptes d'Arras, 1432-33, f. 34.
— 218 —
Messieurs en nombre, ordonnèrent que chacun d'eulx et les
aultres qui ont accoustumé d'avoir les draps de la ville,
aront, au lieu de draps, chacun eschevin et le maieur et le
conseiller X escus de XXTIIII sols l’escu.…. » (1).
L'année 1477, marquée par la mort de Charles le Témé-
raire et la main-mise brutale de Louis XI sur Arras, fut, il
est vrai, une année exceptionnelle; mais, à en juger par un
article de la charte accordée à Franchise, en juillet 1481, par
le même Louis XI, la répartition des écus en 1477 ne devait
pas être un fait isolé. « Item, lesdits maire et eschevins
pourront, dès à présent, pour deux ans et, après, à chascune
élection, (de deux ans en deux ans, d’après un article pré-
cédent) prendre de leurs deniers communs jusques à la
somme de quatre cens livres tournois, pour faire leurs robbes
de livrée pour eulx, leurs dits greffier et procureur, et seront
tenus y employer ladite somme, sans qu’ils la puissent prendre
pour eulx ne applicquer à autres usaiges » (2).
À toute époque, on rencontrera des documents plus ou
moins explicites, témoignant de la répugnance des échevins
à endosser la robe longue et de la persévérance inefficace
des seigneurs de la ville à la leur imposer. En voici un, daté
du 7 août 1497, qui ne manque pas de précision. Monseigneur
Du Forest, gouverneur, fait remontrer aux échevins assem-
blés en halle, pour la reddition des comptes de deux ans,
qu'il y a lieu « de mettre ordre et règle aux draps, qui ont
monté par lesdits comptes et aultres précédemment, à grant
et excessive somme, meismes que lesdits échevins /ont faire
robbes TROP CURTES, attendu que ce sont gens de justice ».
« Il sera employé doresnavant pour les draps de mesdits
sieurs attendu qu'ils n'ont aultre chose de prouffict de
l'eschevinage, jusques a L sols l’aulne ou environ ».
« Et sy, a esté conclud que lesdits eschevins feront faire
(4) Arch mun., reg. mémorial 9, fol. 124.
(2) Ch. de Wignacourt, op. eit. p. 459.
— 219 —
leurs robbes fout d’une longueur 3USQUES A UNE PAUME PRÈS
DES PIÉS ).
Cette fois, il n'y a pas à s'y méprendre, c'est bien la longue
robe de judicature qu'on enjoint à nos magistrats d'avoir
« toute faicte en dedans le jour de Noël » c'est-à-dire peu
après leur élection, et de « porter en la halle trois jours en
la sepmaine, comme ès jours de lundy, mardy et ven-
dredy » (1).
Les échevins s'inclinent devant ce rappel aux règlements,
évidemment motivé par l'oubli du précepte que de Wigna-
court leur rappellera plus tard : « ut hœc gravitas... quæ
senatores decet, ab animo descendat in vestimentum.…. » (2)
A plusieurs reprises, ils spécifient que leurs robes seront
faites « selon la longueur et façon » prescrites par l’ordon-
nance du 7 août 1497. En outre, « pour que chacun se
acquitte de tous les règles pour lesdites robbes » ils veillent
à ce que dès le mois de novembre ou « avant le grand
dimanche » (Noël) « l'argentier trouve argent comptant à la
moindre perte et frais de monnoie que faire se pourra, pour
le paiement des draps » (3). Mais au cours du XVI siècle, ils
s'avisent d'un moyen détourné et ingénieux de concilier leur
goût de parure mondaine avec leur soumission aux ordon-
nances du souverain. Ils se commandent deux robes, l’une
de grande cérémonie, de coupe moins austère sans doute, et
l'autre d'usage journalier.
Le gouverneur ne s'oppose pas à cette innovation, maisil
maintient l'ancienne taxation qui ne tarde pas à paraitre
insuffisante aux échevins. « Le 2 mars 1572, Messieurs
maieur et eschevins assemblés en leur Chambre du Conseil,
leur fut, par les commis aux honneurs, remonstré que le
(1) Reg. mémorial 11, fol. 45.
(2) Ch. de Wignacourt, op. cit. p. 40. « Que la gravité qui sied au
caractère des sénateurs se manifeste jusque dans leur façon de
s'habiller. »
(3) Arch. mun., rég. mémorial 14, folios 53, 83, 144.
temps approchoitd'achepter draps pourlesrobeseschevinales
et que restoit d'ordonner s'ils désiroient draps ou argent.
Sur quoy fut dict et replicqué par ledict sieur maieur et
plusieurs eschevins, que mal estoit possible achepter draps
pour quarante livres, à laquelle somme les officiers du roy
vouloient maintenir estre à chacun d'eux taxés, attendu
l'extrême chierté à laquelle sont, de présent, les draps
de grant scel de Rouen, desquels se soloient faire telles robbes
et que partant sambloit (à correction) que Messieurs devoient
rehaulchier ladicte estimation desdits draps, comme ils
debvoient déduire, si lesdicts draps se ravalloient en pris ».
On décide de convoquer les échevins issans « pour renfor-
chement de Conseil » et, deux jours après, l'assemblée ren-
forcée conclut « de pour ceste année prendre pour chacune
robbe trente florins quy sont pour les deux robbes soixante
florins » (1). D'où il suit que les deux robes ou vêtements
étaient sinon de la meilleure, du moins d'une bonne marque
de Rouen, ou que le crédit à ouvrir à cet effet, alors que
déjà plus du tiers de la durée de l'échevinage était écoulé,
correspondait à la valeur de ces draps.
Le service du contrôle financier mit quelque temps à s'en
apercevoir, mais enfin le 31 octobre 1588, à l'occasion de la
reddition des comptes, « les officiers de Sa Majesté remons-
trèrent que les draps des eschevins ne se debvoient passer
à un meisme pris, parce qu ils debvoient avoir une bonne
robbe et une de moindre pris pour les jours ouvriers ». C'est
vrai, répliquent les magistrats, mais si nos robes coûtent le
même prix, c est qu elles sont toutes deux de médiocre drap!
« en quoy la ville ne recepvoit interest. Finablement, les
dictes parties se sont condescendus et accordés que l’une des
robbes desdicts eschevins.. sera du plus fin et meilleur drap
et l'aultre de médiocre prix pour servir aux jours ouvriers.
À laquelle fin seront tenus de porter et eulx vestir de robbes
(1) Arch. mun., reg. mém. 14, fol. 457.
— 221 —
et manteaux de drap noir ou telle aultre couleur que la ville
furnira et, esdicts jours de halle, chacun eschevin porter sa
bloucque » (1). Il est probable que les mots robbes Er man-
{eaux ne constituent ici qu'une redondance synonymique,
car il ne saurait être question d'un troisième vêtement
imposé aux magistrats.
Malgré les ordonnances et les rappels, nos échevins per-
sistèrent sans doute à se faire confectionner avec les draps
ou l'argent de la ville des vêtements plus commodes que la
robe et à se contenter de la boucle ; ce qui justifierait la note
écrite en marge des comptes de 1590-1591: «sur le soustenu
faict par le procureur du roy que les eschevins debvoient
porter robbes longues, pour la décoration de l’Estat, selon et
en conformité de l'ordonnance, a été ordonné, que pour
l’adcenir, ils porteront robbes » (2).
La même observation reparaît sur les comptes de 1592-
1593, mais cette fois, au nom même du Gouverneur et acec
menace d'amende « contre les deffaillans » (3). I] y a lieu de
remarquer que dans la seconde partie du XVI® siècle, les
entrces solennelles se multiplient. Les échevins vont à
cheval au-devant des grands personnages et il est certain
qu'en ces brillantes cavalcades, la longue robe de drap noir
devait paraître maussade et disgracieuse. Passe encore
quand il ne s'agit que d’un gouverneur, mais pour la récep-
tion d'un prince souverain, il convient d'égayer d'étoffes
plus chatoyantes la tristesse du costume échevinal. A l'entrée
du prince des Espagnes le 1° août 1549, la robe de drap
noir est doublée de velours noir (4). Quand, une dizaine
(1) Arch. mun., reg. mém. 15, fol. 248.
(2) Arch. du P.-de-C., sér. E, Comptes d’Arras, fol. 52,
(3) Arcb. du P.-de-C., sér. E, Comptes d’Arras, fol. 64. Il est à
présumer qu’on rencontrerait des notes semblables dans nombre de
comptes; mais, par malchance, la plupart de ces documents financiers
ont disparu de nos archives.
(4) Arch. mun., reg. mém. 14, fol. 132.
— 999 —
d'années plus tard, le 12 août 1558, le prince, devenu
Philippe IT, revient à Arras. « les maïeur et eschevins sont
tous accoustrés de robbes noires faictes de velours noir » (1).
Ils vont à la rencontre d'Alexandre Farnèse, duc de Parme,
le 16 novembre 1592 « en robbes de drap lignées de
velours » (2). Enfin, grâce à un crédit supplémentaire qu'ils
se sont alloué, ils se présentent, le 13 février 1600, devant les
archiducs, ( en robbes de satin, les fentes plaines de velours
et bonnet de velours » (3). Il est difficile de se représenter
la robe échevinale « tout d'une longueur » lignée de velours
ou avec des fentes pleines de velours. Tout s'explique, sion
admet que nos magistrats sont habillés à la mode du temps,
qui comportait de nombreux « crevés » dans l'étoffe du
costume. De leur côté, les échevins issans, qui portent le
dais, « sont revestus de velours noir avec longue robe de
damas noir et brodequins de maroquin ». Cette robe de
damas qui laisse voir le vêtement de velours, ne devait être
qu'une sorte d'ample mantel ou de houppelande (#).
En 160$, Messieurs décident d'aller saluer le nouveau
gouverneur Vandenbergue « avec robbes ou manteaux noirs
et blouques eschevinales » (5). Le « papier mémorial » porte
ici, non pas comme plus haut les mots assez difficiles à
expliquer « robbes ef manteaux », mais bien « robbes ou
manteaux » c'est-à-dire, semble-t-il, la reconnaissance off-
cielle pour chacun des magistrats du choix arbitraire de
l'une des deux formes de vêtements, en supposant que ces
mots aient eu une signification bien spéciale.
De plus en plus, l'usage prévaut, parmi les échevins, de
s'affranchir de la robe de judicature, de considérer la boucle
comme un insigne suffisamment distinctif et les draps de
(1) Arch. mun., reg. mém. 14, fol. 318.
(2) Arch. mun., rex. mém. 15, fol. 326.
(3) Arch. mun., reg. mém. 16, fol. 97 et suivants.
(4) Voir figures 2 et 4.
(5) Arch. mun., reg. mém. 16, fol. 207.
— 223 —
robe, distribués en nature ou en argent, comme une indem-
nité dont chacun pouvait disposer à son gré.
Si les textes précités ne paraissent pas assez concluants
à cet égard, on peut invoquer le témoignage d'un contem-
porain, d'un homme bien placé pour juger des infractions
aux règlements, le conseiller pensionnaire Ch. de Wigna-
court. Dans un discours prononcé à l'issue de l’échevinage
de 1608, le conseiller annonce qu'il a terminé son fameux
répertoire des Chartes communales et préparé tout un plan
de réformes pour rétablir les anciens usages, et, « sy faire
se poeult, redresser les postérieurs et modernes en ce quy
sera jugé convenir ».
( Il seroit bien expédient, dit-il à propos du costume
échevinal, faire plus estroitement observer tant d'ordon-
nances faictes et réitérées tant de fois, asscavoir que les
jours de halle et aultres assemblées, comme aussy en tous
actes publicgs et solempnels, lorsque le Magistrat siet ou
qu’il marche en corps, chacun vienne, honestement revestu
d’habit décent, robe ou long manteau de drap noir, maieur
et eschevins avec bloucqs, marque et enseigne de leur auc-
torité; et ce, soubs quelque petite mulcte pécuniaire, au
moings de cincq sols... puisque tant de soustenus, voires
appellations faictes et interjetés par les officiers de la Gouver-
nance (1), et tant d'ordonnances quy ont esté faictes et réité-
rées que les draps d’eschevinage devotent estre raiés (suppri-
més) à ceulx qui n’en avotent porté N'ONT PEU, JUSQUES ORES,
APPORTER AULCUN EFFECT EN CE REGARD... ) (2).
Les termes de cette mercuriale sont formels et ne prêtent
à aucune équivoque. Mais de Wignacourt ne se borne pas à
reprocher aux échevins de ne pas porter le costume règle-
mentaire, il les blâme encore de porter des costumes indignes
de la gravité de leurs fonctions.
(1) A propos des comptes de la ville, dont la plupart, comme je l'ai
noté plus haut, ont disparu.
(2) Ch. de Wignacourt, op. cit. p. 39 et suivantes.
— 224 —
« À vray dire, il est indécent et messéant de voir aulcun
du Magistrat, assis pro tribunali, au siège de judicature.…
estant habillé d'accoutremens discolourez, découpez et
chiquetez (1) ou revestus de petitz manteaux de camelot et
aultre estoffe que de drap, ressentant peu l'honesteté et gra-
vité de Sénateur. » |
Malgré le conseil que M. de Wignacourt donne à chacun
des échevins, savoir : que « estant en exercice de magistrat,
puisqu'on se répute honoré de l'estat et dignité de magistrat,
l'on n'en devroit desdaigner ou contempner l’habit, que luy
est ordonné d'antiquité, lorsqu'il exerce sa charge » (2) le
port de la robe n'est plus signalé par les mémoriaux qu à
de rares intervalles.
Sauf pour l'entrée du comte de Hochstraten (23 juin 1624)
où Messieurs revêtent encore leurs robes de livrée (3), en
toutes les autres circonstances jusqu'au retour d'Arras à la
France, réceptions de gouverneurs, élection d’un conseiller
pensionnaire, processsion générale « à cause de la conta-
gion » (1636) ils portent simplement la blouque (4). Certes,
notre ville traverse une période critique ; la guerre, la
sécheresse et la peste ont désolé la contrée et, lorsque
Monseigneur d'Isembourg, gouverneur d'Artois, « trouve à
propos, pour les misères el calanutez du temps » que l'on
(4) Les vêtements multicolores, avec entailles et déchiquetures,
étaient tout à fait à la mode aux environs de 1600 (Voir les tableaux
et gravures du temps). De là les robes lignées de velours ou avec
fentes pleines de velours.
(2) De Wignacourt, op. cit., p. 41.
(3) Arch. mun., reg. mém. 17, fol. 494 et suiv. Et encore le texte
est-il assez ambigu : « ..…. et seroient aussy tost mesdicts sieurs,
maieur et eschevins officiers permanens, et les quatre commis aux
ouvrages, accompagnés des six sergeans a verghe, revestus de leurs
robbes de livrée, montés a cheval au pied de ceste halle eschevinale...v
Ce mot reveslus se rapporte-t-il aux seuls sergents, comme en certains
cas, ou à tous les personnages de la cavalcade ?
(4) Arch. mun., reg. mém. 17, fol. 169-272, etc.
convertisse les frais d'une entrée solennelle « en achapt de
meubles dont il estoit depourveu », Messieurs, considérant
« que la dicte guerre furnissoit au peuple matière à pleurer
plus tost qu'a s’esjouyr, offrent audict seigneur cinq cens
patacons » (1). Cette somme, relativement minime, l'argen-
tier ne l’a pas et c'est un échevin, Jacques Descouleurs, qui
en fait l'avance. Pourtant, ce n'est pas à la pénurie de la
caisse municipale qu'il faut attribuer la préférence exclusive
accordée à la boucle par les magistrats. Pendant ces années
calamiteuses, en effet, ils n'ont cessé — les registres des
commis aux honneurs en font foi — de recevoir annuelle-
mentenviron «2550 livres de 40 gros, à quoy porte la valleur
de 225 aulnes de drap de Rouen... portant chacun drap de
robe quinze aulnes, à raison de 170 livres pour chacun
drap » (2).
S'agit-il d'une véritable distribution de drap? Ne serait-ce
pas là plutôt une de ces formules vivaces, qui se perpétuent
si aisément dans les écritures publiques, pour masquer des
abus, ou simplement pour voiler soux d::+ noms anciens de
nouvelles coutumes ? A défaut de preuves indiscutables, les
mémoriaux nous fourniront des pré-omptions suffisantes
pour étayer celte asserlion qu'il n y a j'ius achat réel d'étoffe,
mais que la cote du drap de Rouen sert uniquement de base
à l'évaluation de l'indemnité échevinale. Après le siège de
1610, alors que les finances de la ville sont dans un lamen-
table état, les draps de robe continuent à figurer sur les
registres & pour mémoire », au grand souci des échevins
que ne satisfait guère cette creuse et platonique constatation
de leurs droits. Le 29 octobre 1642, l'échevinage issant
prend la résolution suivante : « Sur ce qu'auroit esté repré-
senté que, nonobstant que Messeigneurs de Saint-Preuii
et La Tour, successivement gouverneurs de cette ville,
(1) Arch. mun., reg. mém. 17, fol. 330.
(2) Arch. mun., registres des commis aux honneurs 1629 1630,
fol. 48 et années suivantes.
1
— 296 —
auroient taxé les robes des eschevins.. en la formeet manière
accoustu mées, asscavoir : celles de l'année finissant le der-
nier d'octobre 1641, à la somme de 180 livres (1) et celles
de l'an fini au dernier de ce mois, à 160 livres, sy estoit que
les dicts eschevins de l'une et l'autre année n'en auroient
receu aucune chose, à cause que tous les deniers que la
ville a peu percepvoir, jusques à présent, ont esté emploiés
à des frais et charges inescusables de ladicte ville, et comme
il n'y a aucune raison qu'iceux, après avoir respectivement
satisfait à leurs fonctions, soient frustrés de leursdicts hono-
raires et gages, qu'y leur sont accordés de toute ancienneté,
Messieurs ont resolu de coucher cest acte sur le pappier
mémorial, par lequel, pour faciliter, en quelque façon, le
paiement desdictes robbes, ils ont ordonné et ordonnent au
greffier civil de ce siège de dépescher mandat à tous lesdicts
eschevins desdictes deux années pour la taxe desdictes
robbes, à l’adrenant de ce quy leur est deu, les authorisant
de donner en paiement de ce qu'ils peuvent debooir ou deboront
cy après à ladiete ville le tout ou partir desdictes sommes
poriées por les licies taxes des robes. » (2).
L'année suivante, 'e Magistrat. après requéte adressée le
29 août, à l’intendant, et sur l'autorisation de ce haut fonc-
tionnaire, oblient que « le paiement des robes » sera effectué
« sur le boni de la ferme des eaux de vie » (3), c'est-à-dire
en fin d'exercice. Un mois plus tard, le 25 septembre, il se
produit un incident significatif au point de vue qui nous
occupe. Antoine de Belvalet, seigneur de Famechon, nommé
(4) On lit dans l'Æistorre d'Arras de M. Lrcesxe, t. Il, p. 342:
« Et pou” s'assurer du dévouement des é“hevins par une augmen-
tation d'émoluments, dès son entrée en fonctions, Saint-Preuil fixait
le prix des robes à 180 livres. » On a vu plus haut que le prix des
draps, depuis 1629, était de 170 livres. Il est en 1641 de 180 livres,
en 1642 le 169 livres. Donc. ces variations proviennent de la cote des
draps de Rouen et nulleinent du motif inv qué.
(2) Arch. mun., reg. mém. 18, fol. 1428.
(3) Arch. mun., reg. mém. 18, fol. 155,
— 227 —
mayeur d'Arras, prétend que, « par le serment par luy
presté, en qualité d'eschevin, le jour du renouvellement de
la loy dernier, luy estoit deue et escheue la robbe, telle que
à tous les aultres eschevins comperte et appartient, laquelle
ne luy pouvoit estre déniée, soubz prétexte de sa promotion
audict estat de mayeur, quy ne lui pouvoit estre non plus
dommageable que s'il fat décédé durant le cours de son
année d'eschevinage, auquel cas ne luy eust été faict aulcune
diminution de ladicte robbe, ains au contraire que ladicte
promotion non seulement renforçait sondict droict, mais
aussy luy a esté attribué par icelle nouveau fondement à
prétendre une nouvelle robbe... Messieurs du Magistrat,
pour éviter à dispute, ont accordé audict sieur mayeur la
totalité de la robe deue à cause de l’eschevinage, et pour le
regard de celle du Mayeur, l'on a ordonné au greflier de luy
despècher mandat à ratte et portion de temps qu’il desservira
l'estat de Mayeur, à prendre dés le jour de la prestation du
serment, ce que ledict sieur Mayeur a accepté » (1).
Ces délibérations ne prendraient-elles pas immédiatement
un air des plus comiques, s’il était possible de supposer que,
comme un siècle auparavant, il y füt quistion, non d argent,
mais de drap en nature”? En réalité, «es draps de robes »
se sont depuis longtemps, déjà, transformés en « droits de
robes », c'est-à-dire en simples honoraires. C'est la destinée
ordinaire de presque toutes, sinon de toutes les indemnités
allouées d'abord en vue d'un usage déterminé, de finir tôt
ou tard par être considérées comme un traitement. Le droit
de robe subit le sort commun, sans que les lacunes de nos
archives permettent d'assigner une date précise à cette
évolution des coutumes échevinales. Comme il n'eût pas été
équitable d'imposer aux échevins en exercice, lors d'un
événement assez solennel pour exiger le port du costume,
des frais de robes, dont leurs collègues des années anté-
(4) Arch. mun., reg. mém. 18, fol. 157,
— 228 —
rieures Ou suivantes, eussent été exempts, la ville, en de
telles occurrences, prend désormais la dépense à sa charge.
On retrouve nos échevins en « robbes de cérémonie »,
« robbes de drap noir d'Holande garnies de taffetas » aux
divers voyages de Louis XIV à Arras en 1667, 1670, 1673
et 1678 (1), mème lorsqu'il ne fait que traverser la ville,
pour relayer sur la Grand’ Place. Or, nous savons, par les
registres des Commis aux honneurs que le prix des robes,
« faictes pour aller au devant de leurs Majestés, à leur
entrée en cette cille », le 22 juillet 1667, fut de 2,437 livres
10 sols. Ce chiffre est relativement modéré, car il totalise,
façon et garnitures comprises, la valeur des costumes du
Magistrat au complet: mayeur, échevins régnans, conseiller,
procureur, argentier, grefliers civil et criminel, échevins
issans, quatre commis aux ouvrages et leur clerc (2). En
1670, les commis aux honneurs sont encore chargés de
veiller à la confection et à la fourniture des robes, dont le
coût est d'environ 2,000 livres (3); mais, en 1673 (4) et
1678 (5), ils se bornent à délivrer, sur mandat de l'intendant,
(1) Arch. mun., reg. mém. 19, fol. 220, 256, 291, 323, 328.
(2} Arch. mun., reg. commis aux honneurs 1666-67, fol. 54.
(3) Arch. mun., rex. 1669-70, fol. 28. — « a M. Boucquel, pour
avoir livré les draps de robbes de Messieurs pour aller recevoir
Sa Majesté : 1,440 livres —; à M. Vion, pour avoir livré toutes les
garnitures desdites robbes : 445 livres; — aux tailleurs desdites
robbes : 109 livres, y comprins la fachon des tappis posés soubs les
armes de leurs Majestés. »
(4) Arch. mun., reg. 1672-73, fol. 56. — « a Messieurs maïieur,
echevins, conscilier, procureur général, argentier, greffier civil,
greffier criminel, chacun 90 livres pour l'achapt qu'ils ont fait de
chacun une robhe de drap d'Hulande... afin d’estre en estat.. à l'ar-
rivée de leurs Majestés au mois de May 1673 ; aux quatre commis
aux ouvrages et leur clercq, chacun 50 livres : 4,870 livres. (La robe
des quatre était en drap d'Angleterre et sans garnitures.)
(®) Arch. mun., reg. 1671-78, fol. 22. — « a Messieurs... chacun
90 livres, les quatre commis et leur clercq, chacun 5 livres, pour le
— 999 —
90 livres à chacun des membres de l'échevinage, non com-
pris les échevins issans, et 50 livres aux quatre conmis aux
ouvrages et à leur clerc, ce qui réduit la dépense à 1,870
livres. Ces diverses somines sont absolument indépendantes
de celles qui continuent à figurer sur les comptes de la ville
sous le nom de « draps de robes » et qui, à cette époque,
sont de 4,885 livres (1).
Nous voyons encore nos magistrats, le 28 décembre 1678,
c'est-à-dire au début d'un nouvel échevinage, apparaître aux
fenêtres de la halle « revestus chacun d'une robbe de drap
noir, ornée d'une boucle » (2) et présider aux fêtes célébrées
à l'occasion de la paix conclue à Nimègue avec l'Espagne.
C'est que l'Intendant leur a ouvert un nouveau crédit de
1,870 livres pour ces robes « qui ont servi au Te Deum et
autres cérémonies » (3). Pourquoi le 2 mai 1679, lors de la
proclamation de la paix, également signée à Nimègue, avec
l'empereur, les mêmes échevins reviennent-ils s'accouder
« sur des quarreaux » aux fenêtres de l'hôtel de ville, mais
cette fois, en simple boucle ? (4) Faut-il supposer que les
robes, faites au mois de décembre sont déjà hors d'usage,
ou que, vu la finesse de l'étoffe, on les a transformées en
vêtements moins protocolaires ?
La naissance du duc de Bourgogne, en août 1682, pro-
prix de chacun une robbe, accordée par Monseigneur l'intendant
poar l'arrivée de la Royne, lesquelles robbes ont aussi servi a son
retour et a l’arrivée du Roy. »
(1) Arch. du P.-de-C., sér. E, Comptes d'Arras 1673-74, fol. 107.
« a mesdits sieurs du Magistrat, scavoir : maïieur, échevins, couseiller,
argentier : chacun 300 livres; pocureur greneral : 450 livres; greffier
civil : 60 livres; greffier criminel : 50 livres, pour leurs draps de
robbes du renouvellement de la loy pour l’année commencant à la
Toussaint 4673: aux IV commis aux ouvrages et Claude Lettocquart
leur clercq, chacun 25 livres. » (Total : 4,885 livres.)
(2) Arch. mun., reg. mém. 19, fol. 330.
(3) Arch. mun., reg. com. aux hon. 4678-79, fol. 26,
(4) Arch. mun., reg. mém. 19, fol. 337,
— 930 —
voqua, pendant trois jours à Arras, de bruyantes manifes-
tations d'allégresse auxquelles les magistrats purent
s'associer en robes de gala (1), mais il est nrobable que
l'Intendant, moins l'héral dans la tristesse que dans la joie,
ne consentit pas à leur en octroyer pour le service funèbre
de la reine (30 juillet 1683), car Messieurs « résolurent de
se revestir, à leurs dépens, de noir, avec du linge uni et un
crêpe au chapeau » (2).
Pour se procurer de l'argent, Louis XIV créa, en 1692,
dans toutes les villes de France, des offices de maires per-
pétuels. Le maire ainsi nommé pour la ville et la cité
d'Arras fut François Boucquel (9 avril 1693) qui paya sa
charge 50,000 livres, plus 2 sols par livre, en vertu de
l'impôt du dixième, soit 55,000 livres. En outre de l’hérédité
et des avantages pécuniaires et honorifiques que leur
accordait l'édit, ces maires pouvaient « porter la robe,
ensemble les autres ornements accoutumés, même la robe
rouge, dans les villes où les officiers des présidiaux ont le
droit de la porter ». M. Lecesne en conclut (3) que Boucquel,
qui d’ailleurs rétrocéda sa charge à la ville en 1728, ports
une robe rouge. Les termes limitatifs de l'ordonnance
royale ne semblent pas autoriser une pareille interprétation.
En tous cas, aucun document de cette époque ne représente
le mayeur d'Arras « accoustré » d'une robe écarlate.
D'ailleurs, ce n'est plus le temps des joyeuses entrées et
des somptucuses cavalcades. Si le duc de Bourgogne passe
à Arras le 8 décembre 1708, c'est au retour de la malheu-
reuse campagne de Flandres, où, malencontreusement
associé à Vendôme, il n'a pas été étranger à la défaite
d'Oudenarde. « Soit par modestie, soit à cause des dépenses
14) Arch. mun ,, reg. mém. 19, fol. 360. |
(2) Arch. mun., reg. mém. 19, fol. 368. — C’est par erreur que
M. Lecesne dit que « le Magistrat v assista en robes noires ». Hrstorre
d'Arras, tome Il, p. 437.
(3) Histoire d'Arras, tome II, p. 449,
— 231 —
que la guerre causait dans la ville, il ne veut d'éclat ny
d'appareil pour sa réception » et le Mazistrat « se born À
se transporter à pied en manteau et en bourle à la norte
Méaulens. » (1).
Le déclin du règne de Louis XIV fut assombri par des
revers et des calamités de tous genres. Jamais, cependant,
les bulletins officiels, transformant le moindre succès de nos
armes en victoire éclatante, ne prescrivirent plus souvent
les Te Deum, les feux de joie, les sonneries de cloches et
«toutes les marques de réjouissance publique accoutumées »,
selon la formule invariable. Contrairement aux anciens
usages, le greffier de l'échevinage se contente d'enregistrer
dans les Mémoriaux les lettres royales, sans les accompa-
gner de la description pittoresque des fêtes organisées par
le Magistrat. On sait par quelques rares documents que les
échevins assistaient en corps, mais sans costume, à ces
réjouissances de commande, dent la joie était absente. Mais,
vienne la paix, alors, l'alléuresse est sincère, les détails
abondent sous la plume du narrateur et l'on retrouve quel-
que argent pour «l'honneur et la décoration » du Magistrat.
Le 5 juin 1713, lundi de la Pentecôte, on fète la paix
d'Utrecht. Messieurs se rendent au Te Deum, « portant à
la boutonnière de leur habit chacun une médaille d'or, liée
avec un ruban blanc. La médaille représentait le Roy,
couronnant le Roy d'Espagne avec cette devise : Sustinui
quam jura dederunt, Jay soutenu la couronne que les droits
luy ont acquise » (2). Au Te Deum pour la paix de Rastadt,
(4) Arch. mun., reg. mém. 20, fol. 383. — Le même jour, le duc
de Berry et le duc de Vendôme furent reçus avec le même cérémonial
restreint.
(2) Arch. mun., reg. mém. 20, fol. 435. — C'etait bien une médaille
de circonstance frappée à l'occasion de la guerre de la Succession
d’Espagne, à laquelle mirent fin, de façon relativement heureuse, les
traités d’Utrecht,deRastadt et de Bade.
— 9392 —
en
le 2 mai 171#,ils portent encore la même médaille, attachée
cette fois « avec un r.lian d'argent » (1).
Si jamais une occasion se présenta de déployer, comme
on le faisait jadis dans les cérémonies funèbres, la pompe
officielle du cortège échevinal, ce fut bien le 11 septembre
1715, au service du roi Louis XIV, qui, soixante ans aupa-
ravant avait incorporé définitivement Arras à la France,
mais la détresse des finances est grande ; il parait donc
suffisant que pour témoigner de leur deuil, Messieurs se
rendent à la Cathédrale « tous revestus de noir, avec un
crêpe au chapeau et des pleureuses aux manches » (2).
C'était maigre; mais on conçoit que l’'Intendant, qui, tous
lesans,ordonnançait maintenant6,000 livres pour les «draps
de robes » (3) fictives, ait hésité, dans les moments difficiles,
à charger le budget de quelques milliers de livres de robes
réelles. Il ne s’y décidera désormais que dans des circons-
tances exceptionnelles où il eut été difficile et peut-être
dangereux de lésiner. Ainsi, ce n'est plus que le 21 juillet
1744, que l'on revoit les membres du Magistrat attendant
Louis XV à la porte Méaulens, «tous en robes d'étamine
noire, dont les manches estoient doublées de taffetas de la
mème couleur. Le maieur, les échevins et les assesseurs
avaient leurs boucles pendantes sur l'épaule gauche. Les
robes, ajoute le Mémorial, ont été achetées aux dépens de la
(4) Arch. mun., reg. mém. 20, fol. 446.
(2) Arch. mun., reg. mém. 21. fol. 3.
(3) Arch. mun., Comptes de la ville — Jls existent, pour presque
toutes les années, à partir de 1722. On y trouve, à peu prés dans les
mêmes termes, jusqu’au remaniement de l'échevinage en 1749, la
mention suivante : « A Messieurs du Magistrat, savoir : mayeur,
echevins, conseiller pensionnaire, procureur du roy de la ville chacun
400 livres pour leurs draps de robes, du renouvellement de la loy,
Toussaint 1721 à pareil jour 1722, suivant l'ordonnance de M. Chau-
velin, 6,000 livres,
— 933 —
ville et au profit des offiriers actuellement en exercice » (1).
L'année suivante, le 1°r et le 4 juin, au passage successif
des Conseillers du Parlement et des échevins de Paris qui
allaient complimenter le roi, à l'occasion de la victoire de
Fontenoy, et le 6 septembre, au retour du roi, Messieurs
font encore les honneurs dela ville en robes et en boucles (2).
Jl en sera de même quand Louis XV reviendra à Arras le
2 mai et le 13 juin 1746 et le 15 septembre 17#7 (3).
Cette question de costume, qu'il était réservé à l'Intendant
de résoudre de facon plus ou moins arbitraire, à chaque
solennité, va être tranchée par l'édit de novembre 1749,
sanctionnant la réunion de la ville et de la cité. L'article XX
de cet édit fixe à neuf le nombre des échevins : deux gentils-
hommes, cinq avocats et deux notables.
L'article XXVITI détermine le chiffre des émoluments
des officiers municipaux : 2,000 livres pour chacun des
deux conseillers pensionnaires (4) et le procureur syndic;
600 livres pour chacun des échevins (5). Le mayeur, qui
pendant plusieurs années encore, ne reçoit que 400 livres
de droit de robe et les produits variables de son office, soit
en tout environ 800 livres, a ses lonoraires fixés à 1,000
livres par un arrêté du 12 mai 1758; mais 1! ne les touchera
sans opposition qu'en 1765 (6).
(1) Arch. mun., reg. mém. 21, fol. 407. (Les assesseurs étaient
des bourgeois qui, moyennant finance (4,000 livres), faisaient partie
du Conseil de la commune, avec des droits égaux à ceux des échevins
élus. Les charges vénales d’assesseurs étaient contemporaines de la
création des maires perpétucls, et disparurent en 1749.
(21 Arch. mun., reg. mém. 21, fol. 419 et 424.
(3) Arch. mun., reg. mém. 22 (1745-1349 , fol. 43, 44 et 70.
(4) Dont l'un avait acheté sa charge, comme le maire perpétuel et
les assesseurs à la fin du XVIIe siècle.
(53 Arch. mun., reg. mém. 17491766, fol. 3.
(6) S'appuyant sur les termes formels d’une lettre ministérielle qu'il
cite, (Hrstorre d'Arras, tome Il, p 571) M. Lecesne dit que « cette
affaire fut définitivement réglée le 20 mai 1358 ». Mais, l'examen des
— 234 —
Un règlement intérieur, du 8 décembre 1749, décide
(article 3) que « dans toutes les cérémonies publiques ainsi
qu'aux audiences, les avocats seront en robe, et les quatre
échevins en habit et manteau noir » (1). Or, l'article 1er,
remaniant les attributions des échevins, confiait aux seuls
avocats la tenue des audiences. Il est donc à présumer que
désormais on ne-verra plus «des magistrats, assis pro
tribunali, au siège de judicature, habillés d'accoustremens
discolourés, chiquetés ou découpés » puisque, d'après de
Wignacourt,c'étaient surtout les échevins «de courte robe»,
c'est-à-dire les gentilshommes, qui « desdaignoient » la
toge (2).
En conséquence de cette nouvelle organisation, le Magis-
trat se trouve le 15 janvier 1752 au service funèbre de Charles
de Lorraine, ancien gouverneur, en corps et en habit de
cérémonie (3). La formule est un peu vague; elle se précise
à propos de la première entrée du duc d2 Chaulnes, où,
après diverses complications relatées par le papier mémo-
comptes de la ville montre, c: que chacun sait d'ailleurs, qu'entre
uae décision miaistérielle et sa réalisation, il y a souvent place pour
de longs atermaiements. Les 1,000 livres du mayeur commencent à
figurer au compte de 1760, mais avec cette apostille des officiers de la
Gouvernance : « Se paie quant au comptable et ne sera payé à l'avenir,
attendu qu'il n’y a eu aucune résolution de communauté et assemblée
bourgeoise. » An compte ‘le 1761, mème note suivie de ces mots :
« Contre laquelle apastille le Magistrat d'Arras a protesté et déclaré
que, conformément à l'arrêté du 12 may 1758, ladite somme sera
payée jisqu'à ce qu'on se soit pourvu contre ledit arrêté. » Au compte
de 1762, les officiers de la Gouvernance notent que « quant à ces
4,000 livres. ils se référent à l'apostille du compte précédent ». Au
compte de 1764, les 1,000 livres sont remplacées par le mot « mémoire ».
Enfin, au compte de 1765, les 4,000 livres, sous le nom d'honoraires,
sont « payées au maveur su/vant la résolution des notables du
28 ortobre 1765 et l'arrèt du Conseil du 12 may 4758 ».
(1) Arch. muo., rew. mém. 1749-1766, fol. 5.
(2) De Wignacourt, op. cit. p. 41.
(3) Arch. muo., reg. mém. 1749-1766, fol. 57,
2. 99
rial, un échevin issu, Ilarduin, et trois échevins issans,
Cauwet, Crespieul et Bruyant, portèrent le dais traditionnel,
les trois premiers «en robes et couverts de leurs bonnets
quarrés » et le sieur Bruyant «en manteau avec un chapeau
de palais » (1). |
Ce règlement judicieux, qui, sans imposer aux échevins
de dépenses spéciales pour leur costume, prescrit seulement
à chacun des avocats de revêtir la robe de sa profession, à
chacun des gentilshommes et des notables « vivant noble-
ment », (2) de porter le manteau noir sur un habit approprié
à sa condition, ne sera plus modifié jusqu'à la Révolution,
Une dizaine de fois encore, les Mémoriaux relateront la
présence du Magistrat (en cortège de cérémonie », à des
solennités publiques ; seules, les descriptions de services
funèbres offriront quelque intérèt pour notre sujet. Dans
toutes les autres circonstances, qu'il soit question de réjouis-
sances nationales : Te deum et feux de joie à l'occasion du
traité de Paris (3), du sacre de Louis XVI (4), de la prise
des iles de St-Vincent et de Grenade (5), de la paix de
Versailles (6) ou de la naissance du duc de Normandie, le
futur Louis XVII (7) ; qu'il s'agisse de manifestations
purement locales à l'arrivée du marquis de Lévis, gouver-
neur d'Arras (8), au passage du prince de Condé, venu, en
sa qualité de colonel général de l'Infanterie, pour inspecter
(NN Arch. mun , reg. mém. 1749-1766, fol. 74.
(2) L'Écheviage, révorganisé une dernière fois par un édit de
novembre 1773, comprend « deux nobles, quatre gradués en droit,
quatre bourgeois négociant ou vivant nobiement » (reg. mém. 1766-
1775, fol. 76). |
(3) Arch. mun., reg. mém. 1749-1766, 25 juin 1763, fol. 494.
(4) Arch. mun., reg. mém. 1766-1775, 9 juillet 1775, fol. 99.
(5) Arch. mun., reg. mém. 1775-1830, 40 octobre 17179, tol. 34.
(61 Arch. mun., reg. mém. 1775-1830, 2 décembre 1783, fol. 71.
(7) Arch. mun., reg. mém. 1775-1830, tol. 8.
(8) Arch. muu., reg. mém. 1775-1830, 20 juillet 1780, fol, 40,
— 236 —
‘ la garnison, à l'entrée du Marquis de Lévis, promu au maré-
chalat (1), Messieurs nous sont représentés en robes ou
manteau et boucles. Mais, à la mort de princes souverains,
les échevins, surtout ceux « de courte robe », sont tenus de se
soumettre aux exigences protocolaires du deuil de la Cour.
Voiciletexte des instructions minutieuses qui accompagnent
l'annonce officielle du décès de Louis XV. « On prendra Île
deuil dans la province d'Artois à partir du 15 mai 1774. Du
15 mai au 30 juin, les hommes prendront l’habit de drap
sans boutons, burat, étamine ou voile; porteront les grandes
et petites pleureuses jusqu'au 5 juin et les petites pendant
les trois dernières semaines ; manchettes de batiste à ourlet,
plus la cravate ; bas de laine, souliers bronzés, boucles
noires ; épées bronzées et garnies de crêpe ».
« Du 15 juillet au 31 août, l'habit avec les boutons ;
manchettes de batiste avec effilé uni; bas de soie noire;
souliers de peau de chèvre, boucles noires ; crèpe à l'épée ».
Le registre mémorial spécifie bien que la députation de
quatre échevins en boucles, envoyée le 19 mai à M. de La
Combe, lieutenant du roi « pour lui témoigner la douleur »
du corps municipal, «éfoit en deuil conforme à l'étiquette
ci-dessus » (2). En deuil réglementaire aussi, assistèrent
évidemment Messieurs aux offices de la cathédrale, le len-
demain 20 mai, bien que le scribe ait omis de signaler cette
particularité.
Il est probable que ces prescriptions, insérées seulement
dans les registres, à la date de mai 1774, avaient néanmoins
été précédemment signifiées au Magistrat, car, en 1766, à
la mort du dauphin, les échevins se rendent à la Cathédrale
en habits noirs et boucles noires et en 1768, au service de la
reine Marie Leczinska, «ils portent des perruques sans
poudre, des pleureuses, des gants et boucles noires ; les éche-
(4) Arch. mun., reg. mém. 1775-1820, fol. 53 et 59.
(2) Arch. mun., reg. mém. 1766-1775, fol. 83,
= = ne CS Re € Ne EEE de
— 237 —
vins arocats ainsi que le procureur syndic et le greffier sont
en rabat de deuil » (1). |
L'échevinage d'Arras, supprimé par la loi du 14 décembre
1789, disparait définitivement le 8 février 1790. Les nouveaux
officiers municipaux ont, pour insigne, une écharpe (2).
Tels sont les renseignements que fournissent nos archivées,
singulièrement appauvries au cours du XIX° siècle, sur la
FORME du costume échevinal, renseignements vagues et
incomplets, qui, je le reconnais, ne permettraient guère à
un artiste de tracer une image tout à fait fidèle de nos
anciens magistrats. C'était d'ailleurs à prévoir. Le clerc de
l'échevinage, les commis aux honneurs et l'argentier
n'avaient pas plus de raisons de décrire, dans leurs registres
respectifs, des vêtements bienconnusdeleurscontemporains,
que n'en ont maintenant les journalistes, dans leur repor-
tage des fêtes officielles, de détailler la coupe des costumes
administratifs judiciaires ou universitaires. Peut-être,
cependant, n'est-il pas impossible de se représenter Îles
échevins d'Arras, avec grande probabilité de ressemblance,
par comparaison avec ceux dont certaines villes des Pays-
Bas et de notre région ont eu l’heureuse chance de conserver
la figuration iconographique. En somme, les diverses formes
de l'habit échevinal invariablement désigné par le terme si
élastique de robe, paraissent pouvoir, sans désaccord avec
les textes cités, se ramener à un petit nombre de types : au
(1) Arch. mun., reg. mém. 1766-1735, fol. 14. — Il s'agit dans ces
deux exemples, non de la boucle échevinale, comme on pourrait tout
d'abord le croire, mais, ainsi que le prouve l’étiqurite ci-dessus, des
boucles de la chaussure, ordinairement en argent brillant, mais rem-
_ placées, en cas de grand deuil, par des boucles sombres. Ainsi, au
service du Dauphin, le 22 janvier 1767, « Messieurs du Magistrat
n'avaient pour toutes marques de deuil, outre l'hobit noir, que des
boucles noires aux souliers ». Reg. mém., fol. 221.
(2) Arch. mun., reg. mém. 1775-1840, fol. 124. — Le maire, les
officiers municipaux et le procureur de la commune assistent, le 2 juin
4790, en écharpe à la prestation de serment des gardes nationaux.
— 238 —
X Ve siècle, la robe « tout d'une longueur » tombant jusqu'aux
pieds, avec manches plus ou moins larges ; sous la domi-
nation espagnole, la houppelande ou pardessus ouvert, dont
les manches, fendues d'un bout à l’autre, ou dans la partie
supérieure seulement, sont flottantes, ce qui permet de voir
le devant et les manches du riche vêtement de dessous ;
après la réunion à la France, la robe parlementaire à la mode
de Paris; enfin,au XVIII°siècle, la robe d'avocat, analogue
à la précédente, pour les gradués en droit, et l'habit à la
française pour les autres échevins. De tout temps, il y a lieu
de le rappeler ici, ces échevins de robe courte, nombreux
dans l'opulente et aristocratique ville d'Arras, avaient préféré
le port des armes à celui de la toge. Vers la fin du XVI°
siècle, au dire de Charles de Wignacourt, on dut même,
« par ordonnance enregistrée » leur enjoindre de quitter
leurs épées, lorsqu'ils prenaient « siège de juge » (1).
Couleur des draps.
On est mieux renseigné sur la couleur que sur la forme
des robes échevinales, attendu que si le greffier a toujours
jugé inutile et superflu, sinon malaisé, de noter, par une
description expressive, les modifications apportées à la coupe
du costume, il lui était facile d'en signaler la couleur par
un simple mot. Or ce mot, il était tenu de l'écrire ; au XVe
siècle, en effet, la nuance des draps de livrée a souvent
varié, soit par caprice de goût, soit, circonstance qui s'est
produite à diverses reprises, par difficulté de trouver dans
les villes drapières des Pays-Bas, environ deux cents aunes
de drap de teinte identique. Rien donc de plus naturel que
de rencontrer, dans les mémoriaux, l'indication donnée
(4) « Aussr y a-t-il ordonnance enregistrée pour les eschevins de
robe courte, entrans en ce conclave (la halle échevinale) de laisser
leurs espées au boult de la Chambre et prendre siège de juge,
désarmés. » (op. cit p. 42.)
— 939 —
en séance, aux commis aux honneurs chargés de l'achat,
de la couleur choisie par les « échevins régnans ». D'autre
part, les rares comptes de l’argentier, qui nous restent de
cette époque, font connaître la couleur des draps achetés,
ou la teinture qu'on a fait subir aux draps blancs rapportés
par les délégués.
A s'en rapporter au seul texte du conseiller de Wignacourt,
les robes échevinales, d'abord rouges, auraient ensuite été
noires. &« De toute antiquité, dit-il, le Magistrat d'Arras,
maieur, eschevins, conseiller, en récompense des paines et
travaulx qu'ils prendent, pour honoraire du service qu'ils
font à la ville, leur est distribué à chascun quinze aulnes de
fin drap noir, afin que tous, revestus d'une mesme étoffe et
couleur plus convenable a l'estat de judicature, le Magistrat
en soit tant mieulx orné et décoré, à la conservation de son
lustre et splendeur anchienne... » (1) « A la vérité, ajoute-t-il,
cest habit de drap noir a esté aultrefois de pourpre,d’escar-
late et de cramoisy » (2). Que le noir ait définitivement
prévalu au XVI° siècle, rien de moins douteux ; mais il est
également certain que le rouge n’a pas dominé au XVe siècle,
sauf peut-être de 1423 à 1455. En effet, sur dix-huit mentions
de couleur (3), relevées dans les documents d'archives entre
1323 et 1505, deux seulement sont relatives à la teinte ver-
meille (4). Il serait étrange, mais non absolument impossible,
(4) De Wignacourt, op. cit. p. 39.
(2) De Wignacourt, op. cit. p. 40.
(3) Ces dix-huit mentions se répartissent ainsi : quatre de 1423 à
1455, quatorze de 1465 à 1505. Or, c’est dans le premier groupe que
le vermeil npparaît. Il est à présaumer que, pour cette période, de
Wignacourt, qui a répertorié les archives d'Arras, alors qu'elles
étaient intactes, a trouvé des textes en nombre suffisant pour justifier
son assertion.
(4) C’est M. Guesnon, le savant, dont l'obligeance égale l'érudition,
qui a bien voulu me signaler ces deux mentions de couleur vermeille,
l'une dans un court article des mémoriaux qui m'avait échappé, l'autre
dans un compte qui n'est plus aux archives du Pas-de-Calais. Je suis
heureux de lui en exprimer toute ma reconnaissance.
— 240 —
que seules les indications concernant la pourpre et l'écarlate
aient disparu. Quoi qu'il en soit, c'est bien en 1423, le 27
août, aux obsèques de « Monseigneur Guillaume, seigneur
de Bonnières, lors gouverneur d'Arras, Bappaume, Avesnes,
Aubigny, Busquov, etc. » que Messieurs se montrent, pour
la première fois, revêtus de drap vermeil, « dont pluiseurs
furent esbahis » (1). Cet ébahissement des bourgeois ne peut
s'expliquer que par la nouveauté du spectacle. En 1433, 1441
et 1455, les draps, achetés blancs à Ypres, sont teints les
premiers « de couleur vert » (2), les seconds « de couleur
brunette » (3), à Arras, les troisièmes « de couleur vermeil »
à Aire (4). À partir de 1465, les délibérations prises à chaque
renouvellement de l'échevinage pour l'acquisition des draps
de livrée, figurent plus régulièrement sur les registres
mémoriaux. Tantôt l'assemblée porte son choix sur une
nuance déterminée, tantôt elle ordonne « d'acheter chincq
draps blancqs, pour iceulx faire taindre en ceste ville » (5),
le plus souvent, elle se borne à recommander aux délégués
« de besongner au mieux qu'ils porront » à l'unique, mais
expresse condition de trouver « draps d'une mesme couleur
et sorte à faire robbes d'une mesme parure ». Pour concilier
l'assertion autorisée de Charles de Wignacourt avec les
données d'une documentation malheureusement incomplète,
peut-être pourrait-on admettre que nos échevins, après avoir
débuté « aultrefois » par des étoffes de nuances éclatantes,
se sont enfin arrètés à la couleur noire en passant par des
(1) Arch. mun., reg. mém. 6, fol. 89.
(2) Arch. du P.—de-C., sér. E, comptes d'Arras 1432-1433, fol. 24.
(3) Arch. du P.-de-C., sér. E, comptes d'Arras 1440-1441, fol. 20.
(41 Comptes d'Arras 1454-1455. Renseignement communiqué par
M. Guesnon.
(à) Arch. mun., reg. mém. 11, fol. 83. La même observation se
reocootre plusieurs fois.
— 241 —
tons de plus en plus éteints et foncés : gris, (1) violet, (2)
garance, (3) gris argenté tirant sur le brun, (4) brun gris, (5)
brunette (6) et tasné (7), (couleur de tan).
Provenance des draps.
Quelle était la provenance des deux cents aunes de drap
nécessaires à la « vesture » de Messieurs? Une première
remarque s'impose, c'est que nos échevins ne s'adressaient
ni aux fabricants, ni même, du moins jusques au milieu du
XVIIe siècle, aux marchands de draps de la ville d'Arras,
pour cette fourniture annuelle. Peut-être cependant, dans
les cas où le montant de la livrée leur fut distribué en argent,
durent-ils s'entendre pour s'approvisionner, sur place,
d'étoffes de même couleur, mais il ne reste aucune trace de
ces opérations sans caractère officiel, C'est au loin, dans les
villes des Pays-Bas ou du Nord de la France, renommées
alors pour leur fabrication, qu'on envoyait chercher cinq
pièces du « plus fin et meilleur drap ». Les deux commis
aux honneurs assumèrent longtemps la charge de ces che-
(4) Arch. mun., reg. mém. 9 (1467), fol. 42; reg. mém. 10 (4489),
fol. 75; arch. du P.-de-C., sér. E, comptes d'Arras 1494-1495, p. 2;
arch. mun., reg. mém. 41 1496), fol. 24 ; id. (1503), fol. 1U2.
(2) Arch. mun., reg. mém. 10 (1485), fol. 32 ; rég. méin. 41 (1505),
fol. 273.
(3) Comptes de 1489-1490. — Renseignement communiqué par
M. Guesnon qui ajoute : « Je fais des réserves sur la teinture faite
d’abord en guëde, puis en garance. Il serait bien téméraire d’aftirmer
que la teinture en garance ait donné comme résultat des draps de cette
couleur. Elle n'était peut-être qu’une des opérations de la teinture
en noir. »
(4) Arch. muo., reg. mém. 11 (1495), fol. 1.
(5) Arch. mun., reg. mém. 14 (1505), fol. 273. — « Brun gris ou
violet » dit la délibération.
(6) Arch. mun., reg. mém. 10 (1484), fol. 18; id. (1491), fol. 96,
(7) Arch. mun., reg. méin. 44 (1496), « gris ou tasné », fol, 91;
id. (1499), fol. 83, « noir ou tasné » ; id. (1501), fol. 144.
16
— 949 —
vauchées. On sait que les échevinsétaientobligés de posséder
un cheval et de l'utiliser, le cas échéant, pour le service de la
ville. Les gens de la suite, valets et experts, drapiers ou ton-
deurs de drap, montaient des chevaux de louage. Composée
de deux à cinq personnes, la petite cavalcade partait pour un
voyage qui durait de quatre à seize jours. Au prix du drap,
s'ajoutaient donc les frais de route, la location des chevaux,
le change à perte (la frainte) des monnaies, l'emballage, le
transport par voiture, les taxes imposées par les villes
étrangères, et, s'il y avait lieu, le salaire des teinturiers,
tondeurs et appareilleurs arrageois (1).
4) Voici, à titre d'exemple, le texte complet d'un des trois comptes
de la ville, qui nus restent pour la première moitié du XVe siècle.
Arch. du P.-de-C., sér. E, comptes de 1440-1441, fol. 20.
« A Jehan de Wailly, notre compagnon oudit eschevinage, la somme
de deux cens chincquante trois livres, treize sols, dix deniers, monnoie
courante, et ce, pour l'achat de chincq draps blanc de la grant mayson
d’'Ippre, acetés par notre ordonnance par ledit Jehan de Wailly et
Wille Yvain, aussi notre compagnon, qui ont cousté, l’un par l’aultre
en premier achat XXXI livres X sols de gros qui valent :
C IllIzx X livres
Item pour l'assis et petit coust de ladite ville pour chacun drap :
Il gros (sont V sols)
Item pour X aunes de canevach pour sarpillier lesdits draps :
XXXV gros, valent XVIIs VId
Pour cordelles XIId et pour en sarpillier et faire les deux fardeaux :
XVII
Item, encore aultre droit du petit assis, pour chacun drap des
eschevins sont : Xd
lten, pour le voiturier qui ramena lesdits draps dudit lieu d’Ippre
à Arras : XXX:
Item, à Robert Herreville, tainturier pour avoir taint lesdits V draps
qui contiengnent VIIrx X aunes, en couleur de brunette; IIIs pour
chacune aune, sont : XXII livres X:
Item à Jehan Loirre, tainturier de bouillon pour chacune aune
Ils sont : | XV livres
Item, aux tondeurs de grans forches qui ont tondu et apointié lesdits
cinq draps, pour chacun drap, XX5 sont : C:
Item, pour courtoisie faite par l'ordonnance de Messieurs aux
— 243 —
Parfois, à la place des commis aux honneurs empéchés,
on déléguait des gens de métier, non sans un certain risque
pour la bonne conduite de l'affaire. Ainsi, en 1465, deux
mois après la réception de la marchandise, « Messieurs
sont advertis et adcertenés, par lettres missibles du mars
chant (de Rouen) qu'il y avoit eu fraude du costé des ache-
teurs ». Séance tenante, on fait comparaitre un des délin-
quants, Jehan Burier, tondeur, on lui rend les draps et on
le contraint à en restituer la valeur, soit cinquante écus d'or.
Le même jour, on donne mission à M° Martin d'aller « à la
feste de Bruges acater les draps pour vestir Messieurs » (1).
Est-ce à la suite d’un incident du même genre ou d'une
responsabilité encourue par un échevin ? on l'ignore, mais,
compagnons tainturiers et apointeurs d'iceulx draps. XVIs
Item, pour les despens desdits Wailly, Wille Yvain, Jehan Matton,
Lepèredieu et le varlet dudit Jehan de Wuilly, pour V jours entiers
qu'ils ont vaquié en allant besongner et retournant dudit lieu d'Ippre
XI livres XIIIS
Item, pour courtoisie faite audit Péredieu pour avoir esté avec les
dessus dits : XXIIIIS
Item, pour courtoisie faite audit Matton pour avoir esté acheter les
draps. Vs
Et pour le louage de III chevaulx de louage que ont eu lesdits
Matton, Père Dieu et le varlet dudit Wailly par lesdits V jours, à
II sols par jour, sont : XLVS
Pour toutes ces parties, comme il appert par mandement et quitance
cy rendus, la somme de lc LIII livres XIIIs X4
Dans le compte de 1496-1497 (arch. du P.-de-C., sér. E, fol. 38),
on voit que sur une somme de 390 lilvres 15 payée pour cinq draps
gris achetés à Bruges, on a eu pour « perte et frainte de monnoie, a
cause que les monnoies sont a plus hault pris en ceste ville (Arras)
que audit licu de Bruges : 27 livres 174 6d ». Une voiture amène les
draps de Bruges à Lille pour 175; une autre de Lille à Arras pour
XXIIIIS. Le voyage dure dix jours, Jehan du Mont-StEloy, échevin
touche 20 sols par jour et son compagnon Jehan Louchard, tondeur
de grans forches, 42 sols. Le total est de 453 livres, 4: 64,
(4) Arch. mun., reg. mém. 9, fol. 24 et 23.
— 244 —
en février 1540, « Messieurs ordonnent que, pour l'advenir,
ceulx qui sont commis aux honneurs ne feront, si bon ne
samble a Messieurs, le voyage des draps, ains porront Mes-
sieurs choisir ung ou deulx d'entre eulx ou aultre telle
personne qu ils adviseront... » (1).
- Telle était l'organisation « du voyage des draps ». D'une
façon générale, on peut conclure des documents qui subsis-
tent, que les achats furent effectués, au XV: siècle, surtout
dans les Flandres : à Ypres, Bruges, Gand, Menin, Malines,
Courtray et Lille, moins souvent à Rouen et Monstre-
viller (2); au XVIe siècle, à Lille et Paris quelquefois; à
Bruges et Gand rarement; presque toujours à Rouen. La
durée de la chevauchée, mentionnée dans quelques actes,
est pour aller à Rouen d'environ quinze jours (13, 15 et 16);
à Bruges de neuf à dix jours; à Ypres, de cinq jours; à
Lille, de quatre jours.
Prix des draps.
Malgré les lacunes de nos archives, on peut suivre assez
exactement la progression constante du prix des draps.
Pour plus de précision, je donnerai, non le prix global
(4) Arch. mun., reg. mém. 13, fol. 314. — Peut-être y avait-il eu
quelque abus dans les dépenses, ce qui n’est pas absolument sans
exemple dans le cas de missions remplies aux frais d’un Gouvernement
ou d'une ville. Une délibération du 46 octobre 1544 semblerait confir-
mer cette conjecture. « Messieurs ont ordonné que, pour l’advenir,
ceulx qui seront commis par mes dits sieurs au voiage des draps de
l'eschevinage, ne auront aultres sallairrs que des journées qu'ils
vaqueront à cesluy. »
(2) On ne trouve cette localité qu’une fois en 1436 (arch. mun., reg.
mém. 7, fol. 92). C’est Montivillers (Seine-Infirieure). Dans la Fran-
cesca di Rimini, de Gabriel d’'Annunzio, un marchand florentin offre
à Francesca des étoffes de tous genres : velours, soies, draps : « draps
de Lucques, Bruges, Tournay, Terremonde et .fontvrllers en {Vor-
mandie » (acte IH, scène HE, /rnue de Parts, 45 décembre 1940,
p. 156). Ce-qui prouve la cs notoriété de la fabrique en question
uu Moven Age.
— =
—. 9245 —
d'achat, car le nombre des bénéficiaires de la livrée a parfois
varié, mais la somme afférente à chacun des membres du
Magistrat.
De quinze à dix-sept livres (1) jusques à la prise d'Arras
par Louis XI, en 1477, le cridit ouvert pour chaque robe
tombe à une douzaine de livres et disparait même complé-
tement dans la période troublée où notre ville s'appelle
Franchise. En 1481, Louis XI permet aux échevins de
prélever sur les deniers communs chacun 26 livres 13 sols
pour la livrée de deux ans. Dès 1497, le coût annuel des
draps monte à 30 livres environ etse maintientlongtemps à
ce taux ou à un taux un peu plus élevé. On se souvient, en
effet, que Messieurs se plaignent en 1572 d'être encore taxés
à 40 florins (2) et décident « de, pour ceste année prendre
60 florins », vu l'enchérissement des draps de Rouen. Ainsi
que je l'ai fait remarquer, la cote de ces draps « de grand
scel » sert désormais de base à la taxation, qui, de 120 livres,
en 1591, passe à 160, en 1615, à 170, en 1620, à 176, en 1634,
à 180, en 1641. Après avoir fléchi à 160, pendant deux ou
troisans, elleremonte à 180en 1646, et à 190, en 1647. Comme
ces diverses sommes ne sont plus, en réalité, que des Aono-
raires, il parait bientôt inutile de les évaluer, conformément
à la tradition, d'après les fluctuations du marché de Rouen.
(1) Sauf peut-être en 1465. On a vu un peu plus haut, qu'en cette
année, on avait remis cinquante écus d’or à Burier le toudeur, pour
acheter des draps à Fiouen. Or, on trouve dans les registres de l’hôpital
Saint-Jean, où le comptable ramène à la livre les diverses monnoies
encaissées, qu’on achète, en 1460, un cheval pour 11 écus d’or —
43 livres 9s 64 (E. 37), et en 1463, un bœuf pour 3 écus d’or — 73 sols
6d (E. 39). Un écu d’or valait donc vers 1465, à Arras, 24 sols 64.
D'où il suit, à moins d’une erreur improbable du Mémorial (où les
mots cinquante ecus d'or sont répétés trois fois), à moins d’une signi-
fication différente du mème terme (écu d'or) dans une mème localité
et à la mème époque, que chaque drap de robe n'aurait coùté que
3 livres 40 sols!
(2) Dans les actes de cette époque, le florin' équivaut ‘à la livre.
— 246 —
On les remplace, à des dates que je n'ai pu déterminer d'une
façonrigoureuse, par desallocationsfixes de 300 livres (1673),
de 400 livres (1722) qui figurent encore sur les comptes, sous
la rubrique « droits de robe ». Mais après 1749 les 600 livres
attribuées à chaque échevin par l’édit de réunion de la cité
à la ville portent le nom d'honoraires ou d'émoluments.
Quant aux robes accordées par l'Intendant aux membres de
l'échevinage, dans les circonstances solennelles, elles ne
coûtaient que livres, prix bieninférieur, en tenant compte
de la dépréciation de l'argent, à celui des robes payées une
quinzaine de livres en 1433.
La boucle
Si nos échevins ont paru parfois, selon les fortes expres-
sions de Charles de Wignacourt, « desdaigner et contemp-
ner » leur habit de sénateur, c'est que, de toute antiquité,
et bien avant, sans doute que l'ordonnance de 1414 leur
octroyät une livrée, ils avaient porté un insigne, marque de
leur autorité. Les documents d'archives du XIVe siècle sont
muets à cet égard, mais le bon sens veut que des magistrats
« signamment lorsqu ils sont en exercice de leur charge et
function, soient partout, aussy bien entre bourgeois que
forains et estrangers, recognus pour tels et conséquemment
aussy mieulx honorez et respectez » (1). Dans le plus ancien
compte connu de la ville d'Arras, celui de 1340, on rencontre
des articles relatifs aux robes de ceux qui ( sonnent le clocq »
et à « la livrée des sergans d'eskevins ». N'est-il pas permis
de conjecturer que lorsque les échevins marchaïient en corps,
précédés de leurs sergents en livrée, eux-mêmes se distin-
guaient par un insigne, qui, selon toute probabilité, n'était
autre que « la chaincture eschevinalle ».
Comme le mot robe, qui, après avoir si souvent varié de
signification, s'est enfin précisé dans le sens de vêtement
(4) De Wignacourt, op. cit. p. 39.
ample et long, le vieux mot chaincture a correspondu à
toutes les acceptions du verbe ceindre avant de se limiter
au sens molerne et restreint le notre mot ceinture. Dans
le cas présrat, il dés gnaït, no:1 pas, corime on l’: dit, une
vraie ceinture de cor»s, ni une bande de velours brodé d'or,
portée sur l'épaule (1}, mais une sorte de courroie d'étoffe
qui ceignait une des manches de nos magistrats, c'est-à-dire
un brassard retenu par une boucle d'argent. En vertu d'une
figure de rhétorique bien connue, qui consiste à désigner la
totalité d'un objet par le nom d'une de ses parties, la
« chaincture » s’est indifféremment appelée corote (courroie)
ou blouque (boucle). Un certain nombre de textes formels
justifient cette interprétation.
Lorsque Charles le Téméraire fit son entrée à Arras, en
1468, il prêta le serment d'usage « présens les eschevins
d'icelle ville, tous vestus des draps et livrée de la ville qui
estoient de chainctures estoffées de perles SUR UNE MAN-
CHE (2). »
Le compte de 1432-1433, qui nous a déjà renseignés sur
la couleur verte des robes échevinales, nous apprend égale-
ment qu'on acheta « à Wille Yvain, eschoppier » une demi
aune de drap noir pour faire la devise et livrée des maïeur,
échevins et argentier au prix de trois livres quinze sols et
que le brodeur Leroux recut six livres huit sols « pour son
sallaire d’avoir fait la devise et brouderie de XI cottes de
livrée pour le maieur et partie des eschevins..… et d'avoir
assis les corotes et blouques sur trois cottes pareilles » (3).
II résulte de ce texte que la chaincture ou coroiene devait
guère être large, puisqu'on en a pu tirer quatorze d'une
demi aune de drap et que la broderie n'était pas bien com-
pliquée, puisque, façon et pose comprises, elle n’atteint pas
le double de la valeur du drap.
(4) Lecesne, Histoire d'A rras, tome II, p. 544, note 1.
(2) Arch. mun., reg. mém. 9, fol. 36.
(3) Arch. du P.-de-C., sér. E, Comptes 1432-33, fol. 34.
— 248 —
En 1440, on achète une aune de drap de damas bleu pour
48 sols et on paie 74 sols «au broudeur pour avoir fait trois
noeufves corotes pour la manche de aucuns de Messieurs.
et avoir rassis XI coroies sur aucunes manches des
eschevins... » (1).
Dans son récit de la procession du 16 mai 1478 que
Louis XI suivit « nu chief, portant une torse ardant en sa
main », M. Lecesne, prenant le mot chaincture au sens
actuel, écrit que « les échevins avaient eu soin d'ajouter des
liserés blancs (couleur de France) aux ceintures de leurs
robes » (2). Il faut reconnaitre que la rédaction du papier
mémorial prête à quelque ambiguïté : « Auquel jour,
Messieurs, par l'advis d'aucuns, firent adjouster et mettre
autour et joignant des chainctures de leur livrée, sur leurs
robes, à ung lez et à l’aultre de ladite chaincture, un fillet
de blanche sove » (3). Mais nos archives possèdent le compte
de l’année 1477-1478 dont les trois articles suivants tranchent
la question, en admettant qu'il pût rester le moindre doute:
« À Jehan de Houchin, brodeur, pour avoir rassis XII
coroyes de perles sur les manches de XI robbes de mes dits
sieursetsur lamanchedela robbe du maieur... VIllivres [III
« à Pierre Camps, marchant de drap de soye pour une
aune de velours cramoisit sanghin..…. emploié par ledit de
Houchin ausdites coroyes ITII livres XVIS
« à. pour XVIII aunes et ung quart de blancq ruban à
XV deniers l'aune..… emploié, comme dessus, ausdites
coroyes XXIIS Xd (4).
Ce dernier article a ceci d'intéressant qu’on en peut
(1) Arch. du P.-de-C., sér. E, Comptes d’Arras 1440-41. fol. 47,
l’argentier ajoute : « est assavoir pour chacune desdites noeufves
manches X+ font XXXSs et pour chacune desdites coroies rassises Il]1s
font XLIIIIS, pour tout font LXXIIIIS.
(2 Histoire d'Arras, tome 1, p. 439.
(3) Arch. mun., reg. mém. 9, fol. 432.
(4) Arch. du P.-de-C., sér. E, Compte d’Arras 1477-78, fol. 41.
— 249 —
approximativement déduire la longueur de la courroie de
velours. En effet, 18 aunes un quart font 21 mètres 53°, qui
divisés par 12 donnent un quotient de 1"80, soit pour chaque
« chaincture », puisque le ruban la bordait « a ung lez et à
l'aultre » une longueur d'environ O"90. Je suppose qu'il
s'agit ici de l'aune de Paris équivalente à 118, car, mesurée
à l’aune d'Arras qui ne correspondait qu ‘à 0m70, la boucle
réduite à un peu plus de 050 aurait été insuffisante pour
ceindre certains bras ou tout au moins pour encercler une
manche un peu large (1).
En 1497, nouvel achat, au même prix, d'une aune de
« velours cramoisy » (2), couleur, qui, semble-t-il, sera
désormais seule employée. |
On a vu qu'à l'occasion de la reddition des comptes de
l'argentier, le 31 octobre 15:88, les officiers de la Gouver-
nance avaient renouvelé aux échevins l'ordre de revêtir leur
costume dans l'exercice de leurs fonctions. Pour obéir à
cette injonction et « au décret depuis enssuivi pour le faict
des draps et portement des blouques à chacun jour de halle
et par les sepmainiers, le long de la sepmaine, Messieurs
ont conclud et arresté que la ville fera faire par les commis
aux honneurs treize blouques, y comprins celle du maïeur,
toutes esgalles l’une à l’aultre, lesquelles, en fin de loy, seront
raportées sur le bureau par les eschevins issans, pour estre
baillées aux eschevins entrans et, moyennant ce, la ville
demourera deschargée du velour qu'elle furnissoit chacun
an pour les dites blouques » (3). Mesure très pratique, car,
en mettant à la disposition des échevins des boucles toutes
(1) On trouve dans le registre des commis aux honneurs pour
1677-78, un achat ainsi libellé : « deux aulnes et demye d'Arras de
fin drap, grand lion, rouge et noir... douze aulnes de Parts d'estamet,
grand lion, bleu... » C’est un exemple pris au hasard de l'emploi
simultané à Arras des deux sortes d’aunes.
(2) Arch. du P.-de-C., sér. E, Comptes d'Arras 1496-97, fol. 37.
(3) Arch. mun., reg. mém. 15, fol. 269.
— 959 —
faites et en se chargeant de leur entretien, la villle suppri-
mait tout prétexte de négliger le port de l'insigne échevinal.
Comme on ne relève plus, dès lors, dans la collection,
d'ailleurs fort incomplète, des regist’es tenus par les commis
aux honneurs que la dépense relative à des raccommodages
de boucles ou à des réfections partielles, on ne peut guère
tirer de ces brèves mentions qu'un petit nombre de parti-
cularités intéressantes et de détails complémentaires; par
exemple : l'adoption définitive, pour les brassards, du
velours cramoisi doublé de satin de Bruges ou de taffetas
rouge ; l'emploi des perles et des grains d'argent, jusqu'au
XVIIe siècle, pour la devise ou les ornements brodés sur les
courroies ; (1} le remplacement de ces fragiles applications
de perles et de grains par la broderie proprement dite ;
parfois même, comme par une sorte de hasard, parmi les
indications généralement globales des sommes payées aux
fournisseurs, le prix exact de l'insigne ou de ses parties (2).
En 1676 : « à Nicolas François, orphèvre, 7 livres 15 sols,
pour douze blouques d'argent qu’il a livrées, v compris la
façon et déduction faite des vieilles blouques aussi d'argent
qui lui ont été laissées » (3). Ce qui fait ressortir le prix de
la boucle ou plutôt du crochet à 13 sols environ ; en 1679 :
« à Christophle de Monchaux,orphèvre, pour quatre crochets
d'argent : 3 livres, 15 sols ». Sait 18 sols pièce; (4) la mème
année : « à François Taffin, maitre brodeur pour quatre
blouques de velours rouge enrichi de broderies : 48 livres.
On remarquera que le mot boucle ou blouque a fini par
(4) Arch. mun., rew. commis aux honneurs, 1594-95, fol. 59;
1598-99, fol. 45.
(2) Les factures détaillées annexées aux comptes de l'argentier et
des commis aux honneurs eussent fourni de précieux renseignements
sur la matière, la façon, la couleur et le prix des objets. Elles ont
presque complétement disparu. Dans le peu qui en reste, je n'ai rien
trouvé qui ait rapport aux robes échevinales ou à la boucle.
(3) Arch. mun., reg. com. aux hon. 1675-76, fol. 35.
(4) Arch. mun., reg. com. aux hon. 1678-79, fol. 26.
— 251 —
prévaloir et par désigner soit le crochet, soit la'bande de
velours, soit l'ensemble de l’insigne. En 168# : « à F. Taffin,
pour avoir fait neuf boucles neuves et livré le velours rouge,
satin, et avoir raccommodé les quatre dernières faites et
pour avoir livré treize crochets plus forts : 145 livres 10
sols » (1). Enfin, en 1696, « à Pierre Morel, maître brodeur,
pour avoir brodé et livré toutes les fournitures, aussi bien
que les nouveaux crochets d'argent de quatre nouvelles
boucles : 84 livres 195 61 ; » (2) soit 21 livres 45 101 par
boucle complète, ce qui correspondrait à peu près à une
centaine de francs de la monnaie actuelle. A ce prix on
pouvait avoir un insigne luxueux. C'est peut-être ce qui
finira par engager nos magistrats à le laisser flotter sur leur
épaule. « Le mayeur et les échevins (à l'entrée de Louis XV,
en 1744), avaient leurs boucles pendantes et attachées sur
l'épaule à gauche » (3), à moins que les robes d'étamine
qu'on leur distribua à cette occasion n'aient eu les manches
tellement larges qu'elles comportaient plutôt une épitoge
qu'un brassard.
En résumé, l'insigne échevinal d'Arras était une bande
de velours cramoisi, doublée de soie rouge, analogue, sans
doute, comme largeur aux brassards des officiers d'État
major, et longue d'environ 90 centimètres. On la fixait
autour du bras au moyen d'une boucle d'argent, en laissant
tomber les bouts, garnis, très probablement, d'un ornement :
galon ou frange, c'est du moins ce qu'on peut inférer d'un
article du registre des commis aux honneurs pour 1597-98 :
«avoir remonté de nœuf lesdites blouques par les bouts » (4).
Il est difficile d'admettre qu'il s'agisse ici d'un simple rapié-
çage. Ce n'est qu'au milieu du XVIII: siècle que les éche-
vins attachèrent l'insigne sur leur épaule. D'abord estoffé
(1) Arch. mun., reg. com. aux hon. 1683-84, fol. 25.
(2) Arch. mun., reg. com. aux hon. 1695-96, fol. 30.
(3) Arch. mun., reg. mém. 21, fol. 407.
(4) Arch. mun., reg. com. aux hon., fol.54.
= 250
de perles et de grains d'argent, le velours fut ensuite enrichi
de broderies. Quelle était la devise, quelle était la forme de
la « broudure de perles », ou des broderies d'or signalées
par les documents ? Je n'ai trouvé aucun renseignement à
cet égard. Peut-être les artistes ont-ils reproduit sur le
velours des boucles les armoieries de la ville, que, au témoi-
gnage des registres, ils brodaïent annuellement sur le
justaucorps du « chasse-pauvres » ou « chasseur des pau-
vres », sur les casaques des deux « chasse-coquins » et sur
les bandoulières en drap bleu galonné des sergents à masse.
Cette conjecture n'est vérifiée par aucun texte. Il semble
résulter de cette absence mème d'indications, pendant plu-
sieurs siècles, sur le dessin de la broudure ou broderie des
boucles, que, lettres formant devise, armoieries ou orne-
ment quelconque, la décoration de la « chaincture eschevi-
nalle » devait être d'une forme traditionnelle et par suite
suffisamment notoire, pour qu'il ne vint à l'idée d'aucun
greffier ou clerc de la décrire. |
J'avais abordé cette étude du costume échevinal d'Arras
avec l'espoir de découvrir dans nos mémoriaux assez de
traits épars pour en composer une description presque
équivalente à une représentation graphique de la robe et de
la boucle ; si, pour les diverses raisons indiquées plus haut,
je ne puis malgré de consciencieuses recherches, formuler
des conclusions tout à fait indiscutables, je pense avoir, du
moins, par le rapprochement d'un grand nombre de textes,
fourni les éléments d'une solution suffisamment approxi-
mative de ce petit problème. IÏ me reste à souhaiter qu'un
heureux hasard fasse retrouver au fond de quelque tiroir
un exemplaire méconnu de l'insigne échevinal, ou, parmi
les souvenirs du passé que se lèguent les vieilles familles,
le portrait authentique d'un de nos anciens magistrats en
costume officiel.
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EXPLICATION DE LA PLANCHE
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En l'absence de toute représentation iconographique de
l'Échevinage d'Arras, j'ai réuni sur une seule planche, quel-
ques types d'échevins, extraits de gravures commémorant
des événements qui se sont passés dans les Pays-Bas ou
dans le nord de la France.
À ne considérer que le sujet de l'estampe où figure le
groupe n° 1 : « Le Supplice de Nicolas Gosson en 1578 (1) »,
on pourrait se croire en présence du document le plus rare
et le plus précieux touchant le costume des échevins arra-
geois au XVIe siècle. Malheureusement la scène se passe à
Atrecht, et dans ce mot d'aspect et de sonorité germaniques,
on ne reconnaît pas plus le nom d'Arras qu'on ne retrouve
la physionomie de notre Hôtel-de-Ville et de la Petite-Place
dans les constructions bansales qui encadrent l'échafaud.
Impossible par conséquent de faire état d'une composition
de pure fantaisie. Pourtant, l'auteur allemand de ce dessin
a dû s inspirer des modèles qu il avait sous les yeux et, dans
les personnages en robes « tout d’une longueur » aux man-
ches longues et pointues, il nous a montré sans doute, sinon
les échevins authentiques d'Arras, du moins les magistrats
de son propre pays,
Le n° 2 est tiré d'une des nombreuses illustrations du
curieux in-folio (2), où Bochius décrit, avec un grand luxe
(1) En bas de cette estampe, au-dessous d’une inscription en vers
allemands, on lit : « Le Seigneur de Cappres, ceux du Conseil
d’Arthois et les escevins d'Arras conjurés à la révolte contre la patrie
condamnent et mettent à mort M. Gosson,.…. le dimence 26 d'octobre à
deux heures de la nuit, en 1578. »
(2) Historica narratio profectionis et inaugurationis serenissimorum
Belgii principum Alberti et Isabellæ... Bochio auctore, Anvers 4602,
fol. 186. |
— 254 —
de détails, les entrées triomphales des archiducs Albert et
Isabelle dans les diverses villes des Pays-Bas. Le magistrat
reproduit est un des six sénateurs, qui, porteurs d'un dais
somptueux, attendaient leurs Altesses à la porte d'Anvers (1).
Selon toute probabilité, nos échevins étaient vêtus d'un
costume de ce genre, le 13 février 1600, à l’arrivée d'Albert
et Isabelle à Arras.
J'ai trouvéle n°3 dans le Théâtre d'histoire, roman de cape
et d'épée publié à Bruxelles en 1613 et dédié aux archi-
ducs (2). La dédicace en vers latins est accompagnée d'une
gravure représentant la réception d'Albert et Isabelle dans
une ville indéterminée de Belgique, sous un dais porté par
quatre magistrats en robes à larges manches, d'une coupe
plus élégante que celles du n° 1; ils ont de plus au cou la
fraise ou collerette tuyautée de l'époque. Le Théâtre d’his-
toire est orné d'un grand nombre de fines gravures en taille
douce, où l'artiste témoigne d'un tel souci d'exactitude dans
la reproduction des costumes de son temps, qu'à cet égard
ses dessins ont une réelle valeur documentaire. On remar-
quera que dans des villes voisines, à la même époque, en
des circonstances identiques (n°: 2 et 3), les échevins, selon
que la tradition ou la mode l'emporte, sont revêtus de robes
ou «( habillés d'accoutremens découpés et chiquetés ». Ce
qui justifie, par l’image, les conclusions que j'ai eu plus
haut l'occasion de tirer de textes plus ou moins précis.
On rencontre le n° 4 sur une estampe naïvement exécutée :
« Portrait de Henri IV, roy de France et de Navarre, mar-
(4) … Sub umbrellà sunt excepti, quæ. cum suis fimbriis tota erat
aurea, a sex senatoribus, viris nobilissimis, decenter gestata…, fol. 181.
(2) « Théâtre d'hiswire où avec les grandes prouesses et aventures
étranges du noble et vertueux chevalier Polimantes, prince d’Artine,
se représentent au vrai plusieurs occurrences fort rares el mervecil-
leuses, tant de paix que de xuerre, arrivées de son temps ès plus célè-
bres et renommes païs, roïaumes et provinces du monde... Bruxelles,
1613, in-80. »
— 255 —
chant sous son poële triomphal, porté par les échevins
modernes (c'est-à-dire régnans) de la ville de Rouen, à son
entrée audit lieu (1). » Comme le n° 2, ce magistrat est vêtu
à la mode du jour.
Les deux personnages (n° 5) font partie du groupe des
échevins du Havre, agenouillés devant le carrosse de
Louis XV pendant que le gouverneur présente au Roi
(19 septembre 1749) les clefs de la ville (2). Tels étaient, au
XVIIIe siècle, nos échevins gentilshommes avec la perru-
que, l'habit à la française et le manteau.
Il est très probable que si on retrouvait jamais l'image
authentique des échevins arrageois, à diverses époques, on
constaterait une très grande analogie avec les types de la
planche ci-jointe. Sauf, en effet, quelques particularités
locales (la boucle à Arras) les costumes ne différaient guère
d'une ville à l’autre. La mode, sans être aussi tyrannique
que de nos jours, était assez puissante pour que, vers 1600
parexemple, l'échevin de Rouen ressemblât à celui d'Anvers.
(1) Cette estampe a été reproduite dans l'ouvrage de M. Armand
Dayot : « La Renaissance en France 1498-1643 », p. 161.
(2) Relation de l’arrivée du Roi au Havre de Grace..., Paris, 1753,
graad ia-folio.
Membre résidant
décédé à Arras, le 12 Février 19414
Allocution prononcée à l’Académie
LE 17 Février 1914
Par M. G. ACREMANT
Présitent
Messieurs,
GR ETTE semaine, l'Académie a été durement éprouvée par
QE la mort de l'un de nos meilleurs collègues.
Depuis quelques jours, un temps moins pénible qu'au
début de l'hiver, nous permettait d'espérer que les rigueurs
du froid ne troubleraient plus la quiétude de notre Com-
pagnie par quelque cruelle disparition. Hélas! Cela n'a été
qu'un présage trompeur ! Dimanche dernier, M. J. Leloup,
bien qu'entouré de soins affectueux, a succombé aux suites
d'une congestion pulmonaire. Il s’est éteint doucement !.…
sans aucune secousse |... environné de tous ceux qu'il
aimait, sa femme, ses enfants et ses petits-enfants.
S'il ne m'est pas possible de m'étendre devant vous sur
toutes les fonctions qu'il a exercées, (elles ont été en effet
très nombreuses et confinent pour la plupart à la politique!)
je dois cependant les dessiner à gros traits devant vous.
— 957 —
Joseph Leloup est né en 1839,
A l'âge de 22 ans, il sortit de l’École Centrale des Arts et
Manufactures,avec le diplôme d'ingénieur-chimiste et entra,
pour y faire un court stage, chez M. Corenwinder, puis dans
ies forges de Commentry.
En 1865, il revint dans sa ville natale et prit possession
de la raffinerie de sucre qui avait été illustrée par Crespel-
Dellisse.
Voilà donc sa position créée! Il n’a plus qu'à se laisser
glisser sur la pente des heureux! Maisil se croit capable de
jouer un pius grand rôle! Il a l'ambition, lui aussi, de vou-
loir rendre service à ses concitoyens ! C'est pourquoi, sur le
conseil de ses amis, il entre à la fois au Conseil Municipal
d'Arras et au Conseii Général du Pas-de-Calais. Dans cette
Assemblée départementale, ses collègues lui reconnaissant
une compétence spéciale pour ! Administration, lui contient
tantôt le secretariat, tantôt la vice-présidence.
Il cumule d'auleurs ces foncuons avec celles de Juge
au lribunai de Comimnerce, de Membre de la Cnamore
de Cuiinesce, de Meinbre du Conseil departemental
d'instwuctiun pubiique et des jurys dexainen de lensei-
gnement prunalre, de délégué cantonal... En mème teinps,
il est un des fondateurs des œuvres républicaines de notre
ville, le Sou iaique des écoles, l'Association phulotechnique. ..
Dans ces diverses assemblées, il eut maintes fois 1 occa-
sion d aflirmer ses convictions, decompattre pour ie triomphe
de ses idées et s'occupa toujours à travailler pour le bonheur
du plus grand nombre.
Ces questions sont certainement étrangères au rôle de
notre Académie, mais comme {ngénieur, comme Président
de la Chambre de Commerce, comme Penseur, nous le
réclamons tout entier.
M. J. Leloupa fait paraître dans nos Mémoires, sur la crise
économique et sur le socialisme des études fort savantes que
je crois devoir mentionner d'une façon particulière.
47
3
— 258 —
Ces travaux forment deux véritables volumes; ils sont
aussi Consciencieusement conçus qu'écrits dans un style
simple, précis et qui plait. Ils résument la vie de notre
distingué collègue, car cest vers ces deux questions
qu'il dirigea sans cesse ses vues. Il affirme lui-mème sa
prédilection dans son discours de réception, lorsqu'il dit :
« L'économie politique est l'objet de mes constantes
réflexions. » Elle le passionne en effet et bien vite l'on s'en
aperçoit, (car il était assidu à nos séances hebdomadaires!)
lorsqu'une lecture touche tant soit peu à ses chères médi-
tations ; aussitôt, il prête une oreille plus attentive et, ce qui
donne un relief puissant à son énergique figure de lutteur
contrastant d'une façon singulière avec son état ordinaire-
ment maladif, il prend part à la discussion avec le calme et
l'autorité que vous lui connaissiez.…
Mais je me tais!... Je ne saurais m'étendre plus longue-
ment sur ce point, sans risquer d'empiéter sur les attribu-
tions de son successeur qui aura à faire son éloge en séance
publique.
Le désir exprimé par le défunt, qu aucun discours ne fût
prononcé sur sa tombe, enleva à ses funérailles le cachet
oificiel que lui aurait évidemment imprimé la présence d'un
très grand nombre de hauts personnages. En revanche, il
lui donna le caractère affectueux qui lui seyait mieux..!
I] donna à ce grand deuil la profonde sympathie qui repré-
sentait mieux la simplicité de notre collègue et qui remplis-
sait tous les cœurs.
res
OS NOTES EE CTET DOS DO
ADIEU
A M. LE GÉNÉRAL
DE JACQUELOT pu BOISROUVRAY
Membre honoraire
Décéné À Lyon Le 23% Mans 1944
ALLOCUTION PRONONCÉE A L'ACADÉMIE
Le 81 Mars 1911
Par M. G. ACREMANT
President
Messieurs,
À. maladie de M. le Général de Jacquelot du Boisrouvray,
dont je vous confiais l'angoissante nouvelle, il y a deux
._ Semaines, a eu, hélas ! une issue fatale. Le mieux que nous
nous plaisions à espérer ne s'est pas produit, et, quelle que
fat sa robuste constitution, notre distingué collègue a été
terrassé autant par la douleur d’avoir perdu deux de ses
enfants qu'il chérissait, que par les souffrances qu'il a
endurées pendant cinq longs mois avec un calme que rien
ne put abattre.
L'éloignement nous a privé de la consolation d'aller le
saluer une dernière fois et de lui adresser un suprême adieu.
Mais ce n'est pas une raison pour que quelques mots
d'amitié et de respect ne soient pas adressés à sa mémoire,
— 260 —
Pendant son trop court passage à l'Académie, il a laissé,
(à Arras, comme du reste dans toutes les villes où il a
séjourné), de si excellents souvenirs, il a réussi à s'entourer
de si vives sympathies, que nos cœurs saignent encore en
songeant au moment où il nous a brusquement quittés pour
aller terminer ses jours aussi loin.
C'est pour cela que j'aurais volontiers retracé sur son
corps ses longs et brillants états de service. Il me semble
même que j'aurais trouvé quelques paroles éloquentes pour
rappeler le magnifique tribut qu'il a payé à l'histoire du
pays!
René-Yves-Marie Vicomte de Jacquelot du Boisrouvray,
issu d'une vieille maison bretonne, est né à Quimper le
23 juillet 1848. |
Le 19 octobre 1867, à l'âge de 19 ans, il entra à l'Ecole
Spéciale Militaire de St-Cyr, où il perfectionna ses études,
à tel point que deux ans plus tard, en 1869, il sortait major
de sa promotion.
La guerre néfaste de 1870 le trouva sous-lieutenant-élève
à l'Ecole d'application d'Etat-Major.
Malgré son vif désir d'être incorporé dans un régiment
de marche, il reste pendant quelques mois à l'Ecole. Enfin
ses vœux sont exaucés le 8 septembre 1870. Il est d'abord
attaché à l'Etat-Major du 3° secteur de la défense de Paris
et, peu après, il passe à l’Etat-Major du 1° Corps de la
2e armée. Le 27 novembre 1870, il est nommé lieutenant à
l'Etat-Major de la 1r° Division de l'armée de réserve de
Paris et prend part aux batailles du Bourget, Champigny,
Buzenval, puis au deuxième siège de Paris, contre la
Commune.
Lors de la suppression de l'état-major, lui, qui avait été
lieutenant, puis capitaine de cavalerie au 7° dragons à
” Versailles est nommé capitaine au 31° d'infanterie.
Le 31 décembre 1873, il passe au 1° zouaves et fait cam-
” pagne en Àfrique du 41 mars 1875 au 28 mars 1877.
— 261 —
I] se fait alors détacher au Gouvernement de Paris et à
quelque temps de là, le 16 janvier 1878, il épouse Mile Jeanne
de Faure qui, pendant sa terrible maladie a soigné son mari
avec un dévouement admirable et ne peut aujourd'hui se
consoler de la perte cruelle qu'elle vient de faire.
Le 21 octobre 1887, M. le Commandant de Jacquelot du
Boisrouvray est nommé chef d'état-major de la 17e Division
d'Infanterie et le 5 décembre 1890, nous le retrouvons pro-
fesseur d'art et d'histoire militaires à l'Ecole Spéciale de
St-Cyr. Pendant ces conférences, par le charme desa parole,
par la sûreté de son jugement, par le tranchant de ses rail-
leries, ilfitsur ses élèves uneimpression profonded'érudition,
jointe à une modestie sans bornes. Il suscita dans son
auditoire les plus nobles sentiments, faisant tressaillir les
cœurs les moins adonnés tour à tour de patriotisme et
d'admiration, à tel point qu'au bout de trois ans, le Général
commandant l'Ecole ne put s'empêcher de regretter le départ
d'un pareil professeur.
Le lieutenant-colonel de Jacquelot attaché comme sous-
chef d'Etat-Major au 2° Corps d'Armée à Amiens fut appelé,
le 20 septembre 1898, au grade de colonel à Besançon.
Dans cette ville, il commanda le 60° d'infanterie, pendant
que le colonel Brun commandait le régiment d'artillerie de
cette garnison. Les deux colonel: apprirent alors à se con-
naître, à s'estimer, à s'aimer. Les deux frères d'armes se
lièrent d'une affection sincère que rien ne put ternir.
Le 7 avril 1903, le colonel de Jacquelot du Boisrouvray
fut nommé Gouverneur militaire de Maubeuge avec le titre
de Général de Brigade. Il conserva pendant deux ans ces
fonctions et fut nommé à la fin de l’année 1905, le 25 sep-
tembre, Général commandant la 3° Brigade d'Infanterie à
Arras.
Il y a lieu de placer ici l'un des actes du Colonel Brun,
devenu Général et Ministre de la Guerre, et qui lui fait le
plus grand honneur. Le Général de Jacquelot du Boisrouvray
— 962 —
semblait avoir été oublié: il allait être mis à la retraite
comme Général de Brigade. Le Général Brun pensa à son
ancien camarade, dès son arrivée au Ministère, et lui confia
un poste vraiment digne de ses qualités. Le 23 décembre
1909, il le chargea d'aller gouverner la place de Lyon avec
le grade de Général de Division, Commandant supérieur
de la défense. | |
Le Général de Jacquelot du Boisrouvray s'acquitta de
ses nouvelles fonctions avec l'autorité et la compétence
qu'il apportait en chaque chose... Je n’en veux citer comme
preuve, que le Gouvernement, voulant le remercier de son
zèle infatigable, attacha sur sa poitrine, il y a quelques mois,
la croix de Commandeur de la Légion d'honneur. ‘
Tels sont esquissés à larges traits les états de service de
cet excellent militaire.
On pourrait y puiser plus d'un enseignement utile; car
la récompense arrive généralement à celui qui la mérite.
et qui n'abandonne jamais la foi en l'avenir.
Entre temps, le Général de Jacquelot du Boisrouvray,
rédigeait tantôt des livres d'histoire que modestement il n'a
pas signés, tantôt des brochures ou articles militaires, tels
que : Quatre problèmes tactiques... qu'il publiait dans la
Revue militaire du Général Langlois.
C'est sous ce dernier rapport surtout, qu'il nous apparte-
nait. Ses qualités, en effet, d'écrivain de haute valeur ne
tardèrent pas à le signaler à l'attention de tous et, le 22 mars
1907, l'Académie d'Arras fut heureuse de le compter au
nombre de ses membres honoraires.
A partir de cette époque, il se fit un plaisir de compter
parmi les membres les plus assidus de notre Compagnie. Il
fit même, au cours de ses séances hebdomadaires, plusieurs
lectures qui sont conservées avec soin dans nos Mémoires.
La première concerne Les Compagnons Artésiens de du
Guesclin, les Enguerrand de Hesdin, les Baudoin d'Hanne-
— 263 —
quin, les Lallemand de St-Venant, les Geoffroy d Aire, etc.
Cette étude est écrite dans un style clair, agréable, d'une
manière toute pittoresque et avec une netteté et une franchise
toutes militaires. On sent que l'historien a laissé marcher
se plume au gré de sa pensée, aussi nous pouvons d'autant
mieux l’apprécier. « Le styl:, c'est l'homme » a dit Buffon.
Il nous est donc loisible de juger l'écrivain, d'après la voix
habituée au commandement, d'après la verve sans aucune
emphase, avec laquelle ce manuscrit a été rédigé eten con-
clure que l'auteur possédait à un degré très-intense la
véritable qualité du franc breton : la violente affection.
Dans tous ces mémoires, il prend à bon droit la défense
des académies de province, où l'on sait «aimer sa petite
patrie, dans la grande, sans que celle-ci n’aitrien à y perdre».
Dans ces sociétés de savants modestes, l’on sait, disait-il,
que « révéler un héros obscur, un honnête homme longtemps
. méconnu, c'estenrichir ne füt-ce que d’une obole le trésor
de gloire de la France ».
Aussi nous entretient-il dedeux hommes : Jehan et Nicolas
de Coëtanlem dont les « hauts faits, en leur mérite discret,
_ ont été longtemps voilés par le brouillard des siècles ». Ce
sont, non pas deux corsaires, le mot est trop brillant ! mais
deux véritables et célèbres pirates. Et cependant ils ont
donné naissance à la grande famille des Goësbriant.
Une autre fois, il nous parle du Maréchal Arnould
d’Audrehem dont la « longue et glorieuse carrière lui valut,
à sa mort, le suprême honneur de la SÉpAUEe à Saint-Denis,
au-milieu des rois ».
Je me souviens avoir été très frappé par le portrait que
l'écrivain a tracé d'Arnould d'Audrehem et je demande
l'autorisation de vous le rappeler : « Arnould d'Audrehem,
s'écriait-il, est un homime de second plan... dont l'histoire
se borne à mentionner le nom et qui, cependant, ont rendu
à leur pays des services, sinon aussi brillants, du moins,
aussi utiles que bien des grands premiers rôles. Il était, de
— 264 —
son vivant, l'un des hommes les plus connus et les plus
estimés de France; ses contemporains n'admiraient pas
seulement une vaillance qui le mettait hors de pair; ils
s'inclinaient plus encore devant ses qualités morales, son
désintéressement, son dévouement au bien public, sa loyauté,
sa droiture impeccable et le considéraient comme le type,
l'idéal des chevaliers. D'autres ont une carrière plus écla-
tante; mais dans la sienne, du premier au dernier jour, on
ne peut relever ni une tache, ni une ombre... C'est un
mérite qui en vaut bien d'autres... »
Ce portrait, créé de pied en cap, et pourtant fait de main
de maître, me laissa longtemps réveur!
N'est-ce pas, me disais-je, son propre portrait que l'auteur
a voulu dépeindre et qu'il a amoureusement dessiné? Ne
sont-ce pas ses traits admirablement reproduits ?
M. le Général de Jacquelot du Boisrouvray était, en effet,
d'une droiture d'intention absolue. Sa rectitude de conduite,
sa finesse et sa parole toujours affectueuse et condescen-
dante l'ont fait estimer de tous ceux qui ont eu le bonheur
de l'approcher.
Mème dans les réunions intimes, il lui venait sur les
lèvres le mot juste, car il excellait à résumer les joies débor-
dantes de la famille en une phrase d'une exquise amabilité.
Aussi sa mort occasionnera-t-elle dans l’armée le plus
grand vide!
Ce vide se fera sentir même au sein de notre Académie:
mais l'impression qu'il y a laissée ne sortira pas de nos
esprits reconnaissants.
I] nous suffira, pour le représenter à notre souvenir, qu'à
nous rappeler les petits dessins qu'il faisaitsi bien à la plume,
tout en écoutant, pendant nos réunions publiques et que
chacun de nous se disputait après la séance. Nous n'aurons
qu'à nous remettre en mémoire le splendide album qu'un
soir il voulut bien nous communiquer et qui est destiné à
— 965
perpétuer chez ses arrière-petits enfants l'amour de la petite
patrie. Nous n'aurons enfin qu'à regarder autour de nous,
qu’à admirer le tableau qu'il nous a donné à la veille de nous
quitter. Ce sont quelques types de « Ma Vro », mon pays,
a-t-il écrit lui-même. Son habile crayon nous a, en effet,
représenté quelques Bretons de Concarneau, Quimper,
Trégunc, Grandchamps, Pont-Croix... Ce ne sont que de
simples images, mais des images qui nous parleront au
cœur, et, chacun de nous, en les contemplant, ne pourra
faire autrement que se rappeler en même temps la puissance
de travail, la distinction et la variété d'instruction de celui
qui les a faites. et ce que le pays perd en le perdant.
216,» ate,2tc,2!e, 2 6,2! sn 000000000000 NOOOOU
RARE ARENEESNNE
RARE Wa os Were: etre ts We
PAROLES PRONONCÉES
PAR
M. G. ACREMANT
Prestient
AUX
FUNÉRAILLES DE M. RICOUART
Membre résidant
le lundi 17 Juillet ror1.
Mesoames, Messieurs,
FE y a un mois à peine, dans une séance solennelle de
«à l'Académie, nous constations que bien des membres
nous avaient quittés pendant cette première partie de 1911,
et nous exprimions l'espoir que les six derniers mois nous
seraient plus propices.
Le sort en a décidé autrement, car ce matin mème, nous
devons adresser nos derniers hommages à celui qui sut être
l'un des plus travailleurs et en mème temps des plus assidus
de nos collègues, M. Louis-Victor-Joseph Ricouart.
Le cortège d'amis qui se presse derrière son cercueil,
témoigne de l'estime générale dont il jouissait el de la sin-
cérité de l'affection dont 1l était l'objet.
L'Académie d'Arras prend une part bien vive à cette
tristesse publique qui est presque pour elle un deuil de
— 267 —
famille, et c'est les larmes aux yeux que nous voyons dis-
paraître un de nos plus vénérés doyens d âge.
Il ne m'appartient pas de vousdire avec quelle conscience
et quelle intelligence M. Ricouart sut remplir les délicates
fonctions, à la tête de notre Cité, de conseiller municipal (1)
d'abord et d'adjoint (2) ensuite. Pendant plus d'une année,
il dirigea, à titre intérimaire, l'administration de la ville (3)
et s'acquitta de toutes les charges inhérentes à cette haute
situation avec une force d'âme, une droiture d'espritet une
connaissance des affaires véritablement remarquables.
Dois-je rappeler que sur sa poitrine fut épinglée par le
Président Carnot, la Croix de la Légion d'honneur ? (4).
M. Diéval, vice-président de la Société typographique de
secours mutuels, vous redira le zèle avec lequel il fit de la
mutualité sa préoccupation constante.
Je préfère vous parler de son entrée à l'Académie et des
exemples que son amour du travail a inculqués aux cher-
cheurs et aux fidèles des lettres, des sciences et des arts.
En même temps qu'il manipulait les produits chimiques
dans son officine de pharmacie, il réfléchissait à la version
latine qu'il s'était imposée et qu'il qualifiait modestement :
« Essai de traduction fidèle » des Astronomiques de
Manilius. |
Il soumit son travailau concours de l'Académie, et celle-ci,
toute heureuse d’avoir enfin à récompenser une œuvre d'un
véritable mérite, lui accorda sa plus grande médaille.
Elle voulut plus d'ailleurs ; peu de temps après, notre
Compagnie admit M. Ricouart à prendre plate dans un de
ses fauteuils. |
A aucun moment, elle n'eut à le regretter. Son nouvel
(1) I fut nommé conseiller municipal le 21 décembre 1874.
(2) I fut nommé adjoint au maire le 9 novembre 1876.
(3) I fut adjoint faisant fonctions de maire du 10 juin 1879 au
44 aoùt 1880.
(4) 11 fut décoré de la Légion d'honneur le {er juin 4889.
— 968 —
élu sut devenir le membre le plus fidèle de ses réunions. Il
ne se passa guère d'année où nos mémoires n'eurent à enre-
gistrer l'une de ses communications.
Quand il ne sacrifia pas à la nécessité de notre besogne
intérieure, en rédigeant les rapports de nos concours, ce fut
pour nous faire part de ses œuvres personnelles. Et l'on sait
si celles-ci furent variées.
Il excella dans tous les genres. La critique littéraire lui
fut aussi accessible que la fantaisie. Ne se peignit-il pas lui-
même dans une poésie délicate de sentiment et de forme :
le vagabond ?
Aujourd'hui que nous sommes devant son cercueil, nous
nous souvenons de sa gaité et notre émotion se fait d'autant
plus intense que nous nous trouvons en face de la mort et
que sa gaîté témoignait du plus ardent amour de la vie.
Mais, à côté des œuvres jolies et gracieuses, il y a les
œuvres fortes. On en compte un certain nombre dans le
patrimoine qui nous est légué par notre regretté confrère.
Parmi les historiens de notre province, n est-il pas un de
ceux dont les travaux auront été les plus féconds ? La vie
intime de chacun de nos villages, des plus grands hameaux
jusqu'aux plus modestes bourgades, l'attira de tous temps.
L'explication des noms quils portent, et qui sont le plus
souvent la matérialisation de leur caractère, fut le problème
qu'il essaya de résoudre. Et vous savez tous, Messieurs,
avec quel succès 1] y parvint.
J] lui fallut plus de dix ans derecherches. Mais qu'importe
le temps, lorsque l'on constate aujourd'hui quele monument
échafaudé par lui, pierre à pierre, demeure debout et le
restera dans l'avenir, superbe et définitif ?
Nous voulons ne pas nous souvenir du silence que
M. Ricouart conserva durant les dernières années de sa vie.
Nous l'avons aimé en pleine activité, dans l'épanouissement
de sa belle intelligence. C'est ainsi que nous le revoyons.…
Et nous adressons à sa famille l'expresssion de nos con-
doléances très respectueuses.
UNE COMMUNE MODELE
Dans la lutte contre l'alcoolisme
PAR .
M. J. SION
Membre résidant.
miser ten (1) est une de ces grosses
(Ag agglomérations que l'exploitation des mines de houille
a fait, pour ainsi dire, surgir de terre dans le bassin du
Pas-de-Calais. C'était déjà, il y a une dizaine d'années, un
bourg de 7.000 à 8.000 habitants. La rivière qui le traverse
était d'ordinaire sillonnée par de nombreux bâteaux. De
tous côtés, s'élevaient des hautes cheminées, quiindiquaient
un développement considérable de l'industrie. On y trouvait,
en effet, des mines de charbon, des fours à coke, une
verrerie, des hauts-fourneaux. Une large part avait été
laissée à l'agriculture. D'immenses champs de blé, de bette-
raves, d'avoine, de pommes de terre s'étendaient jusqu'aux
murs d'enceinte des usines.
À en juger par ces apparences, les habitants de St-Martin
(1) 11 n’y a pas, dans le Pas-de-Calais, d'agglomération du nom de
Saint-Martin-en-Gohelle. Mais j'ai cru intéressant de réunir dans une
commune imagigaire ce qui se fait de divers côtés pour lutter contre
l'alcoolisme.
— 270 —
devaient jouir du bien-être que l'on est en droit d'attendre
d'un travail continu, convenablement rémunéré. Hélas !
quelle déception était réservée à l'observateur attentif ! Les
jours de paie, les cabarets, bien que très nombreux, étaient
pleins de consommateurs. On y voyait, autour des tables,
des hommes et même des femmes et des enfants dans un
état d'ébriété plus ou moins prononcé. Beaucoup d'entre
eux restaient là jusqu'à la fermeture des débits. Dans les
rues, on rencontrait des groupes d'hommes surexcités,
quelques-uns se tenant à peine debout; parfois des femmes
et des enfants débraillés les accompagnaient. L'intérieur des
maisons offrait un tableau non moins attristant. Partout le
désordre et la malpropreté. Les chaussures et les vêtements
salis par le travail traînaient de tous côtés ; les tables étaient
couvertes de vaisselle à nettoyer ; les chambres présentaient
un aspect désolant. Les autres jours de la quinzaine, la
population était plus calme; mais le spectacle n'en restait
pas moins forttriste. Les hommes, mal nourris, mal couchés,
mal entretenus, accablés sous un travail excessif de onzeet
même douze heures, portaient sur toute leur personne la
marque de la souffrance, de l'épuisement et de la décrépitude.
Les femmes, sans instruction, trop souvent laissées sans
argent pour subvenir aux besoins de leurs familles, n'avaient
pas l'amour de leur maison et ce respect d’elles-mèmes qui
aurait dû constituer leur plus belle parure. Faute d'écoles
assez spacieuses pour les recevoir et d'une surveillance vigi-
lante pour les y faire aller, beaucoup d enfants, tout dégue-
nillés, couraient les rues et faisaient l'apprentissage du vice.
Les champs eux-mêmes, par suite du manque de main-
d'œuvre, étaient mal cultivés.
| à ; +
Quel fléau avait donc passé sur cette malheureuse cité ?
C'était l’alcoolisme, avec toutes les misères qu'il traîne après
lui.
— 271 —
N'avait-on donc rien fait pour le combattre ? Des efforts,
plus généreux qu'efficaces, avaient été tentés. Des prêtres
dans leurs églises, un pasteur dans son temple, avaient fait
de beaux sermons et tonné contre l'ivrognerie; mais ils
avaient prêché devant un petit auditoire de fidèles qui
n'avaient ni besoin de conversion ni zèle pour remplir
“autour d'eux le rôle d'apôtre. Les instituteurs avaient fait
aux adultes des conférences, dans lesquelles ils avaient trop
insisté sur les conséquences extrêmes de l'alcoolisme; en
voulant produire des preuves trop frappantes, ils avaient
dépassé le but. Personne ne voulait se reconnaître dans le
fou alcoolique tuant sa femme et ses enfants, ni dans le
malheureux en proie sur la rue à une crise de delirium
tremens.
*
* +
Fallait-il donc se laisser aller au désespoir ?
Il se trouva un homme de cœur pour tenter un suprême
effort. C'était le maire, un docteur en médecine, qui n'avait
accepté l'écharpe municipale que sur les vives instances de
ses concitoyens. D'un dévouement vraiment admirable,
mettant sa grande science au service de tous, pauvres comme
riches, distribuant généreusement sa fortune aux miséra-
bles, il était l'objet de l'estime universelle. 11 aima ses
concitoyens au point de risquer sa popularité dans l'applica-
tion de mesures propres à déraciner leurs habitudes d'intem-
pérance. |
Il commença par s'assurer le concours de ceux qui pou-
vaient l’aider dans son œuvre de régénération : ses collègues
du Conseil municipal, les ministres descultes, les instituteurs
et les institutrices, des fonctionnaires, des hommes et des
femmes de bonne volonté.
Sachant que la première condition pour combattre un mal,
c'est d'en connaître la cause, il rechercha avec ses collabo-
rateurs les raisons qui poussent l’homme, en général, et
— 272 —
l'ouvrier, en particulier, à l'abus des boissons alcooliques.
Les plus importantes, à leur avis, peuvent être formulées
de la manière suivante :
L'homme astreint à un travail, surtout à un travailmanuel,
fatigant et trop longtemps prolongé, finit par le considérer
comme un fardeau asservissant, par perdre le goût de toute
culture d'esprit et par ne plus savoir goûter que les plaisirs
des sens. |
L'ouvrier qui a commencé à fréquenter le cabaret y
éprouve des jouissances faciles, qui n'exigent ni effort
cérébral ni sens esthétique. Il y retourne pour renouveler
ces sensations, pour revoir des amis, pour se retrouver dans
une salle qui présente un certain confortable sous le rapport
de l'espace, de la température, de la lumière.
Dès lors, l'habitude est prise et ses conséquences sont
incalculables.
Le mari rentrant presque toujours en retard, la femme
cesse de préparer les repas pour l'heure voulue ; elle perd,
en mème temps, le goùt de tenir proprement son ménage,
ses enfants, le linge de la famille ; elle-méme finit par
chercher quelques instants de joie hors de sa maison ; les
enfants, qui ne sontpas prêts pour l'ouverture de la classe et
dont les vètements ne sont pas en bon état, font l'école
buissonnière. Quelquefois, par sa négligence, la femme a
été la cause première de tout le mal. Elle a commencé par
ne pas tenir son ménage, souvent faute de connaissances
suffisantes pour la préparation des aliments et l'entretien de
la lingerie. Et alors le mari est allé chercher ailleurs ce qu'il
ne trouvait pas chez lui.
Une autre cause de l'alcoolisme réside dans l'ignorance
ou dans une connaissance incomplète des méfaits les plus
ordinaires de l'alcool. Dans des conférences, on a menacé
l'ouvrierde maux terribles dont il a rarement vu des exemples
et il n'a découvert là qü'un épouvantail ridicule. II sé figure
souvent d'ailleurs que l'alcool réchauffe ét nourrit cèlui qui
— 273 —
l'absorbe, que l'alcoolisme n'existe que là où il y a abus de
liqueurs fortes, que celui-là seul est alcoolique qui se met
fréquemment en état d'ivresse.
La multiplication des cabarets, le manque d'application
de la loi et des arrêtés sur l'ivresse publique et la police des
débits de boissons, l'admission d'enfants dans les lieux
publics doivent être considérés comme des plus funestes.
Assurément le cabaret ne peut pas vivre s'il n'a pas de
clientèle ; mais aussi longtemps qu'il existe, il est une ten-
tation permanente à laquelle l’homme faible et celui qui n’a
déjà plus la libre disposition de lui-mème ne savent pas
résister.
L'homme ignore souvent le respect qu'il se doit à lui-même
et le tort qu'il se fait et qu'il fait aux siens en se laissant
aller aux excès de boissons ; il manque d'instruction et, ce
qui est plus regrettable encore, de jugement et de volonté.
Dans bien des ateliers, on fait la collecte le matin et on
charge un jeune apprenti d'aller chercher de l'eau-de-vie ou
du genièvre qu'on distribuera à chacun selon sa mise. Pour
payer l'enfant de sa peine, on lui donne un demi-verre, qu'il
n oserait refuser dans la crainte de devenir un objet de déri-
sion pour tout l'atelier. Ce sont ses premiers pas sur la route
fatale de l'alccolisme.
+ jé #
S'étant ainsi rendu un compte exact de la situation et des
causes qui l'avaient produite, le maire et ses amis se mirent
résolument à l'œuvre et ne perdirent jamais de vue le but à
atteindre, malgré quelques échecs partiels, malgré les sar-
casmes de ces gens qui critiquent toutes les innovations et
se contentent de gémir sur les plaies du temps présent.
Le maire comptait au nombre de ses compagnons de lutte
quelques gros industriels. Leur concours lui fut des plus
précieux. Il leur suggéra l'idée de diminuer le nombre des
heures de travail, afin que l’ouvrier eût une meilleure santé
18
— 274 —
et s’appartint un peu plus. Il obtint aussi d'eux que le repos
hebdomadaire fût rigoureusement observé dans les ateliers.
Leur exemple fut contagieux grâce surtout à ce fait cons-
taté : malgré la diminution des heures de présence, le rende-
ment était meilleur et aussi considérable. Dès lors, le maire,
secondé par de nombreux patrons, qui mettaient volontiers
à sa disposition leur influence morale et même des ressources
pécuniaires, put donner libre cours à son initiative.
Il prit plusieurs mesures énergiques, dont ses amis
s'efforcèrent de faire comprendre l'utilité. Il exigea, au
moyen du service de la police, l'application intégrale et
impitoyable de la loi sur l'ivresse publique et des divers
arrêtés destinés à assurer la bonne tenue des débits de
boissons. Il favorisa l'ouverture de cantines où l'on ne
vendait pas de liqueurs alcooliques. Autant que la loi le lui
permettait, il sopposa à l'augmentation du nombre des
cabarets. Les tenanciers de ces établissements, les brasseurs,
les négociants en liquides le maudissaient ; mais ilse sentait
approuvé par la partie saine de la population et surtout par
les mères de famille, qui ne voyaient plus leurs maris et leurs
fils revenir en état d'ébriété, à des heures plus ou moins
avancées de la nuit.
On fit bâtir des écoles maternelles, des écoles spéciales de
garçons et de filles, bien vastes, bien aérées, où les enfants
étaient reçus par des maitresses et par des ares qui leur
faisaient un accueil affectueux.
Un bon fonctionnement de la caisse des écoles, alimentée
par des cotisations minimes mais très nombreuses, permit
des distributions fréquentes de vètements et de chaussures
aux élèves indigents et l'installation d'une cantine scolaire,
dont parents et enfants furent très heureux. Mais ceux-ci
durent se montrer dignes de tant d'efforts accomplis en leur
faveur. Une fréquentation régulière et exacte fut exigée et
la loi d'obligation scolaire, strictement appliquée avec toutes
les sanctions qu'elle comporte. Les secours du Bureau de
— 275 —
bienfaisance furent refusés aux familles dont les enfants
n'allaient pas à l'école d'une manière suivie.
Sur la demande du maire, Jes ministres des cultes prirent
pour thème de leurs sermons le respect que l'homme se doit
à lui-même comme créature de Dieu; le suicide en détail
et cependant réel dont il se rend coupable lorsqu'il s'adonne
aux excès; les devoirs de famille : obligations réciproques
des époux, des parents et des enfants; la gravité de la faute
de ceux qui donnent le mauvais exemple et l'obligation qui
incombe à chacun de nous non seulement de faire le bien,
mais encore de tächer d'éloigner du mal ceux qui nous sont
attachés par les liens du sang et de l'amitié.
De leur côté, les instituteurs et les institutrices furent
invités à insister dans leurs leçons de morale et toutes les
fois que l'occasion s'en présenterait, sur les charmes de la
vie de famille, sur les avantages de la tempérance, sur les
conséquences de l'alcoolisme à tous égards : physique,
intellectuel, moral, économique. Des tableaux représentant
de belles scènes de la vie de famille ou de la vie des champs
ornèrent les murs des classes. Dans les écoles de garçons,
les maîtres organisèrent des sections de la ligue antialcoo-
lique « l'Étoile » et des insignes furent distribués aux enfants
qui les portèrent fièrement. Ils fondèrent aussi des sociétés
de mutualité et montrèrent les bienfaits de l'épargne et des
assurances sous toutes leurs formes. S'engager à épargner,
à payer une prime d'assurance, n'est-ce pas du même coup
s'interdire toute dépense blämable ou même simplement
inutile et, à plus forte raison, funeste ?
Comme médecin, le maire était tout qualifié pour faire
des conférences aux adultes. I] parla avec un tact et un
accent de sincérité qui imposèrent la conviction. Il insista
principalement sur les idées ci-après.
On peut étrealcoolique sans s'enivrer, l'habitude de l'usage
excessif de l'alcool étant suffisante.
Sous quelque forme qu'il soit absorbé : bière, cidre, vin,
…. 276 —
eau-de-vie, genièvre, absinthe, anisette, etc., l'alcool est
toujours dangereux du moment qu'il est pris avec excès :
mais il n'est jamais plus nocif que lorsqu'il est absorbé à
jeun et sous la forme d'eau-de-vie, de genièvre, d'absinthe.
L'alcool produit un affaiblissement général qui fait que
l'ouvrier devient de moins en moins apte au travail, de plus
en plus exposé aux accidents.
Ce n'est qu'en apparence que l'alcool est fortifiant; en
réalité, c'est un excitant mauvais qui rend l'organisme plus
exposé à contracter les maladies, moins fort pour y résister ;
de telle sorte que l'alcoolique succombera à une maladie à
laquelle l'homme sain offrira moins de réceptivité et qu'il
supportera sans peine.
L'une des habitudes les plus difficiles à déraciner fut celle
de la collecte pour l'alcool, le matin, dans les ateliers.
Résolument plusieurs patrons l'interdirent d'une manière
absolue. En mème lemps, ils organisèrent une distribution
de lait ou de café bien chaud et bien sucré à un prix très
modique. Après quelques résistances, cette innovation fut
accueillie très favorablement.
D'autres conférences furent faites par des hommes com-
pétents dans le but de montrer la possibilité pour tout
ouvrier économe de devenir propriétaire de sa maison. Un
certain nombre d'industriels s'unirent et fondèrent une
société pour la construction d'habitations ouvrières.
Le maire comprit que pour détourner les jeunes gens et
les hommes faits des cabarets, il fallait, pour ainsi dire,
leur offrir une compensation. À coup sùr, il estimait que la
vie de famille est la meilleure garantie de la moralité ; néan-
moins il jugea utile de créer ou de favoriser quelques
œuvres de nature à procurer des distractions aux ouvriers.
Pour les jeunes gens, 1l encouragea la fondation de sociétés
de musique, de gymnastique, de tir, de balle au tamis, de
foot-ball, etc. Il subventionna ces sociétés à la condition que,
plusieurs fois dans l'année, elles organiseraient des fêtes
publiques. |
— 271 —
Aux hommes faits, il procura d’autres distractions, qui
furent très appréciées.
La rivière qui traverse le territoire du bourg avait été
autrefois très poissonneuse ; elle avait cessé de l'être pour
plusieurs raisons, dont la principale était le braconnage. Il
en fit opérer le repeuplement avec le concours de quelques
amateurs. Une surveillance plus active fut assurée et bientôt,
à la belle saison, le dimanche, on vit beaucoup de familles
aller passer joyeusement la journée sur le bord de l’eau.
Beaucoup de pècheurs ne cessaient guère leurs exploits que
pendant les grands froids et les semaines où la pêche est
interdite.
La partie basse du territoire de la commune n'était guère
cultivable à cause de son extrême humidité. On pratiqua
l'écoulement des eaux et on partagea le terrain en petits lots
de deux à trois cents mètres carrés, qu'on loua, à très bas
prix, aux ouvriers, qui en furent enchantés. A St-Martin
comme ailleurs, les jardins populaires ont exercé une
influence des plus heureuses au point de vue moral.
Mais le maire demeurait convaincu que sa meilleure auxi-
l'aire c'était la mère de famille qui, en assurant aux siens le
bien-être, le confortable, les douceurs d'un foyer agréable,
les retient auprès d'elle et les garantit contre la tentation
d'aller chercher des jouissances dans les cabarets. C'est
pourquoi il attacha une extrème importance à l'éducation des
jeunes filles au point de vue économique. Il demanda aux
institutrices de faire une part aussi large que possible à
l'enseignement ménager. Il leur fournit tout ce dont elles
avaient besoin, à cet égard, aussi bien pour les classes du
soir que pour celles du jour. Il venait souvent aux séances
et, comme médecin, il prouvait aux jeunes filles l'action
qu'une cuisine, tout à la fois simple et bien comprise, peut
exercer sur le physique et même sur le moral de la famille.
En même temps, les institutrices leur enseignaient la
manière de lessiver et d'entretenir le linge, de confectionner
— 278 —
des vêtements d'enfants, de soigner des fleurs et d'orner la
maison à peu de frais.
*
*k +
Le maire et ses collaborateurs se sont consacrés à leur
œuvre avec un zèle au-dessus de tout éloge. Ils en ont trouvé
la récompense dans les résultats obtenus. L'alcoolisme a
presque entièrement disparu de la cité, et si parfois, le jour
de paie, on rencontre encore quelques ivrognes, on peut
affirmer qu'ils sont de plus en plus rares. L’aisance, la paix
et le calme règnent dans les maisons et il est certain que le
progrès s’accentuera au fur et à mesure que les enfants,
aujourd'hui dans les écoles, grandiront et prendront mieux
conscience de leur dignité et de leurs devoirs comme pères
et comme mères de famille.
Je Ne
ACCORD
entre le duc de Bourgogne, Eudes IV,
et le comte de Flandre, Louis de Nevers,
AU SUJET
de diverses terres situées en Artois
(Paris, Val des Écoliers, 30 Juin 1341)
PAR
M. Louis CAILLET
Membre Correspondant
"ACCORD, dont nous publions le texte plus loin, nous
Gt révèle un curieux épisode de l'histoire des rapports du
duc de Bourgogne, Eudes IV, avec le comte de Flandre,
Louis de Nevers. Eudes IV (1), depuis la mort de la
(1) Eudes IV avait été blessé en 1328, à la bataille du Mont Cassel,
en se battant avec Philippe VI de Valois pour le Comte de Flandre.
En 1340, il avait défendu Saint-Omer contre Robert d'Artois. En
1336-1337, une partie de la noblesse franc-comtoise s'était soulevée
contre lui (Voir A. Vayssière : Documents relatifs à la révolte des
barons franc-comtois contre le duc Eudes [1336-1337]; Bulletin
de la Soc. d’Agr. de Poligny, 1876, tome xvu, p. 275.)
Il eut à lutter contre Jean de Châlon-Arlay, Thibaud, comte de
Neuchâtel, et Henri de Faucogney. En mars 1348, il y eut à Vincennes
un arbitrage du Roi de France.
On sait qu’à cette époque les Flamands s'étaient soulevés, à l'insti-
gation d’Artevelde, contre Philippe VI et leur duc, et qu'Édouard III
d'Angleterre avait récemment (24 juin 1340) gagné la bataille navale
— 280 —
comtesse Mahaut (1329) et de sa fille Jeanne (1330), possé-
dait le comté d'Artois. Il promit au comte de Flandre de lui
«asseoir » en Artois 6,000 livrées de terre, et, dès le 30 juin
4341, il lui fit assigner à Aubigny-en-Artois et dans la
garenne de Frampaux trois mille livrées (1) de paturages.
Il était convenu que, si à Aubigny on ne pouvait trouver
une telle étendue de terrains à céder, on chercherait ailleurs.
Mais le duc de Bourgogne aurait dû, pour tenir ses enga-
gements, prendre cette décision plus tôt. Aussi le comte de
Flandre exigea-t-il un dédommagement pour la perte de ses
arrérages. Le duc offrit de lui faire remettre une somme de
3,000 livres tournois qu'il devait recevoir du Roi. Mais,
comine cette somme risquait d'être supérieure aux arrérages
en question, il fut convenu qu'au cas où il en serait ainsi,
le comte de Flandre rendrait le surplus à Eudes IV (2).
En outre, comme Louis de Nevers se plaignait de n'être
pas entré en jouissance de la terre d'Estout et d'autres
terres à lui promises, on décida de faire faire une enquête (3).
L'arrêt une fois prononcé, le comte devait recevoir le
montant de tous les arrérages perdus par la faute du duc.
Mais là ne se bornaient pas les exigences du comte de
Flandre. Ainsi, il réclamait le tiers de tous les biens meubles
laissés par la reine (#) en Artois (joyaux, deniers, vais-
de l'Écluse. Mais, le 25 septembre 1340, une trêve d'un an avait été
signée daus une chapelle, près d'Esplechin (Trève d'Esplechin).
Au sujet de la situation du comté d'Artois au début du XIVe siècle,
voir Lefrancq : iobert III et le comté d'Artois au rommencement du
XIVe siècle (Positions de Mémoires présentés à la Faculté des lettres
de l’Université de Paris, de 1896).
(1) Une livrée de terre, c'était en principe l’étendue de territoire
procurant une rente annuelle d'une livre.
Voir no I.
(2) Voir n° II.
(3) Voir ne III.
(4) Il s’agit de Jeanne de France, la fille aïnce de Mahaut d'Artois,
(la femme d’Otton IV, comte de Bourgogne). Jeanne avait épousé
— 281 —
selles, etc.). Le ducet le comte convinrent de nommer chacun
deux représentants chargés de prendre des informations au
sujet de cette succession. Tout ce que ceux-ci trouveraient
en la possession du duc devrait, pour un tiers, revenir au
comte. Pareille enquète fut décidée au sujet des baux conclus
depuis soixante ans à compter à partir de la dernière période
quinquennale écoulée. Ceux-ci avaient encore pour mission
de rechercher si les maisons €sus sole » et les poissons des
étanes étaient des € meubles » ou des &chateux », et si,
d'après la coutume du pays, les meubles et les €chetels »
etaient une mème chose (1).
Leur rapport une fois fait, le duc serait tenu de remettre
au comte la portion qui lui revenait de par Qles conve-
nances » et Cles accords ».
Philippe V le Long. Elle avait une sœur, nommée Blanche, qui épousa
Charles IV le Bel, et une fille, Jeanne, qui épousa Eudes IV, due
de Bourgogne. C'est ainsi que la mort de Jeanne de France rendit
Eudes IV maitre de l'Artois.
Voir no IV.
(1) Les chatels ou chateux étaient les biens meubles, les rentes, les
produits de la terre, dans une foule de coutumes. En Artois, vers 1300,
on considérait « comme meuble et chatel toute maison qui n'est pas
maçonnerie à chaux et à sable ». Les inaisons de bois étaient ainsi des
meubles. (Voir Paul Viollet : Droit privé et sources; Histoire du
drofrt civil français arcompagnée de notions de droit canonique et
d'indications bibliographiques, 3° édit, Paris (Earose et Tenin),
4905, in-80, livre 11, chap. iv, milieu du K 2.) I cite l'édition, par
Ad. Tardif, des Anciennes Coulumes d'Artois (Paris, Picard, 4883),
p. 90-91. — Dans le pays de Lallæu-en-Artois [ou de l'Alleu, pays de
Laventie, ch.-l. de cant. de l'arrond. de Béthune}, on a « considéré
jusqu'en 4741 comme meubles et catheux tous les édifices... et géné-
ralement tout ce qui est sur la superticie du sol ». (Voir Viollet,
passage cité.) Mais, ajoute le savant auteur, «qu'on ne s'imagine pas
qu'au moyen âge les maisons soient restées meubles dans toute la
France. L’Artois a conservé sur ce point un sentiment d’archaï<me très
remarquable ».
Voir no V.
— 282 —
Il fut établi en règle générale que, si dans les lieux visés
par les arrangements antérieurs, il n'y avait pas suflisam-
ment de terrains pour les exécuter, on chercherait le
complément des terres à livrer dans les environs des dites
localités (1).
LeComtede Flandre prétendait encorequ'il fallait luidonner
en Bourgogne 84 livrées de terres qui restaient à lui remettre
sur les 3,000 auxquelles il avait droit (2); le Duc de Bour-
gogne lui avait bien assigné 82 livrées sur la ville et le terri-
toire de Perpillun, mais il n'avait pu encore en jouir, ce
pays étant la propriété des Chanoines de Dôle. On décida
donc qu'avant l'Assomption ou la Saint Rémi, au plus tard,
le duc trouverait un moyen d'indemniser les chanoines et
de leur offrir une compensation pour ce territoire. Dans le
cas où il échouerait, il s'engageait à trouver auprès du lieu
de Jaali les livrées de terre encore dues au Comte de
Flandre (3).
Louis de Nevers reçut encore l'autorisation de nommer un
enquêteur chargé d'évaluer le montant des sommes dont il
avait été frustré par suite du retard apporté par Eudes IV à
tenir ses engagements. Ces sommes devaient être rembour-
sées au comte sur les revenus de la Saunerie de Salins.
Toutefois, il était spécifié que les revenus du domaine des
Chauderetes, dont le duc avait disposé par ailleurs, reste-
raient en dehors des présentes conventions et qu'on dédui-
rait des arrérages en question une somme de mille florins
déjà remise au comte ainsi que 3,000 livrées de terre
promises déjà à ce dernier et auxquelles il n'entendait pas
renoncer. On défendait expressément aux gardiens, baïllis
et receveurs du chatelet de Bracon, ainsi qu'à tous les
autres officiers du duc, de s'opposer aux assignations néces-
(4) Voir no VI.
(2) Voir no VII.
(3) Voir ibidem (no VII).
— 283 —
sitées par le présent accord. Exception était faite cependant
pour les anciennes rentes (1).
Un certain nombre d'autres dispositions furent prises
pour compléter l'ensemble de ces mesures. Tout d'abord,
deux délégués du duc et deux du comte étaient chargés de
faire en Artois et en Bourgogne les assiettes en question et
de rechercher les joyaux et les meubles que la reine avait
pu laisser en Bourgogne (2).
En second lieu, il était spécifié que les habitants de Helle,
de Chissey et de Buffart devenaient les sujets du comte, tout
comme s'il avait tenu ces localités d'Henri de Bourgogne,
mais sous la suzeraineté du duc Eudes IV (3). On décida, en
troisième lieu, que le duc veillerait à ce que la rente assignée
aux chapellains de Quingey sur la Saunerie de Salins fût
régulièrement payée (#).
Deux délégués du duc et deux du comte devaient faire
une enquête au sujet des « meubles, des héritaiges et
chastieulx » laissés par Hugues de Bourgogne (5), biens
dont Louis de Nevers réclamait un tiers. Au cas où les
partis le désireraient, le Roi de Navarre pourrait se joindre
à eux et s interposer comme arbitre.
Leur pouvoir s'étendait aussi à l'assiette faite à « Este-
venant » (6). En cas de désaccord entre les commissaires
du duc et ceux du comte, le débat devait être porté devant
(1) Voir no VHI.
(2) Voir no IX.
(3) Voir no X.
{4) Voir n° XI. |
($) Hugues V, le frère et le prédécesseur d'Eudes IV, qui mourut
à Argilly, après le 27 avril 1315.
(6) Voir no XII. — Il y a Esteven et une abréviation. Estevenant
est le nom d’une monnaie. Ostrevant est bien un pays de l’Artois,
mais ne peut pas se confondre avec Estevenant. Peut-être y avait-il
Estevelles dans l'original (Pas-de-Calais, arr. de Béthune, cant. de
Lens), et ce avec une abréviation. Le scribe de 1362, n'étant pas du
pays, n'a pas su l'interpréter ; de là Estevenant.
— 984 —
Hugues Pamart et Pierre des Essars qui décideraient en
dernier ressort (1).
C'est à Paris, au Val des Écoliers, que fut passé l'accord
en question, le samedi après la fête de saint Pierre et de
saint Paul, le 30 juin de l'année 1341. De nombreux témoins
y assistèrent. Philippe de Vienne, Jean de Fraulois, Jean
de Dinteville et Jean de Savigny, chevaliers, représentaient
Eudes IV, de concert avec Hugues de Pamart, chanoine de
Paris, Élie de Dijon, chanoine de Reims, Esteve de Mou-
lins, prieur de Grancey, Esteve le Barreys et Guillaume
« Geosselin », clercs et conseillers du duc, etc.
Du côté flamand, on remarquait le Connétable de
France (2), le comte de Grant Prey, Robert, seigneur de
Saint-Venant le Chatel, Lairy de Diqueuvre, le connétable
de Flandre, Guillaume le Galois, Ilugues de Quingevy.
Eudes de Chois, chantre de Besançon, Pierre des Essars,
Michel de Paris, conseillers du Roi, Philippe d'Orbais,
doyen de Bruges, Jean Choart, etc.
Le texte qui se trouve à la suite de cet accord nest pas
l'orignal ; c'est seulement une copie, mais une copie presque
contemporaine, puisqu'elle fut faite le jeudi [11 août] après
la saint Laurent, en 1362, par Guillaume Brenier, de Chanm-
pagnol, clerc notaire de la cour de Besançon, sur un rôle
de parchemin conservé à la Chambre des comptes de Dijon.
Cette copie se trouve aujourd'hui à la Bibliothèque de Lyon
dans la collection Morin-Pons.
(1) Voir no XIII.
(2) Raoul de Brienne, comte d'Eu et de Guines, qui fut exécuté
en 1350.
— 285 —
1341, Samedi (30) juin. — Après la fête de St Pierre et de St Paul.
Paris, au Val des Ecoliers.
Accord passé entre le duc de Bourgogne [Eudes 1V] et le
comte de Flandre | Louis de Nevers] au sujet des 3,000 livrées
de terre à paturages que le duc de Bourgogne devait encore
« asseotr » au comte de Flandre, en Arlots, — accord contenu
dans une copie prise à Dijon, en la Chambre des Comptes, le
jeudi [{{ août], aprés la Saint-Laurent, 1362, par Guillaume
Brenter, de Champagnole (1), clerc de la cour de Besançon.
(Bibl. mun. de Lyon. Coll. de chartes léguée par M. Henry
Morin-Pons, en cours de classement et d'inventaire.)
Copie du XIVe siècle (1362) sur parchemin.
Donné par copie et estrait de ung role em pargemin qui est en
la Chambre des Comptes, a Dijon.
[1] Acordez est entre Monseigneur le duc de || Bourgogne et Mon-
seigaeur le conte de Flandres que In livrées de terre a paturages que
li dux li devoit asseoir en Artois en acomplissent l’assiete de Vin |]
livrées de terre coiu li dux les li assenay des maintenant sure une
partie de la garainie de Frampaux et li remenent a Aubignv (2), en
justi f] ce aute, basse et moienne et ou caus que parfaire ne les porroit
a Aubigay, il li parferoit es lieux plus prouchains, selonc la tourme
de l’acort. ||
[I] Item, parce que li dit contes demandoit plusieurs arrerages a
ly dehuz pour cause de la dicte assiete non faite ou temps dehu, acordez
est que li dux || li fera baïllier et delivrer 1I11m livres tornois de ce
que li roix doit a dit duc, laquelle somme sara rabatue a Messire le
duc de ce qu'il |} apperra a ban compe venir que li duc sera tenuz au
dit conte des arrerage dessus dit et, se trovez estoit par le conte a
faire que li dit arreraiges || ne montaissient a tant, li diz contes le
sourplux rendra au dit duc {|
[HI] Item, parce que hi dit contes dit et mantient que en l’assiete a
li faite plusicurs chouses li sont bailliés comme la terre d’Estout et
autres desquelles || il n'ait pehu Jjoir, acordez est que, ycelles vehues,
et la prisée, ce qui sera trovez qui soit en la dicte assiete, prisié [et]
don play pan || de en Parlement ou ailleurs, si ques li conte n’en puisse
Joir, comme dit est, l procureur du duc premierement entré en gairant,
se entrer || y puest et adjoint avecques cely du conte, quant a ces
(1) Champagnole (Jura, ch.-l. de cant. de l'arr, de Poligny).
(2) Aubigny-en-artois (Pas-de-Calais, ch.-l. de cant. de l'arr. de Saint-Pol:
sur-Ternoise).
— 286 —
chouses, se il est donez par sentence ou arrest, les dictes chouses liti-
gieuses non |} appartenir au dit conte et toutes autres chouses prisées
lesquelles li dux ne garantiray ou paura garantir la ou garantie se
affiert || et desquelles li dit contes ne porra johir, comme dit est, par
le acort, ou par raison, l’on ly asserra, d’autre part, selonc l’acort, et
li || saront paié li arreraiges des dictes chouses que il n’y aura receu
par le defaut du duc ou de son (1) et par ceste menieref
doit estre fait pour ce que li dux li doit garantir les chouses qu'il ly
baille. ||
[IV] Item, par ce que li dis contes demande la tierce partie de touz
les mobles que Madame la royne povoita voir ea Artois par quelconque
succession ou occa || sion que ce fut, tant des biens de Madame d’Ar-
tois (2) et de maistre Thierey (3), comme de touz autres, soit en
joyaux, deniers, vaisselle ou autres biens || meubles quelconques,
acordé est que deux personnes serant nommées des maintenant de
part le duc et deux de part le conte, auxquelx il commectrent || ou
aux deux d'eulx, l’un de la partie du duc et l’autre de la partie du conte,
que se informeront dess choses dessus dictes et ce qu'il troveront ||
qui seray trover par devers le duc ou ses genz li dux sera tenuz de
ballier et delivrer au dit conte la tierce partie des diz biens [ |, |] selonc
la fourme des convenences et acors. Il
[V] Îtem, se informeront li diz commissaires des bais de entre v anz
et 1x anz, maisons sus sole et poissons d’estangs, se ce sont moubles ||
ou chasteulx et se moubles et chastelx est une maisme chose par le
costume du pahis et ce qu'il troveront il raporteront selonc || le raport
desquelx li dux sera tenuz de bailler et delivrer au dit conte tele part
et porcion, comme a ly devray appartenir selon les convenences || et
acorts. {|
[VI] Item, que li commissaires deputé ou deputez de part le duc ce
qui y taut de terre au dit conte priseront et delivreront de fait et se
defaut ay || es lieux nommeix, il asserront le remenent aux lieux plus
prochains, selon la fourme de l’acort. ||
[VII] Item, acordé est entre noz signeurs, duc et conte, que
Hllxx X III livrées de terre que il faut au dit conte en Bourgogne de
III1m livrées de |] terre que il doit avoir et li duc li eust assis de la dicte
somme sur la ville de Pepiilim et appartenances, lIIxx II livrées de
(1) Un blanc dans le texte.
(2) La comtesse Mahaut d'Artois, la mdre de la reine Jeanne. Sur elle
voir le savant ouvrage de Jules-Marie Richard : Mahaut, comiesse d'Artois et de
Bourgogne (1387).
(3) Le célèbre Thierry d'Hireçon, évèque d'Arras, qui avait été le conseiller
très écouté de Mahaut.
Re ee mu
nn __—_—
— 287 —
terre et de la dicte || ville, li dit contes n'ait onques pehun joïr, parce
qu'elle est es chanoines de Dole et que dedanz la prochaine feste de
l’Assumpcion Nostre || Dame ou dedanz la Saint Remy (1) ensuyvant
le duc fera recompensacion aux diz chainoines de la dicte ville et pour
chaceray l'on |} consentement a ce qu’elle deviene au dit compe, et ou
caux qu'il ne le porroit pourchacier, le dit terme passé, il asserray Il
au dit conte a plus pres des lieux de Jaali baailliez en prisée le reme-
pant de c«: qui faut de la dicte assiete et aussi tout ce qui || ay estez
prisié et baillié, don le conte ne puest joïr, pour ce que li tenent des
dictes chouses dient que le duc n’y haïit ne n’ont || onques droit, les-
quelles choses doivent ensuite estre faictes lesonc (2) la fourme de
l’acort. ||
[VIII] Item, parce que li contes demande plusieurs arreraiges a luy
deuz, tant pour le delay de l’assiete de la dicte terre comme parce que
les genz || du duc ont levez, acordey est que le conte nommeray une
persone de ses genz, a laquelle li dux, commectroit de part ly et |]
par ly des maintenant la reception de toutes les rentes, revenues
et emoluments quelconques de la saunerie de Salins (3) appartenant ||
au duc et qui appartenir puent et doivent par le temps presenz et avenir,
tant en deniers, ea sel, avantures et autres chouses || a les recevoir
entierement et convertir en la paie de ce que trovez sera par bon et
loyal compte, que li dux sara tenuz au dit conte || des arreraiges
dessus diz, excepté les rentes et revenues des Chauderetes, lesquelles li
dux ait ordenez autre part, rabatu || premierement des diz arreraiges
mil florins delivrez au dit conte et le remenent jusques a Ilin livrées,
don li contes est assignez || du temps passé par lettres, lesquelles il
p'entent mie a renoncier par cest present acort et sera defenduz de
part le duc expressement a toz || gardieins, bailliz, receveurs au Chas-
tellet de Bracon (4) et a touz autres officiers dou duc qui par queconque
pecessité ou occasion que || ce soit ne empechient en acune meniere
l'assignement dessus dit et ce meisme ait promis li dux, exceptez les
rentes || aumencties, gaiges, fiez et autres pensions enciennement
aucostumées a payer, lesquelles seront puiés en la meniere acustumée. {|
[IX] Item, est acordey que li dux commectray a deux persones soffi-
senz que il se traient par delay auxquelx il donray plaine puissen ||ce,
ou nom de ly, de acomplir et parfaire la dicte assiete et toutes les
chouses dessus dictes et de oïr le conte des arreraiges, tant || en Artois
comme en Bourgogne, et li contes autres deux et li quatre ou li deux,
l'un esleu de la partie du duc et l’autre de part la || partie le conte,
(1) {er octobre,
(2) Pour selon.
(3) Salins (Jura, ch..l. de cant. de l'arr. de Poligny).
(4) Bracon (Jura, arr. de Poligny, cant. de Salins).
— 288 —
se informeront par la meniere qu'il est contenu ou quart precedant des
joyaux que Madame la roine avoit [| en Bourgogne et autres meubles,
selunc l'acort ct toutes lettres, instrumens et escriptures que puent
toucher Monseigneur le conte par cause |] de la dicte terre doit delivrer
li dux au dit conte. |]
[X] Item, est acordez que li dux feray entrer les feaulx de Helle,
de Chissey (1) et de Buffart (2) en la fay et homaige du conte, se
ensin || est que il les eust de Monseigneur Henry de Bourgogne, et il
appaire par lettres sur ce faites et touz les autres feaulx appartenans
es terres et || lieux bailliez au dit conte en prisée, ensamble toute
noblesce, obeissence et ressors, appartenans es diz lieux, sauve au duc |
la soverainetey, ressort et le fié. ||
[XI] Item, sera ordemé de part le duc que la rente des chapellains
de Quingey (3) que il hont sus la Saunerie de Salins soit paié et li
arreraiges || du temps passez par le service de deu fait et a faire que
autrement se perdroieut. {|
[X11] Ltem, est acordez que, de la tierce partie que li conte demande
des biens moubles et heritaiges et chastieulx de Monseigoeur Hugues
de Bourgogne, || l'en tendray l'ordenance faite ou darrenier acert et,
se ruieux plait au dit conte, 1l prandroit {IT personnes et h dux If ou ||
plus, si il li plait appeler aveques eulx le roy de Navarre (4) qui voie
les raisons, d'une part et d'autre, amiablement, et senz figure || de
jugement ordeneront et declaireront le droit de chascune parue, selonce
ce que en lour loyautés bon leur en semblera et ce que par || eulx en
seroit prononcié, ordeney ou determinez soit fermement tenus des
dictes parties, comme arrest de Parlement et en semblable menicre ||
determiperont et declaireront le debat qui est entre nous diz signours,
duc et conte sus l'assiete faite a Esteveuant et ele doit estre j, faicte a
bons tournois, selonc les convenences, sauve au duc lettres et autres
titres, quant es chouses et heritaiges que li dit Messire.
tenoit |, en usuftruit ou a sa vie soulement, au nom du conte, par tant
comme raison douray. ||
[XI] ltem, est acordé que, se li commissaires des diz duc et conte
p'estoient a acort de toutes les chouses dessus dictes ou d'aucunes
d'icelles, il 4 raporteroyent le descort a Monseigneur Ilugues de
Ponmort et a Pierre des Éssars, liquel en ordencront et determineront
(1) Chissey (Jura, arr, de Dole. cant. de Montbarrey).
(:) Butfuru (Doubs, urr. de Busunçun, cunt, ae Quiugey}
(5) Quiugey (Doubs, ch.-l. du canut. ue l'urr. de tfesauçun).
(+) Line sugit pus du célebre Charles de Navarre (Charies le Mauvais,
le Ulis ue Plhauppe u Evreux et de Jeuuue de France (tiile de Louis X Huuu)
Ce prince, né eu 1332, n'avait alors que 9% ans.
— 989 —
en nom des diz duc|| et conte somierement et de plain, selonc leur
loyatez et conscience et ce que dit, ordener ou determiner seray par
les dessus dit Monseigneur Hugues | de Ponmart et Pierre des Essars
sera tenuz et vaudrat atant comme arrest de Pallement. {|
Ces chouses furent faictes et acordées a Paris, au Val des Escoliers,
le samedi apres la feste Saint Pere et Saint Paul darrenier jour || de
juiog, l'an de grace mil ccc quarante hun. ||
Presens a ce par la partie du dit duc : Monseigneur Philippe de Vienne,
Monseigneur Jehan de Fraulois(1), Monseigneur Jehan de Dintevilli (2)
et Monscigneur Jehan || de Savigny, chevaliers, Monseigneur Hugues
de Pamart, chainoines de Paris, maistre Helie de Dijon, chainoine de
Reyns, Monseigneur Esteve de Molins, || priour de Grancey (3), maistre
Esteve le Barreys et maistre Guillaume Geosselin, clers et consoillers
du dit duc et plusieurs autres. ||
Et par la partie du conte, le conestable de France, le conte de
Grant Prey, Monseigneur Robert, soigneur de Saint Venant le Chas-
tel (4), || Lairy (sic) de Diqueuvre, le conestable de Flandres et M2n-
seigneur Guillaume le Galois, Monseigneur Hugues de Quingey, che-
valiers, Monseigneur Eudes de Chois, chan || tres de Besençon,
Pierre des Essars, Michiel de Paris, conseillers du roy, Philippes
d'Orbaix (5), doyen de Bruges, maistre Jehan Choart et || plusieurs
autres.
(D'une écritare très effacée, à la suite.) Copie et estrait de ung. ||
Copié a Dijon en la dicte Chambre par la main Guillaume Brenier,
de Champaignole, clers notaires et juré de la cour de Besençon, || le
jeudi apres Saint Lourens, mil ccclxnt. Guillelmus. ||
(1) 11 y a un Frolois dans la Côte d'Or (arr. de Semur-en-Auxois, cant
de Flavigny-sur-Uzerain) et un Frolois dans la Meurthe-et-Moselle (arr. de
Nancy, cant. de Vezelise, non loin de Flavigny-sur-Moselle).
(2) Dinteville (Haute-Marne. arr, de Chaumont, cait. de Chateauvillein).
(#4) Grancey-le-Château ou en Montagne (Côte-d'Or, ch.-l. de cant. de l'arr.
de Dijon), qu'il ne faut pas confondre avec Grancey-sur-Ource (Côte d'Or,
arr, de Châtillon-sur-Seine, cant. de Montigny-sur-Aube).
(4) Saint-Venant-le-Chatel (Pas-de-Calais, arr. de Béthune, cant. de
Lillers).
(5) Orbais-l'Abbaye (Marne, arr. d'Epernay, cant, de Montmort.
Nous remercions M. Le Coure DE LOYE de divers rensei-
gnements qu'il a eu la bonté de nous adresser.
| 19
CE
LEGS DE MAHAUT D'ARTOIS
aux Pauvres de Salins
d'après un Document de 1484
(17 décembre)
PAR
M. Louis CAILLET
Membre correspondant.
A AHAUT, comtesse d'Artois (1) et de Bourgogne, fit, en
mourant, des legs importants aux pauvres de ses
États. Elle n'oublia pas ceux de Salins, en Franche-Comté.
Les pauvres de cette localité reçurent d'elle une rente de
18 livres estevenans, assise sur les revenus de la Saunerie
de Salins, ou plus exactement sur la part de ces revenus qui
revenait au Roi de France. Cette somme était chaque année
remise par le trésorier du Roi en la Saunerie de Salins aux
échevins de cette ville qui pouvaient ainsi secourir les
(4) Sur Mahaut d’Artois qui avait épousé Othon IV, comte de Bour-
gogne, voir le livre de M. Jules-Marie Richard, ancien archiviste du
Pas-de-Calais : #ahaut, comtesse d'Artois et de Bourgogne (1887).
Elle mourut en 1329. Sa fille, Jeanne de France, épouse du roi Phi-
lippe Lelong, mourut en 1330, laissant une fille, appelée Jeanne aussi,
qui épousa Eudes IV, duc de Bourgogne. Blanche, la sœur de Jeanne
de France, avait épousé le roi Charles IV le Bel,
— 991 —
pauvres. C'est ce que nous apprend une quittance du
17 décembre 1484 qui fut délivrée au trésorier Jean Mougin
par quatre échevins du bourg situé au dessous de Salins :
Guion Guierche, Estevenin Girard, Jean Saiget et Jean de
Gilley. Dans cet acte, les échevins déclarent avoir reçu la
somme de 18 livres qui devait leur être remise au terme de
la saint Michel et s'engagent à acheter avec cet argent des
draps pour les pauvres, « selon l'ordonnance et voulenté »
de Mahaut.
De 2) 9 fn ane,
— où —
1484, 17 décembre. — [Salins]. — Quittance délivrée par Guion
Guierche, Estevenin Girard, Jean Suaiget et Jean de Gilley,
échevins du bourg situé au dessous de Sulins, un Rot et à Jean
Mougin, son trésorier en la Saunrrie de Salins, de 18 livres
estevenans à eux remises pur le terme de la sain! Michel,
afin d'acheter des draps aux pauvres, conformément au désir
de feue la comtesse de Bourgogne Mahaut, qui avait léguè
aux pauvres une somme semblable pour chaque année.
(Bibl. mun. de Lyon. — Coll. de chartes léguée par M. Henry
Morin-Pons, en cours de classement et d'inventaire.)
(Sur parchemin.)
Nous, Guion Guierche, Estevenin Girard, Jehan Saiget et Jehan de
Gilley (4), eschevins, et par nom d'eschevins du || bourg dessoubz de
Salins (2), congnoissons et confessons avair eu et receu du roy, Nostre
Sire, par les mains de honnorable || homme Jehan Mongin, conseillier
du roy et son tresorier en la Saulnerie de Salins, la somme de dix
huit livres — estevenans pour semblable somme que les povres du dit
bourg ont acoustumez prendre et avoir chacun an d'aulmosne || sur
le partaige du roy, nostre dit seigneur, en la dite Saulnerie, au terme
de feste Saint Michiel Archange (3), pour l’aulmosne de || feue bonne
memoire dame Mahault, jadis contesse de Bourgoingne, pour icelle
somme convertir en achat de || draps pour les dis povres, de laquelle
somme de xvin livres estevenans (4) et pour le terme de feste Saint
(1) Gilley (Doubs, arr. de Pontarlier, cant. de Montbenoit.} C’est vrai-
semblablement de ce Gilley qu'il s'agit et non de Gilley (Haute-Marne,
arr. de Langres, cant. de Fayl-Billot).
(2) Salins (Jura, ch. 1. de cant. de l'arr. de Poligny).
(3) La fête principale était le 29 septembre {la féte de la dédicace de
son église au Mt S'-Michel avait lieu le 16 novembre )
(4) estevenans. — Cette monnaie était appelée ainsi parce qu'elle était
frappée à l'effigie de saint Etienne (un bras du saint était représenté au
droit}).Elle équivalait, en général, à la monnaie tournois {1 livre estevenant
valait 1 livre tournois). — La monnaie estevenant était répandue dans la
Franche-Comté, la Bourgogne et le Bassigny, principalement.
— 993 —
Michiel || Archange mil IIIe quatre vings et quatre derrier passée,
pous sumes contens et bien paiez et en quictons || le roy, nostre dit
seigneur, son dit tresorier, et tous autres, et laquelle somme de xvint
livres estevenans nous promectons || convertir en la dite aulmosne et
en donner les draps aus dis povres, selon l'ordonnance et voulenté de
la dite || dame Mahault, contesse que dessus, tesmoings noz saings
manuelz cy mis le dix septiesme jour || du mois de decembre, l'an mil
CCCC quatre vings et quatre. ||
J. de Gillé. (à droite). ||
G. Guierche. || J. Saiget. || E. Girard. ||
Digitized by Google
————
I1
péance publique du 22 Juin 1911.
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OX
ever rer rre
Allocution d’Ouverture
PAR
M. G. ACREMANT
Président.
Mespames, Maessieurs,
for le vent du sud-est déchaïiné sur l'étendue de mer:
libre, qui sépare Nikaria de Chio, fait déferler la houle
au pied des falaises, les paquebots sont obligés de mouiller
au large et l'embarquement est très malaisé.. »
De ce fait, «je dus subir une assez longue navigation à la
rame...)
Telles sont les paroles de M. Gaston Deschamps, lorsque
dans la Reoue des Deux Mondes, il commence à raconter
son voyage en Turquie,à Smyrne.…
Rien mieux que cette description ne peint l'état d'âme
d'un de nos récipiendaires au jour solennel de sa réception.
J'en parle d'après mes souvenirs personnels et d'après les
confidences qui m'ont été faites par quelques-uns de mes
collègues.
Au moment de se lever pour prononcer son discours, le
nouvel académicien trouve généralement que l'embarque-
— 298 —
ment est difficile. Il y a du roulis, il ya du tangage! Ilya
beaucoup trop de vent! Son esprit ballotte ! Il voudrait
prendre le large... Mais nous sommes là pour le retenir.
Le président a même la mission de lui dire qu'au contraire
tous les éléments lui sont favorables. Je veux dire tous les
éléments charmants dont se composent nos auditoires. Le
talent du récipiendaire est comme une toile goudronnée,
jetée sur son dos, qui le met à l'abri des vagues, des écumes
et des embruns. En un mot, il n’a rien à craindre. Le bâti-
ment est solide. La navigation ne peut qu'être bonne.
surtout que la France est le pays où les phares ne s’éteignent
jamais, même lorsque leur lumière doit être payée par
l’héroïsme d'une femme et de deux enfants.
Ceci dit, je donnerais de suite la parole à nos nouveaux
collègues, si ma charge de président ne m'imposait un devoir
tout de respect et d'affection d'ailleurs.
Je suis forcé de vous rappeler, Mesdames et Messieurs,
que,chaque année,l' Académie souffre de séparationscruelles,
qu'elle pleure sur ses deuils successifs et de vous inviter à
partager ses larmes.
Le décès de M. Leloup a le plus profondément afiligé
l'Académie. M. Joseph Leloup était membre titulaire depuis
vingt-trois ans. Bien des fois, au cours de nos séances
hebdomadaires, il nous a fait entendre sa voix bienveillante
et persuasive, et il ne comptait que des amis au sein de
notre Compagnie.
Je n'ai pas à rappeler ici son discours sur la société au
point de vue économique, ni sa monographie de la crise éco-
nomique, ni son mémoire sur le socialisme. Ilexcellait dans
les études d'économie politique.
Mais je puis sans crainte parler de son caractère conciliant
qui l'a toujours fait écouter avec déférence, avec intérèt, et
j ajouterai même avec une sorte de respect.
À cause de cela, quelle que füùt la modestie de ce collègue
qui a voulu qu aucune oraison funèbre ne füt prononcée sur
— 999 —
son Corps, Son souvenir n'en restera pas moins vivace,
parce quil réside au fond des cœurs.
L'Académie a également à pleurer Monseigneur Williez,
évèque d'Arras.
La vie de ce saint prélat peut se résumer en un mot:
bonté. Il a exercé son rôle de pasteur avec bonté! Jusque
dans les moindres actes de son existence, il a montré de la
bonté !.. Son accueil était bon, ses yeux étaient bons et sa
voix était bonne... Jamais, semble-t-il, n'avait été avant
lui poussée aussi loin la perfection d'une de nos grandes
vertus. Le souvenir qu'il laisse dans son clergé et dans tout
son diocèse est aussi vivant aujourd hui qu'au premier jour.
Un autre membre honoraire nous a quittés, il y a environ
deux ans, pour aller terminer ses jours bien loin d'ici, en
mars dernier.
C'est M. le général de division vicomte Jacquelot du
Boisrouvray.
Il m'est superflu de signaler ses états de service ; ils sont
magnifiques. N'est-il pas arrivé par ses qualités seules au
faite des honneurs ? |
Je tiens à citer particulièrement les travaux qu'il a faits
pour l'Académie d'Arras : Les Compagnons artésiens de
Bertrand du Guesclin; Un Corsaire et un Armateur au
ZX Ve siècle, Jehan et Nicolas de Coëtanlem; Le Maréchal
d’Audrehem. Dans ses lectures, il a su nous montrer sa
verve pittoresque, son esprit critique, en un mot son talent
incontestable d'historien.
En même temps, son affabilité était si grande qu'elle
répandait à l'entour de lui ce sentiment d'attraction d'un
charme extrème que l'on n'éprouve qu'à côté des esprits
nobles et supérieurs.
Nous avons également eu la douleur de perdre un de nos
membres correspondants, M. Pruvost, professeur au lycée
Montaigne. Chacun parmi vous a connu cet écrivain qui,
pendant le congrès des sociétés savantes tenu à Arras en
1904, a reconstitué habilement et raconté, en citant ses
— 900 —
lettres, la vie du général Déplanque d’Auxi-le-Chôâteau.
À l'occasion de ces deuils, survenus à peu d'intervalle
l'un de l'autre, au nom de tous et de tout cœur, j'adresse
aux familles de ces collègues ravis à notre attachement,
l'expression de nos plus sincères et plus sympathiques
condoléances.
Mais... je m'empresse de fermer le registre des décès et
jouvre avec bonheur le livre de reconnaissance de
l'Académie.
Je suis tout particulièrement heureux d'adresser notre
salut au premier administrateur de ce département, à M. le
Préfet, que ses obligations antérieures retiennent éloigné
de cette réunion et à son éminent représentant, M. Gerbore.
Je tiens aussi à exprimer la gratitude de l'Académie à
M. le Maire d'Arras, dont l'obligeance est toujours aussi
grande. Il ne se fatigue pas, en effet, de mettre à notre dis-
position ces magnifiques salons; leur beauté est un attrait
toujours nouveau pour nos réceptions.
Jedois enfin adresser un merci tout spécial à Mgr Lobbedey
qui, quoiqu'à peine installé sur le siège d'Arras, Boulogne
et Saint-Omer, a bien voulu assister à cette séance.
L'Académie est la première société civile qui ait eu l’hon-
neur de le recevoir, et elle en est fière car elle sait que cet
honneur n'est pas de peu d'importance. Elle connaît la pré-
férence que Mgr a toujours témoignée au bien, au vraiet
au beau.
Aussi, lorsque je m'incline profondément devant lui, une
crainte s'empare de mon esprit; je redoute fort que, malgré
l'entrée triomphale que lui a ménagée notre ville, ses hautes
qualités ne le forcent plus tôt qu'il ne le voudrait à rompre
le lien qui l'attache déjà à l'Église d'Arras.
Il est peut-être bon, sous ce rapport, de ne pas suivre de
trop près les préceptes de l'Évangile et de ne pas trop tourner
nos regards vers l'avenir!
Contentons-nous d'examiner le temps présent! Respirons
à pleins poumons l'odeur salutaire des épis — et non pas
des épines — qu'il fait dorer sous ses pas à travers notre
petite patrie septentrionale,
rhststtnietetetetatetobse
Diseours de Réception
M. l’abbé Charles GUILLEMANT
Membre résidant.
Messieurs,
TN L'ACADÉMIE française, selon le mot d'une femme
À d'esprit (1), la consigne est la même qu'à l'entrée
du jardin des Tuileries : On ne laisse pas entrer les gros
paquets.
A ce compte, Messieurs, je suis tout à fait un sujet aca-
démique. Mon bagage est mince; et quand je compare mes
quelques épis aux gerbes magnifiques dont, chaque année,
mon regretté prédécesseur enrichissait vos savantes collec-
tions, je suis bien forcé de convenir qu'en m'admettant
aujourd hui parmi vous, vous avez honoré moins des œuvres
achevées et des travaux définitifs que des ébauches, des
espérances et un goût déjà ancien pour des recherches
auxquelles ont trop manqué les loisirs indispensables.
En tout cas, si vous aimez, pour employer la langue de
Faguet (2), « les hommes qui, après avoir conquis chez vous
(4) Mme de Girardin.
(2) Réponse au discours de réception de M. Doumic à l’Académie
françuise, le 7 avril 1910.
— 909 —
» un fauteuil, se conduisent comme s'ils pouvaient le perdre,
» et qui le méritent mieux encore par la façon dont ils le
» gardent que par la façon dont ils l'ont pris », à ce titre
encore, vous aurez en moi un excellent collègue. Et je puis
vous promettre qu'à l'exemple des Parenty, des Proyart et
des Deramecourt — pour ne parler que des morts — j'aimerai
à me délasser près de vous de labeurs parfois arides, à oublier
les soucis d'une charge un peu rude dans la douceur des
travaux littéraires ou historiques :
Et si parfois dans les sillons je cueille encore
Le coquelicot frèle ou le bluet rêveur,
Ce sera pour fleurir la gerbe qui se dore,
Ou pour fêter, le soir, un grand jour de labeur. (1)
Est-ce malignité? Est-ce coquetterie? Est-ce volonté de
mettre à l'épreuve l'agilité d'esprit des candidats que vous
aimez le mieux ? Ou simplement désir de donner plus de
piquant et d'imprévu à nos discours de réception, et de
ménager un plaisir délicat à ce brillant auditoire? Je ne sais.
Mais vous ne cachez pas, Monsieur le Président, « votre
répugnance à spécialiser les fauteuils de l'Académie
d'Arras »; et vous n'êtes jamais plus heureux que le jour
où vous faites succéder un docteur en médecine à un poète,
un avocat à un historien, un ingénieur à un prélat de la
maison de Sa Sainteté. C'est ce qui vous vaut aujourd hui
le spectacle imprévu d'un prètre qui va vous faire l'éloge
d'un auditeur au Conseil d'État, et d'un ancien professeur
de philosophie condamné à disserter sur la Colonne milliaire
de Tongres, et sur un Seau à libations de la vieille Égypte (2).
(1) Maurice Briczanr, Matins d'argent. — Plon, 1941.
(2) La colonne milliaire de Tongres. — Bulletin de la Commission
des Antiquités départementales du Pas-de-Calais, 1882, tome V, pages
261 à 272.
Un seau à libations de la vieille Égypte. — Mémoires de la Com-
mission des Monuments historiques du Pas-de-Calais, 1892, tome I,
pages 109 à 121,
——
_. — 303 —
Non pas, Messieurs, que Louis-Jules-Élisie BARON
CAVROIS pe SATERNAULT ait borné ses efforts et son
ambition à des travaux de pure archéologie. Il a été un
homme d'action autant et plus qu'un homme d'étude; et
j'aurais peine à énumérer seulement les sociétés dont il était
l'âme, les comités dont il était le secrétaire, les conseils
d'administration dont il suivait de près les travaux, les
œuvres de bienfaisance, de mutualité, d'enseignement, de
foi, de piété, dont peu à peu, et pour répondre à d'aimables
sollicitations, — c'est ainsi que nous avons coutume d'acca-
bler ceux qui passent pour n'avoir rien à faire, — il avait
assumé da direction.
Mais c'est comme académicien seulement que je veux le
considérer dans cette enceinte. Aussi bien était-il de ceux
qui ne se donnent pas à demi; et pendant trente ans il vous
appartint comme s’il n'avait pas eu autre chose à faire.
Il fut votre lauréat avant d'être votre élu (1); et vous avez
vraiment mis sur ses épaules toutes les charges et sur sa
tête tous les honneurs dont vous disposez, depuis les titres de
Secrétaire-Adjoint et de Secrétaire-Général jusqu'à ceux de
Chancelier et de Président qui terminèrent brillamment sa
carrière académique.
Et, pour vous dire toute ma pensée, il était prédestiné à
être des vôtres. Il avait proprement la Vocation. Et si Je
puis vous montrer à quels signes, malgré quelques tâtonne-
ments, il fut aisé de la reconnaitre dès sa jeunesse et
comment il y correspondit dans sa maturité, peut-être esti-
merez-vous que je me suis bien acquitté de ma dette et que
je n'ai pas trop failli à votre attente.
I
Comme la plupart des jeunes gens, Louis Cavrois hésita
tout d'abord sur la voie qu'il allait suivre.
(1) Jean de la Vacquerie. — Biographie honorée d’une médaille
d'or par l'Académie d'Arras, 1872. — Paris, Bachelin ; Arras, Planque.
— 304 —
Il était né à Saint-Omer, le 26 août 1839. Mais, bien que
ses ancêtres fussent originaires des environs d'Arras, il fut
longtemps à retrouver ses titres de parenté; et c'est à l'âge
de 26 ans que, pour la première fois, il mit les pieds dans
cette ville. Encore y fut-il attiré, moins peut-être par des
relations de famille ou d'amitié, que par la séduction mysté-
rieuse exercée dès lors sur lui, Messieurs, par votre Com-
pagnie. Car c'est à cette date qu'il entra en contact avec
vous et qu'il rassembla les éléments de son mémoire sur
l'Origine de l’Académie d’Arras (1).
Il était alors docteur en droit (2), avocat stagiaire à Paris,
et se préparait au concours qui devait lui ouvrir les portes
du Conseil d'État. Les questions juridiques plaisaient à son
esprit préeis et positif et un bel avenir semblait promis, dans
la carrière administrative, à cet étudiant laborieux et
distingué.
= Un jour,ense promenantsur les quais, ses yeux tombèrent
par hasard — il aimait déjà à fureter chez les bouquinistes
— sur une brève notice consacrée aux généraux Louis-
Joseph et Alexandre Cavrois. Plusieurs fois, sans doute, on
avait prononcé leurs noms devant lui. L'aîné, après avoir
été député du Pas-de-Calais en 1815, était devenu maire de
Pas-en-Artois en 1831, et, dans le pays, on avait gardé le
souvenir de sa brusquerie et de sa rondeur toutes militaires.
Mais on avait perdu les traces du second.
Le jeune avocat se rendit au Ministère de la guerre, il
s'adressa aux bureaux des différentes administrations, et, à
force de chercher, il finit par découvrir, au fond du dépar-
tement de l'Yonne, la proprefille du général baron Alexandre
(1) Origine de l’Académie d'Arras. — 4866, Paris, Aubry. —
Arras, Bradier.
(2) De la cession de créance (droit romain). — Formation et
endossement de la lettre de change (droit français), — Thèses pour
le doctorat. — 1863, Paris, de Moquet,
9096. —
Cavrois. Dès le mois de mai 1865, il allait demander à sa
cousine communication de ses archives privées.
Ce fut l'origine de toute une série d'excursions passion-
nantes qui l'amenèrent, aux vacances de 1866 et 1867, à
Saulty, Saternault, Pas, Coigneux et Gaudiempré. Cette fois
il était bien sur la trace, qu'il ne devait plus abandonner.
Afin de faire œuvre complète, il eut la patience d'attendre
jusqu'en 1884, avant de publier sa Biographie des généraux
Cavrois (1). Mais c'est vraiment lui qui les a sauvés de l'oubli,
et, comme Vigny, il aurait pu écrire fièrement en tête de ce
livre :
Si j'écris leur histoire, ils descendront de moi.
L'histoire ! Quand elle a saisi quelqu'un, a-t-on dit, elle ne
lâche plus son homme. Quiconque a touché, ne fat-ce que
du bout des doigts, à la poussière des archives, garde, de
cette première vision du passé, une sorte d'éblouissement,
mélé d’un irrésistible attrait.
Louis Cavrois essaya bien de lutter contre l'entrainement,
Paris étalait alors, comme pour le séduire, l'éclat de son
Exposition universelle de 1867. C était l'époque où le Tsar
rencontrait le Roi de Prusse au grand bal des Tuileries, où
le Sultan ne paraissait, à la distribution officielle des récom-
penses, que pour céder la place à l'Empereur d'Autriche.
Or, dans la grande ville, Louis Cavrois commençait à n'être
plus un inconnu. M. Vuitry, Ministre présidant le Conseil
d'État, avait remarqué cet Auditeur, qu’on lui disait être le
parent de deux généraux du Premier Empire.
Et si, d'aventure, la province parvenait à reconquérir ce
sujet d'élite, qui l'emporterait, de la Saintonge, ou de l’Ar-
tois ; et, dans notre pays même, de Saint-Omer ou d'Arras ?
Membre de la Société des Antiquaires de la Morinie, c'est
d'une gloire audomaroise autant qu'irlandaise — O’ Connell
(1) Biographie des généraux Gavwrois. — 1884, Arras, Société du
Pas-de-Calais.
20
— 306 —
et le Collège anglais à St-Omer (1) — qu'il avait entretenu,
en 1866, ses doctes collègues.
En même temps, la Société archéologique et historique de
la Charente souriait à son essai sur La Seigneurie de
Barbesieux (2),que nous retrouverons tout à l'heure. Il n'est
pas jusqu'à la Société d'émulation de Caen qui n'ait voulu
le tenter en lui envoyant (nous ne savons à quelle occasion)
le titre de Membre correspondant.
Mais, le 12 août 1868, un heureux mariage décidait de
son avenir et le fixait à Arras. Dès le mois de novembre, il
était installé, place de la Préfecture, dans la maison qu'ilne
quittera plus, et d'où vont s'envoler tant de monographies,
rapports, comptes-rendus, plaquettes élégantes, brochures
légères, volumes compacts : j'en ai compté 66. C'en est fait :
désormais, sauf à de rares intervalles, il oubliera la politique
pour l'histoire, les fonctions publiques pour la bienfaisance
privée; et le juriste s'effacera devant le père de famille, le
propriétaire, l’'hommed'œuvres,le mutualiste, l'académicien.
II
J'ai parlé tout à l’heure de vocation.
Toute vocation suppose, avec un goût prononcé, des
aptitudes caractéristiques pour un genre déterminé d'emplois
ou d'occupations. Or, si une curiosité éveillée, une ténacité
inlassable, des habitudes de méthode et de précision minu-
tieuse, et surtout le respect du passé et l'amour du pays natal
vous paraissent de nature à faciliter les recherches histo-
riques, je puis dire que votre confrère d'hier était né archéo-
logue et antiquaire, comme d'autres naissent poètes ou
soldats.
(1) O’Connell et le Collège anglais à Saint-Omer. — Bulletin de
la Société des antiquaires de la Morinie, 1866, pages 529 à 536.
(2) La seigneurie de Barbezieux. — Revue Nobiliaire, mars 1868,
pages 109 à 117. — Paris, Dumoulin.
— y 4
Lo Esprit curieux et ouvert, il s'intéresse à tout ce qu'il
voit, et il sait observer. Ce n'est pas un de ces touristes
vulgaires qui suivent les chemins battus et ne jurent que
par Baedeker. Il interroge, il fouille, il fait des découvertes
là où des milliers de voyageurs n'avaient aperçu que des
ruines banales et un paysage indifférent; aux indigènes
émerveillés, il révèle l’histoire même de leur pays.
Voyez-le en vacances, par exemple. Il est en Charente où
l'attirent des parents très chers et le souvenir de la mort
prématurée de son père (1). Mais, à Barbezieux, il y a une
seigneurie célèbre, qui évoque les noms du cardinal de
Richelieu, du marquis de Louvois, du maréchal de Schom-
berg, de toute une dynastie de La Rochefoucauld, et, avec
eux, d'Élie Vinet, le professeur et l'érudit qui, au xvi° siècle, |
recueillit pieusement tous les débris du passé et écrivit
l'histoire de son pays natal. Vite, notre jeune docteur se
met à l'œuvre; il publie dans la Revue Nobiliaire une pre-
mière esquisse de dix pages qui, deux ans après, se trans-
formera en un gros volume, enrichi de planches, de pièces
justificatives, de tables topographique et onomastique (2).
Plus tard, c'est à Wissant qu'entouré de sa famille, il
passe les mois d'août et de septembre. Sans doute, comme
tout le monde, il y prend des bains de mer, il va voir le
phare du cap Gris-Nez (3), il regarde les mouettes qui
passent, et, là-bas, la côte anglaise qui se profile blanche et
lointaine. Mais, sur sa route, il a rencontré un vieillard qui
lui a parlé d'une église à deux nefs dédiée à Notre-Dame de
Sombres, et rasée au moment de la Révolution. Un tapis
de gazon en recouvre l'emplacement. Mais, Ô surprise! En
écartant quelques centimètres de terre, voici les contours
(1) Louis-Constant-Joseph Cavrois était mort à Buissonnet, près
Brossac (Charente), le 9 août 1853.
(2) Barbesieux, son histoire et ses seigneurs. — Paris, Bachelin;
Barbezieux, Barrière. = 1870.
(3) Cf. 14e conférence à la réunion du P. Halluin. — 4 octobre 4877,
—_ O8 —
de l'édifice qui apparaissent, puis les bases des colonnes.
Demain on reviendra, armé de pioches et de pelles. Tout le
monde sera de la partie, y compris les enfants, très fiers de
la découverte à laquelle ils vont collaborer. Et, en effet, on
retrouve le pavé des deux nefs, puis des pierres tombales
dont il s'agit de rapprocher les morceaux et de déchiffrer
les épitaphes (1).
Voilà une leçon de choses qui ne sera pas perdue par tous,
Mesdames et Messieurs, et je sais, dans cette enceinte, un
grave professeur de l'Université Catholique de Lille (2) qui,
en ces temps reculés, n'avait pas peur d’escalader les clochers
et d'aller y cueillir, à la force du poignet, une inscription
gothique. A l'âge de treize ans, il partait à pied, avec son
père, de Wissant à Boulogne ; et je n'ai pas de peine à
imaginer quel merveilleux complément d'éducation lui
valaient de pareilles excursions sous un tel guide; que
d'impressions, de sentiments, de souvenirs elles ont dû
laisser en lui.
Une autre fois, on allait à Amettes et à Thérouanne: ou
bien, en revenant à Arras, on visitait Hardelot et son château,
Montreuil et sa Chartreuse, Blangy et le sanctuaire de
sainte Berthe, Hesdin et les ruines qu'ylaissa Charles-Quint.
Les résultats de cette large et forte éducation, nous les
avons sous les yeux, et je m'étonne moins de cette souplesse
d'esprit qui permet à l'un d'entre nous de passer, avec une
souveraine aisance, des mathématiques aux vers latins, des
arcanes du Droit civil aux grimoires de nos Archives.
20 A cette curiosité universelle se joignait, chez le baron
Cavrois, une volonté tenace. Vous avez connu, comme moi,
de ces fureteurs de documents, de ces dénicheurs de chartes,
de ces amateurs d'inscriptions et d'armoiries, que fascine le
(1) Note sur Wissant el ses environs. — Bulletin de la Commission
des antiquités départementales du Pas-de-Calais, 1878, tome IV, pages
867 à 312.
(2) M. le baron Alexandre Cavrois de Saternauit.
= 909 —
moindre vestige du passé. Ils ont le flair ; mais ils n'ont pas
la patience. Ils amassent, au hasard et à la hâte, quelques
pierres. Mais ils laissent à leurs successeurs le soin de les
interpréter, de les assembler, et de conclure. Tel n'était pas
votre collègue, Messieurs. Quand un problème s'était une
fois posé devant son esprit, il n’épargnait, pour le résoudre,
ni temps, ni peine, ni démarches. Il fit le voyage de Paris
pour consulter Maspéro et le vicomte Jacques de Rougé sur
le vase égyptien dont je vous parlais en commençant. Telle
copie de contrat de mariage, tel acte de vente lui a valu plus
d'une rebuffade chez un notaire grincheux. Je sais des dates
qui lui ont coûté d'interminables stations à la table de vingt
mairies. Pour trouver l'emplacement d’une tombe ou d’une
_ maison, ce n'était pas assez pour lui de relever, sur le plan
Beffara, les mesures exactes qui nous permettent de recons-
tituer, maison par maison, le vieil Arras. Il exhumait les
vieux titres et les parchemins oubliés ; il déduisait, il mesu-
rait, il faisait appel aux géomètres-experts; il voulait voir
de ses yeux et toucher de ses mains ; et, après s'être orienté
dans le dédale des ruines, ce lui était un triomphe de désigner
de sa canne l'endroit précis, et de pouvoir dire : C'est là ! (1)
Avez-vous remarqué que la plupart de ses travaux ont été
publiés sous deux formes ? Quelques pages substantielles,
quelques notes sommaires constituaient généralement une
première ébauche. C'était comme sa prise de possession du
(1) Cf. Mémoires de l’Académie d'Arras, 1884, tome XV, pages
331 à 334. — Il s'agit de déterminer où était le local de réunion de
l’Académie en 1737.
a En histoire, écrit quelque part le baron Cavrois, il faut souvent
demander à la patience ce que la précipitation nous refuse ». C'est ce
qui lui a valu, par exemple, de retrouver, non seulement les titres de
la dotation éphémère du général baron Cavrois, sise dans la province
d’Erfurth (Décret daté de Schœænbrunn, le 15 août 1809), mais le sou-
venir, très vivant en ce pays, de la « maison seigneuriale » et des biens
qui en dépendaient. (Biographie des généraux Cavrois, page 66).
— 310 —
sujet. Puis le champ de l'exploration s'agrandissait ; le
dossier primitif s'enflait peu à peu, et, au bout de deux ans,
de quatre ans parfois, tout était corrigé, vérifié, mis au point,
dans une œuvre qui, aux chercheurs de l'avenir, ne laisserait
guère qu'à glaner. Telle fut exactement, pour prendre un
exemple entre dix autres, la genèse de la Cité d'Arras (1)
dont l’idée première se trouve dans une notice datée de 1875,
et dont le plan, repris et développé vingt ans plus tard,
aboutit à cette monographie dont l’Académie eut la primeur
et qu'il est si bon de feuilleter quand on remonte la pente de
la rue Baudimont, en comparant ce qui est à ce qui fut.
Maintenir, faire durer, finir, quelle tâche à la fois ardue
et féconde, Messieurs ! Et quoi de plus rare en notre temps
mobile et agité! Or, regardez-y bien : là est un des secrets
de l'influence du baron Cavrois et l’un des traits saillants
de son caractère. Il a été membre du Conseil d'administration
de la Société de Secours mutuels pendant 37 ans; il a été
Secrétaire de la Confrérie de Notre-Dame des Ardents pen-
dant 32 ans; il a pris part aux travaux de la Commission
des Monuments historiques pendant 38 ans; il a présidé aux
déstinées du Cercle catholique pendant 31 ans; il a assisté
aux délibérations du Conseil de fabrique de Saint-Nicolas-
en-Cité pendant 40 ans; il a fait, aux réunions populaires
organisées par le P. Halluin en 1875, 130 conférences bien
comptées, dont j ai tenu en mains les brouillons. Et je ne
parle ici, remarquez-le bien, que de fonctions actives, où il
s'agissait non de parader, mais de payer de sa personne;
non d'éblouir les yeux, mais de faire œuvre qui vaille, qui
vive et qui dure!
3° I] tenait d'ailleurs, de la nature et de son éducation,
des habitudes remarquables d'ordre et de méthode. Si vous
avez jamais pénétré dans son cabinet de travail, vous avez
(1) La Cité d'Arras. — 1re partie, Mémoires de l'Académie d'Arras,
1894, tome XXV, pages 121 à 157. — 2e partie, ibidem, 1896, tome
XXVII, pages 147 à 174.
— 311 —
da être frappé par la belle ordonnance de ses livres, registres
et manuscrits; l'élégante et sévère distribution des meubles,
bibelots et souvenirs dont il était orné.
Ainsi procédait-il en toutes choses. Classer, étiqueter,
collectionner faisait ses délices. Un objet hors de son cadre,
une idée hors de son plan lui produisait le même effet qu'aux
généraux, ses cousins, un soldat incapable de garder l'ali-
gnement.
En cherchant bien, sur les rayons de sa bibliothèque,
vous trouveriez encore les modestes volumes de prix que
lui décernèrent, de 1844 à 1849, les bons Frères de la place
Sainte-Marguerite, à Saint-Omer. Lorsqu'il fit son premier
voyage à Arras, en 1866, le chanoine Derguesse ne crut pas
pouvoir lui être plus agréable qu'en lui faisant cadeau de la
pierre tumulaire d'un chanoine de notre antique cathédrale,
Dominique Cavrois, mort en 1703. Et quand, après la guerre,
après la Commune, l'ex-auditeur au Conseil d'État put
pénétrer de nouveau dans Paris, il regretta sans doute la
dissolution du grand corps dont il avait fait partie; mais il
rapporta pieusement chez lui, comme une relique, son
uniforme « petite tenue », volé par je ne sais quelle pétroleuse
et échappé par hasard à l'incendie.
Aussi, quand il fut question de relever tout ce qui subsiste,
dans le Pas-de-Calais, d'inscriptions antérieures à 1789, se
chargea-t-il volontiers, pour sa seule part, de trois cantons :
le canton de Pas-en-Artois et les deux cantons nord et sud
d'Arras. Il suffit d'avoir parcouru cette Épigraphie pour
voir la scrupuleuse exactitude et l'ordre rigoureux avec
lesquels elle a été dressée (1).
(1) Épigraphie du département du Pas-de-Calais, tome I, pages
113 à 164 ; pages 285 à 308. — 1884 et 1885.
Ce sont les mêmes qualités de précision minutieuse qui distinguent
les Sources du Nobiliaire de l’Artois. — Annuaire du Conseil Héral-
dique de France, 1894, pages 1 à 30 ; — et surtout la MWotice sur la
délimitation des anciennes paroisses d'Arras, avec plan. — Mémoires
de l'Académie d'Arras, 1883, tome XIII, pages 377 à 401.
— 312 —
Dans un ordre d'idées plus familier, j'ai eu la bonne for-
tune de consulter un précieux cahier de quatre-vingts pages
environ intitulé : Ma Biographie. Louis Cavrois avait vingt-
six ans quand l'idée lui vint de noter sous ce titre, pour son
agrément et celui de sa famille, les dates et les événements
notables de sa vie. Jusqu'à la veille de sa mort, il fut inva-
riablement fidèle à cette coutume, j'allais dire : à cette
consigne; à peu près comme ces soldats dont nous parlait
hier le Correspondant, qui, arrivés à l'étape, ont le courage
de crayonner leurs impressions, au jour le jour, sur leur
carnet de route, commes'ils prévoyaient le plaisir qu'auront
plus tard leurs arrière-neveux à feuilleter ces Mémoires,
tout frémissants de vie, malgré leur sécheresse voulue!
40 Mais ce qui, plus que la méthode, plus que la ténacité,
plus que la curiosité intelligente, fait l'historien, c'est
l’amour du passé, c'est le respect inné des traditions, des
souvenirs, des monuments, laissés par ceux qui sont de
notre sang et de notre race. Ce qui fait la force d'une nation,
c'est la solidarité des siècles; et un peuple qui renierait son
histoire agirait, pour employer une comparaison de Taine,
« comme un homme qui, monté au sommet d'une immense
» échelle, ferait couper, sous ses pieds, le bois qui Île
» soutient ».
Le baron Cavrois n’était pas, dans la contrée qu'il habitait,
comme ces hôtes de passage qui affectent de n'avoir rien de
commun avec ceux qui les ont précédés. Il racontait volon-
tiers que, le 26 novembre 1870, chargé de la conservation
des archives d'Arras, il les avait fait transporter dans les
caves de Saint-Vaast, pour les préserver du bombardement
éventuel de la ville par les Prussiens. C'est l'image,
Messieurs, de ce qu'il a fait toute sa vie. Il a aimé tout ce
qui peut restituer, aux choses disparues, leur âme fugitive ;
il a essayé de retenir, au milieu de ce qui nous reste d'eux,
les ombres des ancêtres auxquels nous sommes redevables
de ce que nous avons de meilleur.
— 813 —
Dans cet effort incessant pour faire revivre le passé, il
s'est montré invariablement fidèle à deux principes qui me
semblent d'une bonne méthode et d'uneexcellente pédagogie.
Le premier, c'est qu'il faut aller du connu à l'inconnu, de la
petite patrie à la grande, de la demeure où nous résidons,
de l’église où nous prions, des rues que nous traversons, à
la ville, au canton, à la province, à la nation, qui sont les
nôtres, mais dont le mystère est en raison directe de leur
complexité et de leur antiquité elles-mêmes.
Et le deuxième, c'est que les érudits ne doivent pas
garder jalousement leurs trésors pour eux seuls; mais
qu'ils sont tout indiqués pour faire, à ce point de vue,
l'éducation de leurs compatriotes, et que cette oulgari-
sation de l'archéologie, si l'on peut rapprocher ces deux
mots, est nécessaire à la sauvegarde comme à l'intelli-
gence des monuments semés à profusion sur notre sol de
France.
+
+“ *
On m'a raconté, Monsieur le Président, qu'un de vos
prédécesseurs, devenu Évêque de Soissons et membre
honoraire de l'Académie de cette ville, avait un jour fort
étonné ses nouveaux collègues en leur apportant une his-
toire, pittoresque d'ailleurs, vous le devinez, de son palais
épiscopal. Comment pouvait-on bien avoir l'idée d'écrire le
récit des vicissitudes d'une maison ?
Le baron Cavrois était, sur ce point, de l'avis de
Mgr Deramecourt. Il croyait que les murs peuvent parler,
et qu'il y a un art d’arracher leurs secrets.
Il habitait une des « maisons canoniales du Cloitre Notre-
Dame », comme on disait sous l’ancien régime. Quoi de plus
naturel que de rechercher les débris encore existants de ces
constructions séculaires ? Ce fut l'objet d'une première
notice (1), accompagnée d’un plan fort intéressant, et datée
de 1875.
(1) Notice sur les antiquités du Cloître Notre-Dame à Arras. —
Bulletin de la Commission des Antiquités départementales. — 1875,
tome IV, pages 126 à 139.
— 314 —
Mais voilà qu’en 1884 des terrassements exécutés en vue
de l'agrandissement de sa demeure, mettent à jour des osse-
ments humains, des verreries, des poteries. Quelle aubaine
inespérée ! Et quelle occasion de rechercher l'origine et la
destination de ces restes fragiles, fallat-il, pour cela, aller
jusqu'au Musée Gallo-romain de Saint-Germain-en-Laye,
dût-on mettre à contribution Pline, Martial et Mabillon! (1)
Quelques années après, la construction du couvent des
Religieuses de Bon-Secours fait apparaître, toujours sur la
mème place, les fondements de l'église Saint-Nicolas-en-
l'Atre, dédiée le 23 février 1495 par l'évêque d'Arras, Pierre
de Ranchicourt : restes vénérables que le fidèle archéologue
se hâte de confier au Bulletin des Antiquités départemen-
lales (2), afin d'en conserver au moins le souvenir.
Secrétaire du Conseil d'administration de la Société dite
du Pas-de-Calais, il s'avise un jour que l'immeuble où est
installé le journal est doublement historique, que l'art chré-
tien et l'art profane s’y sont heureusement succédé. Non
content de restaurer les parties anciennes de ce monument,
il en étudie l’histoire qui se rattache au Refuge de l'Abbaye
d’Étrun et à la Manufacture de porcelaine d'Arras (3).
Marguillier de l'église de Saint-Nicolas-en-Cité, 1l a sou-
vent eu sous les yeux la Châsse dite de la Sainte Manne et
cinq autres objets d'art anciens, qui ne semblent pas avoir
fixé beaucoup, jusqu'ici, l'attention des savants. Il les pho-
tographie, les décritet déploie l'ingéniosité la plus perspicace
(1) La 23e et la 24° maison canontiale du Cloître Notre-Dame à
Arras. — Bulletin de la Commission des Antiquités départementales
du Pas-de-Calais, 1884, tome V, pages 370 à 378.
(2) Les fouilles de Suint-Nicolas-en-l'Atre à Arras. — Mémoires
de la Commission départementale des Monuments historiques. — 1901,
tome II, pages 523 à 527.
(3) Le Refuge d'Étrun et la Munufacture de porcelaine d'Arras,
avec planches. — 1877, Arras, Société du Pas-de-Calais,
— 315 —
pour les identifier et suivre leurs transformations à travers
les âges (1).
Toujours préoccupé de relier le présent au passé, il se dit
un jour que le fauteuil même où, tous les vendredis, il siège
à l’Académie d'Arras doit, lui aussi, avoir son histoire :
et ce fut, Messieurs, vous vous en souvenez, l'occasion de
cinq ou six lectures (2) auxquelles vous n'avez pas ménagé
vos applaudissements, mais où j'ai puisé, pour mon compte,
un sentiment d'humilité, en songeant que je succède à des
hommes comme Godin l'archiviste, Thieulaine d'Hauteville,
capitaine au régiment de Bourbon, major des ville et cité
d'Arras, et Dubois de Duisans, conseiller au Conseil
d'Artois, membre fondateur de cette Académie.
Mais voici qu'un Évêque, attaché à notre province par
toutes les fibres de son âme — ne va-t-on pas, demain, célé-
brer à Bapaume le centième anniversaire de sa naissance ?—
entreprend de faire revivre, en la ville d'Arras, le culte
séculaire de Notre-Dame des Ardents. Louis Cavrois est
Vice-Président de la Commission d'organisation des fêtes
de 1876; il se prépare à être Secrétaire à perpétuité de la
grande Confrérie, héritière de celle du XIIe siècle. Non
content de condenser en vingt pages, pour la propagande,
l'Histoire du Saint-Cierge d’Arras et de la Confrérie de
Notre-Dame des À rdents (3), il ne recule pas devant la tâche
(1) Le Trésor de l'Église Saint-Nicolas en-Cité, avec phototypies.
Mémoires de la Commission départementale des Monumentshistoriques,
1895, tome I, pages 369 à 399
(2) Histoire de mon fauteuil, 23e de l'Académie d'Arras. —
Mémoires de l’Académie d’Arras, 1884, tome XV, pages 321 à 423.
(3) Histoire du Saint-Cierge d'Arras et de la Confrérie de N.-D.
des Ardents. — Arras, Bradier, 4876. — % édition en 1892. — Le
Culte du Saint-Cierge d'Arras parut à la Société du Pas-de-Calais,
en 1898.
Ces deux brochures ont été rééditées récemment et réunies en une
élégante plaquette, ornée de nombreuses illustrations. — Arras,
J. Eloy, 1940.
— 6 —
délicate de réunir, de collationner, de classer, en un Cartu-
laire (1), les titres relatifs au Saint-Cierge.
L'auteur a-t-il, comme il l’eût souhaité, retrouvé tous les
anneaux de la chaine ? Lui-même ne le croyait pas; et s’il
avait à rééditer son Cartulaire, il serait le premier à profiter
des heureuses découvertes qu'ont faites depuis trente ans,
ou que promettent de nous livrer demain de patients cher-
cheurs. Mais quelque droit que se réserve la critique sur
certains détails de cet important recueil, il restera, à celui
qui l’a tenté, le mérite d'avoir posé les assises et tracé les
lignes maîtresses d’un monument durable, en l'honneur
d'une dévotion essentiellement artésienne.
J'ai pris à dessein tous les exemples qui précèdent dans
la seule ville d'Arras. Ce n'est pas à dire pour cela que Île
baron Cavrois n’ait regardé jamais ni plus loin, ni plushaut
que son clocher. Mais généralement vous trouverez, à
l'origine de chacune de ses monographies, une relation plus
ou moins étroite avec son pays natal ou sa patrie d’ adoption,
avec ses fonctions d'hier ou d'aujourd'hui.
S'il accepte d'écrire, pour le Dictionnaire historique et
archéologique du Pas-de-Calais, l'Histoire des communes du
canton de Pas, (2) et, en collaboration avec son cousin
Narcisse Cavrois, l'Histoire du Pays de l’Alleu, (3) c'est
qu'il retrouve, ici, le souvenir de sa mère et d'un oncle
vénéré qui fut longtemps doyen de Laventie ; là, une partie
de sa lignée paternelle.
Le Fief de Saternault, (4) qui fut sa dernière œuvre, tout
en évoquant beaucoup de noms chers à notre Artois, lui
permit de suivre les origines de sa famille jusqu'au DHAES
du XVIe siècle.
(1) Cartulaire de Notre-Dame des Ardents à Arras. — 260 pages
in-8. — Arras, Bradier, 1876.
(2) Arras, Sueur-Charruey, 1873.
(3) Arras, Schoutheer, 1877.
(4) Arras, Société du Pas-de-Calais, 1906.
— 317 —
La Bulle et l'Émail de Vaulx- Vraucourt, (1) relatifs à une
Confrérie du Saint-Sacrement qui remonte au 28 août 1549,
lui rappelle une Confrérie plus ancienne encore que celle-là,
dont il est mayeur depuis 1891.
La Note sur les seigneurs de Rivière (2) lui a été évidem-
ment inspirée, ou cours d’un séjour au château de Breten-
court, maison de campagne de son beau-frère.
Même en voyage, alors que son attention semblerait
devoir se disperser sur les mille curiosités qui sollicitent ses
regards, une épitaphe, un nom, une réminiscence ramènent
brusquement sa pensée au foyer familial. C'est, à Cambrai,
dans l'église Saint-Géry, le souvenir de Mathias Cavrois,
chanoine au XVIe siècle; c'est, à Strasbourg, un bénitier
qui porte ces simples mots : Jean Cacroy, 1775; c'est, en
Irlande, le berceau présumé de sa famille (3) ; c'est, à
Prague, le tombeau de Mathias d'Arras, l'architecte de
notre cathédrale gothique, si malheureusement démolie par
la Bande Noire (4).
Qui oserait chercher chicane au baron Cavrois de cequ'il
a volontairement circonscrit le champ de ses recherches ?
La division du travail est devenue, en histoire, la loi de toute
œuvre féconde, et le mot du poète : Non omnia possumus
omnes, y trouve son application, plus peut-être que dans les
merveilles de l'industrie moderne, ou les habitudes de la vie
courante.
“".
Ces trésors, patiemment et amoureusement amassés, nul
moins que votre ancien Président, Messieurs, n'était tenté
(1) Mémoires de la Commission des Monuments historiques, 1897,
tome I], pages 64 à 70.
(2) Mémoires de la Commission des Monuments historiques, 1900,
tome II, pages 267-268.
(3) Mon voyage en Irlande. — Mémoires de l'Académie d'Arras,
4892, tome XXIII, pages 89 à 140.
(4) Mathias d'Arras, Mémoires de l’Académie d'Arras, 41889,
tome XX, pages 325 à 845.
— 318 —
de les réserver à une élite restreinte. Sans envie ni avarice,
il les mettait obligeamment à la disposition, non seulement
de ses confrères des Sociétés savantes, mais du public et des
plus humbles auditoires.
Il ne dédaigna pas d'écrire, pour l'Almanach du Pas-de-
Calais, des notices qui comptent parmi les meilleures peut-
être qui soient sorties de sa plume, les Sept époques de l’his-
toire d'Arras, par exemple (1).
L'Étude historique sur l’Imprimerie à Arras, précédée
d’un tableau de la succession des imprimeurs de cette ville,
parut d'abord dans l'Annuaire du département (2).
C'est à la réunion générale du Cercle catholique d'ouvriers
d'Arras qu'il faisait, chaque année, l'histoire d'une de nos
corporations ; et si vous voulez trouver l'origine de telle de
ses brochures les plus fouillées, il faut aller la chercher dans
le canevas de ces modestes conférences dites du Père
Halluin qui finirent par embrasser toute l'histoire d'Arras
et des environs, et où l'on ne sait vraiment ce qui l'emporte,
du dévouement, de la constance, ou de l'étendue des lectures
que supposent le nombre et le choix de ces matériaux.
Serai-je téméraire si j ajoute que je vois là pour vous,
Messieurs, un exemple à suivre, et un rôle à remplir qui ne
me semble pas indigne de votre ambition ?
Les ignorants ont besoin qu'on les instruise : et cette
fonction ne revient-elle pas, tout d'abord, aux savants véri-
tables ? La première règle, en pareil cas, est de parler clai-
rement et exactement. Mais, pour arriver à être clair et
exact, n'est-il pas vrai qu'il faut savoir beaucoup?
Que rappelle ici ou là, cette croix armoriée? Quelle est
l'origine du nom de ce lieu-dit, de ce pont, ou de cette
ruelle ? Presque personne ne le sait à la campagne; et les
plus cultivés des bourgeois seraient bien embarrassés pour
(4) Almanach du Pas-de-Calais, 1883.
(2) Annuaire du Pas-de-Calais, 4878,
— 419 —
dire de quel siècle date l'égiise ou le beffroi au pied desquels
ils passent tous les jours ; d'où venait et jusqu'où se prolon-
geait cette chaussée Brunehaut ou cette voie romaine, dont
le nom seul est resté dans la mémoire du peuple.
Pour la sauvegarde de nos antiquités et même de nos
sites, je sais, Messieurs, le zèle et la compétence de notre
vaillante Commission des Monuments historiques.
Mais, pour inspirer le respect du passé, il y a peut-être
mieux à faire encore qu à classer des édifices ou à organiser
des Cortèges historiques. Et je rêve, pour chaque canton de
notre beau pays, un petit livre de vulgarisation, abondam-
ment illustré par la photographie, qui raconterait, à tous les
jeunes Français, l’histoire de leur petite patrie, où chaque
image serait commentée, chaque nom expliqué, chaque
légende discrètement rappelée. On y contemplerait tous les
monuments dignes de mémoire ou d'intérêt ; on y raconterait
tous les événements qui ont imprimé une trace profonde
dans la vie du pays.
Et ce serait sans doute le moyen de persuader à bien des
gens que, suivant le mot de M. Babelon (1), « les hommes qui
» ont créé notre tradition et nous ont transmis le nom de
» Français n'étaient pas des barbares; et que, si nous avons
» le droit de juger les écrits et les actes de ceux qui furent
» nos pères, nous avons le devoir de respecter et de conserver,
» comme la condition même du progrès, leur patrimoine
» artistique et archéologique. »
Le jour où vous réaliserez ce rêve, Messieurs, — et quoi
de plus facile pour certains cantons qui ont eu la bonne
fortune d'avoir pour historien un maîïtre, qui fut et qui reste
vôtre à bien des titres (2) — ce jour-là, je crois bien que cet
archéologue si curieux, si patient, si méthodique, cet ama-
(1) Discours prononcé par M. Babelon, membre de l’Institut, à la
séance de clôture du Congrès des Sociétés savantes, le 2 uvril 4910.
(2) Le pays de Lallœu, par M. le chanoine Depotter, curé-doyen
de Laventie. — Calais, Imprimerie des Orphelins. — 4910.
— 320 —
teur passionné de la tradition, ce vulgarisateur infatigable
et désintéressé que fut mon vénéré prédécesseur, tressaillira
dans sa tombe pour applaudir à votre noble et patriotique
initiative.
+ - +
Il me vient un remords, Messieurs, à la fin de ce trop
long discours. À vous parler ainsi de l'érudit, de l'acadé-
micien que fut le baron Cavrois, ne vous ai-je pas présenté
un portrait infidèle, à force d'être incomplet ?
Il a été un homme d'étude et de cabinet. N'était-il pas
taillé pour être, n’a-t-il pas été un organisateur remarquable,
auquel nos Comités d'action, nos œuvres de l'adoration
nocturne, nos pèlerinages, notre Assemblée annuelle des
catholiques du Nord et du Pas-de-Calais gardent un recon-
naissant souvenir; un administrateur sage et vigilant qui,
après avoir contribué à la fondation de l'Université catho-
lique de Lille, participa longtemps à sa gestion financière ?
Je vous ai dit les qualités de son esprit. N'ai-je pas oublié
ou méconnu celles de son cœur : la vénération affectueuse
dont il entoura sa mère plus que nonagénaire (1); la fidélité
qu'il garda aux Crèvecœur, aux Hollebecque, aux Lassé,
aux Binaut, ses maitres du collège de Marcq; et me per-
mettrez-vous de me souvenir ici, Monseigneur (2), que la
dernière fois où le baron Cavrois prit la parole en public, ce
fut pour féliciter son vieux collège d'avoir donné un Pontife
de plus à l'Église de France : joie suprême, qui eût été bien
plus vive encore, s'il avait pu prévoir que Votre Grandeur
assisterait un jour, en qualité d'évèque d'Arras, aux séances
publiques de cette Académie qui lui fut si chère ?
Et comment ne pas mentionner la générosité dont il fit
(1) Décédée le 20 janvier 189$.
(2) Mgr Lobbedey, évêque d’Arras, venait d'être nommé évêque de
Moulins quand il assista, en 4906, à la réunion des Anciens Elèves du
collège de Marcq.
— 3% —
preuve envers ces deux familles adoptives qu'on lui reprocha
quelquefois de faire passer avant sa famille naturelle, sa
Société de secours mutuels, et son Cercle catholique ; la
sollicitude éclairée qu'il eut, jusque dans ses dernières
années, pour ses fermiers et pour les cultivateurs de Saulty
et de Saternault (1); et, pourquoi ne pas l'ajouter, l'estime
où il tint toujours le Petit Séminaire d'Arras, où son fils
avait fait ses études classiques, et la noble sympathie que
nous témoigna sa famille aux jours inoubliables de l'épreuve
et de la dispersion ? (2).
Je veux du moins, en terminant, rappeler la courtoisie
souriante dont il ne se départit jamais à l'égard de ses
collègues de l'Académie, la droiture inflexible de son carac-
tère, et, sous des dehors qui furent parfois incompris, une
fidélité dansl'affection, une loyauté dansles relations, qui lui
méritèrent l'estime universelle, et, mème parmi les adver-
saires de ses idées ou de ses opinions, lui valurent de ne
jamais compter un ennemi.
(1) Fondation de la Caisse Rurale de Saulty, 21 novembre 1905 ;
et du Syndicat agricole de Saulty, 11 mars 1906.
(2) 14 décembre 1906.
91
Re beeneo
PÉRESEESS 15.
RÉPONSE
AU
DISCOURS DE RÉCEPTION
de M. le Chanoine GUILLEMANT
Membre résidant
PAR
M. le Chanoilne RAMBURE
Chancelier
Monsieur,
Fous avez vraiment une modestie plus qu'académique :
XX non seulement vous essayez, sans succès, de nous
convaincre que notre Compagnie a cueilli, en vous élisant,
plus de fleurs que de fruits ; mais vous le croyez presque !
Il faut vous détromper et détromper nos auditeurs. Moi qui
ai dû, — et le devoir était doux, — chercher dans plus de
vingt-cinq volumes de Revues vos œuvres diverses, et com-
pulser encore les livres, brochures, tirés à part que vous
avez produits ; moi qui vous ai vu complétant par l'action
ce que la plume ne suffisait pas à réaliser, je salue en vous
Je digne successeur ou collègue des prêtres que la tradition
a appelés à prendre place, et à essayer de tenir vaillamment
leur place, dans l'Académie d'Arras.
Souffrez donc,quand même nos prochains rapports d’archi-
— 323 —
diacre à doyen devraient en souffrir pour la première fois
de notre vie, que je sois en profond désaccord avec vous
sur votre mérite passé; ayant, comme chancelier, la charge
d'estimer et de sauvegarder les valeurs de notre Compagnie,
je vous place, à l'inventaire, parmi les meilleures acquisi-
tions de notre trésor.
ns".
Il est un point sur lequel j'ai conscience que notre accord
va heureusement se rétablir : c'est l'hommage que nous
devons tous deux à votre vénéré et très regretté prédéces-
seur, Monsieur le baron Louis CAVROIS DE SATERNAULT.
Vous m'avez, et c'était votre droit, ravi le plaisir de parler
de l’académicien ; mais vous l'avez peu connu comme pré-
sident de l’Académie, et je dois ajouter un trait à votre
portrait déjà fidèle, en rappelant avec quel zèle et quel succès
il remplit pendant quatre ans, de 1902 à 1906, ces impor-
tantes fonctions. Le président, chez nous, primus inter
pares, paie l'honneur dont il est investi en activité et en
sollicitude : il est, j'en demande pardon à notre langue fran-
çaise, la reine de notre ruche : à elle, à lui, le soin de nous
mettre au monde, en veillant à notre recrutement; à lui, le
plaisir, qui va être renouvelé tout à l'heure, de nous tenir
sur les fonts baptismaux, par le discours de bienvenue;
à lui, le devoir de susciter nos travaux, de les encourager
d'avance, de les louer ensuite, en y ajoutant le stimulant de
son exemple personnel; à lui, la mission de diriger chaque
semaine ce que je ne puis vraiment appeler nos débats, tant
il règne, dans nos réunions, de courtoisie et de fraternelle
affection ; à lui, l'honneur de nous représenter dans les céré-
monies officielles, d'entretenir avec les autorités de la ville
et du pays les rapports les plus agréables et les plus fruc-
tueux pour nous; à lui, enfin, la douleur de jeter sur notre
tombe la dernière fleur du souvenir et la dernière parole de
regret tempéré d'espérance.
— 324 —
Tout cela, Monsieur le baron Cavrois l'a fait excellem-
ment, en sept circonstances joyeuses ou funèbres, avec sa
distinction naturelle. Il a, de plus, eu l'honneur d'accueillir
le Congrès des Sociétés savantes, lorsqu'il se réunit ici,
pendant l'Exposition d'Arras, du 7 au 10 juillet 1904; il y
prononça le discours d'ouverture et l’allocution de clôture (1).
Li ÿ +
Son amour des lettres et de l'histoire, dont j'ai eu la mis-
sion de montrer la diffusion jusqu'à Lille en faveur de notre
Université catholique, n'était point l'essentiel, pour cette
haute intelligence que la foi nourrissait, que le droit affinait,
que le spectacle de la vie humaine, dans les situations les
plus variées, attirait et touchait.
Il n'était pas nécessaire que le poignant tableau des
désastres de la guerre et de ses suites se présentât à lui,
pour qu'il aidât à améliorer, par des distributions de
semences, la situation des campagnes (2); il y joignit, plus
récemment, la fondation d'un Syndicat agricole et d'une
Caisse rurale à Saulty. Il n'attendit pas que la sollicitude
des pouvoirs publics s'y intéressât, pour apporter son
concours aux œuvres qui, en rapprochant les hommes,
donnent au peuple plus de bien-être, plus de confiance dans
l'avenir et plus de respect pour le passé.
C'est à notre florissante Socuété de secours mutuels, dont il
futiongtemps président, qu'ils’appliqua,avectoutes sesforces
et toute son ingéniosité, à procurer le bénéfice des «pensions
de retraite », dès1874; il y revint à plusieurs reprises, jusqu’à
ce qu'il eût le plein succès qui lui a donné, dans l'opinion
publique, le droit à la reconnaissance de tous. Actuellement,
— je copie le dernier compte-rendu de 1905, — « à l’âge de
(1) Congrès des Sociétés savantes, 1905, pages 13 à 19 et 285 à 286.
(2) Distributions de semences aux victimes de la guerre, rapports
présentés à la Société Centrale d'agriculture, par L. Cavrois-Lantoine,
— 325 —
cinquante-cinq ans, la Société accorde à ceux de ses mem-
bres qui ont payé pendant vingt ans au moins leur cotisation,
une pension de retraite variant de soixante à cent-vingt
francs, suivant le nombre de leurs années de sociétariat ; »
au fonctionnement des pensions de retraite se joignent les
secours en médicaments pendant la vie active, souvent
traversée par le malheur.
L'économiste, en d'autres circonstances, a mis ses prin-
cipes et son activité à l'ombre de la Croix : c'est à ce titre
qu'il a donné un concours si dévoué et si persévérant au
Cercle catholique d'ouvriers et aux œuvres multiples qui en
dépendent, depuis 1875 jusqu'en 1900; c'est à ce titre surtout
que, non content de procurer au peuple les avantages maté.
riels compatibles avec l'équilibre de la Société, il a voulu,
au pain du corps, joindre le pain de l'âme, le pain de la
vérité.
L'œuvre des Conférences populaires n'est pas une inconnue
à l'Académie, elle est une sœur aimée, et bon nombre
de nos membres, après avoir conversé, ou exposé, ou
discouru autour de notre tapis vert, ont connu ou con-
naissent le charme plus austère d'une conférence près de la
petite table de bois, entre une parole de moralisation ou
d'encouragement et une tombola d'objets usuels. Ce fut
l'une des occupations préférées du baron Cavrois. J'ai
contemplé avec émotion la longue série de ces cent trente
canevas de conférences, comprenant les différentes phases
de l’histoire d'Arras ou les questions d'actualité les plus
intéressantes, et j'ai constaté qu'ils étaient aussi soignés
que ses lectures académiques; son respect pour l’un et
l'autre auditoire, — disons mieux : son respect pour la vérité
exposée de part et d'autre, — était également profond.
C'est qu'en entrant dans la maison bénie où se donnaient
ces Conférences populaires, on était comme saisi d'un respect
sacré pour l'hôte qui recevait avec le mème sourire les
patrons et les ouvriers, les conférenciers et les auditeurs :
— 326 —
on essayait de s'élever à la hauteur du dévoûment de cet
apôtre que fut l'abbé Halluin.
Celui-ci eut l'idée, touchante et saintement habile, de
choisir Monsieur le baron Cavrois parmi ses légataires uni-
versels. Légataire de l'abbé Halluin, légataire de dettes, ce
n'était pas une ironie, mais bien le prolongement posthume
d'une reconnaissance aussi fidèle que l'avait été le dévoû-
ment.
Et plus tard, chaque fois que Monsieur le baron Cavrois
assistait aux séances de l’Académie, en descendant de la Cité
vers la ville ou en sens opposé, il passa devant la statue de
notre héros, de notre saint artésien, et ilse persuada encore
davantage, en s’inclinant devant l'effigie de bronze, que la
vérité et la charité sont deux sœurs venues ensemble du
Ciel, et que les plus belles âmes sont celles qui les incarnent
le mieux dans l'unité de leur vie.
*
+ +
Je n'ai pas besoin de chercher de transition savante pour
arriver à vous, Monsieur, et c'est déjà vous peindre tout
entier que dire de vous aussi : Vous étiez et vous êtes l'un
des conférenciers de l'abbé Halluin.
Ne nous parlez donc plus des oppositions que l'Académie
se plait à établir, par ses choix, entre les aptitudes du nouvel
élu et celles de son prédécesseur. J'espère n'avoir aucune
peine à démontrer que M. le baron Cavrois ne pouvait avoir
de plus digne successeur que vous.
Il fut un bénédictin laïque, et dans cette formule, « l'acci-
dent ne fait que suivrele principal», ditla philosophiescolas-
tique ; cet amour de la science et ce culte de la charité, qui
caractérisaient nos grand moines du Moyen âge, il les a
pratiqués et vous les pratiquez à sa suite.
Vous parlez, en ce qui le concerne, de « vocation » ; mais
n'est-il pas piquant, autant que juste, que votre vocalion
— 327 —
d'académicien soit née chez mon vénéré prédécesseur à
l'Académie, Monsieurle vicaire-général Proyart? Vous étiez
encore humaniste, adolescent, lorsque vous fûtes désigné
pour aller chaque mardi partager sa table frugale ; — servir
d'œil vivant à sa vue défaillante; — remplir l'office de lecteur
près de celui qui était passionné de connaissances à pro-
longer et de devoirs à remplir jusqu'au bout ; — prendre, près
de ce dernier représentant du clergé d'un autre âge, des
leçonsd'espritsurnaturel, dediscrétion, de respect et d'amour
pour ce que le passé a de grand, d'honorable et de saint ; —
vous assimiler, en un mot, pour les transmettre à notre
jeune clergé, ces graves leçons qui permettent à l'Église de
France de vivre sans descendre, de se propagersans défaillir,
d'attendre sans désespoir l'heure où le sentiment unanime
du bien général lui permettra de reprendre sa vie normale.
Admirons ce qu'a fait la fortune, — disons plutôt la Provi-
dence, — le jour où vous fûtes choisi comme lecteur de
Monsieur Proyart par ce connaisseur d'hommes, votre
supérieur du Petit Séminaire, qui devait étre le cardinal
Labouré.
+ : +
Je suis un bien médiocre biographe, car j'ai oublié de
vous faire naître, à Loos-en-Gohelle, en plein bassin houiller,
le 13 mars 1865. Vous avez trouvé là de beaux exemples
d'esprit familial et chrétien, de goût pour le travail, de sim-
plicité et de sympathie pour les humbles, qui resteront pro-
fondément ancrés dans votre cœur. C'est en sortant de là
que le Petit Séminaire d'Arras vous a accueilli, et je n'ose
pas dire les moissons d'épis sans épines que ses palmarès
m'ont révélées.
Vous devenez naturellement l'étudiant de l'Université
catholique, où vous cueillez comme en vous jouant la licence
philosophique ; vous y laissez de tels souvenirs que, huit
ans après, en 1897, j'ai la joie de pouvoir coopérer à vous y
rappeler, non pas sur les bancs, mais dans une chaire de la
Faculté des Lettres. Et, un jour d'allégresse générale qui
fut pour moi un jour d'amertume, en un coin de salon du
collège de Marcq-en-Barœul célébrant son cinquantenaire,
j'appris de la voix stridente de Monsieur le vicaire-général
Deramecourt que je ne devais plus partir à votre conquête :
« Monsieur Guillemant restera chez nous ; nous en avons
» besoin; cessez de le solliciter. » Et déjà la fonction vous
avait été précisée et l'appartement désigné, par ce chef qui
une fois de plus sut être un père, Monseigneur Baunard!
Ce qu'il y a de plus piquant dans ce contre-ordre, que je
crois pouvoir dévoiler sans péril si longtemps après l'évé-
nement, c'estquel'opposition victorieuse venait de Monsieur
le chanoine Joncquel, mon dévoué prédécesseur, qui tenait
à vous garder comme directeur au collège Saint-Stanislas :
c'est une preuve de plus, qui n'est pas sans saveur, de
l'harmonie préétablie entre l'administration diocésaine et la
cure de Saint-Nicolas de Boulogne.
D'ailleurs, vous ne nous en avez pas gardé rancune: le
beau panégyrique (1) de Saint François de Sales, directeur
d'âmes, que vous avez donné récemment à la Faculté des
Lettres, a été pour nous une leçon magistrale, et bientôt
après vous êtes devenu membre de notre Conseil supérieur,
ce qui vous laisse encore le temps de vice-présider, à travers
la France, le Conseil de l'Alliance des maisons d'éducation
chrétienne et d'y lire des rapports intéressants et variés (2).
C'est au Petit Séminaire d'Arras, — avec des stations
transitoires, mais fécondes, au Séminaire Saint-Thomas, à
Saint-Stanislas de Boulogne, à l'Institution Saint-Vaast de
Béthune, — que s'est accomplie, dans les chaires d'histoire
(1) S. François de Sales, directeur d’ämes, Revue de Lille, février
1910.
(2) Rapports lus aux Congrès de l'A //tance, Bruxelles, 1900 (Petits
Séminaires); Lyon, 1902 (Langues vivantes) ; Nimes, 190$ (Congré-
gations).
— 329 —
ou de philosophie et dans la direction, la portion la plus
importante de votre carrière d'enseignement. Il m'est dou-
leureux de rappeler qu'aujourd'hui vous ne sauriez plus
gravir la colline de Baudimont sans la comparer à la
colline du Calvaire, et que des événements, qui nous dépas-
sent et qui nous peinent, vous ont fait laisser là-bas, avec le
résultat de la générosité des catholiques, quelques parcelles
de science et quelques lambeaux de liberté.
+
+ +
Les soucis de l'enseignementet de l'administration scolaire
ou générale n'ont pas été tellement absorbants qu'ils ne vous
aient point permis de produire de nombreux travaux, digne
application de vos études, de vos observations, de vos recher-
ches, de votre expérience progressive. Je suis tenté d'en
grouper le vaste ensemble en trois catégories, qui manifes-
tent en vous, à un haut degré, le triple talent du pro/es-
seur, de l'économiste, de l'historien.
Le professeur se révèle dans le Précis de pédagogie, dont
nous attendons le couronnement, qui trace le plan d'une
éducation complète, surtout en ce qui concerne la discipline
avec ses règles délicates et ses résultats féconds ; il se mani-
feste encore, au point de vue spécial qui résulte de vos fonc-
tions, dans toutes les études pratiques et instantes dont le
but (1) est le recrutement du clergé. Le professeur s'affirme
(1) Notamment : Revue du Clergé français, 1900 et 1907.
Nos fulurs Séminaristes, dans le Messager de l’'Œuvre de Suint-
Joseph, nos 31 et 32, mai, août, novembre 1902, et dans la Semaine
Religieuse (20 juin 1902 et suivants).
Le recrutement du Clergé dans le diocèse d'Arras pendant les
trente dernières années, Messager, n0 53, février 14908.
Pour repeupler nos séminaires, n9 54, mai 1908.
Pour le Sanctuaire, n0 56, février 1909.
Comptes-rendus annuels, rapports à Mgr., novembre 1909 et 1910.
L'article de la Revue du Clergé françaïs, de 1900, sur l'Encyclique
au clergé de France, a été tiré en brochure (Sueur, Arras).
— Précis de pédagogie, 1. 1, Sueur, Arras. — 1905
— 330 —
en une sphère plus ample, dans cette série d'articles (1) sur
les causes et les étapes de l'évolution de Brunetière, dont la
pénétration et l’indulgente courtoisie ont trouvé leur plus
digne récompense, sous la plume même du grand critique,
par la lettre inédite qu'il vous a écrite dans les termes les
plus flatteurs pour vous ; le professeur se montre digne con-
tinuateur du passé, dans cette Histoire définitive du Petit
Séminaire d’Arras (2) qui promet, par son titre, moins qu'elle
ne fournit de documents, dans ses chapitres consacrés à tout
l'enseignement libre du diocèse d'Arras, depuis sa résur-
rection à l'origine du XIX° siècle jusqu'à nos jours.
De toute cette production considérable et féconde, la
grande raison est la nécessité que vous éprouvez, comme tout
vrai prêtre éducateur, de semer largement la vérité autour de
vous; permettez-moi d'en chercher aussi une raison plus
intime et plus douloureuse dans ce rappel à Dieu, en 1894, de
votre cher frère, l'abbé Louis Guillemant, que ses aptitudes
destinaient à élever, près de vous, un sanctuaire au Dieu
des sciences, et qui a été plutôt montré que donné à l’Église
d'Arras. Votre âme fraternelle s'en est généreusement émue,
et elle a jugé qu'elle devait compenser cette perte, en redou-
blant de zèle et d'activité, pour le plus grand bien des
esprits et des cœurs : survivant seul, vous avez voulu tra-
vailler pour deux |
#
+ +
La confiance de deux évêques vous a appelé à remplir
près d'eux ce que vous appelez une « charge un peu rude »,
celle de vicaire-général. Vos jeunes épaules suffisent ample-
ment à la tâche : c'est là que, sans vous départir de votre
prédilection pour les questions d'enseignement, vous pouvez
largement aussi manifester votre goût pour les questions
d'économie sociale et d'action catholique.
(1) Revue du Clergé français, années 1898, 1899, 1903, 1905.
(2) Histoire du Pelit Séminaire d'Arras, 4 vol. in-80 ill. (Presse
populaire, Arras). — 1904.
— 331 —
Plus d'une fois, la Semaine religieuse a noté vos indica-
tions précises, profité de votre documentation sur l'agronomie
et la sociologie; plus d’une fois, la vaillante jeunesse de nos
groupements catholiques a entendu vos vibrants appels;
plus d'une fois, les Journées, Semaines, Congrès vous ont
possédé comme auditeur averti ou rapporteur bienveillant.
Me permettrez-vous de vous avouer qu'à mon sens l'ardeur
de votre zèle a peut-être une fois amené votre plume à
dépasser votre pensée? Vous avez raconté l’histoire d'un
« Congrès... comme il y en a peu! » Moi qui ai longtemps
admiré les Congrès lillois, qui ai joui du récent triomphe
des Congrès artésiens, j'avais toujours cru que le plus grand
nombre des Congrès était fécond comme ceux-ci. Je vais
avoir le devoir d'examiner la chose de plus près : je ne l'avais
guère regardée qu'à la lumière des principes, selon les
fermes règles et les prescriptions prudentes que nous ne
devons jamais outrer ni atténuer, puisqu'elles nous viennent
de Rome. Il va falloir descendre dans l'arène, et je ne saurai
mieux le faire qu'à vos côtés, puisque vous m'avez invité
à assister, le 23 juillet, au Congrès de Wimille: grâce à vous,
le peu se multipliera en beaucoup, et là encore les doctrines
et les exemples de Monsieur le baron Cavrois pourront vous
inspirer heureusement.
LL
+ +
Vous passez avec facilité de l'économie sociale à l'Atstotre ;
l'histoire ecclésiastique locale a vos justes prédilections.
Je ne m'étonne pas de vous voir siéger près du trône
épiscopal, lorsque je songe aux biographies d'évêques
d'Arras que vous avez écrites avec tout votre talent d'obser-
vateur et toutes les ressources de votre cœur. Le cardinal
Labouré et Monseigneur Deramecourt ont été peints par
vous (1) comme doit le faire un fils aimant et dévoué ; puis
(1) Semaine Religieuse, 21 avril 1906 et suivants ; 26 octobre 19C6
et suivants,
— 332 —
vous avez fourni, pour le recueil de l'Épiscopat français au
XT2X% siècle, dont Mgr Baunard a écrit la préface, les notices
sur les évêques d'Arras; vous l'avez fait avec la mesure qui
s'impose lorsqu'il s'agit de personnages presque contem-
porains (1), et avec le respect que demande la nature du
sujet.
Mais votre héros de prédilection a été, à juste titre, Mon-
seigneur Parisis; depuis longtemps, sa mémoire attendait
un historien de la reconnaissance des églises de Langres et
d'Arras, ou plutôt de l'église de France; vous avez dit de
lui excellemment (2) :
« Pie IX l'appela le Pierre de la France : on ne pouvait
mieux caractériser cet homme à la volonté énergique et au
zèle impétueux ; ce prêtre à la foi profonde et à la doctrine
sûre ; cet évêque habitué à mettre au-dessus de tout les droits
de Dieu et la liberté de son Église. »
Déjà vous avez raconté (3), prenant courageusement la
plume tombée des mains de Monsieur Follioley, la « jeu-
<nesse du grand évéque », à Orléans et à Gien; déjà vous
avez commencé à montrer son rôle (4), vers le milieu du
XIXe siècle, par rapport à l'organisation du parti catholique,
à la diplomatie pontificale, à la liberté de l'enseignement. Il
n'est plus possible de laisser ébauché le monument que
l'Église lui doit; votre plume sera, pour son intelligence et
pour toute son âme, ce que fut le ciseau de Cugnet pour la
belle effigie dont est ornée l'abside de la cathédrale; vous
devez nous rendre, vous nous rendrez, Parisis tout entier.
(1) L'Épiscopat français (1802-1905), Librairie des Saints-Pères,
1907, pages 68-71.
(2) Ibid., page 72.
(3) Science catholique, 1905, tome XIX, pages 293, 297, 382.
(4) Revue de Lille, tome XVIL, pages 981, 1073; tome XVIII,
page 56.
— 333 —
+ : +
L'historien aime les sciences qui avoisinent la sienne :
c'est à ce titre que l'archéologie vous tente, que les voyages
— je l'ai expérimenté — vous séduisent et que, soit à Ober-
ammergau, soit à la Salette, soit ailleurs, vons en êtes, dans
de vivants récits, (et c'est un trait encore qui vous rapproche
du baron Cavrois) le pieux Baedeker, après en avoir été
l'habile cicerone (1); vous aimez à encourager, je ne saurais
l'oublier, les tentatives faites pour la diffusion du goût et
de l’art dans le peuple et chez les enfants; votre voix, lors-
qu'un devoir sacré l'appelle, s'élève avec une éloquente
douleur pour honorer les grands noms des Black, des Franc-
queville, des Auguste Roussel, et elle sait étre à la hauteur
du deuil de la France entière, lorsque, devant ses représen-
tants officiels, elle honore à Calais les victimes du Pluviose.
Vous donnez donc au clergé du diocèse l'exemple du
labeur historique, et si quelque jour il était convié, — comme
le fut récemment le clergé de Moulins, — à rechercher par-
tout les origines et les preuves de ce qui a fait et de ce qui
fait encore la force et la vie de notre foi chrétienne, ou si
encore la révision de notre Propre diocésain et de notre
liturgie particulière était de nouveau à l'ordre du jour, vous
seriez parmi les meilleurs artisans de ces entreprises impor-
tantes et glorieuses pour l'église d'Arras.
| | d +
D'ailleurs, vous avez de qui tenir: dans le riche cabinet
de travail de Monsieur le chanoine Proyart, n'avez-vous
pas feuilleté tous ces volumes d'histoire locale que je me
suis fait un honneur de citer, lorsqu'autrefois j'ai été
accueilli parmi les membres de l’Académie d'Arras ? Ne
(1) Sixième pélerinage de vacances. Paris, 4899, 120 pages ; —
Semaine Religieuse, 30 août 1900.
— 334 —
vous a-t-il point parlé du vaste labeur du chanoine Van
Drival? Et depuis lors, la mort n'a-t-elle pas arrêté trop tôt,
dans leur activité intellectuelle, nos vénérés collègues, Mon-
seigneur Deramecourtet Monseigneur Doublet? Les vivants
ne vous donnent-ils pas le même exemple, avec l'Histoire de
Laventie de Monsieur Depotter, — notre membre honoraire
redevenu résidant pour aujourd’hui ; — avec l'Histoire de la
Mère Mechtilde, de Monsieur Hervin; avec le François
Richardot, de Monsieur Duflot, et avec cette série d'œuvres
d'érudition, — de charité aussi, — qui va des sites et des mo-
numents du Pas-de-Calais aux Pyramides d'Égypte, et dont,
au jour de son jubilé, vous avez loué l’auteur comme on
doit louer un ami, et un ami tel que Monsieur Rohart (1).
"….
Je suis doncheureux et honoré de vous tendreaujourd'hui,
en vous souhaitant la bienvenue, le fauteuil académique :
soyez-y immortel, si vous le pouvez ; soyez-y surtout assidu
et actif, comme vous l'avez été déjà, et comme vous le res-
terez malgré vos multiples labeurs.
Je conclus en vous confiant un songe, un (songe d'une nuit
d'été», que j'eus en une nuit récente de vendredi, après
notre séance traditionnelle. Je m'imaginai que, comme chan-
celier, j'avais à me préoccuper de remettre en état la porte de
notre salle de travaux qui, vous le savez, ferme mal.
Jeconçusetréalisai de suite —les rêves et les rêveurs,comme
les morts,vont vite — un nouveau modèle de porte, montée sur
ressorts, ouvrant et fermant à volonté, comme les portes de
banques ou de gares. Et successivement, je fis ainsi harmo-
nieusement fonctionner la porte pour trois académiciens : le
premier était M. Jean Paris, mon ancien élève; le second
était le baron Alexandre Cavrois, mon collègue; le troisième
n’était autre que vous, mon chef et mon ami. Tout à coup,
(1) Croix d'Arras, 20 décembre 1901,
— 335 —
la porte fit un petit soubresaut imperceptible, se referma
doucement, et je me trouvai sans heurt de l'autre côté, le
côté extérieur.
Je me réveillai à ce moment; je réfléchis un peu et je cons-
tatai que mes trois amis étaient bien ceux que j'avais eu la
joie d'accueillir ici, à leur réception solennelle ; quant à ma
situation personnelle à l’Académie, je compris aussi qu'elle
se règlerait sans doute en ajoutant un honorariat à ceux
que j ai déjà reçus, sur le chemin de la vie, de mains bien-
veillantes et généreuses.
BIBLIOGRAPHIE
DES
ŒUVRES
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Le Puy académique d'Arras ou l’art de la ménestrandie
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Un seau à libations de la vieille Égypte, avec phototypie,
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1892-93, 1894-95, 1895-96, 1896-97, 1897-98. Mémoires de
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La Cité d’ Arras, 1893. Mémoires de l'Académie d'Arras,
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générale des Catholiques du Nord et du Pas-de-Calais en
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d'Arras, 1902 à 1905. Mémoires de l’Académie d'Arras,
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Le fief de Saternault, in-8° avec planches, 195 p., 1906,
Arras, Société du Pas-de-Calais.
Discours sur les tombes de MM. Léon Bouchez (4 déc.
1883), Grandguillaume (10 janvier 1885), Delétoille-Colin
(31 janvier 1888), Auguste Terninck (26 mars 1888), Hippo-
lyte Jude (14 mai 1893), chanoine Hollebecque (20 déc. 1894),
chanoine de Taffin (21 mars 1898), Legrelle (8 oct. 1899),
Boulcourt (10 avril 1901), Denis-Beugin (40 mai 1903), Eug.
Legrand (28 juil. 1904), Féron (22 sept. 1904), Colonel Delair
(21 nov. 1904), Eug. Leroy (15 mars 1905), Sens (31 août
1905), Augustin Ledoux (21 déc. 1905), Lucien Flahaut
(6 fév. 1906). Alfred Flahaut (1er juin 1906).
22 Dee D De ce ee ee QE
RE PP PP PP EPP EPP
DISCOURS DE RÉCEPTION
DE
M. le docteur A. LESTOCQUOY
Membre résidant
Msssieu R&,
ANS les Mémoires que vous publiez périodiquement, l’un
des parrains qui m'ont fait l'honneur de me présenter
à vos suffrages dessinait, 1l y a quelques années, d’un habile
crayon, dans les notes biographiques qu'il avait prises pour
servir à l'histoire de son fauteuil, le portrait d'un médecin
d'Arras, le docteur Mercier,qui siégeait dans votre Académie
en même temps que les docteurs Duchateau, Leviez et
Toursel et il s'écriait : « Il est digne de remarque que le
corps médical qui, durant tout le XIXe siècle, a fourni
à notre Compagnie de nombreux membres et non des
moins actifs ne compte plus actuellement un seul représen-
tant parmi nous. Serait-ce un effet de la tendance moderne
à une spécialisation excessive ? » Si j'ai bien compris, il
s'agit ici de la spécialisation du médecin dans son art entier,
médecine, chirurgie, gynécologie, et non des médecins
enfermés dans les limites beaucoup plus étroites de l'oculis-
tique, de la laryngologie, des maladies des oreilles par
exemple, auxquels s'applique aujourd'hui le véritable nom
— 344 —
de spécialistes. Vous ajoutiez encore, mon cher parrain,
qu'il résultait de cet état de choses « que l’homme trop étroi-
tement spécialisé, en confinant toute son activité dans un
cadre limité, aboutit à réduire son rôle social à celui d'un
rouage unique dans le mécanisme si compliqué de la Société
moderne. » Je me demande si maintenant vous ne voudriez
pas modifier légèrement vos paroles alors qu'aujourd'hui
dans les mutualités et dans les unions ou fédérations mutua-
listes, où se posent des questions sociales au premier chef,
les retraites ouvrières par exemple, les médecins sont en
bonne posture non seulement à cause de leur profession,
mais aussi comme membres de leurs conseils d'administra-
tion, alors que tous les Gouvernements ont rendu l'hygiène
une science éminemment sociale dont s'occupent avec
ardeur non seulement les médecins, mais aussi les ingé-
nieurs, les architectes, les directeurs des grandes adminis-
trations, alors que certains d'entre nous sont devenus de
grands poètes et d'éminents philosophes, alors que mainte-
nant, à Paris, l’on peut entendre un orchestre médical,
composé d'excellents musiciens.
Il y a donc dans notre corporation des savants, des lettrés,
des artistes. |
Depuis la mort du docteur Trannoy, survenue en 1899,
qui avait lui-même succédé au docteur Louis Lestocquoy,
aucun médecin n'a fait partie de votre Société et voilà
qu'aujourd'hui, à ma grande surprise, vous avez bien voulu
m'admettre parmi vous. J'ai aimé le premier parce qu'il fut
l’un de mes anciens maîtres, j'ai aimé le second parce que
j'ai entendu dire beaucoup de bien de lui ; j'ai quelque fierté
d'avoir été le parent de tous les deux parce que j'espère ne
jamais démériter de l'honorabilité qu'ils ont acquise de leur
vivant; laissez-moi croire qu'ils m'ont servi dans le choix
que vous avez fait.
Vous avez peut-être aussi voulu attirer à vous un modeste
médecin, actuellement sans doute le plus ancien de ses
— 945. —
collègues résidant à Arras, qui, après avoir assisté aux tra
gédies sanglantes que lui offre incessamment son art, ne
trouve rien de mieux pour se reposer que de relire celles que
l'on trouve dans l'histoire entière et dans les grands
tragiques : Eschyle, Sophocle, Shakespeare, Corneille,
Racine et d'autres. |
Je vous remercie donc bien vivement du fauteuil que vous .
m'avez attribué au milieu de vous, fauteuil que d'illustres
prédécesseurs ont occupé avec une compétence que je crains
de ne pouvoir jamais égaler.
Ce n'est pas toujours au milieu d'accidents tragiques que :
se déroule la vie des médecins ; ceux qu'ils soignent ne meu-
rent pas constamment, et la guérison de leurs malades les.
affecte favorablement. Même les plus occupés, quand ils ie
peuvent, aiment à prendre un repos bien mérité et il ne faut
pas qu'ils soient longtemps ensemble, pour qu'au récitd'une
joyeuse anecdote, d'aristophanesque tournure, le rire éclose.
sur leurs lèvres, un bon gros rire, bien franc, bien sain.
Dans les banquets de nos associations, rapidement nous
dépouillons l'austérité qui nous recouvre, nous envoyons à
tous les diables malades et spécialités, et de saint Luc, dignes
eafants, nous nous réunissons, le cœur joyeux et délesté..
L'un des vôtres a écrit là dessus un léger poème dont
j extrais ces quelques vers : |
« D'un professeur habile, élève détestable,
« Grâce à lui j’eus l’honneur de m’asseoir à la table
« Des enfants de saint Luc. Le plantureux repas !
« Les morceaux sérieux certes n’y manquaient pas ;
« Tête de veau, lapia, gigot, jambon, salade,
« Desserts, vins assortis, de quoi rendre malade
« L’estomac le plus souple et le plus complaisant. »
Il n'y a qu'un malheur dans cette citation : ces vers
rendent bien la quantité habituelle de nos festins et d'un
autre côté, saint Luc est bien le patron des médecins, puisque
— 946 —
lui-même était médecin. Seulement saint Luc aimait aussi à
peindre et c'est pour un banquet des artistes d'Arras que fut
composé le petit poème dont je viens de vous parler. Le
poëte d'alors et le médecin d'aujourd'hui ont tous les deux
le même patron : je l'invoque maintenant pour arriver à vous
présenter l'éloge de M. V. Barbier, l'ancien président de
l'Union Artistique et l'ancien secrétaire-général de l’Aca-
démie que, suivant la tradition, je suis obligé de prononcer
devant vous.
Obligé de faire l'éloge de M. Victor Barbier, c'est là, me
direz-vous, s'exprimer en termes fort désobligeants pour lui.
Je ne crois pas. Je possède exactement en ce moment la
même disposition d'esprit que celle qu'avait votre collègue
lorsqu'il composait pour vos séances publiques ses rapports
sur les travaux de l'année et sur les concours de poésie.
Fatigué dès le début, il comptait le nombre de vers qu'il
devait lire et éplucher et le nombre de pages des manuscrits
dont il avait à rendre compte. Puis il se mettait au travail
et, sans y penser, sa verve l'aidant, il écrivait, il écrivait, et
il arrivait à lire de petits chefs-d œuvre que tout le monde
admirait. La même chose m'arrive, moins le chef-d'œuvre.
Chez lui, l'effroi ne durait pas longtemps et, quand l'occa-
sion se présentait, chroniqueur dans le genre français léger
ou dans le patois artésien, en prose ou bien en chansons, il
critiquait tout ce qu'il voyait. Un jour cependant, rapporteur
du concours de poésie dans votre séance publique du
15 février 1894, lui qui, si spirituellement, s'était souvent
moqué des autres, se demanda comment plus tard on ferait
son éloge, et il dit :
Le jury dut se résigner
Cette année, à ne décerner
Aucune récompense.
Quel guignon pour le rapporteur
Qui révait un accueil flatteur
— 347 —
Aux vers qu’il devait lire ;
De dépit alors il s’est cru
Le droit de puiser à son crû
Et d’accorder sa lyre.
Au lieu d’un éloquent discours
Encadrant des vers de concours
Aux rimes romanesques,
Voici pourquoi, voilà comment
Vous entendez présentement
Des vers mirlitonesques.
Jamais leur père aux jeux floraux
Ne fut battu par ses rivaux ; |
La chose est surprenante,
Mais admissible cependant
Quand on sait qu’en homme prudent
Il reste sous sa tente.
Ses vers, comme le veut Boileau,
Ne sont pas finis au ciseau,
Repolis à la lime ;
Il chante pour son agrément,
Heureux quand il peut dextrement
Jongler avec la rime.
Son Pégase n’est qu’un mulet
Rétif et têtu comme l’est
Tout mulet d'ordinaire ;
L’Hélicon ne peut le tenter,
Il se garde bien d’y monter,
C’est trop près du tonnerre !
Sur cet étrange boniment,
Quel que sait votre jugement,
Il l’accepte d'avance ;
Mais d’où vient qu’au bout du chemin,
Devant vous, ainsi qu’un gamin,
Il perde l’assurance ?
C’est que tout critique étranger,
À son aise, sans l’affliger,
—.348° —
Peut le prendre pour cible,
Et qu'aux seuls éloges des siens,
Aux bravos des Artésiens,
Son oreille est sensible. (1)
Dans la vie littéraire de M. Victor Barbier, l'on peut faire
deux parts : Avant et après son élection à l'Académie. Bien
que, dans son discours de réception, il se fut comparé à
« la cigale imprévoyante qui ne sait que frapper les airs du
bruit monotone de ses assourdissantes cymbales », il chan-
tait déjà fort bien à la fin d’un bon repas ou même à jeun
lorsque sa verve s'égayait de tous les évènements qui se
passaient, de toutes les nouvelles qu'il racontait. Comme ses
joyeux ancètres, les trouvères artésiens, il disait en vers
légers tout ce qui lui passait par l'esprit et il fut complète-
ment satisfait le jour où, incarnant toutes les sonorités du
Carillon d'Arras, il vint remplir le rôle de Joyeuse et du
Gros Bourdon. Il y apporta le concours de la Muse à Zidore
et du Strapontin du théâtre en même temps que se serraient
autour de lui Saint-Aubert, Grelot, Bancloque, dom le
Joyeux, Me O’Nome et j'en passe.
Ce pauvre petit Carillon, qui naquit le 10 mai 1884 et qui
mourut le 5 juin 1886, résonna joyeusement pendant sa
courte existence. M. Victor Barbier fut un véritable boute-
en-train, un gamin, ainsi qu'il vous l'a dit plus haut, qui se
mit à passer en revue tous les gens d'alentour et toutes les
sensations qu'il éprouvait : il regardait intus et extra : la
chaleur du jour, les saltimbanques, la chasse, une visite à la
Cour Baleine, les Allées, la Presse locale; il traça d'une
jolie plume quelques portraits que nos parents et nous-mêmes
dans notre jeunesse avons bien connus : Lachique, Bertin,
Calmette, Clairet ; il osa même parler de l'Académie et de
quelques académiciens en vers fort convenables. Je ne puis
(1) Mémoires de l’Académie, 1894.
349 —
-résister au plaisir de vous citer cette dernière pièce, signée
‘du pseudonyme de Joyeuse :
LES NOUVEAUX ACADÉMICIENS
Elle est toujours debout la vieille Académie !
Elle a vaincu son lourd sommeil ;
Longtemps on l’a cru morte, elle était endormie ;
Saluons gaiment son réveil.
La camarde ayant pris ses doyens vénérables,
‘Elle vient de les remplacer
‘Par des hommes nouveaux, piocheurs infatigables,
Qui sauront l’en récompenser.
Baonissant cette fois l'esprit de coterie,
Sans redouter un mauvais coup,
Elle vient d'ouvrir l’huis de la bergerie
Et de laisser entrer Leloup.
Elle a bien fait, ma foi, le choix est raisonnable :
Il va lui donner un penseur,
Un lettré délicat, un philosophe aimable,
Un homme de tête et de cœur.
Boutry, vous le savez, au revers de sa plunte
.Porte un fameux bout de crayon ;
S'il n’a pas griffonné volume sur volume,
Il est lauréat du salon.
‘L'abbé Deramecourt a le talent sévère
Des historiens grecs et romains,
Des archives il sait secouer la poussière
Sans craindre de se salir les mains.
Laroche, de son père occupera la place,
Ainsi l'a voulu le destin ;
Cet habile imprimeur saura suivre la trace
Des La Rivière et des Plantin.
(4) Carillon du 29 novembre 1884,
— 950 —
Si vous ajoutez les comptes-rendus des soirées de bien-
faisance ou du théâtre et les chansons en patois qu'ilrangeait
sous le titre général de la Muse à Zidore, chansons qui
tenaient bien leur rang à côté de celles de Desrousseaux de
Lille, voilà le bagage qu'il apporta au Caruillon dont les sons
narquois taquinèrent l'irritabilité de certains organes qui
s'unirent pour le tuer.
M. Victor Barbier ne se reposa pas longtemps. Le 24 août
1888, il entrait parmi vous et dans sa séance de réception,
M. Lecesne, qui lui répondait, lui montrait qu'outre les vers
qu'il pouvait faire très bien, il vous apportait la collabo-
ration d'un archéologue, d'un bibliothécaire instruit qui
possédait déjà chez lui un fonds considérable dont le Conseil
Général du Pas-de-Calais s'est rendu possesseur après sa
mort pour ne pas que tous les ouvrages qu'il achetait au
jour le jour, lorsqu'il les rencontrait, fussent disséminés par
le hasard des circonstances.
Dès qu'il eût occupé son fauteuil, notre nouvel acadé-
micien se mit tout de suite au travail. Dans son discours de
réception, il avait décrit, avec un talent remarquable, la
formation de la Société des Rosati, née en 1773 en même
temps que l'Académie Royale et que l'École de médecine
d'Arras, il avait nommé ses membres et prononcé leur
de Profundis.
À peine reçu, il fut chargé chaque année, et même quel-
quefois deux fois l'an, des rapports sur les concours de
poésie. Ces rapports étaient faits tantôt en prose, tantôt en
vers. Je vais vous lire l’un de ces derniers où vous n'enten-
drez pas le gai railleur, ni le joyeux chansonnier, mais où
vous entendrez, sur un rhythme mélancolique, le susurre-
ment de la triste élégie :
A ces échos plaintifs ma volage pensée
Déserte les sentiers joyeux
Et, malgré moi, bientôt une amère rosée
Vient obscurcir mes pauvres yeux.
— 351 —
Je songe aux disparus, nos guides, nos modèles,
Les juges de tant de concours,
A ceux qui, nous restant jusqu'à la fin fidèles,
Répondaient à tous nos discours.
Nous ne le verrons plus cet aïeul vénérable,
Ce beau vieillard si respecté,
Nous sourire en guidant sa famille adorable
A travers sa vieille cité.
On peut bien errer, tout seul, par les nouvelles rues,
En promenant de toutes parts
Les yeux, pour y chercher les portes disparues
Avec les glorieux remparts.
Et plus nous n'entendrons la suave parole,
Le verbe du cher Président
Qui, sans jamais faiblir, tint si longtemps son rôle
De Mentor et de confident.
Ici de lui tout semble avoir gardé l’empreinte.
Sa douce image, en ce décor,
Pour moi plane toujours, pour moi sa voix éteinte
En ce palais résonne encor.
De ces hommes chéris ne faisant qu’une gerbe,
L'hiver, sans pitié, sans remords,
Faucha l'historien et le rhéteur superbe :
Tous deux dorment au sein des morts.
Vous remarquez jusqu'où s'élevait la Muse de Victor
Barbier, car maintenant je ne l'appelle plus M. Barbier :
jusqu'à présent peut-être, il a écrit avec son esprit, mais
dès lors, dans ses productions littéraires, 1l ajoute toute sa
sensibilité et tout son cœur. Il eût fallu voir dans ses
rapports, avec quel art il savait détacher chez les jeunes
concurrents à vos prix de poésie, les morceaux de choix,
comment il les détaillait et comment il les lisait. Sceptique
un peu dans le début de ses fonctions, il se plaignait, faute
(4) Mémoires de l’Académie, 1895.
— 952 —
de concurrents, de n'avoir rien à dire à ses auditeurs et il
osait répéter, sans le croire, que le français, notre belle
langue, allait bientôt tomber en décrépitude et mourir.
D'aucuns prononcent encore maintenant des paroles sem-
blables. Un beau jour les concurrents revinrent en foule et
leur juge impartial ne garda plus de son rapport annuel que
l'effroi qu'il montra dans tous ses exordes d'avoir à lire des
milliers et des milliers de vers. C’est un travail considérable,
en effet, de compulser tant de mémoires, mais de quel bon-
heur ne jouit pas le chercheur s'il trouve des poèmes, des
sonnets ou d’autres rythmes harmonieux qui montrent que,
sans parler des poètes occupant actuellement les premières
places, le souffle poétique ne manque pas encore dans nos
régions du Nord ?
Depuis quelques années déjà, Victor Barbier était devenu
votre secrétaire-général : il délaissa les concours de poésie
et devint souvent le rapporteur annuel de vos travaux et de
vos séances hebdomadaires qu'il décrit ainsi :
.... Souvent, sans préparation
Aucune, les hasards de la discussion
Donnent naissance à quelque alerte causerie,
Où chacun dit son mot, sans fausse pruderie,
Tel qu’il monte à la lèvre ou tel qu’il vient du cœur,
Profond, ému, naïf, douloureux ou moqueur.
Causer, parler de tout, de rien, semble facile,
Pourtant, entendez-vous souvent un imbécile
Déplorer la pluie, exalter le beau temps
Sans se classer parmi les êtres embêétants ?
Et, retenez ceci, parler pour ne rieu dire
Exige plus d'esprit qu’il n’en faut pour médire |
Et puis, si la mort n'était pas venue, il eût désiré faire
œuvre d'historien, il a publié dans vos Mémoires, des lettres
inédites d'Augustin Robespierre à Antoine Buissart, il les
a fait précéder de notes biographiques. Il eût voulu, comme
l'un de vous l’a dit, «avec les trésors de sa collection unique
— 353 —
et spéciale fournir au Recueil des Œuvres de Robespierre ut
élément indispensable et élever un monument de l’assem-
blage duquel il excluait toute passion, sauf celle de mettre à
la disposition de tous, partisans et adversaires du député
d'Artois, le texte de ses œuvres littéraires, académiques,
parlementaires et économiques ».
J'ai essayé, Messieurs, de vous peindre d'un pinceau
ingénu le portrait littéraire de Victor Barbier. J'espère, en
vous parlant de lui, vous avoir montré que son style était
vraiment lui-même ; mais je m'arrête ici : M. l'abbé Robhart
a trop bien parlé, en février 1908, de mon éminent prédé-
cesseur pour que j'entreprenne de recommencer après lui
l'éloge impeccable qu'il en a fait.
Il était gai, il maniait dextrement la rime et produisait
des vers faciles et pourtant quelquefois, comme dans l'élégie
citée plus haut, des strophes mélancoliques surgissaient
sous sa plume. Nous allons maintenant pénétrer dans les
tristes endroits où vous ne trouverez plus Joyeuse ; vous
allez entendre résonner en glas les heures sombres qu'a fait
tinter l'un de nos grands poètes, le docteur Cazalis, dit Jean
Lahor, dans sa pièce intitulée
HOPITAL
Des enfants qui souffraient parce qu’ils étaient nés ;
Des femmes qui mouraient pour les avoir fait naître,
Des hommes qui hurlaient ainsi que des damnés,
Et demandaient la mort, et ne voulaient plus être;
Un enfant qui râlait et se tordait hagard,
De l'écume à la bouche, avec des cris de bête;
Des vieillards dont les yeux n’avaient plus de regard,
Et dont tremblaient les mains, les jambes et la tête.
etes te 0 0 0 8 0e 0 8 8 ee 0 à
Et vous ayant lu cela, je vais, si vous ne vous effrayez pas
trop, essayer maintenant de vous décrire ceci : l'Évolution
de la chirurgie, cette branche de la médecine qui, après un
23
7 ee
siècle de stagnation, a permis à ses adeptes d’abolir tant de
misères et de produire tant de résurrections.
Il y a trente-cinq ou quarante ans, l'étudiant qui venait
de prendre sa première inscription au mois de novembre et
qui entrait pour la première fois dans une salle de femmes
blessées, était frappé tout d'abord par une sorte d'odeur
Hauscabonde qui se dégageait d'un peu partout. Et pourtant
les draps qui recouvraicntles malades et ceux qui, accrochés
aux quatre piliers des lits, pouvaient en se dépliant former
des petites chambres isolées où l'on causait avec les parents
ou les amis, étaient d'une admirable propreté; les parquets
étaient si bien cirés que l'on pouvait s'y mirer et si bien
recouverts par des tapis qu'il paraissait difficile de les
maculer. Les fenêtres s'ouvraient difficilement et, prenant
l'air sur des cours étroites ou sur des couloirs sombres, ne
jetaient qu'une lumière triste dans les salles que cherchaient
à égayer les religieuses au moyen de fleurs naturelles ou
artificielles. Entassées au coin du feu, les convalescentes ou
celles que leur affection ne permettait pas d'opérer, mais qui
conservaient assez de forces pour pouvoir se lever, étiraient
les fils du vieux linge pour en faire des tas de charpie. Ce
n’était pas que les blessés fussent mal soignés, on les pansait
au contraire souvent et très souvent, quelquefois quatre fois
par jour; mais à chaque pansement le pus, louable ou non
louable, comme on disait alors, s'écoulait abondamment
des plaies; le bloc de charpie, imprégné d'humeurs fétides,
était remplacé par un autre bloc et l'infection continuait
toujours. Et en voyant les ainés accomplir gaiment leur
besogne, le jeune étudiant se disait : « J'aurai besoin de
toute mon énergie pour exécuter un pareil travail. »
Puis, continuant ses investigations, en attendant que les
pansements fussent terminés et que le cours de clinique
ou l'opération prévue commencçàt, 1l parcourait les froids
corridors et se rendait dans la salle d'opérations. Là, dans
cette salle quelconque, dallée de carreaux rouges, où le
— 309 —
soleil pénétrait à peine, tous les étudiants s'étaient préci-
pités autour d'un homme blessé, dont le membre inférieur
avait été broyé par un charriot; cet homme, après l'examen
du chirurgien, dont le seul uniforme consistait en un tablier
jeté hâtivement sur des habits qui l'avaient depuis longtemps
protégé contre toutes les souillures, après l'examen des
élèves qui venaient de pratiquer les pansements odorants
cités plus haut, cet homme, dis-je, halelant et pantelant se
reconnaissant à peine dans le lit où il avait été jeté preste-
ment, poussait des cris atroces et demandait qu'on le fit
mourir depuis qu'il avait senti le couteau fendre sa chair et la
scie mordre ses os. Les étudiants le tenaient bien, l’un d'eux
comprimait l'artère principale. En dix ou quinze minutes,
le chirurgien habile s'était débarrassé du membre broyé, il
liait les artères avec du fil de cuisine que l'on avait poli sur
la cire qui avait servi à faire luire les parquets, il faisait un
pansement avec le cérat, le linge fenètré, la charpie, il
réunissait les bords de la plaie avec le diachylon. Le malade
était reporté dans son lit, le chirurgien ne pensait pas aux
microbes.
Le lendemain ou le surlendemain, une hémorrhagie
formidable se produisait ; on pinçait l'artère, on la liait de
nouveau avec le même fil et vingt-quatre heures après une
nouvelle hémorrhagie survenait et puis ensuite se montraient
les grands symptômes de la septicémie, de la pourriture
d'hôpital. Le malade était perdu ; il contaminait les blessés
à côté desquels on l'avait mis. Le chirurgien ne connaissait
pas les microbes et le jeune étudiant continuait à se dire :
C Il faudra toute mon énergie pour que je puisse faire un
pareil métier ».
Pourtant le tableau n’était pas toujours aussi noir : il
arrivait qu'à cette époque réussissaient des amputations et
aussi des opérations considérables et très graves qui
gauvaient la vie des malades. Les chirurgiens de Paris, dont
les succès étaient rares, enviaient certains chirurgiens de
province dont les résultats étaient meilleurs et alors ils
disaientque l'air de la campagne valait beaucoup mieux que
l'air des villes : ils ne trouvaient que cette explication.
Certes à ce moment la chirurgie avait fait peu de progrès ;
elle avait au contraire reculé. Pendant qu'au XVIe siècle,
Ambroise Paré, le père de la chirurgie française, arrosait
avec du vin rouge bouillant les plaies de ses opérés, ce qui
constituait déjà un pansement aseptique, le pansement de
Desault, deux siècles plus tard, soumettait avec son cérat
défraichi et la charpie infecte qui l'accompagnait, la chirurgie
à un recul considérable qui causa dans toutes les guerres
du XIX° siècle une mortalité effrayante. Vous, Messieurs,
qui vous rappelez les évènements de la guerre de 1870-71,
vous n'êtes pas sans connaitre l'affreuse statistique que
fournissaient toutes les ambulances de la ville d'Arras. A
Paris, seules l’ambulance américaine et l’ambulance du
docteur Guérin donnèrent des succès.
Cependant, si les pansements étaient mauvais, la chirurgie
avait fait reculer la douleur et si beaucoup de chirurgiens
n'osaient encore se servir, pour endormir les malades, de
l'éther ou du chloroforme, à cause des dangers rares mais
réels qu'ils présentent, l'anesthésie était créée et cette partie
de la science chirurgicale ne devait pas s'arrêter et elle ne
s'arrêtera pas, car on entend tous les jours parler de méthodes
de plus en plus perfectionnées et il est permis, à l'heure
qu'il est, de pressentir le jour où l'on ne sera plus obligé
d'endormir le malade pour qu'il puisse supporter une opéra-
tion sans souffrance.
Je vous ai laissé deviner plus haut que les insuccès
fréquents des chirurgiens jusque vers la fin du siècle
dernier étaient düus à leur ignorance des microbes. Ces
microbes, dont il est tant parlé à présent, on les connaissait
cependant depuis longtemps, depuis la fin du XVII® siècle,
depuis le XVIIIe siècle et surtout depuis l'ouvrage d'Ehren-
berg, die Infusionsthierchen, qui parut en 1833. Plus la
— 357 —
construction du microscope fut perfectionnée, plus l'on
découvrit d'êtres infiniments petits, mais on ne les avait
étudiés qu’au point de vue de leur histoire naturelle, on
savait qu'ils existaient, mais on ignorait leur action, leur
puissance.
C'est le 18 mars 1878 que Sédillot, à l'Académie des
Sciences, proposa à tous ces organismes infiniment petits,
qui font partie soit du règne végétal, soit du règne animal,
le nom de microbes (de pixpos, petit et Bios, vie). Je ne crois
pas que ce terme figure encore dans le dictionnaire de
l'Académie.
Je voudrais vous expliquer, le plus brièvement possible,
par quelles successions diverses, l'étude des fermentations
conduisit à la découverte des microbes et quelle influence
ceux-ci possèdent dans des réactions dont on cherchait
l'explication uniquement dans la chimie. Pour ne pas
remonter plus haut dans l'histoire des sciences, prenons
Lavoisier et dans ses œuvres choisissons son mémoire sur
la fermentation alcoolique. C'est dans ce mémoire que se
trouvent ces phrases que tout le monde connait et qui ont
mis jusqu'à la fin du XIX° siècle tous les chimistes, tous les
savants sous leur domination : « Rien ne se perd, rien ne
se crée, ni dans les opérations de l'art, ni dans celles de la
nature, et l'on peut poser ce principe que, dans toute opéra-
tion, il y a une égale quantité de matière avant et après
l'opération, que la qualité et la quantité des principes est la
même,etqu'iln' ya que des changements, des modifications ».
— (« Comme conclusion, dit Duclaux, l'ancien directeur de
l'Institut Pasteur de Paris, décédé ïl y a peu d'années,
Lavoisier pèse un flacon rempli d'eau dans laquelle il avait
ajouté un poids donné de sucre et un peu de levure de bière ;
il mesure, par la perte du poids subie par le vase, l'acide
carbonique dégagé par la fermentation ; il sépare ensuite
l'alcool formé par distillation, le pèse, et trouve enfin que
le poids de l'alcool et de l'acide carbonique donnent à très
— 358 —
peu près le poids du sucre primitif. Le sucre se dédouble
donc simplement en alcool et en acide carbonique » et l'on
peut écrire l'équation suivante :
CEH20ft + H20 = 4 C’ HO + 40C O?
Il n'est pas parlé dans cette formule de la levure de bière
ni de l'à peu près des poids fourni par l'expérience; bien
mieux Gay-Lussac et les chimistes qui suivirent Lavoisier
firent de son équation chimique une équation mathématique
et n'hésitèrent pas à donner le coup de pouce à la balance
pour faire concorder leurs expériences avec la formule. Telle-
ment ils avaient foi en elle!
Jusqu'alors la levure était considérée comme une subs-
tance purement chimique; mais, en 1835, Kutzing et
Schwann en Allemagne, Cagniard-Latour en France, à peu
près en même temps, examinent la levure au microscope et
constatent qu'elle consiste en globules ovoides ou sphé-
riques, d'aspect organisé. Ce sont, dit Cagniard-Latour, des
êtres vivants « susceptibles de se reproduire par bourgeon-
nement, et agissant probablement sur le sucre par quelque
effet de leur végétation et de leur vie ». Retenez bien ces
mots, Messieurs, ce sont les mots précurseurs de la science
bactériologique. Cagniard-Latour avait aperçu dans la fer-
mentation alcoolique, non une combinaison chimique, mais
un acte vital. Ni lui, ni Schwann ne furent écoutés, mais
en 1858, Pasteur, dans son mémoire sur la fermentation
lactique démontrait l'existence d'un ferment lactique, diffé-
rent par sa forme de la levure de bière, mais se comportant
comme elle, capable, lorsqu'il est porté artificiellement dans
un milieu convenable, de s y multiplier et d'y produire la
même transformation que dans le liquide dont il est sorti.
Peu après, en 1860, le même Pasteur soutenait sa lutte
longue et mémorable sur la génération spontanée et il en
sortait victorieux, montrant qu'actuellement il n'ya rien
qui permette de croire que des êtres infiniment petits n'ont
pas de parents et que, s'il se produit dans un liquide quel-
— 959 —
conque des phénomènes de fermentation, c'est l'air extérieur
qui a importé des germes spéciaux. Les recherches consé-
cutives de Pasteur sur l'acétification et sur les maladies du
vinaigre, Sur les maladies des vers à soie, des vins, de la
bière continuées jusqu'en 1879, ne firent que confirmer ses
idées.
Jusqu'alors les recherches de Pasteur avaient porté sur
des matières prises en dehors de l'espèce humaine. Mais
déjà en 1863, l'un de ses élèves, Davaine, avait trouvé le
microbe du charbon et alors Pasteur se lance dans la
pathologie des étres supérieurs. Il confirme en 1877 la
découverte de Davaine, il publie en 1878desnotessuccessives
destinées aux chirurgiens sur le vibrion septique et dès lors
il change toutes les méthodes chirurgicales. Il faut avoir
vécu ces années là, dans les hôpitaux de Paris, pour pouvoir
apprécier l'énorme diminution de mortalité qu'apportèrent
les idées de ce grand Français, appliquées par le docteur
Lucas-Championnière qui avait suivi immédiatement la
méthode du docteur Lister d'Edimbourg. Pasteur alors était
immortel et la chirurgie du monde entier allait subir un
changement prodigieux.
Pasteur découvrit encore les microbes du choléra des
poules, de la furonculose, de la fièvre puerpérale, la vacci-
nation charbonneuse et, ce qui couronne son œuvre, le
microbe et la sérothérapie de la rage. Il est juste de recon-
naître que pendant cinq ans Pasteur, dans cette dernière
découverte, avait été aidé par Roux, le directeur actuel de
l'Institut Pasteur de Paris et par le docteur Chamberland.
Donc Pasteur avait montré aux chirurgiens la route à
suivre, il les avait instruits sur les causes de la mortalité et
de la fièvre des blessés. L'ancien pansement était une cause
constante de fermentation, il produisait du pus, résultante
de cette fermentation; il fallait donc anéantir les microbes,
le pus etles mauvaises fermentations. L'idée qui se présenta
à l'esprit de tous fut de recourir dans les opérations et dans
— 360 —
les pansements aux substances filtrant les microbes et aussi
aux antiferments, aux antiseptiques.
Si vous voulez bien vous reporter à ce que j'ai dit plus
haut brièvement, vous vous rappellerez peut-êtreque pendant
la guerre de 1870-71, à Paris, il n'y eut que deux ambulances,
l'ambulance américaine et l'ambulance de A. Guérin qui
eurent des succès : elles procédaient au même mode de
pansement, le pansement ouaté. « Nous venions, dit le
professeur Verneuil, de traverser une crise chirurgicale très
intense et telle qu'aucun de nous n'en avait jamais vue...
Tout était infecté et la pyohémie sévissait avec une extrême
rigueur. Aussi perdimes-nous presquela totalité des blessures
graves et bon nombre de celles qu'on eût facilement sauvées
en temps ordinaire...
» Alors plus d'indications précises, plus de prévisions
naturelles; abstention, conservation, mutilations restreintes
ou radicales, débridement préventif ou consécutif, extraction
précoce ou retardée des projectiles et des esquilles, panse-
ments rares ou fréquents, émollients ou excitants, secs ou
humides, avec ou sans drainage, rien ou presque rien ne
réussissail.
» On peut se figurer à quel degré d'incertitude et de
découragement nous en étions arrivé... Sur ces entrefaites,
nous apprenons qu un de nos collègues pratiquant dans un
grand hôpital, et qui pendant le siège n'avait pas été plus
heureux que nous, obfenait maintenant des succès en grand
nombre, il sauvait une forte proportion de ses amputés et de
ses blessés gravement atteints.
» Nous alläâmes aux renseignements à la bonne source
en interrogeant directement notre éminent ami, le docteur
Alphonse Guérin... Pour toute réponse, il nous convia à
venir voir dans son service les opérés qui s’y trouvaient en
grand nombre ».
Le pansement de Guérin consistait uniquement en une
épaisseur considérable d'ouate apposée sur la plaie et
— 361 —
maintenue serrée au moyen de bandes. Pourquoi Guérin
s'était-il adressé à la ouate ?
Comme l'a dit Huxley dans la Revue scientifique de 1871,
« depuis les magnifiques recherches de M. Pasteur sur la
génération spontanée, on sait très bien que les innombrables
particules, organisées ou non, contenues dans l'air, sont
parfaitement arrêtées par les filaments d'un tampon de
coton ». |
En 1869, Tyndall avait démontré, par des expériences
indiscutables, que le filtrage de l'air à travers du coton rend
cet air optiquement pur ; c'est-à-dire qu’un rayon lumineux
projeté dans un tube rempli d'air filtré n'illumine aucune
espèce de particule solide, ce qui aurait lieu dans le cas où
le gaz aurait été incomplètement purifié.
Ainsi donc, Guérin croyait qu'avec son pansement, l'air
chargé de germes passait purifié à travers l'ouate et que la
plaie devait guérir sans accidents. L'idée était bonne, mais
n'était pas parfaite, car lorsque les pansements étaient
enlevés, on y trouvait encore du pus, ce qui n'arrive guère
actuellement.
Guérin avait mis un filtre entre la plaie et l'air. Déjà et
depuis longtemps, des chirurgiens avaient commencé, mais
sans le savoir, à lutter directement contre le microbe lui-
même au moyen d'antiseptiques. Pour ne pas remonter au
déluge, disons seulement qu'Hippocrate s'était servi du vin
et de l'hydromel pour panser les plaies. Plus tard, Ambroise
Paré, je vous le répète, se servait beaucoup du vin et de
l'eau-de-vie. Mais le pansement de Desault reprend faveur,
le linge cératé, les onguents, les cataplasmes sont employés
à la fin du XVIIIe siècle et pendant une très grande partie
du XIXe. Je ne puis m'empêcher ici de vous raconter qu'en
1848, l’un de ceux qui devaient bientôt être des vôtres, le
docteur Louis Lestocquoy, commença de panser avec
l'alcool ses blessés dans son service de l'hôpital d'Arras,
que peu de temps après le docteur Lecœur, de Caen, fit de
— 362 —
même, et qu'ensuite Nélaton, à Paris, l'employa dans son
service, et tous les élèves de ce dernier dans toute la France
et le monde entier jusqu'au moment où le pansement de
Lister prit sa place.
Le pansement à l'acide phénique, qui est la base du pan-
sement de Lister, existait depuis 1859, comme le pansement
à l'alcool, mais de même que celui-ci, il était un pansement
empirique, on l'employait parce qu'on le croyait meilleur,
mais sans savoir pourquoi il était meilleur.
Dans l'esprit de Lister, après les expériences de Pasteur,
et dans celui de Lucas-Championnière, qui propagea le pre-
mier en France le pansement de Lister, il faut détruire les
germes et les organismes vivants, avant, pendant et après
l'opération. L'acide phénique, excellent antiseptique, qui vu
servir au chirurgien, doit lui fournir les solutions néces-
saires lorsqu'il sera dissous à 5 ou à 2 pour 100 dans de l'eau
additionnée d'alcool ou de glycérine; les parties à opérer,
les mains de l'opérateur et de ses aides vont être lavées avec
la solution faible, les instruments sont plongés dans la solu-
tion forte, un pulvérisateur, qui lance des vapeurs phéni-
quées, crée autour de la partie exposée, une atmosphère de
désinfection. Je vous fais grâce de la technique compliquée
du pansement de Lister, qui, au point de vue où je me place
aujourd'hui, ne vous paraitrait d'aucune utilité, mais je
tiens à vous faire comparer la mortalité dans les amputa-
tions faites avec les vieilles méthodes de pansement et dans
les amputations faites avec la méthode de Lister. Voici le
tableau de Max Schœde pris dans le Dictionnaire encyclo-
pédique des Sciences médicales :
— 363 —
Vieilles méthodes
Méthode de Lister
de pansement
DESICNARION CAS NON COMPLIQUÉS | CAS NON COMPLIQUÉS
cas morts cas morts
Désarticulation de l'épaule 45 8 9 4
Amputations du bras... 4 6 32 0
— de l’av.-bras. 42 2 41 0
— de la main... 40 0 4 0
— de la hanche. 3 2 6 4
— de la cuisse. | 105 43 86 6
— du genou... 7 4 3 0
— de la jambe. | 445 38 69 1
— partielles du pied. 39 10 65 2
TOTAUX rer oo e 371 410 321 14
PROPORTION POUR 100... 29,18 4,4
Plus tard, mais toujours en suivant les mêmes principes,
on abandonna plus ou moins la pratique de Lister, les
chirurgiens firent, suivant les cas, des pansements à
l'iodoforme, à l'acide salicylique, au thymol, etc. Je n'en
finirais pas, si je voulais vous les énumérer tous. Ce qui
ressort de tout cela, c'est que la mortalité des blessés a
diminué de plus en plus, et qu'il est devenu possible d'opérer
avec une sécurité beaucoup plus grande qu'auparavant. Le
chirurgien s'est rendu le maïtre de lésions auxquelles nos
anciens n'osaient pas toucher, il a trouvé, dans les cavités
naturelles, l'abdomen, le thorax, le crâne, le champ de
bataille où il lutte avec avantage.
Et cependant la chirurgie vient encore de subir une
évolution nouvelle : jusqu'en ces derniers temps la plaie a
été protégée contre les germes par les antiseptiques et la
filtration dans l’ouate ; maintenant il ne va plus y avoir de
germes sur les régions à opérer, le chirurgien et ses aides
seront dépouillés de microbes, ceux-ci ont disparu : à
l'antisepsie va succéder l'asepsie,
— 364 —
L'asepsie domine maintenant le chirurgien. Celui-ci
n'emploie plus les antiseptiques pour tuer les microbes, qui
n'existent pas d'ailleurs dans les plaies non suppurantes,
car ces médicaments présentent l'inconvénient d'altérer les
tissus de l'économie. Nous nous servons d'eux pour nettoyer
les endroits du corps humain où le pus se collecte, pour
rendre nets nos champs opératoires et nos mains, ces mains
que nous voulons non seulement propres, mais recouvertes
de gants de caoutchouc qui ont bouilli pendant deux heures.
Nous désinfectons l'organisme : bouche, estomac, intestins,
conjonctive, peau, avant l'opération, nous désinfectons tous
les instruments, tous les objets de pansement. Les chirur-
giens et les aides se déshabillent, pour revêtir de grandes
blouses stérilisées. Nous avons la volonté de vaincre la
misère humaine et de guérir les malades. Nous y arrivons
souvent, car actuellement la mort n'est plus la compagne
habituelle de l'opération et quand le succès n'a pas répondu
à nos efforts, malgré les progrès que notre science fait à
chaque instant, c'est un évènement dont on parle, ce n'est
plus une chose habituelle. Nous n'avons pas toujours
l'instrumentation nécessaire, mais nous avons de la patience,
nous l'obtiendrons, car le Progrès est là qui nous attend et
que nous devons suivre.
Messieurs, j'ai essayé de vous tracer un tableau raccourci
de l’évolution de la chirurgie depuis moins de cinquante
ans, je l'ai fait avec plus d'enthousiasme que de talent. Mais
laissez à celui qui est fier de la marque d'estime que vous
lui avez accordée en le recevant parmi vous, la permission
de répéter avec le docteur Louis Lestocquoy les paroles qu'il
prononçait dans un discours de rentrée : « Vous comprenez
que, malgré son attitude froide et impassible, le chirurgien
puisse posséder au fond du cœur des sentiments tendres et
affectueux. Vous comprenez surtout que ce calme si pro-
fond, loin de révéler un cœur dur, révèle un sublime effort de
l'âme qui maitrise ses émotions pour accomplir son œuvre. »
dede de ee ee eee
RÉPONSE
au Discours de Réception
de M. le Dr LESTOCQUOY
Membre résidant
PAR
M. @G. ACREMANT
Président
Monsteur,
5e y a longtemps que nous désirions compter un chirur
gien parmi les membres de notre Académie. Celle-ci
comprend les personnalités les plus compétentes de notre
Cité dans chacune des branches de la science. Depuis la
mort de M. le docteur Trannoy {1}, de vénérée mémoire,
l’art médical n'était plus représenté chez nous... Nous vous
attendions |...
Mais ne vous trompez pas!
Vous semblez, par modestie évidemment, rejeter sur vos
prédécesseurs, M. le docteur Trannoy et M. le docteur Louis
Lestocquoy, l'honneur que notre Compagnie a désiré vous
faire. Académiquement, vous avez tort, Monsieur. Nous ne
nous sommes inspirés d'aucun précédent.
« Vous avez, venez-vous de nous dire, quelque fierté
(4) M. le docteur Trannoy, ancien Directeur de l'Ecole de Médecine
d'Arras.
— 366 —
d'avoir été le parent de tous les deux, parce que vous espérez
ne Jamais démériter de l'honorabilité qu'ils ont acquise de
leur vivant... » Et plus loin, vous ajoutez : « Laissez-moi
croire qu'ils m'ont servi dans le choix que vous avez fait...»
Non! mon cher Collègue, je ne puis vous laisser croire
pareille chose! Je suis ici pour dire la vérité, toute la vérité,
rien que la vérité... Notre choix n'a été que guidé par leur
souvenir | Ce sont vos mérites seuls qui l'ont déterminé.
Vous êtes cousin de l'un de nos plus chers académiciens
dont vous vous plaisiez tout à l'heure à rappeler les paroles,
et qui, connaissant par avance la valeur de son filleul a
revendiqué l'honneur d'être votre parrain.
De mème, vous êtes le beau-frère du glorieux auteur de
Salamine, ce poème que l'Académie Française a été heureuse
de couronner. Tout dernièrement, les poètes de Paris le
chargeaient de guider leur Société, en l’élisant à l'unanimité
leur Président, etchacun parmi nous regrette que l'éloigne-
ment ne nous permette pas de compter M. Sébastien-Charles
Lecomte au nombre de nos membres titulaires.
Mais le droit de naissance et le droit de famille ne sont
pas les seuls que vous puissiez revendiquer.
Vos titres de médecin du Bureau de bienfaisance et des
Enfants assistés, du Conseil d'hygiène et de l’Institution
des sourds-muets et aveugles, du Patronage des habitations
à bon marché et des chemins du Nord, la haute fonction
que vous occupez si habilement comme chirurgien en chef
de l'hôpital, vos présidences de la Commission d'inspection
des pharmacies et de l'Association des secours mutuels des
médecins du Pas-de-Calais... j'en passe. et des meilleurs.
auraient suffi pour que nous vous invitions à venir prendre
une part active à nos travaux. Malgré cela, vous avez adjoint
à ces divers emplois une grande quantité d’autres pour
lesquels l'Assistance publique, ainsi que l'Académie de
médecine de Paris vous ont décerné de nombreuses
médailles... |
— 96 —
Je ne veux pas oublier que votre discours de réception a
été pour nous une nouvelle révélation. Il nous a fait con-
naître votre amour des belles-lettres et votre aptitude
éloquente à le présenter.
En réalité, vous le voyez donc, c'est surtout par droit de
conquête que vous possédez le titre d'Académicien.
Je n'en veux pour preuve que le portrait talentueux que
vous venez de tracer de Victor Barbier. Grâce à vous, nous
avons revu devant nous notre regretté collègue.
Mais, vous nous l'avez présenté d'une façon officielle.
Nous l'avons presque tous connu d'une façon plus intime.
A l'Académie, nous sommes, presque tous, ses anciens amis.
Je me souviens d’avoir été reçu, presque quotidiennement,
pendant de longues années, au Mont-de-Piété, dans le petit
bureau encombré de livres, de vieux journaux, de registres
poussiéreux, situé au fond d'une cour sombre, à l'entrée
d'un jardin gai, si l'on veut... à cause de l'air pur qu'on y
respirait, mais qui m'a toujours paru triste à cause des
murs lugubres qui l’entouraient, insuffisamment cachés
sous une tapisserie de lierre. C'était dans une petite pièce
isolée entre cour et jardin que notre collègue regretté passait
une grosse partie de ses journées, vêtu d'une longue robe
bleue à brandebourgs rouges, la tête recouverte d'une toque
de velours que lui avait affectueusement brodée une de ses
parentes.
On était toujours admirablement accueilli par l'auteur de
tant de vers pétillant de gaité et de fantaisie.
On le trouvait régulièrement en train de refaire une
addition, ayant auprès de lui un livre ouvert, un vieux
bouquin. A peine m'avait-il reçu qu'il me parlait de sa
ville d'Arras, des modificationsäintroduiredansla réparation
des monuments, des améliorations à apporter au bien-être
de chacun, plaisantant et riant à tout propos.
Cette opposition entre la vie positive et le rêve représentait
exactement son existence. Il savait être sérieux, « bourgeois »
— 368 —
même lorsqu'il fallait, alors que toutes ses tendances le
poussaient vers la bohème chimère.
Quelquefois, je ne le trouvais qu'au premier étage, dans
sa bibliothèque, dans son sanctuaire du travail... Autour
d'une immense table noire qui recouvrait un certain nombre
de cartons contenant des papiers inédits s’étalaient les
rayons sans nombre... A droite se trouvaient ses ouvrages
d'histoire locale, et ils étaient fort nombreux, puisque le
Département a cru devoir acquérir à sa mort toutes les
raretés, qu'en bibliophile infatigable, il avait péniblement
amassées pendant sa vie.
Une petite salle obscure précédait ce dépôt précieux ;
elle contenait des piles d'anciens journaux, vieux imprimés,
documents de toute espèce. Le désordre le plus parfait y
régnait. Si ce désordre était un effet de l’art, je dois à la
vérité de dire que Victor Barbier était fort artiste. Le temps
lui faisait d'ailleurs défaut pour adopter un classement
méthodique.
Cependant, cette incohérence n'était qu'apparente. Il
savait où il avait placé la moindre plaquette. Il pouvait à
l'instant la retrouver, car jusqu'à son dernier souffle, il
conserva une présence d'esprit étonnante et une mémoire
prodigieuse.
Je me rappelle avoir passéà cetétagedesheuresdélicieuses.
En compagnie de cet excellent ami, la conversation ne
tarissait jamais. Nous causions.. pour le simple plaisir de
la causerie... Et Barbier avait toujours quelque question à
discuter,
Je n'exagérerai pas d'ailleurs en disant qu'il joua un rôle
important dans l'histoire d'Arras de la seconde moitié du
XIX° siècle.
Il était né à Arras. Il adora Arras. Il y demeura toute sa
vie. Il y mourut.
Il a donc été le plus Arrageois des Arrageoiïis. En toute
occasion il l’a prouvé!
=, 900 =
Ce ne sont pas ses travaux d'histoire, ce ne sont pas ses
lettres de Robespierre qu'il a fait précéder de courtes notices
biographiques qui ont attiré principalement les yeux vers
lui. Ce n'est pas non plus le rapport qu'il a rédigé, sur la
demande de Monsieur le Préfet, pour constater les progrès
des arts et des lettres dans le Pas-de-Calais au cours du
XIXe siècle qui l'a conduit à la célébrité.
Non! ce sont les vers qu'il produisait hâtivement, mais
toujours avec esprit, ce sont, comm il les a qualifiées, « ces
innocentes boutades jetées aux quatre vents sous de faux
états-civils » qui lui ont apporté la renommée. Ces « produc-
lions éphémères et bâtardes qu'il jugeait lui-même « dignes
de l'oubli » l'ont traîné triomphant sur les marches de notre
gloire régionale.
Spirituel par nature, fantaisiste par tempérament, il était
satirique. par habitude. D'humeur batailleuse, il aimait la
polémique, il la recherchait..… je veux parler de celle de bon
ton, car jamais il ne poussait assez loin ses plaisanteries.
pour froisser les amours-propres. En voici un exemple :
Barbier répond au rédacteur de la Revue du Nord, « le spi-
rituel écho des revendications septentrionales, » qui, sous
ce titre Robespierre rosati, s'est permis de citer des vers qui
n'ont jamais été dits sous le bosquet de Blangy et il sécrie :
« C'est le cas du Madrigal à Ophélie (Orphélie dans la pre-
mière version) qu'on nous avait toujours présentée jusqu'ioi
comme une dame d'Arraset qu'il nous donne éujourd hui
pour une fille d'Albion. Mômes observations pour L'homme
champêtre dont la paternité n'est rien moins que démontrée;
et pour Le Mouchoir du Prédicateur qu'une erreur malen-
contreuse du copiste a transformé cette fois en: manchon. »
Pendant tout. un demi-siècle, il: ne se pass& rien: dans
notre ville, sans qu'il ne s'y trouvât mêlé par la force même
des choses.
En 1891, il faut ressusciter le carnaval qui s8 meurt, il
intervient :
u
— 370 —
Demain, de farine ou de cendre
À ton gré tu te couvriras.
Mais avant, laisse mardi gras
En terre mercredi descendre.
Évohé! Vive la gaité !
Assez Lôt viendra le carème.
Ua chapon vaut bien une brême !
Carnaval est ressuscité !... ‘1)
En 1893, il célèbre la fête du Collège d'Arras dont il
deviendra par la suite le Président des Anciens Elèves :
L Encouragez les débutants,
Trop tôt, ils deviendront des hommes !
Pour eux, finira le printemps !
Encouragez les débutants
” En souvenir du bon vieux temps
Où vous étiez ce que nous sommes... (2)
: Un peu plus tard, il prend la bretelle de la gare à parti :
La gare d'Arras est fort belle,
C’est la plus belle du réseau,
Et doit d’être un Joli morceau
A sa bretelle… GB).
En somme, je ne cite son intervention que dans des cas
particuliers. Pourtant, c'est dans toutes les occasions que
je devrais la signaler, car partout l'on a recours à son
obligeance, soit pour la rédaction d'un article de journal,
soit pour la création d'une légende, soit pour faire une
chanson, soit pour rédiger un rapport ou un discours. Il
rend aussi bien compte du départ pour la fête que du retour
de la joute. |
Il devient, comme vous l'avez fort one dit, le
« boute-en-train » de toutes les cérémonies. .
_(4) Carnaval est ressuscité ! chanson.
(2) Prologue de la fête du collège d’Arras,
(3) La bretelle, poésie,
— 371 —
11 le reconnait si bien lui-même qu'un de ses discours de
l'Académie commence ainsi :
« Chargez-vous du rapport et faites-nous bien rire
» Surtout ! » m'avaient dit des amis... 14)
On ne doit pas s'étonner qu'il soit devenu l’auteur d'une
foule d'historiettes, tant sur l’Arbre de Noël que sur une
excursion Ou un déjeuner champêtre ? Il a composé une
multitude de toasts portés soit aux banquets organisés par
le Conseil municipal, soit à ceux organisés par les sociétés
de la ville, soit enfin aux diners donnés par les familles, à
l'occasion d'un mariage, d'une naissance... Il en composa
plus d'une fois pour l'élévation du chef de famille à un grade
que sa modestie ne lui permettait pas d'espérer. Dans
chacune de ces solennités, il savait apporter un je ne sais
quoi, sut generis, très piquant, très approprié, très sympas.
thique.
Son activité est même sortie d'Arras.
Partout où il a paru, à Berck-Plage, à Wimille-Wime-
reux (2), à Montreuil, à Hesdin, à Bruxelles, à l'Hay, à
Chantilly, les airs ont vibré de l'écho de ses rimes et Moulin-
le-Comte lui-même l'a entendu chanter :
Cet heureux village n’a pas
D'histoire ! On y vit sans tracas,
On n'a coulé personne cn fonte
A Moulin-l'-Comte.. (3)
A Vimy,en 189,9, il s'en va célébrer l'édification d'un
monumentà la mémoire d'A bel Bergaigne. Selon sa précieuse
habitude, il en profite pour revendiquer en faveur d’Arrss
(1) Rapport sur le concours de poësie. Mém. de l'Ac., 28. t. XXVI.
(2) A cette époque, Wimille et Wimereux ne formaient qu’une seule
commune.
(3) À Moulin-le-Comte,
— 979 —
ce qui revient à Arras l'honneur et le droit de compter
comme un de ses enfants, ce savant membre de l'Institut :
Nous te revendiquons, nous avons cette audace,
Bergaigne ! Tu nous appartiens !
Il était de chez nous, ton aimable grand-père,
Peignant, rimant, lançant son mot.
Il fut aux Rosati le plus joyeux confrère.
De Robespierre et de Carnot... (1)
Quoi d'étonnant, après cela, que Barbier écrivit l’histoire
des Rosati. Il devait la faire. I] la fit après Dinaux.
Le non de Rosati est l'anagramme d'Artois ; il s’attacha
donc à son œuvre, espérant :
Que son récit pourrait dissiper la névrose
Qui tourmente ce siècle et qui trouble nos sens!
Que nos frères iraient revoir la vie en rose
Rien qu’en prêtant l'oreille à leurs joyeux accens.… (2)
L'on conçoit aisément que dans de semblables conditions,
le nombre de pièces de vers faites par notre collègue, même
en exceptant celles qui sont restées manuscrites dans ses
cartons, soit incalculable,
Cependant, si Victor Barbier avait voulu, il aurait peut-
être pu marcher de pair avec les Ronsard et les de Laprade,
car dans sa pièce Gloria Victis, à l'instar de Jean Richepin,
il pousse le cri de détresse qui a remué tous nos cœurs en
faveur des arbres abattus et il sait être réellement attendris-
sant. Ce poème est beau de forme et de pensée; ilest, à mon
humble avis, le meilleur sorti de son imagination ardente
et je vous demande la permission de le relire ensemble en
partie du moins :
(1) Mém. de l'Acad., 2° série, t. XXX.
(2) Les Rosati. Notice historique. Sonnet-préface.
— 9373 —
Arrageois, c'en est fait ! Les tilleuls et les ormes,
Qui couronnaient nos vieux remparts,
Sont tombés sous la hâche et leurs débris informes
Jonchent le sol de toutes parts.
Ils n'abriteront plus les pinsons ni les merles
Ces petits hôtes familiers
Perchés sur leurs sommets pour égrener les perles
De leurs mélodiques gosiers.
Avec leur meilleur bois, des ouvriers habiles
Feront des tables, des bureaux,
De solides berceaux pour vos enfants débiles,
De bons cercueils pour leurs bourreaux ;
Et leurs branches, sans peine en bùches transformées,
Serviront à faire du feu
Et terniront bientôt de leurs sombres fumées
L’azur infini du ciel bleu (1).
Victor Barbier aurait pu écrire des vers sérieux. Il préféra
rester pendant toute sa vie un artiste réveur et original, un
bibliophile érudit et non discuté, un poète spirituel et sati-
rique, toujours jeune, toujours gai, et je lui décerne bien
volontiers la palme gu'il s'était réservée :
Celle du dernier Rosati
Qu’Arras à présent compte encore (2).
J'entends le « Rosati du vieux siècle », car sous le coup
de la baguette magique du grand rénovateur Réné Le
Cholleux, presque toutes les cités du Nord comptent aujour-
d'hui des sociétés rosatiques.
Si Barbier avait été, à ma place, chargé de répondre au
discours de réception d'un chirurgien, il n'aurait pas été
embarrassé.
Il aurait d'abord félicité l’Académie de son choix, en
établissant une corrélation intime entre lui et le corps des
chirurgiens, car autrefois la Faculté de Médecine dont le
(1) Mém. de l’Acad., 2e S., t. XXII.
(2) Résurrection, poésie adressée à M. Le Cholleux.
_— 374 —
sommeil paisible était hanté par les succès du Collège de
Chirurgie parvint à le faire réunir à la corporation des
Barbiers.
D'un autre côté, comme il était président de l’Union
artistique du Pas-de-Calais, il n'eut pas manqué de monter
sa lyre d’un octave et de chanter saint Luc. Une tradition
erronée attribue en effet au compagnon de captivité de
saint Paul, le double patronage des chirurgiens et des
artistes ; tandis qu'il ne fut que médecin. Cette fonction a
suffi à occuper tous ses instants, car il a été, dit l’histoire,
un savant fort habile en son art, en même temps qu'un
lettré remarquable par la pureté de son style.
Victor Barbier n'eut pas manqué pour finir de rappeler
que Molière s'est fait un malin plaisir de stigmatiser tous
les Diafoirus et tous les Purgon.
Il est certain que J.-B. Poquelin a fait ainsi parler ses
personnages pour chatier l'ignorance des médecins de son
temps, qui était mal dissimulée sous un langage ridicule.
Ses diverses pièces n'offensent plus personne.
La médecine de nos jours est devenue une science des
plus difficiles, des plus compliquées et pour laquelle on se
passionne.
Vous aussi, Monsieur, vous possédez un véritable amour
pour elle. Vous nous l'avez démontré en nous permettant
d'assister au premier battement de cœur qu'éprouve l'étu-
diant studieux en face du lit du premier malade qu'il est
appelé à soigner. Vous nous l'avez également prouvé en
écrivant l'histoire de l’évolution chirurgicale à laquelle vous
avez assisté, à laquelle vous avez pris part, depuis la mort
de M. le docteur Trannoy. Cette étude vous était chère!
Comme quelque bijou d'un haut prix, vous l'avez adroite-
ment polie et fait étinceler…
Aussi, sur cette question, je préfère vous déclarer sinct-
rement que je ne vous suivrai pas.
Je ne connais de la médecine que son histoire générale,
— 9379 —
Je sais que chez les Egyptiens il y avait l'exposition en
public des malades. En orient, les médecins étaient affectés
chacun d'une spécialité. Chaque région du corps : les bras,
les jambes, l'estomac. avaient leur médecin spécial. On est
revenu de nos jours à ces anciens errements.
Je ne sais donc rien de particulier sur la médecine.
C'est à vous qu'il appartiendra de nous instruire de tout
ce qui concerne votre art. Vous le ferez parfaitement.
Et, avant de m'asseoir, en vous déclarant que les portes
de notre Compagnie vous sont grandes ouvertes, laissez-moi
vous dire que nous avons toute confiance en vous.
Vous nous ferez des communications médicales, et
contrairement à ce qui arrive toujours dans les auditoires en
pareil cas, en vous écoutant, nous ne croirons pas découvrir
brusquement en nous les symptômes des maladies dont
vous nous parlerez.
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III
Séance publique du 26 Octobre 1911.
Allocution d’Ouvertuüre
PAR
M. G. ACREMANT
Président.
Mespanes Messieu RS,
or allocution ne sera qu'un très court avant-propos,
7 une simple préface au labeur incessant de nos rappor-
teurs et aux éloquents discours que vous allez entendre.
Les orateurs font valoir une Société comme la nôtre, car
ils impriment à nos séances publiques une saveur toujours
nouvelle et tout à fait personnelle.
Quant aux rapporteurs, après avoir assisté à la correction
des mémoiressoumisà notre jugement, ils viennent défendre
et justifier les conclusions de la Commission du Concours.
Leur mission est des plus délicates, car elle consiste à con-
cilier deux choses qui paraissent opposées en elles-mêmes :
critiquer les concurrents sans jamais les mortifier !
Vous les applaudirez les uns et les autres, parce qu'ils
possèdent cet esprit et cette science qui donnent à leurs
affirmations l'autorité nécesssaire.
Auparavant, permettez que je me conforme à la tradition
annuelle de notre Compagnie. L'année 1911 sera marquée
d’une croix noire dans nos annales et aux décès que j'ai eu
—.380 —
la douleur de vous signaler lors de notre dernière réunion,
il me faut, hélas ! adjoindre celui de M. Louis Ricouart.
: M. Ricouart fut l'un de nos doyens d'âge. Sa traduction
de Manilius força les portes de l'Académie à s'ouvrir devant
lui. Ses nombreux amis d’ailleurs les lui auraient ouvertes ;
leur nombre était proportionnel aux services qu'il rendit
soit en administrant la ville, soit en dirigeant la société
typographique de secours mutuels. En votre nom, j'adresse
à la mémoire de ce travailleur et de ce savant l'expression
de notre plus profond et sympathique respect.
Il me reste à remercier tous ceux qui ont concouru de
près ou de loin à l'éclat de cette solennité :
M. le Préfet, dont les excellents services viennent d’être
récompensés par un avancement exceptionnel, et qui est
représenté ici par l'honorable M. Gerbore.
Mgr Lobbedey, Évêque d'Arras, de Boulogne et de
St-Omer, que des engagements antérieurs retiennent éloigné
de cette salle de réunion, et qui s'est plu à s’y faire repré-
senter par M. le Chanoine Duflot.
Enfin M. le Maire, à qui je ne saurais trop, au nom de
l'Académie, exprimer notre reconnaissance, et qui est repré:
senté par M. Rohsrt adjoint |
Rise is
PAT PT Na RIT PNA PTIT PTIT TNT
RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE L'ANNÉE
(1910-1911)
PAR
M. le Baron CAVROIS de SATERNAULT
Secrctaire-Général
Messieurs,
: ‘ip j'appris l'an dernier avec quelle faveur vous
4 aviez accueilli le rapport que M. le Secrétaire-Adjoint
vous présentait, disait-il, en style d'ingénieur, je me promis,
dans l'espoir d'obtenir les mêmes suffrages, d'aborder moi
aussi le terrain scientifique et de rechercher dans mes
réminiscences d'études déjà lointaines une forme qui pat:
plaire à |” « Académie des Sciences » que vous êtes non
moins que « des Lettres et des Arts ».
Un peu plus tard, en lisant le rapport de M. Blondel, je
m'aperçus que le style du savant ingénieur n'avait rien à
envier à celui des « véritables hommes de lettres » qu'il
avait loués, que la précision scientifique n'excluait pas le
charme des procédés littéraires, et que notre collègue vous
avait plu, quoi qu'il en ait dit, par les qualités qu'il admirait
chez les de Mallortie, les Louis Cavrois et les Barbier (1).
Mais mon rève algébrique me hantait; des formules
({} Mémoires de l'Académie d'Arras, tome XLI, 1910, page 278.
— 389 —
mathématiques me poursuivaient. J'appelais, comme
d'usage, x, y, 3, les inconnues à dégager du problème
suivant : étant donné l'érudition depuis longtemps exercée
d'historiens attentifs, l’éloquence d’orateurs diserts, l'expé-
rience d'éducateurs éprouvés, la sagacité de critiques d'art
avertis, les compétences variées de juristes, d'officiers,
d'ingénieurs, de théologiens, de professeurs..…., qu'allait
produire d'utile et d'agréable la juxtaposition et l'influence
réciproque de tous ces excellents éléments ?
Le problème est aujourd'hui résolu; je vais vous en donner
la solution pour 1910-1911, en établissant la courbe des
travaux de l'année selon la méthode de la géométrie ana-
lytique.
Ne soyez pas trop effrayées, Mesdames, de cette annonce
un peu étrange. Vous-mêmes peut-être, n'avez-vous pas
tracé avec amour la courbe des progrès d'un bébé jalou-
sement surveillé, ou avec angoisse celle des variations de la
fièvre chez un malade ? Deux lignes à angle droit, l'une
horizontale, l'autre verticale, servent d'échelles ; on matque
sur la première des points également espacés qui figurent
les jours ou les semaines suivant les cas, et au-dessus de
chacun de ces points, à une hauteur variable, on représente
le poids obtenu ou le degré constaté; la ligne qui joint ces
derniers points est la courbe du développement du bébé ou
de la progression de la maladie.
Les mathématiciens ne font pas autrement ; seulement ils
emploient des termes rébarbatifs, appellent Ox, Oy nos deux
lignes, dénomment l'horizontale axe des abscisses et la
verticale axe des ordonnées. Si vous tenez, Messieurs, à
user de ce langage, je dessinerai mon graphique en portant
en ordonnées vos spéculations les plus élevées et en abscisses
vos études les plus étendues.
Dans cette dernière direction, c'est évidemment M. le
comte de Hauteclocque qui portera notre courbe au point le
plus éloigné. Un président, peu admirateur de la statistique,
— 98 —
(il le prétend du moins) n’a-t-il pas calculé quenos Mémoires
lui doivent 166 feuilles d'imprimerie, autrement dit 2.653
pages, ou si vous préférez 95.408 lignes (1)! Oh ! sans doute
tout cela n'est pasle travail de la seule présente année, mais
celle-ci, non moins productive que les années précédentes,
nous a donné neuf lectures sur l'histoire d'Arras et du Pas-
de-Calais en 1830. Histoire politique avant tout, délicate par
conséquent, où la haute impartialité de notre Collègue ne
dissimulait ni les fautes de la Restauration, ni sa douleur
de la chute de la Monarchie légitime. Il nous a décrit la
polémique violente du journal Le Propagateur et les démar-
ches du préfet, le Vte Blin de Bourdon, chargé de soutenir
les candidats officiels ; tâche rendue bien difficile par la
confiance et l'insouciance du roi et de ses ministres ; on
reste surpris de voir un gouvernement qui se présentait, non
pas comme sorti de l'opinion, mais comme fondé sur le prin-
cipe d'autorité, se montrer assez libéral, donc assez faible,
pour accepter d'être combattu par un bon nombre de fonc-
tionnaires. On connaît les résultats de cette campagne. A
Arras, la Révolution de juillet 1830 entraîna la retraite du
préfet et du maire, le baron de Hauteclocque,
Hélas ! en finissant cette communication, M. de Haute-
clocque nous déclara qu’il terminait en méme temps ses
travaux historiques. L'Académie en ressentit un vrai cha-
grin ; elle voulut, dans l'intimité d'une fête de famille,
exprimer à notre vénéré collègue ses regrets et son affec-
tueuse reconnaissance en lui offrant une plaquette d'argent
commémorative, tandis que le Président et le Secrétaire-
Général lui traduisaient en prose et en vers nos félicitations
pour ses quarante années de présence et notre gratitude pour
sa féconde collaboration. |
Une autre courbe, qui s’allonge tous les ans et s'avance
déjà fort loin, est celle que trace la plume de M. Morel ; il
(4) Discours de M, Acremant, en ce présent volume, page 211,
— 384 —
s'est occupé cette année d'une mutinerie civile et militaire,
du costume des échevins, et des guetteurs de notre beffroi.
Inspectant d'un œil toujours en éveil — c'est de M. Morel
que je parle — les choses d'Arras, il s'est d'abord demandé
si les organisateurs du dernier cortège historique, quorum
pars magna fuit, ne s'étaient point trompés en revétant d'une
robe rouge les anciens échevins de notre ville. L'inspection
des comptes municipaux lui a prouvé qu'on n'avait eu tort
ni raisOn, Car ces robes ont passé par toutes les couleurs de
l'arc-en-ciel, par toutes les sortes de tissus, par toutes les
formes : il y en eut évidemment d'entravées, nil nov sub
sole. A l’occasion du costume officiel nous avons suivi une
leçon commerciale sur les acquisitions de drap, un cours
professionnel sur la confection des vêtements, nous avons
applaudi à une série brillante de fêtes, de joyeuses entrées,
de Te Deum.
_ C'est une peinture de mœurs non moins vivante que fut
le reconstitution de la mutinerie de 1373; on yjura beaucoup
« par le sang Dieu » ; on y parla de « mauvais couteaux»
comme aujourd'hui de mauvais café; de même qu'à l'Opéra,
on cria « marchons, volons », tout en restant sur le Grand
Marché. Mais toutes ces choses finissent mal : la comtesse
d'Artois exigea en réparation l'emprisonnement de vingt
bourgeois.
Voici maintenant l'existence, terne et monotone, des
guetteurs ; placés d'abord au sommet dela tour de l'ancienne
église Saint-Géry, ils habitent depuis longtemps la lanterne
du beffroi. M. Morel a étudié leurs fonctions, leur nombre,
leur salaire, leur accoutrement, leur outillage. Pauvres gens
peu rémunérés, ils essayaient d'améliorer leur ordinaire en
se livrant à d'autres métiers dont le principal inconvénient
était de les distraire parfois quand il eût fallu crier au feu
ou annoncer l'arrivée de quelque important personnage. Ils
étaient munis d'un porte-voix, d'une lunette d'approche,
d'un poêle, d'une paillasse ; mais comme il ne fallait pas
qu ils se-servissent trop de celle-ci, on leur avait donné une
— 385 —
trompette dont ils devaient sonner tous les quarts d'heure,
non pas sans doute pour réveiller les voisins, mais pour
témoigner aux habitants atteints d'insomnie qu'eux-mêmes
veillaient fidèlement sur la cité. Tout cela nous fait sourire,
quoique certains fâcheux prétendent que nos procédés
savamment modernes, perfectionnés par l'électricité, ne
renseignent pas toujours plus exactement que ces vieux
moyens rudimentaires.
L'amour de M. Sens pour l'histoire locale et pour la
science héraldique devait l’amener à étudier les armoiries
de la longue suite d'évêques qui se sont succédé sur le
siège d'Arras. M. le chanoine Terninck avait déjà travaillé
cette question ; mais M. Sens a voulu l'approfondir. Il a pu
rectifier certaines erreurs inévitablement commises dans
une première recherche, et ajouter un certain nombre
d'écussons à ceux qui ont été déjà publiés. Sur ce point,
notre courbe n'est qu'amorcée; notre collègue n'a fait
qu'établir les lignes de construction à l'encre rouge; mais
un ouvrage fort documenté et curieusement illustré sortira
bientôt de ses patientes recherches, et nous applaudissons
d'avance au succès qu'il aura chez nous et même au loin.
C'est aussi un chapitre d'un travail plus étendu que nous
a donné M. Lennel dans son étude sur la reprise de Calais
en 1558 par le duc de Guise. L'aveuglement du gouverneur
anglais qui s'obstina jusqu'au dernier moment à croire que
les Français n'oseraient s'en prendre à une place réputée
imprenable, la décision et la rapidité dans l'attaque des
assaillants amenèrent en quelques jours une capitulation
restée célèbre à cause de l'importance morale qu'elle eut des
deux côtés du détroit.
M. Lennel s'est encore attiré notre reconnaissance par les
soins qu'il vient de donner pendant les vacances à notre
bibliothèque. Nous sommes abonnés à un certain nombre
de revues ; nous échangeons nos Mémoires avec de nom-
20
—* 386 Er
breuses sociétés savantes. De Manchester ou de Cincinnati
nous arrivent des publications qui peuvent charmer les
loisirs de nos collègues qui possèdent la langue anglaise ;
Montevideo et Upsal nous envoient des bulletins que liront
plus tard ceux de nos successeurs qui sauront le suédois ou
l'espagnol; une brochure en russe nous a été offerte sur les
Cahiers du Tiers-Etat au baillage d'Arras en 1789. Tout
cela est inégalement intéressant et demande un classement
intelligent. A la longue, nos rayons se sont trouvés encom-
brés. Je ne sais si M. Lennel y a portéle fer etle feu, comme
dans une forêt vierge; il y a du moins mis de l'ordreet a droit
à tous nos remerciements pour la façon si utile dont il a
inauguré ses fonctions de bibliothécaire de l'Académie.
M. Morel, qui a voulu n'être que bibliothécaire-adjoint,
s'est associé à ce travail et mérite d'être également cité à
notre ordre du jour.
Deux branches de notre courbe s'éloignent vers l'Angle-
terre et la Belgique.
M. le Président Acremant, non content de recevoir avec
affabilité nos nouveaux membres et de pleurer avec émotion
nos collègues disparus, nous a fait visiter le camp militaire
de Schorncliff, où nous avons assisté au service religieux au
milieu des brillants costumes des troupes anglaises.
M. le Chancelier Rambure a consacré deux causeries à
l'Exposition d'art international qui fut installée au Palais
du Cinquantenaire à Bruxelles. La première traita des
artistes modernes et particulièrement de l'exposition dite de
l'art public destinée à vulgariser l'idée artistique et à en
répandre la bienfaisante influence dans le domaine de la vie
sociale et intime. La seconde fut réservée aux œuvres des
grands peintres du XVITS siècle, surtout à Rubens et à
Van Dyck, dont on avait formé une collection unique en
réunissant de nombreux chefs-d'œuvre empruntés aux
musées nationaux et aux grandes collections particulières
du monde entier.
— 387 —
Dans les courbes mathématiques, il y a des parties
négatives, qui se déroulent à gauche de l'axe des ordonnées
ou en dessous de celui des abscisses. Ne dois-je pas à mon
tour affecter du signe — les communications négatives, je
veux dire celles que nous avions le droit d'escompter et dont
nous fûmes malheureusement privés ? M. le chanoine
Rohart nous a assez « positivement » charmés par sa réponse
au discours de M. Lennel, instruits par les explications
qu'il nous donna sur le langage des sourds-muets, utilement
servis par ses relations qui nous ont valu l'envoi de papiers
relatifs à l'abbaye d'Anchin, pour que j'ose «négativement »
redire devant lui la déception que nous avons éprouvée de
perdre une nouvelle relation de voyage aux pays d'Orient.
On sait qu'il ne lui suffit pas d’habiter la rue de Jérusalem,
mais quil ne se sent nulle part chez lui autant que dans les
rues de Jérusalem. Il était donc parti, une fois de plus;
mais, à l'en croire, il faillit aller jusqu'en la Jérusalem
céleste . Il jura au retour de ne plus dépasser les confins
d'Achicourt ! Serment... de voyageur : le souci des sites du
Pas-de-Calais (1) l'entrainera plus loin qu'il ne le pense, car
en voyage, comme ailleurs, il n'y a que le premier pas qui
coûte.
L'analyse mathématique connait enfin des points imagi-
naires qu'on ne peut marquer sur le papier, mais que les
formules algébriques définissent, M. Sion me permettra de
rappeler ici la commune fictive de Saint-Martin-en-Gohelle,
où il eut l'ingénieuse idée de placer une lutte heureuse
contre le fléau trop réel de l'alcoolisme. Éclairés par le maire,
enveloppés sans s'en apercevoir d'un réseau d'institutions
variées, les habitants de ce malheureux village finirent par
abandonner leurs funestes habitudes : l'influence des insti-
(4) M. le Chanoine Rohart, président de la Commission historique
des Monuments du Pas-de-Calais, est membre de la Commission des
sites du département,
— 388 —
tuteurs sur les enfants, l'intelligente initiative des patrons,
le concours des ministres des cultes, achevèrent l'œuvre
courageusement entreprise. Faut-il objecter que c'est seule-
ment au Royaume d'Utopie que les électeurs ivrognes votent
pour des conseillers antialcooliques et que les buveurs vont
à l’église écouter les remontrances du curé ? M. Sion nous
répondrait que tout doit être essayé pour enrayer un véri-
table danger national, et je lui concéderais qu'en Scandinavie
l'action des ligues antialcooliques est parvenue à extirper ce
mal et à faire accepter par le peuple des mesures draco-
niennes contre le poison-alcool.
A côté des travaux des membres résidants, l'Académie
réclame l'honneur de placer l'Histoire du Pays de l’Alleu,
qu'a publiée M. le Chanoine Depotter, membre honoraire,
dont l'affabilité et la science ont laissé parmi nous tant de sou-
venirs et de regrets. Le doyen de Laventie était désigné plus
que personne pour écrire cette histoire d'un pays si atta-
chant par ses traditions antiques dont il conserve heureuse-
ment le respect. |
Nos membres correspondants ne sont pas non plus restés
inactifs, et leur courbe se soude à la nôtre, comme leurs
études prendront place dans nos publications auprès de
celles que je viens d'analyser.
M. Caillet nous a adressé deux mémoires, l'un sur un
legs de Mahaut d'Artois, l'autre sur un litige survenu entre
le duc de Bourgogne, Eudes IV, et le comte de Flandre,
Louis de Nevers.
M. Hirschauer nous a communiqué les prémices d'une
importante compilation de documents d'archives relatifsaux
troubles de 1578-79 à Arras. Elle est précédée d'une préface
et accompagnée de notes qui en augmentent la haute valeur.
L'histoire de Nicolas Gosson s'y trouve à nouveau étudiée.
Le tracé de ma courbe est terminé. Pardonnez-moi,
Messieurs, si m'enferment dans un cadre factice je vous ai
— 389 —
semblé tourner dans un cercle vicieux, si me croyant l'hyper-
bole permise j'ai abusé de la parabole ou de l'ellipse. L'indul-
gent auditoire ne m'en voudra pas, je l'espère. Il retiendra
de ma démonstration que vous avez bien travaillé et que
l'Académie n'a pas failli à sa mission. J'oserai alors conclure
comme à la fin d'un théorème : C'est ce que je voulais
démontrer, C. Q. F. D.
RON
> CS CS CS Cù >
RAPPORT
SUR LE
Concours d’Histoire
M. F. LENNEL
Membre résidant.
Messieu RS.
$È" me confiant le soin de motiver et de formuler en son
nom notre commun jugement sur les manuscrits pré-
sentés à l'Académie pour son concours annuel d'histoire et
pour le prix Braquehay, votre Commission m'a fait un
honneur que j'apprécie fort, mais elle m'a imposé un fardeau
dont j'aurais volontiers laissé le poids à d'autres ayant plus
de talent et plus de loisirs. L'assistance d'élite qui rehausse
de sa présence l'éclat de nos séances publiques sera péni-
blement déçue de ne plus entendre — cette année du moins,
car c'est un simple intérim — la parole autorisée et éloquente
de notre honoré collègue, M. le chanoine Duflot, dont la
juste sévérité et l'indulgence avertie savaient si bien allier
les éloges les plus délicats aux fines critiques trop souvent
méritées par des candidats plus remplis de bonne volonté
que versés dans la science historique.
— 391 —
Je dis science historique et cette expression suffit à carac-
tériser le criterium qui va servir de base à nos appréciations,
à légitimer les conclusions trop souvent négatives de ce
rapport, à excuser aussi sa sécheresse un peu brutale.
Le prix Braquehay nous a valu un seul envoi, sous la
devise : « Et majores et posteros cogitate ». C'est un volu-
mineux manuscrit de 450 pages ayant pour titre : Étude sur
Montreuil et sur la partie de son arrondissement ayant
ressorti de la Picardie. Si le généreux donateur de ce prix
avait entendu récompenser le labeur matériel d'un copiste
infatigable, nul doute que l’Académie n'ait dû le décerner
cette année; mais le donateur était un historien de mérite
qui a voulu encourager un travail historique. Or, si indul-
gents que nous soyons, il est impossible d'accoler ce quali-
ficatif à la compilation sans valeur qui nous était offerte.
L'auteur dont on ne saurait du moins nier la modestie et la
sincérité n'avait, il est vrai, d'autre prétention que celle de
« rassembler et de grouper en un tout compact et homogène
des éléments précieux disséminés un peu partout. et
d'ajouter une modeste pierre au monument historique qui
doit s'élever de plus en plus beau en l'honneur de notre
vieille terre, si française, de Picardie ». L'intention est
louable et nous éprouvons quelque peine à contrister un
chercheur qui, avec amour et patience, a réuni un nombre
considérable de notes et copié force documents pour la plu-
part d’ailleurs déjà connus, mais il nous faut bien, en le
félicitant de son zèle pieux pour l'histoire, lui déclarer qu’un
tel assemblage n'est ni une étude historique ni un véritable
recueil de matériaux utilisables pour un historien, carilne
les met pas en œuvre, n’en indique presque jamais la source
ou ne donne que des références très incomplètes.
Ces « Notes et Copies », — c'est le seul titre qui leur con-
vient, — sont groupées en trois parties d'inégale importance.
Laissons ici la parole à l'auteur : « Nous nous proposons
d'étudier, dans une première partie, 1° le siège de Montreuil
par les Impériaux en 1537 ; 20 le siège de Montreuil par les
armées coalisées en1544; 3° la suite des maîtres ou gouver-
neurs de l'Hôtel-Dieu St-Nicolas :; 4° le texte et la traduction
des statuts que lui donna, en 1250, Gérard de Couchy, évêque
d'Amiens. Dans une seconde partie, nous donnerons dans
l'ordre chronologique un certain nombre de documents
relatifs à la ville de Montreuil, dont plusieurs absolument
inédits. » Plan bizarre et injustifiable ! Les quatorze docu-
ments annoncés se rapportent aux objets les plus divers.
Quant à la troisième partie beaucoup plus développée que
les deux premières, elle comprend tous les renseignements
que l'auteur a glanés un peu partout sur les communes de
l'arrondissement de Montreuil ayant ressorti de la Picardie.
Il ya dans ce chaos confus les éléments de plusieurs
études historiques. Que l'on choisisse parmi les événements
qui se déroulèrent dans l'enceinte des vieux remparts de
Montreuil ceux qui se réfèrent à une période bien déterminée,
un seul même si l'on veut, et que remontant aux sources on
les critique avec sagacité pour en tirer un récit clair et bien
ordonné ; que l'on s'attache à quelqu'une des institutions
qui s'y développèrent au cours des âges; que, dans un cadre
plus restreint encore, on s’en tienne à la monographie d'une
simple commune, et l’Académie sera heureuse de favoriser
les premiers essais d'un débutant comme elle serait fière
d'honorer, ainsi qu'elle l’a déjà fait, l'œuvre accomplie d'un
maître. Mais qu'on ne s'illusionne pas à ce point de prendre
pour une étude historique un amas informe de pièces trans-
crites sans ordre etsans méthode. Une collection de plantes
cueillies au hasard n'a jamais constitué un herbier, encore
moins un traité de botanique ! il n'en va pas autrement de
l'histoire. |
L'auteur pourrait reprendre son travail et en extraire un
véritable recueil de documents, mais, dans cette hypothèse,
il lui faudra choisir ceux qui conviennent à une période de
l'histoire ou à une institution précise, il devra nous dire
— 393 —
exactement où il les a trouvés; s’il s’agit d'un manuscrit, de
quelle bibliothèque privée ou publique il l'a extrait et noter
sa cote. Si l’une de ses pièces n'est pas inédite, qu'il nous
rappelle les ouvrages où elle a déjà été publiée ; si elle offre
quelque difficulté de langage et d'interprétation, qu'il y
joigne les notes et éclaircissements nécessaires. A cette
condition mais à cette condition seulement, il rendra service
aux chercheurs de l'avenir et fera œuvre vraiment utile.
L'Académie ne peut donc que déplorer l'impossibilité où
elle est mise de décerner le prix Braquehay et émettre le vœu
que l'importance de cette dotation, accrue au besoin des
arrérages, suscite enfin des travaux dignes de l'obtenir.
Trois concurrents se sont mis en ligne pour le concours
ordinaire d'histoire. Le maréchal Bugeaud poursuivait la
conquête de l'Algérie « ense et aratro ». Plus pacifique, c'est
«par la plume et par la charrue » que l'auteur d'une Histoire
de Pommier tente de conquérir vos suffrages. Cette devise
symbolique veut-elle nous faire entendre qu'il a quitté la
charrue pour écrire les vingt pages de son mince manus-
crit ? faut-il y voir une métaphore hardie et cette plume est-
eile le soc luisant propre à labourer le champ de l'histoire ?
cruelle énigme que nous ne résoudrons jamais et que je ne
me permettrais pas de vous proposer si l’Académie n'assu-
rait, de par ses statuts, un inviolable secret aux candidats
malheureux qui briguent — en vain —,ses récompenses.
Qui donc a osé dire que pour un civet il faut un lièvre ?
« Faire bonne chère avec beaucoup d'argent, la belle mer-
veille, mais pour agir en habile homme il faut parler de faire
bonne chère avec peu d'argent. » L'auteur de l'histoire de
Pommier ne désespère pas de solutionner ce difficile pro-
blème, il n'ignore pas qu'il serait plus facile d'écrirel'histoire
d'Arras que celle de Pommier, mais il estime qu'un style
élégant et une imagination brillante peuvent suppléer aux
fâcheuses lacunes de sa documentation. {1 se pose donc cette
question préalable : « Les destinées d’une aussi petite com-
— 394 —
mune que Pommier sont-elles vraiment dignes de retenir
l'attention du lecteur ? » Et il ajoute aussitôt : « A cette
question nous répondrons hardiment par l'affirmative. Si
quelque lecteur est d'un autre avis, c’est que sans doute il
n'aura pas les mêmes raisons que nous d'aimer notre petite
localité... » Evidemment! et nous convenons bien volontiers
que l'histoire de Pommier ne serait pas sans intérêt s’il était
possible de l'écrire. « Est-ce à dire, se demande encore
l'auteur, que le peu d'importance des événements locaux et
l'obscurité dont nous les trouvons souvent entourés en
rendent toute relation inutile, fastidieuse ou impossible ?
nous ne le pensons pas. » Et, avec une confiance digne d'un
meilleur sort, il se met à l'œuvre.
Une note préliminaire nous apprend que ses renseigne-
ments ont été puisés dans les archives départementales, les
archives de l'évéché et les traditions locales. Nous l'en
croyons sur parole car il néglige par la suite de spécifier la
cote des dossiers qu'il a compulsés et cette négligence est
particulièrement regrettable pour son premier chapitre inti-
tulé : « Pommier avant le Moyen-Age. » Pourquoi pas avant
le déluge !! « Nous en sommes réduits là-dessus, confesse-
t-il, à de simples hypothèses, » ce qui ne l'empêche pas de
nous parler de la situation politique (?) et de la situation
religieuse de Pommier à cette époque. On conçoit que ce
qu'il nous en dit soit assez vague.
Voici maintenant un chapitre sur « Pommier au Moyen
Age ». « Avec lui, déclare l'auteur, arrive l'époque la plus
intéressante peut-être de notre histoire ». Ce peut-être n'est
pas une inutile réserve, car il ajoute aussitôt : «il est regret-
table que l'absence presque complète de documents réduise
forcément notre récit à des apercus de peu d'importance »,
Il paraît probable que « Pommier eut lui aussi son château
fort, ses seigneurs, ses serfs et ses manants et que le château
existait à une époque fort ancienne ». N'en demandons pas
davantage, car « les anciens chroniqueurs font preuve à cet
— 9395 —
égard d'un mutisme désolant ». Fort heureusement, à défaut
de ces chroniqueurs muets, le père Ignace est là et chacun
sait que le père Ignace offre gracieusement aux chercheurs
dans l'embarras l'inépuisable trésor de ses vingt in-folios
rangés en bon ordre et chaque jour dérangés dans leur
paisible retraite du palais Saint-Vaast. Grâce au père Ignace
nous apprendrons donc que la terre de Pommier passa par
un mariage de la maison de Melun dans la maison de
Guînes Souastre. Petit détail, sans doute, maïs dans un
moment de disette il faut savoir se contenter de peu!
Suit un chapitre sur « la Renaissance ». Cueillons-y en
passant cette explication aussi savoureuse qu imprévue :
« la période de notre histoire qui suit le Moyen-Age peut
d'autant plus justement s'appeler la Renaissance que le
village semble se transformer et renaître ». Voilà certes un
rapprochement de‘termes que n'auraient jamais soupçonné
les humanistes éclairés, les artistes célébres, les savants
illustres dont le génie ressuscita, pour façonner l'Europe
moderne, la pensée féconde et le libre effort des civilisations
antiques. Dans ce chapitre, à côté de quelques indications
sur l'église et sur les curés de Pommier, nous trouvons les
incidents d'un procès survenu en 1752 entre les habitants
et le clerc de la paroisse. Comme on le voit, la Renaissance
s'est prolongée à Pommier beaucoup plus longtemps que
partout ailleurs. L'auteur trace ensuite le pittoresque tableau
d'une veillée à la campagne. Maison, mobilier, luminaire,
toilette, tout est décrit avec la sentimentale fidélité d'un
Greuze. Nous n'ignorons plus rien de la coiffure des dames
de Pommier qui, dédaignant « l'art d'échafauder un pré-
tentieux chignon, cachaïient soigneusement leur chevelure
sous un serre-tète de toile blanche. Ce serre-tête était lui-
même caché par un grand bonnet piqué que recouvrait
encore une « collinette » très large sur la nuque mais collante
autour du visage. »
Le manuscrit se termine par trois pages sur la Révolution
— 996 —
ou, pour être plus exact, par trois pages de considérations
philosophiques à propos de la Révolution. On nous per-
mettra de n'en citer aucune. Nous n'avons déjà que trop
parlé de cet essai maladroit de monographie, aussi vide de
faits que riche de phrases et qui désarmerait la critique si
l'Académie ne se devait à elle-même de déclarer bien haut
que, malgré son désir de favoriser les jeunes vocations his-
toriques, on ne saurait, sans méconnaitre son véritable
caractère, lui soumettre des ébauches par trop puériles et
insuffisantes.
Qu'elle soit indulgente, c'est ce que prouve sa décision
d'accorder une mention honorable à une autre monographie
intitulée : Notice sur Lottinghem, dont la devise est : « Je
meurs où je m'attache. » Elle n'est pas exempte, en effet,
de certains défauts signalés dans le précédent manuscrit :
puérilités, détails inutiles, affirmations vagues. L'auteur ne
nous épargne pas les considérations générales les plus
déplacées dans un travail de ce genre. La féodalité y est
figurée — figurée est le mot propre, car le manuscrit s'adorne
de dessins au crayon de couleur rappelant de très loin les
enluminures médiévales — sous les traits d'un paysan en
veste rouge et culotte bleue qui, appuyé sur le manche d’un
outil, contemple d'un air résigné un sac dont le contenu est
destiné au grenier du seigneur. Au-dessous est une légende :
« taillable et corvéable !!!. » Le tout est accompagné des
invectives d'usage et des coutumières lamentations rétros-
pectives. Ecoutez cette dramatique apostrophe : « Pauvre
Jacques Bonhomme! déjà mis à sec par les tailles et les
corvées, maigre et sans chemise, ayant à peine ta suffisance
de pain noir, tu dois encore fournir de ta subsistance pour
nourrir, pour enrichir le seigneur évêque à la mitre d'or et
les gros moines oisifs ! » Comment s'étonner après cela —
c'est toujours l'auteur qui parle — « que le coup de tonnerre
de 89 et le souffle d'orage courbant et balayant droits, privi-
lèges, moines et seigneurs furent accueillis avec joie par les
— 397 —
habitants de Lottinghem usés d'être enclume depuis si long-
temps... » Nous avouons sans peine que le rôle d'enclume
n'a rien de tentant et nous félicitons l'auteur de sa géné-
reuse indignation et de son noble enthousiasme, mais
était-ce bien le lieu de les manifester par des tirades oratoires
aussi sonores que démodées ?
Dans un chapitre sur « les origines de Lottinghem » on
aperçoit un dessin à la plume représentant un heaume de
chevalier. La visière en est baissée. Ce heaume au panache
gigantesque a la prétention defigurer un certain Clarembaud,
seigneur de Lottinghem. On pourrait tout aussi bien le
dénommer Roland ou Bayard ! Ce sont là jeux d'enfant
indignes d'une œuvre sérieuse.
Qui pis est, l'auteur est parfois en délicatesse avec la
langue française. Certaines phrases ont oublié leurs verbes,
d'autres boiîtent lamentablement ou trainent l'inutile fardeau
de pronoms superflus.
Il y a néanmoins dans ce travail un effort méritoire pour
condenser dans un cadre bien net, celui-là même que traça
jadis M. l’archiviste Loriquet, une foule d'indications vrai-
ment utiles à l'histoire de la commune et, si d'insignifiants
détails ou des idées préconçues déparent l'ensemble, il n'est
que juste de reconnaitre les consciencieuses recherches de
l'auteur, l'abondance de son information puisée dans les
archives de la commune, l'exactitude de ses statistiques et
l'évidente sincérité d'un esprit peu scientifique, mais curieux
du passé pour lequel il serait plus équitable s'il avait appris
à le mieux connaitre. C'est pourquoi votre Commission vous
propose d'accorder à cet ouvrage, tout imparfait qu'il soit,
une mention honorable.
Enfin Malherbe vint! Malherbe, c'est, en l'occurrence,
l'auteur d'une Histoire de Thiembronne vraiment digne
d'être soumise à l'appréciation de l'Académie. L'épigraphe
en est empruntée à Fustel de Coulanges : « le véritable
— 398 —
patriotisme n'est pas l'amour du sol; c'est l'amour du passé,
c'est le respect des générations qui nous ont précédés ». Ce
choix seul révèle une âme d'historien et nous est un sûr
garant que l'auteur ne dénigrera pas systématiquement les
institutions de l’ancienne France. Bien au contraire, il lui
faudrait se défier de cet amour extrême qui risque de lui
montrer trop en rose ce que d'autres voient tropen noir Il
ressemble à ces amants dont Molière nous a dit :
« Jamais leur passion n’y voit rien de blämable,
Et dans l’objet aimé tout leur devient aimable.
Ils comptent les défauts pour des perfections
Et savent y donner de favorables noms. »
A parler net, l'ouvrage est en bien des endroits plus apo-
logétique qu'historique et l'impartialité n’en est pas la qualité
dominante. La seconde partie, Thiembronne pendant la
Révolution, affecte les allures d’un violent réquisitoire contre
le nouvel ordre de choses. L’indignation suggère à l’auteur
des épithètes qui ne devraient pas se rencontrer dans une
œuvre historique excluant la haine et la colère. La passion,
mauvaise conseillère, lui fait émettre des jugements que,
pour notre part, nous ne saurions accepter sans protester.
J'en vais citer un seul, entre beaucoup d'autres, et cette
citation sera assez longue car je craindrais de la dénaturer
en l'abrégeant ct c'est un procédé malhonnète d'isoler une
phrase de son contexte. L'auteur parle de la guerre étran-
gère et conte les incidents auxquels donnèrent lieu à Thiem-
bronne l'appel des volontaires et les réquisitions forcées en
vue d'assurer la défense nationale. Il constate avec une
maligne satisfaction que les autorités municipales se heur-
tèrent à certaines résistances, que les habitants de Thiem-
bronne ne montrèrent pas un zèle bien ardent à répondre
aux exhortations les plus pressantes et que les déserteurs
furent nombreux. À ces déserteurs il cherche des excuses
et voici textuellement sa conclusion :
« S'il y eut dans notre histoire un moment où le devoir
— 399 —
put sembler douteux et difficile à connaître, c'est bien dans
les premières années de la Révolution. On assiste à l'agonie
d'une société et à la naissance d'un nouvel ordre de choses ;
au lieu du règne du roi et de la religion, c'est celui du bonnet
rouge et de la sainte canaille, l'apothéose de Marat et de
Robespierre ; plus d'institutions, plus de lois, plus de
garanties ; un seul moyen de gouvernement, la guillotine.
Dans cette effroyable anarchie de quel côté se tourner ? Où
est la patrie ? est-elle au-delà de la frontière, avec le roi, les
princes, et presque tout le clergé ou sur la terre de France
avec les assassins de Louis XVI etles destructeurs de toute
croyance et de toute liberté ? Plus d'un, parmi les meilleurs,
se troublèrent dans leur choix, ils refusèrent obéissance à
un régime qui n'avait encore régné que par la violence et
allèrent à l'étranger grossir l'armée de ceux qui avaient juré
de rétablir le roi sur son trône et Dieu dans son temple. A
cette armée Thiembronne fournit plusieurs recrues. »
Ainsi, l'auteur estime qu'il est des circonstances où un
Français peut se poser cette question : où est la patrie, est-
elle au-delà de la frontière ? Que n'a-t-il, avant d'écrire cette
phrase malheureuse relu les débats du procès Bazaine et
médité la belle réponse du duc d'Aumale au maréchal félon
qui alléguait pour sa défense qu'après le 4 septembre il n'y
avait plus rien. — « Si, monsieur, il y avait la France. »
Et, n’en déplaise à l'auteur de Thiembronne, si l'histoire
peut comprendre et plaindre les hommes que la violence
des passions politiques a parfois contraints de chercher un
asile à l'étranger, elle a le devoir de juger plus sévèrement
ceux qui placent la Patrie au-delà de la frontière.
Ces réserves faites, et nous ne pouvions les taire, nous
rendons pleine justice à une œuvre solidement assise, bien
construite et qui dénote un véritable talent d'écrivain.
L'auteur s'est livré à de fécondes recherches dans les archi-
ves du département, les archives de Boulogne et les archives
notariales. Sesinvestigations lui ont valu une ample moisson
— 400 —
de pièces inédites qu'il utilise avec intelligence et habileté
mais dont il ne précise pas toujours assez l'origine. Par
exemple, quand il nous renvoie aux « Registres du Roy de
la Sénéchaussée », où devons-nous aller consulter ces regis-
tres ? Quand il cite une chronique comme celle de Brésin
déjà publiée, pourquoi ne pas en indiquer l'édition ? Si
l'auteur livre son travail à l'impression, il agira sagement
aussi en le dotant d'une introduction consacrée à la critique
méthodique de ses sources eten y adjoignant des tables bien
faites.
La première partie, Thiembronne avant la Révolution,
comporte cinq chapitres : le cillage, la paroisse, les seigneurs,
le prieuré de Val-Restant, la voie et les mœurs. Excellente
division qui permet de bien grouper tous les renseignements
acquis sur les faits, les institutions et la vie sociale. Il nous
faudrait une compétence quinous manque pour apprécier la
valeur de l'histoire généalogique des seigneurs de Thiem-
bronne, mais nous pouvons du moins féliciter l'auteur
d'avoir su rendre vivante et animée cette partie de son tra-
vail où d'autres n'auraient pas évité la sécheresse et l’aridité.
Son chapitre sur la Vie et les Mœurs se lit aussiavec grand
plaisir. C'est le passé modeste de modestes familles qui sur-
git des contrats notariés et des inventaires, et l'on se laisse
sibien prendre àsoncharmedésuet qu'il faut un certain effort
pour résister aux conclusions trop optimistes de l'auteur.
La seconde partie, T'hiembronne pendant la Révolution,
est peut-être d'une lecture plus attachante encore. Le parti
pris dont nous faisons légitimement grief à l'historien com-
munique au style de l'écrivain une émotion et une chaleur
contre lesquelles nous avons peine à nous défendre. Le
chapitre consacré à la question des subsistances est, à notre
avis, un des meilleurs et jette de nouvelles clartés sur la
situation des campagnes, l'état d'esprit des paysans, les
répercussions économiques d’une politique de violences
qui allait se retourner contre ses propres instigateurs. Le
— Aÿi —
récit très dramatique des vicissitudes religieuses depuis le
vote de la constitution civile du clergé jusqu'au Concordat
tient la plus grande place dans cette seconde partie et il
s'appuie sur une enquête bien conduite qui verse aux débats
nombre de pièces inédites et curieuses.
Aussi, messieurs, votre Commission, pour reconnaître le
très grand mérite historique de cet ouvrage, vous propose
de décerner à son auteur une médaille d'or de la valeur de
deux cents francs.
C'est une preuve nouvelle de l'intérêt que l'Académie
d'Arras porte à ce genre d'études. A l'heure où l'histoire
régionale apparait à tous les bons esprits comme l'indispen-
sable complément de l'éducation populaire, il appartient aux
Sociétés savantes de province d'aider de leurs conseils et de
favoriser, dans la mesure de leurs modestes ressources, tous
les hommes de bonne volonté qui, pourvus d'une suffisante
culture, possédant au moins les éléments de la méthode
historique et désireux de chercher la vérité pour elle-même,
interrogent le passé du plus humble village pour rattacher
d'un lien plus étroit les souvenirs d'hier à l’action d'aujour-
d'hui et aux espérances de demain.
26
RAPPORT
SUR LE
Concours de Poésie
PAR
M. Ed. MOREL
Membre résidant
Mespanes, Messieurs,
D tés temps d'enquêtes variées où les journaux inter-
rogent n'importe qui sur n'importe quoi, il était tout
indiqué qu'une revue littéraire d'avant-garde eût l'idée de
demander à ses lecteurs leur avis sur la situation des jeunes
écrivains contemporains. Sont-ils victimes ou privilégiés ?
victimes de l'encombrement de la route, de la férocité des
concurrences, del'&pretéaveclaquelle les premiers occupants
des sommets glorieux de la littérature défendent leurs posi-
tions, ou privilégiés par la multiplicité des journaux, des
revues, des entreprises littéraires et théâtrales, des prix
académiques ou autres, de toutes les estrades, en un mot,
où chacun peut, à son tour, solliciter les applaudissements
du public ? Avec plus de variété dans la forme, parfois
amusante, que dans le fond, presque toutes les réponses
oscillent, comme un balancier, d'un terme à l'autre de la
— 403 —
question. Ceux qui, même en jouant des coudes, n'ont pu
encore se dégager de la presse des concurrents, prétendent
que la plupart des succès sont dus à la fortune et à la réclame.
D'autres, qui, sortis à grand'peine de la foule compacte,
sont déjà parvenus à la notoriété, trouvent que si le monde
littéraire n'est pas encore pour eux le paradis rêvé, du moins
n'est-il pas cette géhenne dont on essaie par de sinistres
prédictions, d'éloigner les débutants. Les vraies victimes, dit
un correspondant malicieux, je croirais volontiers que ce
sont les lecteurs des poètes ; mais il n’a pas réfléchi que les
lecteurs des poètes, sauf, bien entendu, les membres des
commissions académiques, sont des victimes bénévoles et
par suite peu intéressantes. De toutes ces opinions qui n'ont
même pas le mérite de l'originalité, car elles ne sont, ainsi
que le fait remarquer un littérateur satisfait de son sort, que
l'écho de plaintes séculaires, la plus judicieuse, à mon avis,
est la suivante : le'meilleur moyen de réussir est encore
d'avoir du génie ou pour le moins, beaucoup de talent et
même dans ces conditions, faut-il ne compter que sur la
justice de l'incorruptible avenir.
Que nos candidats se rassurent, modestes dispensateurs
d'une gloire fragile, aussi éphémère que notre immortalité
académique, nous n'avons pas le droit d'exiger d'eux
d'impeccables chefs-d'œuvre ; mais, d'un autre côté, pour
ne pas mériter le reproche récemment adressé aux académies
de province, de contribuer, par une indulgence coupable, à
la décadence de la langue française, nous avonsledevoir de
leur imposer le respect des lois de la prosodie, et, à l'occa-
sion, des règles de la syntaxe et même de l'orthographe.
S'il ne s'agissait pour s'estimer poète, que de ressentir,
devant la beauté, quelle qu elle soit, une sorte de secousse
nerveuse, accompagnée d'un vague émoi de l'âme, nous
serions tous, à ce compte, plus ou moins poètes. Qui de
nous, en effet, est insensible aux joies et aux douleurs
humaines, aux sourires et aux larmes des choses, suné
— A4 —
lacrymæ rerum ? Qui de nous est indifférent aux délicates
symphonies de couleurs des verdures printanières, aux
fanfares cuivrées des rouges frondaisons automnales, à la
fraicheur virginale de l'aurore aux doigts de rose, aux
somptueuses magnificences du couchant empourpré ? Mais
ces émotions, il ne suffit pas de les traduire par des excla-
mations puériles, par ces rythmes incohérents et enfantins
qu'ont essayé, en vain, heureusement, de mettre à la mode
ceux qu'on a appelés les primitivistes, les balbutieurs et les
professionnels du vagissement ; il ne suffit pas non plus,
comme le sculpteur, dont parle Alphonse Daudet, de tracer
et de modeler dans le vide avec son pouce des œuvres
chimériques. Il n'y a de véritable artiste que celui qui
sait rendre visibles aux autres, par les procédés appro-
priés à son art, les visions de son esprit, que celui dont la
vibration intime se propage sans déformation autour de
lui. Or, dans cette transmission de la pensée, il y a une
part de métier et d'habileté technique. Racine écrivait, à
propos de je ne sais plus quelle tragédie : j'ai terminé mon
ouvrage, il ne me reste plus que les vers à composer ;
mot profond, qui témoigne de la confiance que le grand
poète avait en sa virtuosité. Mais pour atteindre à cette
maîtrise de la forme, il est nécessaire déclare Théophile
Gautier, d’avoir écrit des milliers de vers qu'on garde en
portefeuille, avant d'en publier un seul. On apprend, en effet,
à jouer de la lyre et des pipeaux champêtres, comme on
apprend le violon ou la flûte, loin du public, par des exercices
gradués et répétés. Lorsque Mme Miolan-Carvalho, qui fut
l'interprète idéale du chant français, devait paraître un soir
sur la scène de l'Opéra, elle passait la journée, non à revoir
son rôle, mais à filer des sons et à perler des vocalises,
pour être assurée que nulle défaillance vocale ne trahi-
rait son inspiration. Je crains que plusieurs de nos neuf
concurrents, avant de se produire dans le concert poétique
que l'Académie offre annuellement aux amateurs éclairés de
— 408 —
a Ville d'Arras, n'aient pas fait suffisamment de gammes
let de vocalises solitaires.
L'un d’entre eux qui a pris pour devise, d’abord, encore,
toujours, ne s'est-il pas avisé d'emboucher la trompette
épique, en l'honneur de Napoléon 1°. Le malheureux,
dénué de toute notion de rythme, de mesure et d'harmonie,
n’a tiré de cet instrument sonore et retentissant que des
nasillements de bigophone et de mirliton.
Quand vous naquîtes, 6 Napoléon,
Ea l’île Corse, à Ajaccio,
Votre pays était à la France
Mais seulement que depuis peu de temps ;
Le quinze d'août, quel jour d’espérance
Ce fut pour Lætitia Ramolino ! etc., etc.
Ce n'est même pas de la prose ! Votre Commission a
pensé qu'il était inutile de troubler par le moindre commen-
taire la joie de Madame Ramolino.
# di »
Voici maintenant un groupe de trois candidats réunis,
non parce qu'il existe entre eux une ressemblance frappante
mais précisément parce que l'absence de traits accentués et
caractéristiques leur donne un certain air de famille.
facies non omnibus una,
Nec diversa tamen.
Je parierais volontiers que deux au moins sont de tout
jeunes gens. Ils croient encore à l'influence secrète des
Muses et les invoquent pieusement à la première page de
leur manuscrit ; ils se complaisent dans les idées funèbres
et vont cueillir sur les tombeaux leurs fleurs poétiques.
Comme il faut être jeune pour trouver du charme à la
confuse harmonie des sangiots et aux âcres parfums des
couronnes mortuaires ! Lorsqu'on a franchi le point culmi-
nant de la vie et que, entraîné per le faix des ans, la déclivité
— 406 —
de la route et la vitesse acquise, on dévale la pente opposée,
on cherche d'ordinaire à s'attarder aux rares fleurs qui
bordent le chemin de plus en plus aride et à reculer le
moment de l'arrivée au gîte fatal. Si on appelle la mort,
c'est pour la prier poliment de prêter son aide à recharger
le fardeau; mais aux jeunes gens, les pensées lugubres
semblent une admirable matière à amplifications poétiques
et à développements lamartiniens.
Combien nos jeunes poètes seraient plus sages et plus
près de la nature en suivant le conseil donné par Ronsard
dans un de ses sonnets à Hélène
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain,
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.
et dans cette gracieuse strophe qui chante au fond de toutes
les mémoires
Donc, si vous m'en croyez, Mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté
Cueillez, cueillez votre jeunesse
Le cri profondément humain de la jeunesse en face de la
Mort, c'est la jeune captive d'André Chénier qui le profère.
O mort, tu peux attendre, éloigne, éloigne-toi
Pour moi Palès encore a des asiles verts
Les amours des baisers, les muses des concerts,
Je ne veux pas mourir encore.
C'est tellement . vrai que si votre Commission a cru
pouvoir récompenser par des mentions honorables, ces deux
concurrents mélancoliques c'est surtout, je dirai presque
c'est seulement, l’un, dont l'épigraphe est : audaces fortuna
juvat pour les deux pièces intitulées Zdylle et Bonheur ;
l'autre, qui a pris pour devise : bon fide, pour trois pièces
de son recueil : Le bouquet, Le baiser et La joie de cicre.
Donc, si vous m'en croyez, mes jeunes amis, cueillez votre
— 407 —
jeunesse, séchez vos larmes un peu factices et souvenez
vous que
S’il est des jours amers, il en est de si doux.
Le troisième candidat auquel nous vous demandons de
décerner une mention honorable, paraît s'être proposé de
rendre plus attrayants par le charme des vers, un certain
nombre de chapitres des manuels d'instruction morale et
civique : les inconvénients de la paresse, le retour au foyer
natal du déraciné repentant, l'amour de la patrie, la
calomnie, l'amitié, la solidarité. Il s'est efforcé, non sans
succès parfois, de donner la vie à toutes ces abstractions ;
dans une sorte de prosopopée qui ne manque pas d'une
certaine allure, il a même évoqué de son sépulcre le légen-
daire Jacques Bonhomme. Quand ce tragique dieu lare,
comme il l'appelle, surgit, montrant à ses descendants
épouvantés l'empreinte jamais cicatrisée de ses fers, il lui
ne .. écoute, Ô martyr émergeant du tombeau,
Aïeul que je révère,
L’avenir nous sourit ; ni gibet, ni bourreau,
Ni fratricide guerre ;
Qu'aucun glaive ne sorte agressif du fourreau.
Pour mieux convaincre le vieux Jacques que tout est
nouveau sous notre soleil, qu'il n'y a plus de jacqueries dans
les campagnes, plus de protestations sanglantes contre la
vie chère, plus de bourreaux et de guerres, que les échafauds
sont renversés et que les glaives se rouillent dans les four-
reaux, l'auteur a dû sans doute lire à l’aieul vénéré quelques
récents articles de journaux pris au hasard. Nous avons
tenu compte au poète de la générosité de ses intentions.
*
+ +
Le livre de René d'Arras, trouvcère du X V® siècle, retrouvé
et traduit par un de ses descendants. Voilà, certes, un titre
plein de promesses. Bien que notre ville ait été assez riche
— 48 —
de trouvères renommés pour que, au XIIIe siècle, Dieu le
père lui-même (s'il faut en croire un de ces poëtes) soit
descendu du Ciel pour assister aux joûtes poétiques du Puy
d'Arras, il ne nous aurait pourtant pas déplu de voir encore
s'accroître nos trésors littéraires. D'autre part, l’épigraphe
du manuscrit : St quelqu'un vous frappe sur la joue droite,
présentes lui encore l'autre, avait d’abord induit votre Com-
mission à conjecturer qu'un des habitués de nos concours,
auquel vous avez appliqué l’année dernière une médaille
d'or, vous tendait la joue gauche avec une résignation
évangélique.
À la lecture du recueil de ce pseudo René d'Arras, nul
d'entre nous n'a reconnu la bonhomie enjouée, la malice
souriante de l'auteur des Fabliaux d’'Antan, qui, lui du moins
avait pris ses modèles dans la belle période de notre litté-
rature médiévale. Le René d'Arras, qu'on nous présente,
n'est pas un trouvère lyrique et satirique du XIII® siècle,
c'est un jongleur sentimental du XV°, un de ces « rhétoric-
queurs » de la Cour raffinée de Flandres et de Bourgogne,
qui dédaigneux des formes simples d'antan, imaginent des
complications de rythmes, des jeux imprévus de rimes et
des procédés étranges de versification.
L'auteur regrette que le temps lui ait manqué pour nous
donner des échantillons de pièces à formes fixes, à rimes
empérières, couronnées, battelées, etc. Faut-il vraiment le
regretter ? Ne vaut-il pas mieux laisser dormir dans le
musée rétrospectif des antiquités littéraires, où on les a
légitimement relégués, ces poèmes depuis longtemps momi-
fiés ? Qu'est-ce que la sextine, par exemple, dont notre poète
hasarde un spécimen ? C’est proprement de la quinte, et le
mot n’est pas ici déplacé, de la sexte essence de bouts-rimés.
Je ne crois pas que les Chinois, qui ont, chacun le sait,
inventé les casse-tête, aient jamais rien imaginé de pareil.
Il ne s'agit de rien moins, en effet, que d'agencer six couplets
de six vers décasyllabiques sur deux rimes ternaires, comme
— 409 —
fleur, visage, cœur, présage, malheur, corsage. qui repa-
raîtront en chaque sizain mais dans un ordre différent et
rigoureusement déterminé. Comment l'inspiration peut-elle
se déployer et mêmese mouvoir en ces cadres étroits, rigides
et artificiels. Là triomphe seulement, et encore en cas de
réussite, l'ingénieuse et longue patience d'un joueur de
puszle, le jeu anglais à la mode ; nouvelle preuve, ajoutée à
tant d'autres, que le génie n'est pas ainsi qu'on l’a prétendu,
une longue patience.
En vain notre auteur encourage-t-il ses vers en leur
disant :
Sautez, maîtres de gymnastique,
Troublants de verve et de gaieté;
Confondez l’aimable critique
En montrant votre agilité.
Il a embarrassé ses gymnastes de tant d'entraves inutiles
que souvent ils n'ont plus l’élasticité nécessaire pour fran-
chir les obstacles accumulés comme à plaisir et exécuter
leurs tours de voltige.
René d'Arras ne se borne pas à faire sauter ses strophes
à travers les cerceaux des sextines, il sait aussi, selon sa
propre expression « dextrement jongler avec des rimes ».
Si vous êtes contents et satisfaits de la réelle adresse du
jongleur en ces exercices qu'il appelle « le jeu du poète »
vous lui accorderez un petit bravo et une médaille de
bronze.
Nous vous proposons également une médaille de bronze
pour le concurrent dont le manuscrit porte la devise : Zdéal,
amour-propre, travail. Peut-être aurions nous été jusqu à la
la médaille d'argent sans les trop nombreuses fautes contre
la prosodie qui émaillent cet envoi. Presque toutes provien-
nent d'une ignorance impardonnable de la quantité sylla-
bique dans les diphtongues. Je dis : impardonnable, parce
que sionn'a pas l'oreille suffisamment avertie par la pratique
d'une exacte prononciation ou par la lecture à haute voix
des modèles classiques, on peut trouver partout, à bon
— 410 —
marché, des manuelsqui renseignentsur ces points spéciaux,
le versificateur inexpérimenté. On y verrait, par exemple,
que le verbe sunter n'a que deux syllabes, mais que les
mots empatient, balbutier, silencieux en ont quatre et que la
désinence ion dans les substantifs est toujours dissyllabique.
Faute d'appliquer ces règles si formelles que les poètes
décadents les plus amorphes et les plus invertébrés n'ont
pas osé les enfreindre, on compromet, comme dans le cas
présent, par des vers déséquilibrés et boiteux l'ordonnance
et le succès d'une œuvre estimable.
Le poète chante d'abord le charbon. Malgré son aridité
apparente, ce sujet, par le mystère qui entoure encore la
formation de la houille, par le souvenir immédiatement
évoqué de la violence des révolutions et des convulsions
terrestres qui ont enfoui et plissé les gisements carbonifères,
reporte notre pensée vers les plus lointaines périodes géolo-
giques. Une pareille évocation est du domaine de l’éloquence
vous en avez eu la preuve convaincante en écoutant le dis-
cours de notre nouveau collègue, et aussi du domaine de la
poésie ce que vous prouvera de son côté, mais de façon
moins démonstrative l'essai de notre candidat.
Le poète est assis au coin de son feu.
Je regarde onduler joyeusement dans l’âtre,
Bloc de houille qui luit, tes feux follets ronflants,
Je vois le goudron noir, sous la flamme folâtre
Baver à chaque fente et glisser sur tes flancs.
Et ta voix chante encor, ta voix chante sans cesse.
Oui, dit le charbon,
Oui, je veux raconter en chantant mon histoire
Après avoir esquissé à grands traits, un peu chaotiques,
comme les objets représentés, quelques paysages antédi-
luviens, il expose, à sa façon, mais non sans grandeur
parfois, la genèse des houillères, et passe au déluge.
Une vague géante, en chaos d'avalanche,
Se rue en arrachant la végétation.
— 411 —
Je ne puis citer toutes les strophes de cette description ;
le temps presse et d’ailleurs plusieurs d'entre-elles sont
déparées par une insuffisance de rimes ou des erreurs
syllabiques.
Le charbon termine sa chanson en invitant le mineur à
chanter à son tour et l'idée, si simple pourtant de ce chant
alterné a je ne sais quoi de vraiment poétique.
Sans se faire prier, le poète nous décrit l'aspect, l'activité
et les dangers de la mine ; il nous peint la file interminable
des ouvriers qui dans l'ombre froide des hivers, cheminent
vers les puits
dont la clarté s'allume
Ea fluide auréole au bout de l'horizon.
Et la glace des nuits, qui couvre les ornières
S'effondre sous le poids de leurs souliers ferrés…
Puis, c’est le tableau attendu de la catastrophe de Cour-
rières; la descente des mineurs insoucieux du péril.
Ainsi que d'habitude accroupis dans la benne
Ils s'entoncérent tous pour leur sombre travail
Mais la Mort surplombait ces noires fourmilières ;
Brusque, elle s’élança, dans un souffle de feu
On s'en souvient toujours, mais on en parle peu.
La vie, en effet, a repris ses droits et la bataille continue
contre les forces aveugles de la nature. Si le marin aime la
mer dévorante, le vrai mineur aime malgré tout la fosse
meurtrière.
Elle est parée, au soir, d'étoiles violettes,
Qui piquent dans la nuit leur petit point tremblant ;
Tandis qu'en son logis le mineur fait toilette
Et pense au lendemain de labeur qui s'apprête,
Car c’est le charbon noir qui lui fait le pain blanc.
Dans la pièce suivante, intitulée Le râle, où l'auteur nous
dépeint une des plus fortes émotions de son enfance, la mort
de l’aieul, on retrouve les mèmes qualités et les mêmes
— 412 —
défauts : un plan un peu confus et des détails remarquables
par l'énergie du trait et la vigueur du coloris.
Et la pâle lueur d'une lampe flottait
Comme un tissu léger où filtrent des ténèbres
Sur le râle lugubre et rauque qui grondait
On eut dit que des doigts invisibles serraient
Lentement cette gorge où s’étranglaient des plaintes,
Et que ces doigts, toujours un peu plus fort, crispaient
Sur les rides du cou leurs sournoises étreintes.
Que notre poëte soit doué d'une imagination viveetd'une
sensibilité vibrante, cela n’est pas douteux, mais il est non
moins certain qu'il ne connaît pas assez son métier pour
réaliser correctement toutes ses conceptions. Or lesouvrages
bien écrits sont les seuls qui passent à la postérité, a dit
Buffon, et j'ajouterai pour ceux qui visent moins haut et
moins loin, ce sont aussi les seuls auxquels nous puissions
réserver nos plus belles récompenses.
+
+ +
L'auteur des Croquis villageois nous prévient dans une
sorte de devise-préface qu'il est « villageois, artisan et ami
des choses champêtres ». Ne serait-il pas aussi meunier ?
Cette question peut-être un peu indiscrète nous a été
suggérée par le souvenir des poésies rurales couronnées
l'année dernière. De part et d'autre, même inspiration, même
facture, même attachement passionné au « patelin », pour
emprunter au candidat un mot expressif que l'Académie
française adoptera sans aucun doute, le jour où elle abor-
dera la lettre P. de son dictionnaire.
En ce siècle de « déracinés » il est curieux et touchant
d'entendre un poète affirmer que toute sa vie est rivée aux
humbles destins de son petit village. Qu'il ait peu voyagé,
qu'il n'ait pas parcouru les pays lointains
Et les cités d'Asie aux coupoles d’étain
— M3 —
rien de moins extraordinaire, mais ce qui est presque invrai-
semblable, il n’a pas visité Paris si proche, du moins il le
déclare, et je le crois, car un poète ne ment jamais
L’illusion féconde habite dans son sein
et le résultat est souvent le mème.
Ainsi enraciné au sol natal, que peut faire un villageois
à l'intelligence éveillée, au cœur sensible, sinon songer et
s'imprégner, je cite encore la devise-préface, de tout ce qu'il
y a d'émouvant, de curieux et de pittoresque dans les choses
champêtres. Avec tristesse, mais sans pédantisme amer,
il constatera la dépopulation de sa chère campagne. L'unique
rue du village est toujours là, l'abreuvoir au milieu et les:
vieux puits sur les côtés, mais
Aux deux rangs de maisons que de franchées ouvertes
Qui sont de gais jardins ou des pâtures vertes !
Des pommiers sont plantés sur les foyers détruits ;
Je songe aux sucs sacrés dont sont gonflés leurs fruits
Et vois de souvenirs leurs branches recouvertes.
On a donc démoli, sans trêve ni merci ;
Mais pour bâtir, les bras ont été moins valides.
Où logent aujourd’hui ceux qui restaient ici ?
Oui, je sais que la mort a fait de nombreux vides ;
Mais les villes là-bas, sont encor plus avides !
Si les vieux sont partis, les fils s’en vont aussi !
Tout s'en va, tout se transforme, le dernier moulin à vent
est sur le point de disparaître.
9000 000000 00 0 te
Et dressant ses grands bras perclus,
Enorme croix inanimée
Le moulin à vent ne moud plus,
A voir le temps qui démantèle
Tous ses compagnons d’alentour,
Sans meunier et sans clientèle,
Il sent qu'approche aussi son tour.
On dira de lui : C’est la tour
— A4 —
Du vieux moulin, toute abîimée,
Là, bien des sacs furent moulus !.…
Sa farine était renommée !
Le moulin à vent ne moud plus !
l'antique poêle
. Coiffé d’un lourd couvercle
De fonte, par maints chocs aux trois quarts ébréché
Et sur trois maigres pieds en spirale perché
l'antique poële, témoin familier deslonguessoiréesd'hiver, et
Dont l'œil incandescent trouait l'obscurité
a été jeté à la ferraille et remplacé par un fourneau perfec-
tionné et pourtant,
Combien d'habitués tu vis se réunir,
Vieux poële, vers la nuit, après les tâches lourdes
Et venus par la bise, étendre leurs mains gourdes
Sur ton couvercle chaud comme pour te bénir.
Evidemment tout cela est fort mélancolique et votre
Commission a pensé que ce ne serait pas trop d'une médaille
d'argent pour consoler le poète et adoucir ses regrets.
+ k *
Sous l’épigraphe bien locale : Quand les Français rendront
Arras, un concurrent nous envoie quinze sonnets, qu'il
intitule : Pointes sèches de ma province. Ce titre qui évoque
l'idée du plus délicat et du plus velouté des procédés de
gravure et qui, par conséquent, promet une série de petites
estampes fines et gracieuses, risquerait d’être prétentieux,
s’il n'était justifié par l'élégance du dessin et l'harmonie de
la composition. Contrairement au villageois dont je viens de
parler, l'auteur, bien que né dans le Pas-de-Calais, vit loin
de sa petite patrie sans toutefois l'oublier.
Les soirs, dit-il,
Les soirs où je suis las de tumulte et d’effort
ere
Mon souvenir s’en va, musant à chaque porte,
Et je vois. et je ris... et c’est en quelque sorte
Tout un coin de terroir qui vit en raccourci.
Le voici; tel un vieux parent dont les manies
Eveilleraient en nous de douces ironies
Et qu'on plaisante un peu parce qu’on l'aime aussi.
Nous sommes prévenus ; on va trouver dans ce groupe
de sonnets des souvenirs affectueux et doucement ironiques
du pays natal ; seulement, si la douce ironie est visible,
l'affection ne se manifeste que par le retour intermittent de
la pensée moqueuse du poète vers son petit patelin. Il faut
aimer Paris jusque dans ses verrues, disait Montaigne,
notre graveur à la pointe sèche semble aimer surtout les
verrues de sa ville, parce qu'elles fournissent à sa verve,
railleuse sans méchanceté, la matière de petits tableaux dans
le genre de ceux d'un peintre bien connu dans notre région,
le Lillois Jules Denneulen. Sont-ce des caricatures ? Non
pas. Sont-ce des portraits ? Oui, sans doute, mais de ces
portraits trop ressemblants, que les gens désintéressés
regardent en souriant et trouvent parfaits, mais que le
modèle refuse au photographe parce qu'ils ne sont pas flat-
teurs. Ce n’est généralement pas la faute du photographe.
En tout cas, je tiens à rassurer de suite les susceptibilités
de notre auditoire arrageois. Il ne s’agit pas d'Arras. Ce
n'est pas chez nous en effet que la rue a
.. un air figé qui déconcerte
Et s'ouvre vers la place en un couloir étroit
Où l'herbe aux vieux pavés met une frange verte.
Ce n'est pas chez nous que
. Chaque Jour, après le déjeuner,
Au Café du Commerce, inséparable équipe,
L’adjoint, le percepteur avec l'adjoint voyer
Vont jouer la manille et fumer une pipe.
Ab ! leurs ruses de jeu, leur art de combiner ;
Leur mazagran, bumé lentement, par principe.
— 416 —
Le jour décline, ils sont encore à cartonner,
Ne soufflant mot, subtils et graves, comme Œdipe |
On n'entend plus, parmi tous les bruits assoupis
Que le frôlis des fins cartons sur le tapis ;
Parfois. le tintement discret. d’une soucoupe.
Tout à coup, déchirant le calme vespéral,
Ua rire éclate, un rire énorme et triomphal :
«a Ah ah! le manillon second, je vous le coupe ! »
Je puis donc, en toute sécurité, mesdames, vous lire le
joli sonnet intitulé, le jour des Visites.
Le salon, ce jour là, s’emplit d'un bruit de ruche ;
Devant le thé fumant et les petits fours secs,
Quelques dames, avec des grâces de perruche,
Picorent leur prochain à joyeux coups de becs.
On flétrit les succès, mais on rit des échecs.
On daube sur la bonne. on cause fanfreluche,
Et tout en s’accablant de beaux salamalecs,
D'un coup d’œil incisif et sournois on s’épluche.
Mais le soir vient et c’est soudain un brouhaha.
« Chère amie, oh comment, vous nous quittez déjà ? »
Et des baisers qui chantent faux sur les frimousses.
Du beau salon, l’essaim des dames est parti ;
Alors, dans le silence, un ordre retentit :
« Marie, aidez-moi donc à remettre les housses. »
On remarquera la richesse et la rareté des rimes de ce
sonnet. Boileau se félicitait, comme d'une prouesse, d'avoir
pu accoupler deux mots en ec dans son épître au Roi sur le
passage du Rhin.
Et partout sur le Whal, ainsi que sur le Lech
Le vers est en déroute et le poète à sec.
Notre sonnet en présente quatre et cette complication
paraît avoir été pour la verve de l’auteur moins une gêne
qu'un stimulant. Nous lui avons, en outre, été particulière-
ment reconnaissants d'avoir apporté une note juste et gaie
— AÀ17 —
dans un concert où trop de lamentos ont attristé nos oreilles
de leurs mélodies parfois douteuses et chevrottantes. Non
pas, je le répète, que nous ayons la prétention d'empécher
nos candidats de pleurer, si cela leur fait plaisir, mais nous
leur demandons au moins de pleurer en mesure et sans
détonner. Nous avons, sous la réserve de votre approbation,
récompensé par une médaille de vermeil le talent et la
bonne humeur de notre spirituel compatriote.
J'ai réservé pour la fin le double envoi du neuvième
concurrent : un poème et une œuvre en prose. Du poème,
je dirai peu de chose. Le titre : À propos du carnaval,
semblait annoncer cette sorte de fantaisie inquiète et inquié-
tante que favorisent, j allais dire qu'autorisent le masque et
le déguisement. Rien cependant de plus moral que l’histoire
qui nous est contée. Par malheur, la moralité du dénoue-
ment ne ressort pas de façon très logique et très naturelle
des incidents du récit, mais en est extraite par des moyens
artificiels et un peu démodés. Voici les faits en deux mots.
Un financier, au sortir de la Bourse, absorbé dans la suppu-
tation de ses bénéfices et préoccupé du grand bal costumé
qu'il doit donner le soir en son hôtel repousse du geste
Un petit souffreteux qui génait son chemin.
Après le bal,
Le financier, ravi du succès de sa fête,
Fredonne encore un air du cotillon final ;
Il trouve qu’à son gré cette vie est parfaite
Et s'endort, au réveil du Paris matinal,
Jusqu'ici, rien à dire. C’est bien ainsi qu'en général les
choses se passent, À peine endormi, le capitaliste a un rêve.
C'est encore son droit. Il revoit le petit souffreteux en
compagnie d'une foule de misérables, et voici que par
surcroît
... la Faim, le Froid, cent misères pour une,
Défilant sous ses yeux en hideux bataillons,
Troublent ce favori constant de la fortune,
Qui blémit en voyant passer tant de hailbns,
27
— A8 —
Par un contraste qui n’a rien d’anormal dans les songes,
à ces sombres tableaux, succède la vision d’un domaine
enchanteur.
C’est partout la richesse et partout l’abondance,
Ce qui doit rendre bon et ce qui rend joyeux.
Il demande quel est le propriétaire de cet Eldorado ; un
passant lui dit
Le nom qu’il veut savoir et ce nom, c’est le sien.
À cette déclaration, peu imprévue pourtant, il tressaute
et... s'éveille. Puis il prend la résolution de ne plus visiter
le monde où l'on s'amuse qu'après avoir parcouru, en
semant l'or, le monde où l'on a faim.
Mais ici, je crois bien que c'est l'auteur qui continue à
rêver, car il est peu vraisemblable que jamais financier se
soit aussi radicalement converti pour avoir mal dormi après
une soirée agitée.
Ce poème est d'une irréprochable correction, toutefois la
substitution systématique des termes abstraits et généraux,
dont Buffon, il est vrai, conseillait l'emploi, aux mots
concrets, vivants et pittoresques donne à l'ensemble du
récit l'aspect distingué, si l’on veut, mais un peu flou etsans
grand relief d'un vieux pastel. Je doute que le vague défilé
de ces ombres impalpables que le poète appelle la Faim, le
Froid, et cent autres misères, produise l'impression d'hor-
reur d'une simple estampe de Callot ou de Goya et suffise
à attendrir le cœur d'un vrai financier.
Mais ne chicanons pas l'auteur sur ses procédés poétiques
car il va immédiatement nous démontrer, dans une intéres-
sante étude en prose sur Gui Patin que sa plume alerte et
souple est capable de tracer des images aussi plastiques,
aussi représentatives des personnes et des choses que les
peintures des Parnassiens.
Nul portrait n’est plus digne que celui du célèbre Doyen de
la Faculté de médecine de Paris de fixer l'attention et detenter
M,
— 419 —
le talent d'un artiste. La vaste correspondance de Gui Patin,
où éclate la fougue primesautière d'un génie malicieux,
reflète comme un miroir, mais comme un miroir trop souvent
déformateur toute la première moitié du XVIIe siècle. Or,
n'est-ce pas un des moments les plus curieux de notre
histoire que cette période de transition entre le XVI® siècle
et le siècle de Louis XIV ; entre le XVI siècle où dans la
mêlée ardente et confuse des opinions littéraires, politiques
et religieuses, de libres esprits se servant d'armes inconnues
jusque là, qu'ils ont inventées et forgées à leur usage,
créent des œuvres rebelles à toute classification et le siècle
de Louis XIV, où règnent l'ordre et la régularilé, l'étiquette
et la hiérarchie, aussi bien dans les lettres qu'à la Cour et à
la ville. Gui Patin est bien le représentant de cette période
intermédiaire où les éléments anarchistes et désordonnés
se fondent peu à peu dans l'équilibre et l'harmonie du génie
français, fait de mesure et de clarté. Ni précurseur, ni
rétrograde, il est en politique, monarchiste avéré mais
antiministériel et frondeur; en religion, orthodoxe au fond,
mais d'une orthodoxie raisonneuse qui parut à beaucoupde
ses contemporains se résumer en ce bref symbole : je crois
en Dieu, amen; de plus, ennemi des moines ligueurs et
autres ; en médecine, disciple fervent d'Hippocrate et de
Galien, humoriste (1) convaincu et conséquemment partisan
enthousiaste du purgatif et de la divine saignée, mais adver-
saire irréconciliable de l'antimoine, de l'émétique et des
nouveautés pharmaceutiques. En mêmetemps que Malherbe
s'efforçait de dégasconner la Cour, Gui Patin se donne la
tâche de décharlataniscr la médecine. A cet égard il fut pour
Molière, un auxiliaire inattendu et il serait difficile de dire
lequel du docteur ou du poète accabla des sarcasmes les plus
virulents et des lazzis les plus comiques les malheureux
apothicaires.
(1) Au sens médical,
Îl ne peut entrer dans ma pensée d'exposer à vos yeux
tous les contrastes qui se heurtent en cette personnalité
ondoyante et diverse; il me faudrait pour cela vous lire
entièrement l'œuvre qui nous a été soumise, œuvre aussi
remarquable par la belle ordonnance du sujet que par l’agré-
ment et l'éclat du style. Cette étude, qui se présente à nous
sous la forme très soignée d'un discours d'apparat, d'un
discours de distribution de prix peut-être, contient sur Guy
Patin, tout ce qu'il est essentiel que les honnêtes gens,
comme on disait au XVIIe siècle, en connaissent. C'est le
plus bel éloge qu'on en puisse faire. Votre Commission a
l'unanimité vous propose de décerner une médaille de
bronze au poème et une médaille de vermeil au travail en
prose intitulé : Un Nordiste.
RAPPORT
SUR UNE
ÉTUDE DE PÉDAGOGIE
PAR
M. J. SION
Membre résidant
Mazssizurs,
RMI les questions sociales qui préoccupent l'opinion
kf* publique depuis de longues années, l’une des plus
importantes, à coup sûr, est celle de la dépopulation des
campagnes. Bien des remèdes ont déjà été proposés de
divers côtés ; les Mémoires mêmes de notre Société con-
tiennent, à cet égard, des études extrêmement intéressantes
du colonel Repécaud, études qui restent d'actualité bien
qu'elles datent de 1849. Bon nombre d'économistes,
d'hommes politiques, de membres de l'enseignement
estiment que l'une des premières mesures à prendre consis-
terait dans la transformation de l'école élémentaire et de
ses programmes. C'est la pensée que nous retrouvons dans
un mémoire envoyé cette année, à l'Académie, sous le titre :
L'école rurale de l'avenir.
L'auteur suppose le problème résolu : l'école qui doit
retenir à leurs foyers les fils et les filles de nos paysans est
— 499 —
Ci
créée, fonctionne, est sûre de son lendemain. Si nous voulons
en voir un spécimen, nous n'avons qu'à aller avec lui, à
Valbois, village baigné par une charmante riviérette,
J'Aiguebelle. Il nous présentera à l'instituteur, son ancien
maître, qui nous permettra de nous rendre compte de la vie,
ne disons pas simplement de l'école, mais de l'école-ferme.
Les enfants des deux sexes s'y trouvent réunis comme dans
une famille agrandie. C'est la femme de l'instituteur,
institutrice comme lui, qui se charge des plus jeunes ; lui-
même prend les élèves à neuf ans et les garde jusqu'à treize
ans, en se réservant de continuer leur éducation au cours
d'adultes. Le temps dela classe est réparti entre les exercices
purement scolaires et les travaux de la ferme. Le matin,
avant l'entrée en classe, on passe une revue générale de
l'exploitation : les fillettes, au jardin, sous la surveillance
de l’institutrice ; les garçons dans les étables, dans la cour,
dans les granges. En un instant, tout est propre et en ordre.
Les exercices purement scolaires viennent ensuite. Chaque
jour, un temps plus ou moins considérable selon les saisons
et les circonstances est réservé aux travaux de la ferme, du
jardin et des champs. Les enfants sont initiés aux meilleures
pratiques agricoles et ménagères : choix des variétés et
sélection des semences, culture des légumes, soins à donner
à la basse-cour, fabrication du beurre et du fromage, etc.
Une question vient à l'esprit du visiteur : comment faire
une part aussi considérable à la pratique et laisser aux
études le temps qu'elles réclament ? Notre innovateur n'est
pas embarrassé pour cela. Il ne s’astreint pas à suivre les
programmes officiels et à conduire des élèves au certificat
d'études : les matières d'enseignement sont réduites au
strict nécessaire. Pour les enfants de six à neuf ans, il
admet la lecture, l'écriture, le calcul, l'orthographe et accorde
une grande place aux exercices d'observation, d'intelligence
et de langage. Lorsque ces élèves passent dans sa propre
classe, il continue leur instruction sous le rapport de Ja
— 423 —
langue française, de l’arithmétique et du système métrique,
Il y ajoute des notions très simples de botanique et d'histoire
naturelle appliquées à l’agriculture. Pour ce qui est de
l'histoire, de la géographie, de l'instruction civique et de la
morale, il se contente de lectures spéciales, qu'il reprendra
au cours d'adultes. Mais, d’un bout à l’antre de la scolarité,
« toutes les leçons, tous les devoirs portent l'empreinte de
la vie rurale, tout est orienté vers l'amour de la terre, de la
nature, du pays natal ».
Les résultats sont excellents. Les jeunes gens et les jeunes
filles emportent de l'école-ferme une instruction sinon
étendue du moins suffisamment réfléchie, des notions
ménagères et agricoles vraiment sérieuses, le goût et l'habi-
tude des travaux de la ferme et des champs, un vif désir de
contribuer à la prospérité de la maison paternelle.
Comment l'instituteur de Valbois est-il parvenu 8 réaliser
une pareille entreprise ? D'une manière bien simple. Ancien
élève d’une école normale et d'une école pratique d'agricul-
ture, il avait les connaissances nécessaires pour diriger une
école et une ferme. Chose non moins précieuse, il possédait,
dans le village même, une petite exploitation agricole d'une
douzaine d'hectares. L'administration se montra envers lui
d'une extrème bienveillance; elle le nomma dans sa propre
commune, autorisa l'abandon de la vieille école et permit la
construction de nouvelles classes dans le jardin de la ferme.
D'autre part, sa femme, institutrice, partageait ses goûts et
secondait vaillamment ses efforts.
Telle est, dans ses grandes lignes, l'analyse du mémoire
qui nous a été soumis. Nous ne pouvons que nous réjouir
en constatant que l'un des candidats à nos récompenses ait
pris comme thèse une question sociale d'une réelle gravité.
Quant à l'école rurale, telle que l’a conçue notre auteur, elle
pourraitassurément rendre de grands services et contribuer,
dans une certaine mesure, à enrayer l'exode des habitants
des campagnes. Ce n'est ni le moment ni le lieu de discuter
=. AOÛ =
la composition des programmes officiels et de rechercher
leur effet sur l'éducation des jeunes paysans ; mais il nous
est permis de penser que le programme de l'enseignement
théorique et pratique tel qu'il est appliqué à l'école de
Valbois, mérite, au moins dans ses traits essentiels, de
retenir l'attention de ceux que préoccupe l'instruction
professionnelle de l'ouvrier rural.
Le mémoire lui-même est écrit en un style assez facile,
d'une lecture attachante. On y trouve des idées générales et
des réflexions personnelles dont on ne peut méconnaitre la
portée. Je me bornerai à ce court extrait. Après avoir dit que
les enfants ne sont pas reçus à l’école avant six ans, l'auteur
écrit : « Je n'ai pas voulu enlever aux mères, premières
» éducatrices, les tout jeunes enfants. Je suis l'adversaire
» résolu de cette main mise sur la jeunesse, qui consiste à
» prendre l'enfant dès son plus jeune âge et à le tenir éloigné
» de sa famille du matin au soir. La mère se désintéresse
» de ses enfants, le père ne les connaît plus. C'est un véri-
» table attentat contre la vie de famille, c’est la socialisation
» de l'enfance. » N'y aurait-il pas là une vérité vraiment
inquiétante ? L'expression en est peut-être trop forte, mais
elle traduit une conviction très profonde, qui ne peut résulter
que de l'observation des faits et d'une longue expérience.
La Commission a examiné ce travail avec tout le soin
qu'impose une œuvre de bonne foi. Elle a été d'avis que si
l'auteur a fait une description vraiment intéressante de
l'école-ferme de Valbois telle que son imagination la lui a
présentée, il n’a pas recherché les moyens de fonder, d'une
manière générale, « l'école rurale de l'avenir ». L'instituteur
de Valbois est dans des conditions absolument spéciales,
quant à ses titres, à sa situation de famille, à ses ressources,
aux liens qui l’unissent à la commune, à la confiance dont
il est l'objet. Ce qu'il fallait étudier, c'était la formation de
l'instituteur et l'organisation de l'école rurale, telles que les
ois peuvent les régler pour tout le pays. Quelle doit être
l'éducation pédagogique et agricole de l'instituteur de cam-
pagne ? Comment assurer son éducation à ce doubie point
de vue ? Annexera-t-on une école d'agriculture à chaque
école normale ? Ira-t-on jusqu'à une spécialisation complète
et rangera-t-on dans des catégories différentes l'instituteur
urbain et l'instituteur rural ? Et au village, où l'installation
matérielle de l'école est parfois si défectueuse, comment
arrivera-t-on à organiser l'école tout à la fois ménagère et
agricole ? Est-il possible, dans le peu de temps que les
enfants passent en classe, de leur enseigner les éléments
d'instruction générale, des notions spéciales et la pratique
d'un métier qui réclame des aptitudes variées ? Comment
créer l'enseignement post-scolaire lorsque l'école ordinaire
laisse déjà à désirer sous le rapport de la fréquentation des
enfants et du recrutement des maîtres ?
En résumé, la Commission a estimé que l'auteur n'a pas
envisagé les côtés les plus complexes etles plus difficiles de
la question. Néanmoins, elle a proposé de lui accorder une
mention honorable, voulant par là récompenser son initia-
tive et reconnaitre la valeur de vues de détail qui attestent
en lui une idée assez juste des besoins intellectuels et pro-
fessionnels de nos enfants des campagnes.
ee D Dee D D
PL EE DEAR APE DANS OT CL
DISCOURS DE RÉCEPTION
DE
M. F. LEPRINCE-RINGUET
Membre résidant
Messieurs,
: Es morts passent et bien vite ils sont oubliés. Le son
Z de leur voix ne résonne plus à l'oreille, les traits de
leur physionomie s'effacent du souvenir, et ce qu'il en reste
bientôt pour nous, ce ne sont plus que leurs œuvres, lors-
qu'ils en ont produit; œuvres où s'échangent leurs pensées,
leurs actes ou leurs sentiments en une conversation muette,
où la monotonie remplace l'émotion de la voix et du regard.
Plus favorisée dans vos mémoires, Messieurs, est sans
doute cette figure austère, au regard droit, énergique et
profond, dont la longue chevelure blanchissante, rejetée en
arrière, dégageait un front noble chargé de pensées.
Oui, la figure très caractéristique de Mgr Doublet a eu le
rare privilège de rester gravée dans notre souvenir et il me
semble encore entendre cette voix fortement scandée, lan-
çant du haut de la chaire de N.-D. des Ardents, mot par mot,
lentement, clairement, sans apprèt inutile, la phrase précise
qui faisait pénétrer dans l'auditoire, aux lumières d'une
théologie sûre d'elle-même, les principes d'une morale
absolue et intangible,
EU CRE
Et c'est bien parce que cette âme d'’apôtre s’est obstiné-
ment fixée à l'infirmité morale de l'individu ou de la masse,
qu'elle en a constamment approfondi les causes, qu'elle a
toujours recherché dans les fondements mêmes du dogme
et dans l’histoire de l'Église, les modèles qui lui convenaient,
que toute cette grande unité de vie, rompue brutalement
par la mort en pleine maturité, avait gravé de son empreinte
l'unité de la figure, de l'expression, de la démarche qui le
caractérisaient.
En évoquant ces souvenirs, je ne veux que traduire le
sentiment d'admiration sincère que m inspirait celui auquel
j'ai le grand honneur et la charge excessive de succéder,
trop brièvement, hélas! le sort en a ainsi décidé, dans votre
Compagnie. Je sais qu'il ne m'appartient nullement d'appré-
cier l'œuvre du Maître, et, simple auditeur, je n'essaierai
pas, rassurez-vous, de m ériger ici en théologien.
Fils d'un employé des douanes, Mgr Doublet était né à
Dunkerque le 3 décembre 1833; sa jeunesse se passa au
Collège de Saint-Bertin de Saint-Omer, où il fit de brillantes
études. Son goût pour l'enseignement et la prédication se
manifestait bientôt : à l'âge de 22 ans, il était déjà profes-
seur de seconde au Petit Séminaire d'Arras, fonction qu'il
conserva encore après avoir été ordonné prètre à 26 ans, le
2 juin 1860.
De 28 à #l ans, pendant cette importante période de la vie où
le jugement achève généralement de se former au frottement
du monde, alors que le corps et l'esprit sont jeunes encore et
capables de toute leur activité, nous trouvons l'abbé Doublet
professeur au Grand Séminaire, où il enseignait l'Écriture
Sainte et l'histoire de l'Église. Il semble qu'après un aussi
long stage, toute sa vie dût s'écouler dans le professorat.
Cependant, l'action, longtemps contenue, ne demandait qu'à
se manifester : nominé, en 1876, curé-doyen du Saint-
Sépulcre à Saint-Omer, 1l y lutta pendant douze années
pour la défense des droits de l'Église; il avait gagné le repos,
— 428 —
il rentra à l’aris auprès des Dames de Sion, puis revint en
1895 se fixer à Arras comme chapelain de Notre-Dame des
Ardents où la mort vint le surprendre.
Ainsi, pendant les cinquante années de son ministère, les
circonstances amenèrent l'abbé Doublet à passer alternati-
vement de la vie active qui était dans le fond de son carac-
tère, à la vie de recueillement; là, peu en contact avec le
monde, il continuait à travailler, non pas sur des abstrac-
tions, non pas sur des sujets qu'il n avait plus sous Îles yeux
et dont l'image eût risqué de se déformer loin des réalités,
mais uniquement en puisant dans la terre classique une
science toujours plus sûre d'elle-même, dont il devait utiliser
plus tard la fertilisante semence.
Tout ou presque tout, en effet, dans les œuvres si nom-
breuses qu'il a laissées, marque le souci constant du but
essentiel qu'il assignait à l’activité du prêtre, la prédication:
Saint Paul étudié en vue de la prédication; — Jésus-Christ,
étudié en vue de la prédication dans Saint Thomas d'Aquin,
— les Psaumes étudiés en oue de la prédication ; — l’Étude
du Christianisme à l'usage des catéchismes; — le Guide du
Prêtre dans ses prédications ; —les Richesses oratoires de saint
Jean Chrysostôme réunies et disposées pour la prédication,
— voilà un total de dix-huit volumes dont le titre, volontai-
rement trop long, renseigne moins sur le contenu même de
l'ouvrage, qu'il n'insiste sur les motifs qui ont conduit
l'auteur à l'écrire.
Parcourons ces ouvrages, le dernier notamment, où la
méthode de travail de l'auteur a reçu sa forme la plus systé-
matique ; nous voyons qu il a disséqué l'œuvre diverse qu'il
étudie pour la recomposer morceau par morceau suivant un
plan unique et méthodiquement ordonné. Chaque phrase,
détachée de son ambiance, est venue se coudre à une autre
phrase provenant d'une autre source et se rapportant à un
sujet voisin. Véritable exercice de puzzle, jeu bien dan-
gereux et qui, en des mains moins consciencieuses, eût
— 429 —
laissé trop souvent déformer l'idée initiale; mais qui, de
la part d'un maître aussi sûr et aussi expérimenté, permet,
avec la pensée éparse d'une suite de discours, de faire un
exposé sobre, didactique et complet d’une partie de la reli-
gion. Œuvre de compilation ingrate, s'il en est, et d'une
patience qui déroute : « Rude travail, dit l’auteur lui-mème,
que celui de concilier notre éloquence française, nette et
| précise, avec l'ampleur orientale, et de réduire à des lignes
bien déterminées les magnifiques écarts d'une pensée et
d'une parole que les impromptus, les digressions et au
besoin les redites n'effraient jamais! » Ainsi suivons-nous
pas à pas la construction aride dont l'auteur pourra se
servir ensuite pour lui-même.
Avec quelques autres publications didactiques : Les leçons
d'Histoire ecclésiastique et Les Saints É‘vangiles commentés
d’après la Tradition et les travaux récents, cette œuvre met
simplement au grand jour et d'une manière plus détaillée et
plus complète qu'il n’en est généralement besoin, la méthode
que chacun de nous doit employer lorsqu'il veut, des œuvres
de ses devanciers, extraire une moëlle profitable à l'avance-
ment de ses propres connaissances. Juger Mgr Doublet sur
ses livres, c'est le voir sous le jour d'un travailleur acharné
et peut-être un peu terre à terre, sans se readre compte
_ qu'ils ne constituent que les solides fondements de sa véri-
table œuvre, je veux dire celle qui n’est pas écrite : car, de
sa longue prédication même, il ne reste rien en dehors d'une
série de Conférences aux Dames du Monde. Ainsi Monsei-
gaeur Doublet s'était-il pénétré de cette observation de
saint Thomas d'Aquin qu'il cite dans l’un de ses ouvrages :
« L'écriture implique impuissance dans le docteur qui doit
«y recourir; On écrit parce qu'on meurt, parce que la voix
« doit s'éteindre et l'enseignement se glacer sur les lèvres. »
L'Écriture, c'est la documentation, et c'est pourquoi la
documentation parait jouer un rôle prépondérant dans
l'œuvre de Mgr Doublet, alors qu'en réalité l'éloquence de
la chaire y a tenu la plus large part,
— 430 —
Ah! Messieurs! comme nous trouvons ici un homme
différent du laborieux architecte de tout à l'heure!
La maison est édifiée, son armature de fer la rend iné-
branlable, mais elle est dissimulée dans l'épaisseur de la
façade. Notre auteur a gravi les escaliers, il est arrivé à un
observatoire élevé d'où ses yeux plongent sur le monde qui
l'entoure, il en saisit les mouvements et les tendances, en
pénètre les causes, en prévoit les effets. Le ciel est obscurei,
un vent violent secoue et entraine la masse, la tempête
gronde. Mais du haut de l'observatoire un rayon éclatant
projette sur quelques-uns la lumière du vrai et les arrête.
Lumière crue, lumière violente, aux ombres sombres et
dures : et pourtant la couleur demeure rigoureusement juste
et les contours ne sont nullement déformés. Écoutez plutôt
comment le curé de St-Omer traitait les Dames du Monde :
« La femme, l'épouse, la mère, celle que Dieu chargeait de
la mission divine de répandre la vie, de la donner large
et généreuse... le père, que Dieu faisait maitre de ses
créations glorieuses, les époux qui se trouvent investis
de la plus haute magistrature, de la plus essentielle mis-
sion, de qui Dieu et la société attendaient une vie féconde,
ont trahi à la fois Dicu et les hommes, les espérances de
l'éternité et la sécurité des temps. Au lieu de répandre la
vie, ils l'ont refoulée vers un néant ignominieux... L'opu-
Jlence dit : «© De nombreux enfants dispersent trop le com-
mun patrimoine, et le blason déchoit peu à peu de son
antique splendeur. » L'aisance dit : « La fécondité nous
réduira à la misère, ou nous écrasera sous un trop lourd
travail. » La misère dit : « Si les bouches se multiplient,
qui leur fournira le pain de chaque jour?» Hélas! le pays
où celangage est entendu est un pays mûr pour la décadence,
la mort le gagne, il exhale comme une odeur de tombeau...
» Au lieu de s'accroitre et de déborder en des colonisations
puissantes, la France décroit, s'amoindrit; la solitude
attriste ses campagnes, et quand l'étranger déverse sur elle
- AM —
ses flots de guerriers, elle n’a plus assez de ses enfants pour
garder ses frontières.
» Les époux coupables ne goûtent plus les joies pures et
vraies de leur union, un poids mystérieux, un indéfinissable
malaise les envahissent et ravagent leur égoïste existence.
» L'enfant qu'un calcul criminel a rendu unique, l'enfant
qui devait concentrer toutes les richesses comme tout l'or
de la famille, que de fois cet enfant est marqué d'un signe
de mort!... Si la mort l'épargne, le vice s'en emparersa.
L'enfant unique sera l'enfant gâté, l'idole de ses parents,
puis bientôt leur maitre et leur tyran... Tu pleureras, pauvre
mère, mais il sera trop tard! »
Au souffle religieux près, ne croirait-on pas entendre le
coup de tocsin de Zola dans son beau livre de Fécondité.
Or ceci a été imprimé dix-sept ans auparavant.
Si ce tableau n'est pas trop noir, et s'il est, hélas! de plus
en plus exact, du moins ne pouvons-nous l'appliquer en
aucune manière à cette industrie débordante qui, il y a
soixante années seulement, s'est introduite du Nord dans
le Pas-de-Calais, qui y a grandi et prospéré avec l'éclat que
vous savez, et qui s'avance maintenant des plaines de
Lens vers les collines de l'Artois et jusqu'aux portes de
notre ville si calme, j'ai dit l'industrie de la houille, qui
est l'heureuse raison d'être de ma présence aujourd'hui
en votre Compagnie et d'un séjour de plusieurs années
dans cette bonne ville d'Arras.
En abordant ce sujet, je saluerai avec respect la mémoire
de l’un de mes prédécesseurs du Corps des Mines, votre
ancien collègue Sens, qui fut à l'aurore de la découverte du
Bassin du Pas-de-Calais.
Partons ensemble, si vous le voulez bien, d'Arras par la
route de Béthune. Un plateau monotone, légèrement mon-
tant, coupé d'une manière assez abrupte par deux vallées,
celle de la Scarpe et celle de la Souchez, se termine à cette
ligne de hauteurs boisées qui constituent les collines de
AD.
l'Artois et qui descendent du Boulonnais pour aller mourir
à l'Est au plateau de Gavrelle.
Supposons que, par une heureuse circonstance, le soleil
du printemps brille et que le temps soit clair, alors une
descente raide nous fait apercevoir à 120 mètres en dessous
de notre observatoire une plaine immense, estompée au loin
des collines bleutées des environs de Cassel, aux premiers
plans vert clair, parsemés de larges taches rouges; et |
devant nous à droite et à gauche, à perte de vue, l'œil est
frappé par une multitude de constructions élancées gris de
fer d'où s'élèvent des flocons de fumée noire. On a l’impres-
sion de la vie, de l’activité et du bien-être. Nous sommes
au centre de la production houillère, je ne dirai pas, certes,
la plus considérable, mais de beaucoup la plus intensive, la
plus importante à surface égale qui soit au monde.
Et chaque jour ce sont de nouveaux corons qui s'élèvent.
Aux anciennes files de casernes, uniformes et laides, ont
fait place les maisons isolées ou en petits groupes, maisons
variées de formes et de couleur mais presque toujours ali-
gnées comme un corps de troupe un jour de revue; jardins
où de jeunes manches à balai, entourés de palissades, cher-
chent à légitimer les illusions louables du Touring Club :
« Travailleurs du pays noir, les arbres sont la beauté de vos
campagnes, protégez-les! » Enfin, tout ce dont l'artindustriel
est capable pour imiter avec plus de confort, mais moins
d imprévu et d'intimité, la modeste maisonnette aux murs
badigeonnés de teintes claires, au toit onduleux, qui se plan-
tait au hasard, contre un bouquet de vieux arbres, dans la
sinuosité du petitchemin creux. Et l’armée des toits rouges
ou gris envahit toujours de ses files serrées; les voilà main-
tenant 30,000 et chaque année en voit apparaitre un millier
de plus.
Certes, le tableau n'est pas toujours aussi enchanteur,
Souvent la pluie fouette, les nuages s'enfuient, les fumées
déferlent, chassées par les vents du sud-ouest, le jour est à
— 433 —
peine levé ou la nuit est déjà venue, et sur les chemins
bourbeux et suintant l’eau, les longues théories de mineurs
se rendent dans une obscurité lugubre vers la fosse ou en
reviennent la face noircie. Or, suivez ces nuages et ces
fumées ; les voyez-vous chevaucher les uns sur les autres ?
La surface, jadis plane et régulière devient toute ondulée.
Un souffle en balaie une première tranche, la fumée s'élève
à nouveau, et un souffle plus fort la rabat : et c'est l'image
de ces chevauchées singulières qui se sont figées après
l'époque houillère sur la surface de notre sol et qui reposent
maintenant sous le manteau tranquille de la mer crétacée.
La montagne! Voilà le privilège — enviable pour un
alpiniste — dont a joui, il y a bien longtemps, notre région
d'Artois; 1] ne se manifeste plus que par un de ces caprices
familiers à notre écorce, qui a fait surgir les collines actuelles
sur les lignes de consolidation incomplète d'accidents anté-
rieurs, et c'est dans le fond des travaux de mine qu'il faut
maintenant en retrouver les débris.
Donc, à l'époque carboniférienne, dans un climat chaud,
humide et riche en acide carbonique, vivait une flore puis-
sante mais primitive. Cette flore a formé la houille. Le mode
de formation de la houille peut être contesté, mais il n'est
pas douteux que les végétaux n'en constituent l'essence
originelle, bien qu'ils aient à peu près disparu des couches
de charbon proprement dites. On en retrouve des traces au
microscope. Leur désagrégation a dù se faire sous l'eau par
l'action de micro-organismes surla cellulose,laissantdégager
de l'acide carbonique et du grisou, et produisant une subs-
tance humique et des bitumes.
De l'accumulation des débris végétaux se sont formées
les couches de houille, nappes étendues et régulières, dont
quelques-unes, dans notre région, se suivent sur des dizaines
de kilomètres avec des épaisseurs à peu près constantes
variant de quelques décimètres à plusieurs mètres.
Puis, les conditions météorologiques changeant, ou le
28
— 434 —
bassin s'enfonçant, des eaux courantes ont fait irruption,
recouvrant les couches ainsi formées de matériaux d'apport,
qui constituent leur toit,et, par une fréquente récurrence des
phénomènes, de nouvelles couches sont venues se super-
poser aux anciennes. En mûme temps, l'écorce terrestre,
ébranlée par la formation de chaines de montagnes, plus
mince et plus flexible aussi que de nos jours, s'enfonçait
sous le poids des matériaux accumulés et, par un phéno-
mène général en géologie, les couches se déposaient en
discordance les unes sur les autres et sur des surfaces de
plus en plus débordantes vers le sud et vers l’ouest. Ainsi
s'est constitué le Bassin du Pas de-Calais, probablement
sur place.
À la fin de l'époque westphalienne, le Bassin avait une
épaisseur considérable; il était bordé au sud par la haute
chaîne hercynienne qui s'était formée pendant le dévonien.
Les mouvements du sol se poursuivant, un grand ridement
se produisit à sa surface, le massif hercynien s'avança vers
la cuvette houillère et la replia à la manière du cahier dont
l'écolier paresseux corne une série de feuillets; le solide
terrain de la chaîne se sépara du terrain houiller plus mal-
léable et se mit à le recouvrir. Et le traîneau continuant sa
marche vers le nord-est acheva d'entrainer le pli, amena la
dislocation de la région demeurée en place, fit enfin, du
malheureux ouvrage chiffonné et déchiré, une succession
de paquets dont les pages glissaient les unes sur les autres.
Que devinrent les couches de houille, de schiste et de grès
sous ce charroi brutal? Elles manifestèrent une singulière
docilité : des surfaces, énormes pour l'exiguité de notre
regard et de notre action, sont restées admirablement planes
et régulières et des masses entières, après plusieurs kilo-
mètres de transport, s2 retrouvent tellement belles, qu'il
faut toute la confiance qu'inspire une géologie bien assise,
à laquelle les noms de Marcel Bertrand, de M. Barrois et
de M. Gosselet demeurent attachés, pour croire au sort
— 435 —
qu'elles ont subi. D'autres, surtout dans les parties plissées,
se sont écoulées comme du plomb sous la pression; la
matière s'est conservée, mais telle couche qui a normale-
ment deux mètres d'épaisseur atteint dix mètres au crochon,
c'est-à-dire au point le plus aigu du pli, pour s'effilocher
ensuite dans la partie renversée.
Bien singulier phénomène que cette plasticité de la croûte
terrestre et des matériaux qui nous semblent maintenant si
rigides. Effet d'une pression suffisamment élevée et peut-
ètre aussi d'une action suffisamment lente |
La science de ces mouvements ne s'est ébauchée que dans
la seconde moilié du siècle dernier et cependant, comme le
rappelle si éloquemment M. Termier : « Les livres saints
parlent beaucoup des montagnes. Ils en parlent souvent
comme de quelque chose d'extrêmement mobile, comme de
quelque chose qui peut couler à la façon de la cire, bondir à
la façon des agneaux, courir vers la mer et s’y précipiter...»
et ceci n'est pas moins admirable que le remarquable
processus de la vie sur le Globe que décrit la Genèse.
Non seulement le Bassin du Pas-de-Calais ne s'est pas
trop défavorablement ressenti des multiples mouvements
qui l'ont secoué, mais je serais presque tenté de dire qu'ils
ont contribué à l'accumulation de sa richesse : grâce au
transport des régions du Midi sur celles du Nord, grâce à
la superposition des écailles de charriage, il arrive que le
riche faisceau de Dusouich, par exemple, se retrouve presque
constamment au même niveau, immédiatement au-dessous
du recouvrement de craie, tout en conservant dans chaque
lambeau une inclinaison très favorable à l'exploitation.
Quant à la composition dela houille, elle a été influencée,
soit par la nature des végétaux qui l'ont formée, soit par la
profondeur où le dépôt s'est trouvé ultérieurement, soit par
la température à laquelle il a été porté : dans l'ensemble,
les faisceaux les plus anciens, c'est-à-dire les plus profonds,
sont les plus maigres.
— 436 —
La teneur en matières volatiles descend à 9 ou 10 °/ pour
l'extrème nord du Bassin ; en remontant la série des
couches, elle s'élève progressivement, atteignant 30 et 35°/0,
et lorsqu'enfin, dans une mème couche, on se dirige vers le
sud, et surtout lorsqu'on passe aux terrains renversés, elle
augmente encore de plusieurs unités, marquant une loi qui,
en dépit d'anomalies locales, est extrèmement générale.
Vous savez que certaines couches de houille sont grisou-
teuses. Ce grisou, qui se retrouve du reste dans la distillation
de toutes les houilles, par suite de quel phénomène est-il
occlus dans les pores du charbon, s’il provient de la décom-
position de la cellulose, alors que l'acide carbonique, qui
devrait l'accompagner dans cette réaction, n'y figure qu'au
voisinage de gisements métallifères, c'est ce qu'il n'est pas
aisé d'expliquer. Toujours est-il qu'il se dégage, dans
certaines régions, jusqu'à une vingtaine de mètres cubes
de grisou à la tonne de houille et que ce dégagement croit
généralement en profondeur. Mais ce sont là des chiffres
très modestes encore par rapport à certains gisements du
Centre ou des pays voisins. Ce dégagement parait dépendre,
d'après les travaux récents de M. Morin, de l'état de dislo-
cation étendue dans lequel se trouve un gisement en
exploitation et, par suite, dans une mesure plus large qu'on
ne le supposait il y a quelques années, des variations baro-
métriques qui modifient ses conditions d'écoulement, ou
mieux des mouvements de l'écorce qui peuvent amener des
dislocations nouvelles.
Je ne saurais parler du grisou sans dire un mot de la
question des poussières que la terrible catastrophe, que vous
avez tous présente à l'esprit, a si brutalement amenée au
premier plan de nos préoccupations. Qu'est-ce au fond qu'un
gisement de poussières? C'est en quelque sorte un gisement
grisouteux à l'état solide, répandu sur le sol et sur les parois
des galeries par les nécessités de l'exploitation; s'il est assez
ténu pour pouvoir entrer en suspension sous l'effet d'une
— 437 —
chasse d'air et pour offrir, au dégagement de ses matières
volatiles sous l’action de la chaleur, une surface relative
suffisammant étendue, il prend toutes les propriétés d'un
gisement explosif gazeux. L'explosion est assez difficile à
déclancher et c'est ce qui fait qu'on n'avait pas eu à s'en
préoccuper en France; mais si une coïncidence de circons-
tances, en elles-mëèmes très exceptionnelles, la provoque,
elle s'étend avec la violence que vous savez. Les beaux
travaux de M. Taffanel ont mis en lumière ce double phé-
nomène, en même temps qu'ils ont permis d'en entrevoir le
remède.
Le terrain houiller, sous sa forme actuelle, est compris
entre la craie qui le recouvre d'un manteau de 150 mètres
d'épaisseur moyenne et le calcaire carbonifère sur lequel il
repose en discordance au nord du Bassin.
Les houilles grasses, qui en forment la partie supérieure,
comprennent des faisceaux extrêmement denses et réguliers
comptant 30 mètres de charbon sur une épaisseur totale de
700 mètres. C'est le faisceau de Dusouich, qui a fait et fait
encore la fortune du centre du Bassin, suivi de celui d’Er-
nestine, presque aussi riche. Bien qu'avec un facies diffé-
rent, les veines flambantes de la région de Bruay en sont,
d'après les travaux de M. Zeiller, contemporaines et présen-
tent une égale richesse avec une régularité plus grande
encore. Au-dessous se trouve un paquet de terrains beau-
coup moins riches en houille, sinon tout à fait stériles, où
l'on ne connaît guère que 5 mètres de charbon sur une
épaisseur de plus de 200 mètres. Enfin, l'extrême Nord
redevient sensiblement meilleur et forme le faisceau maigre
contenant à peu près 6 mètres de charbon sur une épaisseur
de 250 mètres. La puissance totale de la formation connue
parait voisine de 1,500 métres.
Le nord du Bassin, jusqu'à un plan de chûte très net et
très étendu qui s'appelle la faille Reumaux, est plissé mais
en place; au sud, le faisceau de Dusouich a été transporté
— 438 —
jusqu'au voisinage de cette faille, au-dessus du faisceau
demi-gras, le long des failies Rangonnieux et de Bullv.
Plus à l'ouest, le long de la faille de Ruitz, le faisceau
flambant vient se butter à son tour contre les charbons
demi-gras. Au sud, toute la formation se replie successi-
vement, surmontée alors par ce paquet de terrains plus
anciens, provenant du sud, qui a tant retardé la connais-
sance de l'extension méridionale du Bassin. Alors, sous les
terrains anciens, la formation s'enfonce, assez lentement au
droit de Liévin où la pente générale de la faille limite est
de 15 à 20 °/o, plus rapidement à l'Est et à l'Ouest où elle
atteint 35 à 45 0/0. C'est dans cette zone que s'étendent les
nouvelles concessions, instituées voici trois ans, et dont les
deux premiers sièges sont maintenant en creusement à
Bouvigny et à Vimy.
Si le grand plissement du midi du Bassin est unique, et
tout le fait présumer jusqu'ici, les profondeurs du gisement
croîtront vite au midi, en même temps que les faisceaux
recoupés deviendront moins riches. Alors ie Bassin du
Pas-de-Calais ressemblerait assez à une de ces omelettes
aux confitures, bien ventrues dans le milieu, minces et
sans sucrerie sur les bords. En enfants gourmands, nous
nous sommes précipités sur la confiture; il nous restera
encore l'œuf, et puis plus tard, il nous faudra râcler
l'assiette.
Pour combien de temps en avons-nous ?
Personne jusqu'ici ne s'est beaucoup préoccupé de savoir
si le faisceau maigre existe sous le faisceau gras actuelle-
ment connu, si le faisceau gras au lieu d'être identique au
faisceau flambant se retrouve au-dessous de ce dernier.
Mais ces hypothèses favorables n'apparaissent pas comme
très probables et, à s'en tenir à ce que l'on connait à peu
près, 1l y avait peut-être cinq milliards de tonnes (peut-être
moitié moins ou moitié plus) contenues dans notre omelette
à l'origine. Depuis 60 ans, on en a déjà pris 400 millions,
— 439 —
mais cela ne représente que 20 années sur le pied actuel
d'extraction de 20 millions de tonnes; que celle-ci continue
à croître au taux moyen de 500,000 tonnes par an, qu'elle
maintient depuis 20 ans, pendant 20 autres années encore,
pour demeurer stationnaire ensuite, et dans quelque 150
ans, le Bassin du Pas-de-Calais ne sera plus que l'ombre
de lui-même.
Messieurs, que ces considérations inquiétantes n'assom-
brissent pas trop notre front. C'est l'apanage de toutes
choses d'être périssables ou du moins appelées à se trans-
former sans cesse. Que la France, déjà pauvre en houille,
en devienne un jour dépourvue, cela n'est pas impossible,
mais les ressources de la science sont inépuisables en
surprises et jusqu'ici l'humanité, malgré sa multiplication
colossale, n'a trop manqué de rien! Reposons-nous plutôt
sur la brillante carrière de notre Bassin houiller et envisa-
geons son avenir prochain.
Considérons que depuis douze années, lorsque votre
collègue Alayrac, nous en donnait l'histoire si documentée,
la production s'est accrue de 40 °/,; le personnel du fond
et du jour, qui atteint 90,000, a augmenté de 60 °/, : cela
marque une réduction de rendement de l'ouvrier, résultant
tant de la diminution de son effort utile et de la durée de
son travail qui est, comme vous le savez, descendue de
9 heures 1/2 à 8 heures, que de la nécessité d'exploiter des
veines moins rémunératrices ; le rendement journalier est
tombé de 1,200 à 1,050 kilos pour l'ouvrier du fond et de
900 à 750 kilos pour l'ensemble du personnel, et cela malgré
le développement de la puissance motrice installée qui a
passé de 1,850 à 3,100 chevaux par 1,000 tonnes extraites
journellement.
Cependant le salaire moyen de l'ouvrier augmentait de
20 °/o pour s'élever à 6 fr. 75 pour l'ouvrier à la veine, à
5 fr. 80 pour l'ouvrier du fond, à 3 fr. 95 pour celui du jour.
Le capital immobilisé de la Société la plus développée et
2h —
peut-être la plus progressive, la Société des Mines de Lens,
est monté de 46 à 123 millions ou de 17 francs à la tonne
à 34 francs : il a proportionnellement doublé.
Si dans ces conditions les dividendes globaux des Com-
pagnies sont encore montés de 40 à 55 millions, se tenant
toujours à près de 3 francs par tonne extraite, il faut en
rechercher les causes dans l'augmentation du prix des
charbons qui est passé en moyenne de 10 fr. 70, pour la
période décennale immédiatement antérieure, à 14 fr. 40
pour la dernière et ne représente pas moins de 35 °/, d'aug-
mentation. Preuve manifeste que toutes les modifications
économiques d'un caractère un peu général ne retombent
finalement que sur les consommateurs.
Depuis quelques années, la mécanique et l'électricité ont
rivalisé de zèle pour rénover l'industrie houillère : le prodi-
gieux développement des appareils centrifuges à grande
vitesse (turbines à vapeur pour la production de la force,
pompes et compresseurs pour son utilisation) a introduit
l'alternateur, la dynamo et le transport d'énergie électrique.
Avec le groupe-tampon qui absorbe les à-coups de la
cordée d'extraction, la machine d'extraction électrique peut
détrôner par la sûreté de son fonctionnement la machine à
vapeur. L'accumulateur Rateau, permettant d'emmagasiner
économiquement la vapeur irrégulièrement déversée par les
anciennes machines d'extraction et les autres machines des
fosses, et la turbine à basse pression qui produit ensuite du
courant électrique, ont donné de la valeur aux vapeurs
d'échappement et doublé la puissance utile des anciennes
installations de chaudières; les progrès considérables
réalisés dans l'industrie du coke ont permis de recueillir
les sous-produits de la distillation de la houille, et d'en tirer
dans de véritables usines de produits chimiques comme
celles de Lens les substances les plus variées : ammoniaque,
phénols, huiles lourdes, naphtaline et anthracène, benzols,
benzines et toluène, d'où sortent engrais et antiseptiques,
— 441 —
huiles de graissage et essence à moteurs, matières colo-
rantes et explosifs; et les gaz qui se dégagent en excès
permettent encore de récupérer dans des moteurs 10 °/, de
l'énergie contenue dans la houille.
Ainsi se sont constituées ces importantes centrales, dont
la puissance actuellement installée dans le Bassin dépasse
75,000 chevaux et qui, jouissant de l'avantage que les mines
ne travaillent que peu aux heures où la demande de l'indus-
trie et de l'éclairage passe par son maximum, sont suscep-
tibles d’un facteur de charge si élevé, profitent de conditions
de production de l'énergie si favorables, qu'elles se présen-
tent dans des conditions meilleures encore que les usines
hydro-électriques. Et c'est pourquoi leur énergie débordante,
prenant la voie des airs, étend ses ramifications non seule-
ment jusqu'en notre ville, mais jusque dans tout le Pas-
de-Calais, le Nord, la Somme et l'Aisne.
Et comme si ce gigantesque travail ne suffisait pas à
l'activité des charbonnages, nous voyons maintenant le
minerai de fer s'unir au coke au point même de sa produc-
tion, et dans quelques années le haut fourneau, la cornue
et le laminoir joindront leurs fumées et leurs gerbes d'or
aux vapeurs bleues ou rougeâtres qui s'élèvent des fours
à coke.
L'idée ainsi s’élance
De notre âme en éveil sous le feu de l'effort,
Comme de la matière informe le fer sort
Ou la subtile essence.
Debbie bebe
RÉPONSE
au Discours de Réception
de M. F. LEPRINCE-RINGUET
Membre résidant
PAR
M. l'Abbé ROHART
Membre résidant
Monsieur,
2 vous en semble ? Le sourire du bouton, fraichement
% éclos au rayon du printemps et sous la caresse de sa
brise bienfaisante, peut-il adoucir la triste mélancolie de la
fleur disparue avant le temps, sous l'ardeur dévorante d'un
soleil d'été? Les larmes de joie versées sur un berceau
valent-elles les pleurs amers répandus sur un cercueil ?
Pour moi, qui avais eu l'honneur de vous introduire dans
notre vestibule d'entrée, voici qu'au moment où je vais vous
installer à la salle du festin, je n'ai plus sur les lèvres que
ces vers du poète, légèrement retouchés :
Au banquet de la vie, infortuné convive,
Tu parus un jour et tu meurs!
Je serais donc tenté de voiler de crèpe le jour où vous êles
né à notre Compagnie, où vous lui avez été montré, plutôt
que donné, dans un écrin d'espérances et de promesses qui
désormais devient le trésor et la gloire de Nancy. Ah! je le
prévois, la nouvelle élue de votre cœur saura vous faire
fête; mais sa joie ne rendra que plus vifs les regrets de vos
collègues d'aujourd'hui et d'hier. Car à notre tristesse se
mêle sûrement celle de votre vénéré prédécesseur, Monsei-
gneur Doublet, que vous venez de louer si dignement et qui
avait tressailli dans sa tombe à la pensée de celui qui avait
hérité de son fauteuil académique, et qui devait si bien
faire revivre la distinction de ses manières, l'élévation de
son caractère, la fécondité de son intelligence, l’activité de
tout son être pour la culture du vrai, du beau et du bien
sous tous leurs aspects.
+
K +
J'aimerais avec vous à rappeler et à célébrer la mémoire
de notre collègue et à détailler la bibliothèque de ses œuvres.
Mais je l'ai déjà fait en plusieurs circonstances. Et vous-
même, vous vous êtes acquitté de cette tâche avec la compé-
tence d'un théologien, assisté peut-être par la pieuse et déli-
cate perspicacité d'une théologienne, à la finesse de laquelle
rien ne pouvait échapper de ce qui caractérisait les écrits ou
la parole de l'auteur, du penseur et du prédicateur qu'était
Mgr Doublet. Je me contente donc d'associer mon hom-
mage au vôtre, de proclamer bien haut sa profonde péné-
tration d'esprit, son érudition incomparable dans l'étude
des Apôtres, des Pères, des Théologiens, des Ascètes dont
il faisait sienne la doctrine, la mentalité et l'éloquence. Et
je mincline avec respect et émotion devant cette noble
figure, comme on s'arrête, on médite et on prie devant
l'image des aïeux dont la vie a été pétrie de grandeur de
caractère, d'élévation d'idées, de passion d'idéal, et d'aspi-
rations supérieures.
Nc le voyez-vous pas encore, abstrait et non distrait,
se promenant dans les allées ombreuses de nos jardins,
— A44 —
recueilli et pensif, pour y méditer, y prier, s'y reposer,
en compagnie des grands auteurs qu'il voulait appro-
fondir, en conversation intime avec Dieu, qu'il se plaisait
à admirer dans les manifestations de la nature, dans
ses plantes et ses oiseaux, dans leur parure ou dans leurs
chants. Car, s'il avait l'intelligence ouverte aux mysté-
rieux problèmes de la science philosophique et théologique,
il n’en était pas moins sensible aux beautés de la Nature et
des Arts. La littérature, la peinture, la musique avaient le
don de l'enthousiasmer et même de l'inspirer. Sa plume, si
habile à tracer des pages finement enluminées, ne l'était pas
moins à ciseler des hémistiches faits de cadence et de mélo-
die; car s'il aimait à enchâsser ses inspirations dansle cercle
du mètre et de la rime, il savait aussi les plier aux exigences
de la mesure et de l'harmonie. Et l'écho de nos Allées pour-
rait encore redire, avec la Musique du Génie qui l'inaugura,
l'orchestration de son Chant à Christophe Colomb et à ses
compagnons partant à la découverte de terres nourelles :
« Matelots, fils des Flots,
Nous aimons notre navire, »
et saluant de loin avec le mousse de vigie, au regard perçant
et à la voix claire :
«a Terre, terre ! — Voilà là-bas la terre! »
Fidèle disciple d'Euterpe, non seulement il en cultivait
l'art, mais il en scrutait les mystères historiques : c'est ainsi
qu'il fut l'inspirateur du travail le plus important dû à Loth
sur les origines de la Marseillaise, qu'il revendiquait déjà
pour un Audomarois, son compatriote, Grisons, maitre de
chapelle à la cathédrale de Saint-Omer et directeur de la
Maitrise.
*
*k +
J'aurais encore à vous narrer mille souvenirs du litté-
rateur, de l'artiste, du prédicateur, du causeur abondant
et délicat. Mais, au lieu de vous détailler tous les traits de
— 445 —
cette fine physionomie, je préfère, devant cette figure
austère et bonne, me laisser aller à la vague rêverie qu'ins-
pire l'image de ceux qui sont loin ou qui ne sont plus,
rèverie au cours de laquelle le souvenir est plus attendri,
les larmes plus douces, les étreintes plus fortes et les baisers
plus longs. |
Dans ce vieillard qui passe, j'aime à saluer toute une
période glorieuse, à vénérer l'ancien clergé, fait de dignité,
de noblesse, de prestance et de bonté. Peut-être en avez-vous
connu les dernières reliques, les Proyart, les Planque, les
Robitaille, qui chez nous, dans notre Compagnie, ont cul-
tivé les Arts, les Lettres et les Sciences. Représentants de
l'autorité, sachant en imposer par leur âge, leur passé et leur
nom, ils n’en étaient pas moins condescendants et affables
pour les jeunes, les petits, les faibles et les humbles, allant
vers eux, vers le peuple, non par commande et en utopistes,
mais naturellement, parce qu'ils étaient bons et que la souf-
france, sous quelque forme qu'elle se présentät, touchaitleurs
cœurs, ouvrait leur bourse, et en faisait des anges de
consolation et de bienfaisance. |
Dieu me garde de méconnaître notre siècle et d'en médire.
J'en aime le renouveau, les élans, les généreuses aspira-
tions. Mais j'adore le passé et ses reliques vivantes,
à l'autel desquelles j'ai fait ma prière d'enfant, à genoux,
les mains jointes, le front levé, le cœur ému et qui ont
imprimé pour elles en mon âme le culte de leur mystérieuse
bonté, jointe à une égale autorité.
%
+ +
Tels ont été vos prédécesseurs : tels vous les auriez fait
revivre en vous, Monsieur, par cet ensemble de qualités
dont nous n'avons entrevu que l'aurore, mais assez toute-
fois pour nous faire regretter la pleine lumière de votre
midi, que vient d'ouvrir votre nomination d'ingénieur en
chef pour l'arrondissement minéralogique de Nancy, à
EN de
l'heure précoce où le cadran solaire de votre existence ne
projette pas encore son ombre sur le 40° degré de son cercle.
Mais vous étiez né homme de science, comme d'autres
naissent littérateurs ou poètes; et sous votre plume algé-
briste, à Stanislas, on pouvait déjà deviner le fleuret du
mineur. Aussi n'est-il pas étonnant de vous voir cueillir le
diplôme d'élève-ingénieur, à l'âge où tant d'autres le contem-
plent encore de loin. Dès lors, vous êtes entré dans la
carrière et c'est à pas de géant que vous la parcourez, en
escaladant les classes successives avec l’agilité d'un Alpi-
niste qui ne connait ni distances, ni degrés, d'Alais à Nancy.
Et comme si vous ne vous suffisiez pas à vous-même, c'est
sur un second échafaudage scientifique ou économique que
vous voulez asscoir votre home, avec les noms de Stourme
et de Lefébure de Fourcy, tous deux gloire de l'Institut ou
de nos grandes Ecoles. Sous de tels auspices ie succès
est assuré. Dans votre parterre scientifique les fleurs pous-
sent, s'épanouissent à l'envi, et la première que vous y
faites éclore c’est sur l'autel pour ainsi dire de l'humanité,
je dis mieux, de la charité que vous voulez la déposer.
Le grisou, voilà bien l'implacable adversaire du mineur : il
le guette partout, à toute heure, 1l y a quelques jours à
Saint-Étienne, hier mème, mais moins cruel, chez nous à
Nœux. C'est donc contre lui que doivent ètre tournés efforts,
études, essais et préoccupations. C'est donc vers lui que
vous allez droit, pour neutraliser l'étincelle électrique dans
un milieu grisouteux, par l'étude des expériences dues au
professeur Heise dans la galerie d'essais de Gelsenkirchen-
Bismark, en Westphalie; tous les systèmes protecteurs de
l'appareillage et des moteurs électriques y sont passés en
revue, enveloppes closes. tamis, immersion dans l'huile et
autres. |
Toujours sous l'empire des mèmes préoccupations, ce
sont les expériences anglaises sur les poussières de houille
que vous suivez et étudiez à Altots et dont les Annales des
Mines enregistrent les précieux résultats.
— A41 —
Ce matériel de l'exploitation ne saurait vous rester étran-
ger, et l'emploi, avec sa description du marteau pneuma-
tique fonctionnant à air comprimé, attire votre attention.
+ " k
Si la partie technique vous est chère, le côté économique
et social de toutes ces questions ne vous l'est pas moins,
comme nous le révèle votre étude sur les institutions collec-
tives du bassin de la Ruhr, celles surtout qui ont pour but
d'assurer aux mineurs des avantages économiques et de
faire progresser les conditions de sécurité auxquelles ils ont
droit.
Le grisou avec ses explosions, leurs causes, leurs effets
continuent à vous hanter jusqu’au jour terrible du 10 mars
1906 où, dans la fournaise de Courrières, au bruit des
sanglots de tout un peuple, de toute la France, vous avez
pu sur place, avec le calme du savant et la poignante émotion
du chef, en constater le carnage en face de ces couches de
débris sous lesquels sommeillela mort hideuse, où vous avez
exploré, avec l'audace du sauveteur et le courage du héros,
des amoncellements de cadavres et des montagnes d'éboulis,
véritable exercice d'alpinisme souterrain et lugubre, auprès
duquel vos randonnées sous le ciel de l'Extrème-Orient et
aux sommets des Montagnes Rocheuses ne sont que distrac-
tions et délassements. Car, Monsieur, votre renommée a
dépassé la chaine des Cévennes et des collines d'Artois; elle
a eu son retentissement sous la coupole de l’Académie des
Sciences avec, vos communications diverses qui y ont
été goûtées.
La France ne suffit plus à votre champ d'observations.
On veut vous en offrir un plus vaste, et le Ministère des
Affaires Étrangères va, en 1898, vous attacher à une Mission
que le Crédit Lyonnais envoyait en Chine pour déterminer
les ressources des provinces chinoises au point de vue
industriel, et pour en enrichir, je l'espère, sa nombreuse
= HA =
clientèle, comme vous avez enrichi les Annales des Mines
avec votre étude géologique si remarquable sur le Nord de
la Chine et son bassin houiller.
x
* *
Désormais, Monsieur, vous êtes un explorateur mondial;
on vous retrouve dans tous les massifs, on aperçoit votre
silhouette sur les plus hauts pics de l'Ancien et du Nouveau
Monde, à quelques 3,000 mètres d'élévation; sur la pointe
du pic Donald, dont vous êtes le second à faire l'ascension,
escaladant, au péril de votre vie, montagnes de rochers
ou de glace, traversant defilés de neige, longeant gouffres
et abimes.
L'ascension avait été pénible, et, comme l'écrit votre
compagnon, M. Gordes attaché à la légation allemande de
Pékin, c'est à votre énergie et à votre habileté, jointes
d'ailleurs à l'effet d'un excellent déjeùner, que vous avez
réussi à dépasser le record en hauteur dans l'ascension du
pic Donald.
Vous avez pourtant besoin de descendre de ces crètes pour
aller vous reposer en pays moins montagneux et vous livrer
en Norvège, dans le Jura et ailleurs à votre délassement de
choix, le ski.
Mais la Chine avait eu vos premières amours, et c'est à
elle que vous revenez, entonnant joyeusement le refrain :
« Ah ! oui, vraiment,
La Chine est un pays charmant
Qui doit vous plaire énormément. »
Aussi votre saison d'été vient-elle de se passer dans ce pays
où vous semblez vouloir « vivre et mourir », dans un coin
de la Sibérie, tout proche de la Mandchourie. Vous avez dû
en rapporter, avec le résultat de vos fouilles, de vraies
richesses géologiques etethnologiques, destinées àcompléter
vos collections et les Archives des Mines,
1
Nous nous étions consolés de votre longue absence, à la
pensée qu'en nos séances hebdomadaires nous aurions pu,
nous aussi, en profiter. Vous m auriez éclairé sur bien des
points de la Bible ou de l'Archéologie qui m'ont passionné.
Nous aurions causé de Job dans le livre duquel on ne
s'attendrait pas à trouver des observations dignes de figurer
au rapport d'un ingénieur des Mines, des mines du moins
que l’on retrouve si riches non en charbons, mais en mine-
rais de fer, d'or, d'argent, de cuivre et d'étain, au pays
d'Arabie, d'où, nous dit l'auteur biblique « se tire l'argent,
où l'or est épuré, le fer est extrait de la terre, où la roche
fondue donne le cuivre, où l'homme explore les abimes,
creuse une galerie, est suspendu et oscille, arrête l'écoule-
ment des eaux et met au jour ce qui était caché. » Tel est le
témoignage de Job que j'ai pu vérifier dans les anciennes
mines de la presqu île du Sinaï. Avec vous, j'aurais été heu-
reux de refaire, au moins par le souvenir, l'excursion de
l'Ouady Maghara, vers laquelle se reporte ma pensée,
Nous avons quitté Suez; nous avançons. Nous sommes
en plein désert, calme, plat, lumineux, éblouissant, sous
une chaleur étouffante, dans des sables brülants, au milieu
de rochers escarpés, où, en fait d'êtres vivants, on ne trouve
que des serpents, des scorpions, des vipères, pour déboucher
enfin dans l'Ouady Maghara, le défilé des cavernes ou sou-
terrains, creusés par les Égyptiens pour l'exploitation des
mines, commencée plus de 2000 ans avant l'ère chrétienne,
sous Snefrou, le dernier roi de la 1119 dynastie, continuée,
abandonnée et reprise jusqu'à la XII° dynastie. A peine
entrés dans la mine, nous sommes obligés de ramper sur les
mains et les genoux sous un toit très bas, couvert de
marques irrégulières, pratiquées avec la pointe de quelque
instrument analogue à la pointerolle du mineur. Nous dépas-
sons plusieurs piliers, ménagés dans la masse du rocher
29
— 450 —
pour soutenir le toit au-dessus des galeries de la mine. Ici,
le chemin se rétrécit. Enveloppés des plus lugubres ténèbres,
nous suivons le sentier «que l'oiseau de proie ne connait pas,
que l'œil du vautour n'a pas apercu »; nous sommes suffo-
qués par l'odeur âcre et épaisse des chauves-souris qui nous
frôlent le visage de leurs ailes visqueuses ; enfin, nous abou-
tissons à une vaste salle de vingt pieds de longueur, qua-
torze de largeur et cinq de hauteur. C'est dans l’épaisse
couche de sable et de déblais qui recouvrait le sol, qu'on a
retrouvé des éclats de silex, des marteaux de pierre, des
fragments de bois appartenant à des outils brisés, des mor-
ceaux de bâton arrondis, en bois d’acacias, spécimens
incontestables de l'outillage des mineurs de cette époque ;
leur travail était éclairé par des lampes fumeuses qui étaient
attachées aux parois des galeries et qui, en léchant les
voûtes, y ont laissé leur empreinte en de longuestraces
noirâtres encore visibles.
Mais il est temps de quitter ces noirs enfers pour aller au
dehors respirer un air plus pur, contempler un ciel plus
serein.
#
à *
Déjà les étoiles l'éclairent de leurs mille feux. Là-bas, j'en
vois une qui monte à l'horizon : c'est la vôtre, Monsieur,
apparue en notre ciel dès 1906.
Étoile de l'espérance, je te salue. Monte, monte encore,
jusqu'à ce que, ayant atteint la première grandeur, tu
viennes te fixer, symbole de l'honneur, sur cette poitrine si
digne de te porter,
— 451 —
LAURÉATS DES CONCOURS
DE 1911
HISTOIRE
Médaille d’or de 200 francs :
M. l'abbé Jules LEROUX, curé de Thiembronne.
Mention honorable :
M. R. FASQUELLE, instituteur à Lottinghem,
& Pme
POESIE
Médaille de vermeil :
M. Louis MOREAU, rédacteur à la Préfecture de
police; Secrétaire de la rédaction de la REVUE
SEPTENTRIONALE,
ee S]
Médaille d'argent :
M. À BERTRAND, à Foncquevillers.
ES
æ— 452 —
Médaille de bronze :
MM. Paul FLAMEN, à Arras.
Émile LINGLIN, à Auchel (St-Pierre).
G.-B. de la DABINERI?, à Dunk-:rque.
Mention honorable :
MM. Paul HENRY, à Rœux.
Eugène PHALEMPIN, à Hermies,
Ed. ANDRIEU, instituteur à Lillers-Rieux.
LITTÉRATURE
Médaille de vermeil :
M: G.-B. de la DABINERIE, à Dunkerque.
HORS-PROGRAMME
Mention honorable :
M. E. LEGRAND, directeur d'école à Berck-Plage,
— 453 —
SUJETS MIS AU CONCOURS POUR 1912
HISTOIRE, GÉOGRAPHIE OU ARCHÉOLOGIE
Histoire d’une Ville, d’une Localité ou d'une Abbaye du
département du Pas-de-Calais.
Monographie géographique d’une commune.
Monographie d’une Eglise cathédrale ou paroissiale, d’une
Maison conventuelle, d’une Maison hospitalière, d’une Insti-
tution civile ou religieuse de la Ville ou de la Cité d'Arras.
names DE mt
LITTÉRATURE
Une pièce ou un ensemble de poésies de deux cents vers
au moins, ou un travail littéraire en prose, dont l’auteur,
soit par son origine, soit par son domicile, appartienne à la
région, (Pas-de Calais, Nord, Aisne, Somme, Oise).
L'Académie acccepterait cependant, d'auteurs étrangers,
des poésies ou des compositions se rapportant à la région.
—#m#—
BEAUX-ARTS
Histoire de l’Art ou de l’une de ses parties daas l’Artois.
Biographie d'artistes artésiens.
Expositions tenues à Arras et dans le Pas de-Calais.
220 —
SCIENCES
Une question de Science pure ou appliquée.
Statistique industrielle du Pas-de-Calais, avec carte à
l'appui.
Etudes anthropologiques sur les races que l’on rencontre
dans le Pas-de-Calais.
—1+ 761 —
PRIX BRAQUEHAY
Une rente de 400 fr. provenant d’un legs fait à l’Académie
d'Arras par M. A. Braquehay, sera décernée en prix
aux auleurs des meilleurs ouvrages hisloriques, archéolo-
giques ou autres, concernant Montreuil et la partie de son
arrondissement ayant ressorti de la Picardie. Toutefois le
lauréat ayant obtenu, en une ou plusieurs fois,la totalité du
legs Braquehay, sera, par ce fait, mis hors concours.
Les personnes qui présenteront un ouvrage au concours
d'histoire sont priées d'indiquer si elles entendent prendre
part au concours général d'histoire ou au prix Braquehay,
A défaut d'indication, l'affectation sera faite par l’Aca-
démie.
— DIE —
En dehors du concours, l’Académie recevra tous les ouvra-
ges inédits (Lettres, Sciences et Arts) qui lui seront adressés,
pourvu qu'ils intéressent le département du Pas-de-Calais.
Des médailles dont la valeur pourra atteindre 300 fr.,
seront décernées aux lauréats de chaque concours.
CONDITIONS GÉNÉRALES
Les ouvrages envoyés à ces concours devront être adressés
(francs de port) au Secrétaire-Général de l’Académie, et lui
parvenir avant le {°° mai 1912. Ils porteront, en têle, une
épigraphe ou devise qui sera reproduite sur un billet cacheté,
contenant le nom et l'adresse de l’auteuravec l'attestation que
le travail n’a pas été présenté à un autre concours. Ces bil-
lets ne seront ouverts que s’ils appartiennent à des ouvrages
méritant un prix, une mention honorable ou un encourage-
ment ; les autres seront brûlés.
SR Cite
Les concurrents ne doivent se faire connaître ni directe-
ment, ni indirectement.
Les ouvrages inédits sont seuls admis.
Les Membres de l’Académie, résidants et honoraires, ne
peuvent pas concourir. |
L'Académie ne rendra aucun des ouvrages qui lui auront
été adressés.
Fait et arrété en séance, le 7 octobre 1911.
Le Président,
G. ACREMANT;
Le Secrélaire-Général,
Baron A. CAVROIS pe SATERNAULT.
LT
LISTE
des
MEMBRES TITULAIRES, HONORAIRES & CORRESPONDANTS
de l'Académie d'Arras.
MEMBRES DU BUREAU
Président :
M. G. ACREMANT, Membre de la Commission des Monu-
ments historiques.
Chancelier :
M. le Chanoïne RAMBURE, Pro-recteur honoraire des
Facultés catholiques de Lille.
Vice-Chancelier :
M. G. SENS, *#, 4h, Secrétaire-Général de la Commission
des Monuments historiques.
Secrétaire-Général :
M. A. CAVROIS DE SATERNAULT (le baron), Licencié ès-
Sciences, Docteur en Droit.
Secrétaire- Adjoint :
M. F. BLONDEL, 4h, ingénieur civil.
Archioiste :
M. G. DE HAUTECLOCQUE (le comte), Licencié en Droit.
Bibliothécaire :
M. F. LENNEL, O. &, Docteur ès-Lettres, Professeur de
philosophie au Collèce d’Arras.
Bibliothécaire adjoint :
M, Morez, O. @, Principal honoraire.
— 457 —
MEMBRES TITULAIRES
Par ordre de nomination.
MM.
1. Pacnouz, %. O0. @, Directeur honoraire de la Station
agronomique du Pas-de-Calais (1864).
2. G. DE HAUTECLOCQUE (le comte), Licencié en Droit
(1871).
3. J. GUÉRARD, &, Président honoraire du Tribunal civil
(1879). |
4. Em. PETIT, &, Président honoraire du Tribunal civil
(1883)
9. GC. RonarT (le chanoine), @ , +, Docteur en Théologie,
Président de la Commission des Monuments histo-
riques du Pas-de-Calais (1887).
6. E. CarLiEr, %, O. @, Inspecteur départemental
honoraire de l’Assistance publique (1888).
7. L. VicrarT, Avocat (1892).
8. L. RAMBURE {le chanoine), Pro-Recteur honoraire des
Facultés catholiques de Lille, Doyen de l'Eglise
St-Nicolas (1893).
9. I. HEeRvIN (le chanoine), Vicaire-général, (1893).
19. L. DurLor (le chanoine), Licencié ès-Leltres, Doyen
de Saint-Nicolas (1895).
11. G. ACREMANT, Membre de la Commission des Monu-
ments historiques (1895).
12. F, BLoNDEL, #4, Ingénieur civil (1895).
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
2E
22,
23.
24.
25.
26.
21:
28.
29.
30.
— 458 —
MM.
H. BouLaNGé, ancien Officier de marine (1897).
À. BROCHART, Avocat (1898).
J. Viseur, &, Sénateur du Pas-de-Calais (1899),
J, Paris, Docteur en Droit, Avocat, Conseiller géné-
ral (1899).
B. LESUEUR DE MORIAMÉ. *, © (1900).
À. CAVROIS DE SATERNAULT (le Baron), Licencié és-
Sciences, Docteur en Droit (1902).
G. SENS, #%, h, Secrétaire général de la Commis-
sion des Monuments historiques (1904;.
J. Gerbore, &, Vice-Président du Conseil de Préfec-
ture (1905).
H. Bener, #, Chef de Bataillon du Génie en retraite
(1906).
E. Morez, O. @, principal honoraire (1907).
G. Sion, %, O &, directeur honoraire d’Ecole normale
(1909).
F. LENNEL, O. @, Docteur és-Lettres, Professeur de
philosophie au Collège d'Arras (1910",
C. GUILLEMANT (le chanoine), Vicaire général (1910).
À. Lesrocquoy, Docteur en médécine (1910).
E. PLoco, 2, Inspecteur principal honoraire des
Chemins de fer du Nord 1941).
À. TienNy, Avocat (1911).
E. BLoqueL, ancien Avoué (1911).
N. N.
— 459 —
MEMBRES HONORAIRES
Par ordre de nomination.
Les letires A. R indiquent un ancien membre tituluire ou résidant.
MM.J.-M. Ricnarp, @, ancien Archiviste du Pas-de-
Calais, à Laval, À. R. (1879).
A. GuEsxox, 0. @, Professeur honoraire de l'Uni-
versilé, à Paris, À. R. (1881).
Louis Noec, %, Statuaire (1887).
ALAPETITE, O. %, Résident général de France à
Tunis (1891).
DEPOTTER (le chanoine), Doven de Laventie, ancien
Vicaire-Général, À. R (1893).
Boucry, 0. @, Professeur de rhétorique au Collège
d'Arras, A. R. (1898.
SENART, Membre de l’Institut, à Paris (1898).
J. CHAVANON, ©, ancien Archiviste du Pas-de-Calais,
A. R. (1903).
CHOMER (le général}, C #, Commandant de Corps
d'Armée à Besançon (1907).
F. LePpriNCE-RixGueT, [Ingénieur en chef des Mines
à Nancy, AR (1911).
— 460 —
MEMBRES CORRESPONDANTS
Par ordre de nomination.
MM. Léon VaiLLaNT, &, Professeur au Muséum, à Paris
(1861).
DE CALONNE (le baron), à Buire-le-Sec (1874).
Em. Travers, Archiviste-Paléographe, à Caen (1876).
Hucor (Eugène), Secrétaire adjoint des Comités des
Sociétés savantes près le Ministère de l'Instruc-
tion publique à Paris (1877).
G. FAGNIEZ, Directeur de la Revue historique, à Paris
(1878).
P. FourNier, Professeur à la Faculté de Droit, à
Grenoble, Membre de l’Institut (1881).
RuriN, @, Président de la Société Archéologique
de la Corrèze, à Brives (1882).
PAGARD D'HERMANSART, à St-Omer (1883).
Gabriel DE BEUGNY D'HAGERUE, à Aire (1884).
Ernest MATTHIEU, Avocat, Secrétaire du Cercle
archéologique, à Enghien (Belgique) (1884).
Quinion-HuserT, ancien Magistrat, à Douai (1884).
Robert DE GUYENCOURT, ancien Président des Anti-
quaires de Picardie, à Amiens (1888).
Massy, 0. @, #, Rénétiteur-Général au Lycée de
Douai (1890).
LEURIDAN (l'Abbé), à Roubaix (1891).
— 46 —
Ve Jenny FONTAINE, O. @, Arliste peintre, à Paris (1892).
MM. Dicarp, ancien élève de l’école des Chartes et de
l’école de Rome {189?).
HaRDUIN DE GRoSvILLE, Président honoraire au
Tribunal civil de Laon (1893).
MENCHE DE LoisxE (lecomte), I. @, château de Beau-
lieu-lez-Busnes (1894).
Edmond Enuonr, Archéologue à Saint-Pol (1896).
Henri Porez, @, Docteur ès-Lettres, Agrégé de
l'Université, à Lille (1896).
Bzep (le chanoine), Président de la Société des Anti-
quaires de la Morinie, à Saint-Omer {1897).
René Brissy, @, Publiciste, Rénovateur des Rosati, à
Paris (1897).
Charles-Sébastien LEcoNTE, #, Président du Tribunal
de Dôle (1897).
M®° Florent LEcLERCQ, château de Beauvoir (P.-de-C.)
(1897).
MM. Alfred de Puisieux, Membre des Anliquaires de
Picardie, Amiens (1898).
LECIGNE (le chanoine), Docteur ès-Leltres, Professeur
à la Faculté libre des Lettres de Lille (1898).
Mlte FRESNAYE, à Marenla (Pas-de-Calais) (1898).
MM. G.MaAcon, Conservateur du Musée Condé, à Chantilly
(1899).
Francis TATTEGRAIN, #, à Berck (1899),
DE BoISLECOMTE (le vicomte), au château de Mondé-
tour, par Morgny (Seine-[nférieure) (1899),
José-Ignatio VALENTI (dom), à Palma (Espagne) (1900).
Rudolf BerGer, Docteur ès-Lettres, à Berlin (1900).
WiLLox (l'abbé), curé de Brebieres (1900,
PLancouanp, à Berck-sur-Mer (1900).
ne
Mie
M\.
M®°
MM.
— 462 —
Marie-Madeleine CarLiEn, à Croisilles (1900)
R. Roniène, à Montreuili-sur-\ler (1901).
Frans, à Hénin-Liétard (1901).
DE LHoMEL, à Montreuil-sur-Mer (1901).
Dauer, Archiviste paléographe à Paris (1901).
BLANCHOT, Statuaire à Paris (1901).
Amélie MESUREUR, à Paris (1901).
Paul Trerny, Archiviste-Paléographe, à Siracourt
(1901).
François Benorr, Docteur ès-Lettres, fondateur d’un
Iustitut de l’Art, à Lille (1902).
Henri ParENTY, #, Ingénieur à Lille (1903).
Alfred RogaurT, Artliste-Lithographe, à Paris (1903).
Georges VaLLÉéE, Député du Pas-de-Calais à St-
Georges (Pas-de-Calais) (1905.
Théophile RexauLr, Professeur au Lycée Chanzy,
à Charleville (1905).
Du Pix DE LA GUÉRIVIÈRE (le vicomte),château de Bel-
leaucourt,Coulommes-la-\ontagne (Marne) (1907).
DE LA CHaRIE, château de Sainte-Austreberthe, par
Hesdin (1908).
Charles HirscHauER, Archiviste, Membre de l'Ecole
de Rome (1908).
MayEuR, Artiste-graveur, Grand Prix de Rome1910).
E JazousrrEe, Membre de l’Académie des Sciences,
Belles-Lettres et Arts de Clermont-Ferrand (1910).
L. Caizer, Conservateur de la Bibliothèque de
Limoges (1911).
— À63 —
SOCIETES SAVANTES
avec lesquelles l'Académie échange ses publications
FRANCE :
Abbeville — Socièté d'Emulalion.
Aire-sur-la-Lys. — Bibliothèque communale.
Aix. — Faculté de Droit.
Amiens. — Société des Anliquaires de Picardie.
_— Société Linnéenne du Nord de la France.
— Académie d'Amiens.
Angers. — Société d'agriculture, sciences et arts.
— Société industrielle d'Angers et du départe-
ment de Maine-et-Loire.
Annecy. — Société Florimontane d'Annecy.
Autun. — Société Eduenne.
Auaerre. — Société des Sciences historiques et naturelles
de l'Yonne.
Avesnes (Nord). — Société archéologique de l'arrondis-
sement d'Avesnes.
Beauvais. — Société académique d'archéologie, sciences
et arts du département de l'Oise.
_ Société d’études historiques el scientifiques
du département de l'Oise,
Besançon. — Académie de Besançon.
Béthune. — Bibliothèque communale.
Béziers. — Société archéologique, scientifique et littéraire.
Bordeaux. Académie des sciences, belles-lettres et arts.
Boulogne-sur-Mer. — Société académique.
— 464 —
Brives. — Société scientifique, historique et archéolo-
gique de la Corrèze.
Caen. — Societé des Antiquaires de Normandie.
— Académie nationale des sciences, arts et belles-
lettres.
— Societé d'agriculture el de commerce de Nor-
mandie.
— Société française d'archéologie pour la conser-
vation des monuments historiques.
Calais, — Bibliothèque communale.
Cambrai. — Société d'Emulation.
— Bibliothèque communale.
Chalons-sur-Marne. — Société d'agriculture, commerce,
sciences et arts de la Marne.
Chambéry, — Académie des sciences, belles-lettres
et arts de la Savoie.
Clermont-Ferrand. — Académie des sciences, belles-
lettres et arts.
Compiègne. — Société historique de Compiègne.
Dijon. — Académie.
Douai. — Société d'agriculture, sciences et arts du
département du Nord.
Dunkerque. — Socièlé Dunkerquoise pour l'encourage-
ment des sciences, lettres et arts.
Grenoble. — Académie Delphinale.
Havre (Le). — Société Hâvraise d’études diverses.
Hesdin. — Bibliothéque communale.
Laon. — Societé académique.
Lille. — Societé des sciences, de l'agriculture et des arts.
— Bibliothèque communale.
— Commission historique du dep' du Nord.
—_ Société archéologique du Nord.
— 465 —
Lille. — Comité flamand de France.
— . Archives générales du département du Nord.
— Bibliothèque des Facultés libres, 60, bouievard
Vauban.
_— Société d'études de la Province de Cambrai.
Limoges. — Société archéologique et historique du
Limousin.
Lons-le-Saulnier. — Société d'émulalion du Jura.
Lyon. — Société liltéraire.
— Bulletin historique du diocèse de Lyon, ges
Fourvière.
Macon. — Société d'histoire naturelle, 3, Place St-Pierre.
Mans :le). — Socièté d'agriculture, sciences et arts du
département de la Sarthe.
Marseille. — Société de statistique.
Mende. — Société d'agriculture du dép' de la Lozère.
Montpellier. — Société académique. |
Nantes, -- Société des sciences naturelles de l'ouest de
la France.
Nimes. — Académie de Nimes.
Orléans. — Société archéologique et historique de
l'Orléanais.
Paris. — Ministère de l’fastruction publique.
— Société d'anthropologie.
_ Comité des travaux historiques et scientifiques,
— Societé rationale d’agricullure de France.
_— Société des Antiquaires de France.
_— Association scientifique de France,
_— Société protectrice des aniinaux.
…— Societé de l'histoire de France,
_ Bibliothèque Mazarine.
+ Institut national de France.
— 465 —
Paris. — Bibliothèque de la Sorbonne.
— Bibliothèque de !’école des Chartes,
— Bibliothèque de la ville de Paris,
— Bibliothèque St-Gensviève.
_ Musée Guimet,
— Argus des revues, 14 rue Drouot,
_ Société française de numismatique, à la Sorbonne,
— Les Marches de l'Est.
Perpignan. — Sociélé agricole, scientifique, littéraire des
Pyrénées Orientales.
Poiliers. — Société des antiquaires de l'Ouest.
Puy (le). — Société d'agricullure, sciences, arts et com-
merce,
Reims. — Académie.
Roubair, -— Bibliothèque communale.
— Société d'Emulalion.
St-Etienne. — Socièlé d'agriculture, industrie, sciences
et arts du dép‘ de la Loire.
St-Malo. — Société historique et archéologique.
St-Omer. — Bibliothèque communale.
— Société des Antiquaires de la Morinie.
St-Pol. — Bibliothèque communale.
St-Quentin. — Société académique.
Saintes. — Société des archives historiques de la Sain-
tonge et de l'Aunis.
Sens, — Société archéologique.
Soissons, — Société archéologique, scientifique et his-
torique.
Toulon. — Académie du Var.
Toulouse, — Académi: des sciences, inscriptions el
belles-lettres.
== Académie des jeux floraux.
— 467 —
Toulouse. — Société d'agriculture de la Haute-Garonne.
Tours. — Sociélé française d'archéologie.
Troyes. — Société académique d'agriculture, sciences,
arts et belles lettres du dép' de l'Aube.
Valence. — Bulletin d'histoire ecclésiastique et d'archéo-
logie religieuse des diocèses de Valence,
Gap,Grenobleet Viviers,à Romans (Drôme).
Valenciennes. — Société d'agriculture, sciences et arts.
Verdun. — Société philomatique.
Versailles. — Sociélé des sciences morales, des lettres et
des arts du dép‘ de Seine-et-Oise.
ÉTRANGER :
Anvers. — Académie d'archéologie.
Bruxelles. — Académie royale des sciences, des lettres
et des beaux'arts de Belgique.
— Sociélé d'Archéologie de Bruxel'es.
Courtrai. — Cercle historique et archéologique.
Chicago. — The Chicago Academy of sciences.
Christiania. — Bibliothèque de l'Université royale.
Colmar. — Société d'histoire naturelle.
Columbus-Ohio. — The Ohio Slate University. Colombus
Ohio America.
Enghien (Belgique). — Cercle archéologique d'Enghien.
Gand. — Société d'histoire et d'archéologie de Gand.
Giessen. — Oberhessische Gesellschaft für Natur und
Heilkunde.
Liège. — Société libre d'Emulation.
— Institut archéologique Liégeois.
Louvain. — Bibliothèque de l'Université de Louvain.
Madison. — The Wisconsin Academv. — Madison, Wis,
U. $. A.
— 468 —
Manchester. — The Manchester literary and philosophica]l
Society.
Maredsous. — Société Bénédictine de l’abbaye de Mared-
| sous (Belgique).
Mons.— Société des Sciences, Arts et Lettres du Hainant.
— Société des Bibliophiles belges.
_— Cercle archéologique.
Montevideo. — Anales del Museo Nacional. — Montevideo,
Uruguay.
Munich (Bavière) — Monats-Berichte.
St-Louis (Missouri). — The Director of Missouri Botanical
Garden. — St-Louis (Missouri), America.
St-Nicolas (Belgique). — Cercle archéologique du Pays
de Waes.
Tournai. — Société historique et littéraire.
— Société académique.
Upsale. — Kongl. Universitets-Biblioteket i Upsala.
Washington. — Smithsonian Institution.
Wisconsin. — Academy of Sciences, Arts and Letters.
NOTE DE L’'IMPRIMEUR
Les Membres de la Société ont droit à 25 exem-
plaires de toute publication parue dans le volume.
En sus des 925, le tirage à part est compté à
raison de 6 fr. la 1/2 feuille ou 10 fr. la feuille
pour 100 exemplaires, y compris la couverture.
her de à 102 ER ARR 2 - > p0
TABLE DES MATIÈRES
I. — Lectures faites dans les séances hebdomadaires,
La Seconde Restauration dans le Pas-de-Calais (suite),
par M.le Comte bE HAUTECLOCQUE, membrerésidant.
Hommage à M. le Comte DE HAUTECLOCQUE.........
Le Costume des Echevins d'Arras, par M. Ed. More,
membre résidant .................. nel
Adieu à M. J. Lezoup, membre résidant, par M. G.
ACREMANT, président. ....ssss ses soso sonne 0e 0 00
Adieu à M. le Général DE JACQUELOT pu BoisROUVRAY,
membre honoraire, par M. G. ACREMANT, président.
Paroles prononcées par M. G. ACREMANT, président,
aux funérailles de M. RicouaArT, membre résidant.
Accord entre le duc de Bourgogne, Eupe IV, etle comte
de Flandre, Louis DE NEVERS, au sujet de diverses
terres situées en Artois, par M. Louis CaiLLer,
membre correspondant.....................,...,.
Legs de MaHAUT D'ARTOIS aux Pauvres de Salins
d'après un document de 1484, par M. Louis CAILLET,
membre correspondant........ die as es
Il. — Séance publique du 22 juin 917,
Allocution d'ouverture, par M. G. ACREMANT, président
Discours de réception de M. l'abbéCharles GUILLEMANT,
membre résidant....,..sssssssuseusseoosesses
Réponse au discours de réception de M, le Chanoine
GUILLEMANT, membre résidant, par M. le Chanoine
RauBure, chancelier ,.,,,4,,,,4444sc0s..
Pages
266
279
297
301
32
2, 479 ==
Discours de réception de M. le Docteur À. LESTOCQUOY,
Meme TéSITANÉ.. dis eee
Réponse au Discours de réception de M.ie Docteur
LesrocquoY,membre résidant, par M.G. ACREMANT,
DÉÉSIdONÉ. mains iles ienoioie
111. — Séance publique du 26 octobre 1q11
Allocution d'ouverture, par M. G.ACREMANT, président
Rapport sur les Travaux de l'année, par M. le Baron
GAVROIS DE SATERNAULT, secrétaire général.......
Rapport sur le Concours d'Histoire, par M. F. LENXEL,
Membre: TésSIdan tisse nee as diese
Rapport sur le Concours de Poésie, par M. Ed. Morez,
INOMDFE TÉSIdaNhs in dei er rssetresn oies des
Rapport sur une Etude de Pédagogie, par M. J. Sion,
membre résidant.........sssss.sessesseseorens
Discours de réception de M. LEPRINCE-RINGUET, mem-
Dré'ROROFAIPE es Ne ne din
Réponse au discours de réception de M. LEPRINCE-
RiINGUET, membre honoraire, par M. le Chanoine
RoHART, membre résidant......................
Liste des membres iialiires. honoraires PÉOMERO
dants de l'Académie d'Arras...., Sites: cond.
Sociétés Savantes avec lesquelles l'Académie échange
Ses: DUDLICARONS Es Minime durant eines
Note del'Imprimeur.....,...,..,,,..,... Hunt
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